Pogrom de Siedlce

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Premier récit sur le pogrom dans l'hebdomadaire de Varsovie Tygodnik Ilustrowany du 15 septembre 1906.

Le pogrom de Siedlce se réfère aux évènements qui se sont déroulés du 8 au 10 ou à Siedlce, royaume de Pologne dans l'empire russe. Il fait partie d'une vague de pogroms anti-juifs en Russie et dans les territoires sous contrôle russe, déclenchés dans le contexte de la révolution polonaise de 1905. Le pogrom à Siedlce est organisé par l'Okhrana, la police secrète russe, et fait 26 morts parmi la population juive.

Origines[modifier | modifier le code]

Siedlce a une population juive importante, estimée entre 10 000[1] et 15 000[2] personnes représentant selon les sources entre 42 et 63% de la population totale de la ville de 24 000 habitants. Dans le contexte plus large de troubles généralisés, Siedlce est le site d'agitation et de manifestations socialistes et patriotiques polonaises, organisées par le Parti socialiste polonais et le Bund juif[2]. Le gouvernement russe décide d'apporter une réponse cinglante au mercredi sanglant, une série d'attaques contre des représentants du gouvernement, organisées par la OB-PPS (Organisation de combat du Parti socialiste polonais) et survenues un mois plus tôt, le , ainsi que d'autres évènements similaires[2],[3],[4],[5]. Le 26 août, un activiste de l'OB-PPS, déguisé en Juif, assassine un officier de police à Siedlce[6],[7]. Comme de nombreux Juifs ont pris part aux manifestations, le gouvernement russe voit l'occasion à Siedlce de montrer sa force[8].

Siedlce n'est pas la seule ville où la police et l'armée russe terrorisent les ouvriers qui étaient perçus comme sympathisants du PPS ou d'autres organisation d'opposition. Des répressions eurent lieu à Varsovie et à Łódź entre autres, mais elles furent dirigées contre les travailleurs en général et non contre les Juifs en particulier[9]

Le pogrom[modifier | modifier le code]

Le pogrom, planifié méticuleusement à l'avance[10] éclate le [6] ou le 8[2] jusqu'au 9[6], 10[2] ou 11[11] . Il est organisé par l'Okhrana, la police secrète russe, et plus particulièrement par le colonel Tichonowski chargé de sa préparation[1],[10]. Des pamphlets antisémites sont distribués pendant tout une semaine[7] et un couvre-feu[7] est établi avant toute agitation.

Les principaux coupables sont les soldats russes du régiment d'infanterie de Libava (de nos jours Liepāja)[6],[12],[11],[13]. Ils ont remplacé la garnison d'Ostrołęka précédemment installée dans la ville et considérée comme peu fiable car jugée trop bienveillante avec la population locale[7]. Les soldats reçoivent l'ordre de commencer à tirer sur la place centrale et peu après de déclencher des incendies et de piller les magasins juifs à volonté[7]. Des pièces d'artillerie sont utilisées comme le mentionnent même les rapports officiels[6],[14]. Certaines sources soulignent l'implication des Cent-Noirs, des groupes russes d'extrême droite antisémites, étrangers au royaume de Pologne et qui ont dû être amenés de l'Empire par les autorités. La majorité des magasins de la ville sont pillés, détruits et souvent incendiés; les maisons des Juifs sont aussi pillées et vandalisées[7],[11]. Des renforts militaires officiels sont appelés des villes avoisinantes[7]. Mais entre-temps, les autorités russes demandent à la communauté juive de leur livrer les bandits qui ont ouvert le feu sur les soldats[7].

Au total, on compte 26 morts parmi la population juive et un très grand nombre de blessés, de l'ordre de plusieurs centaines[1],[11]. La population polonaise, dans son ensemble a aidé à protéger les Juifs[6]. Environ 1 000 personnes sont arrêtés. Selon les sources officielles, la police et l'armée ne déplorèrent aucune perte[7].

Conséquences[modifier | modifier le code]

L'histoire officielle répandue par la propagande russe est que les évènements de Siedlce ont été déclenchés par des révolutionnaires, dont le complot a été découvert par la police et l'armée[6],[15].

Malgré leur rôle majeur dans le pogrom, certains soldats et policiers sont récompensés avec des médailles ou des mentions d'honneur[16]. En décembre de la même année, l'OB-PPS réussit à mener à bien l'assassinat d'un officier russe de haut-rang, impliqué dans le pogrom de Siedlce, le colonel Obruczew[17]. Néanmoins, le fait que l'OB-PPS, qui avait organisé les attaques du mercredi sanglant, n'ai effectué aucune autre action significative en réponse au pogrom de Siedlce, est selon les mots d'un des dirigeants du PPS, Józef Piłsudski, futur chef de l'État polonais indépendant, une défaite morale pour l'OB-PPS. De plus, cela a montré que l'OB-PPS n'a aucun moyen d'empêcher l'armée russe d'effectuer des démonstrations brutales de force à l'endroit et à la date de son choix[18].

Une des réponses au pogrom de Siedlce est la mise en place de groupes d'autodéfense juifs dans de nombreuses villes et bourgades[1], bien que selon d'autres sources, ces groupes existaient avant le pogrom, même à Siedlce[7]. Le pogrom est largement condamné par l'opinion publique en Pologne et à l'étranger et par la plupart des partis politiques polonais[2],[7],[19],[20]. La presse polonaise est unanime pour dénoncer ces actes de violence[21]. Les députés polonais et juifs au parlement russe (la Douma) demande une enquête qui aboutira à la conclusion que les évènements ont été provoqués par quelques soldats agissant sans ordres officiels[7],[14].

Le bilan général est décevant pour les Russes et va dissuader le gouvernement russe d'organiser d'autres pogroms en Pologne : les pogroms de Siedlce et de Białystok se sont avérés des échecs, car la population polonaise a constamment refusé de supporter les forces russes et les investigations politiques indépendantes ont toujours conclu que la responsabilité des événements ne provenait pas de la population locale, mais de l'armée russe, même si la faute en incombait à des soldats insubordonnés[14]. Ce pogrom est un des derniers, si ce n'est le dernier, des pogroms importants dans l'Empire russe et les territoires annexés dans la période suivant la révolution de 1905[12].

Référence s[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d (en): Paul R. Mendes-Flohr et Jehuda Reinharz: The Jew in the modern world: a documentary history; éditeur: Oxford University Press ; 1995; page: 565; (ISBN 0195026314 et 978-0195026313)
  2. a b c d e et f (pl): Zakład Naukowo-Badawczy Archiwistyki (Département de la recherche scientifique archivistique) – Pologne: Archeion; volume 98; éditeur: Naczelna Dyrekcja Archiwów Państwowych (Direction générale des archives de l'État); 1997; page: 334
  3. (pl): Ludwik Bazylow: Ostatnie lata Rosji carskiej (Dernières années de la Russie tsariste); éditeur: Państwowe Wydawn. Naukowe; 1972; page: 162
  4. (pl)  : Józef Piłsudski et Leon Wasilewski: Pisma zbiorowe: wydanie prac dotychczas drukiem ogłoszonych (Écrits collectifs: publication d'œuvres précédemment publiés); éditeur: Instytut Józefa Piłsudskiego; page=32
  5. (pl): Feliks Tych: Rok 1905 (Année 1905); éditeur: Krajowa Agencja Wydawnicza; 1990; page: 81; (ISBN 978-8303029157)
  6. a b c d e f et g (pl): Michał Kurkiewicz et Monika Plutecka: Rosyjskie pogromy w Białymstoku i Siedlcach w 1906 roku (Pogroms russes à Bialystok et Siedlce en 1906); in Biuletyn Instytutu Pamięci Narodowej; nr 11/2010; pages 20 à 24
  7. a b c d e f g h i j k et l (pl): Jan Klewek: Pogrom 1906 roku w Siedlcach; site: Polin; consulté le 20 novembre 2019
  8. (pl): Andrzej Krzysztof Kunert et Andrzej Przewoźnik: Żydzi polscy w służbie Rzeczypospolitej (Juifs polonais au service de la République); éditeur: Rada Ochrony Pamięci Walk i Męczeństwa; 2002; page: 80; (ISBN 978-8391666333)
  9. (pl): Władysław Pobóg-Malinowski: Najnowsza historia polityczna Polski, 1864–1945; tome: 1; éditeur: Krajowa Agencja Wydawnicza; 1990; page: 166; (ASIN B07TCBBG8Y)
  10. a et b (pl): Stanisław Kalabiński: Antynarodowa polityka endecji w rewolucji 1905–1907 (Politique antinationale du Parti national-démocrate pendant la révolution de 1905-1907); éditeur: Państwowe Wydawn. Naukowe; 1955; page: 402
  11. a b c et d (pl): Wacław Jędrzejewicz et Janusz Cisek: Kalendarium życia Józefa Piłsudskiego 1867–1935: 1867–1918 (Chronologie de la vie de Józef Piłsudski 1867-1935: 1867-1918); éditeur: Zakład Narodowy im. Ossolińskich; 1994; page: 185; (ISBN 8304041146 et 978-8304041141)
  12. a et b (en): Aaron W. Hughes: The invention of Jewish identity: Bible, philosophy, and the art of translation; éditeur: Indiana University Press; 2010; page: 95; (ISBN 0253222494 et 978-0253222497)
  13. (en): Judith R. Baskin: The Cambridge Dictionary of Judaism and Jewish Culture; éditeur: Cambridge University Press; 2011; page: 488; (ISBN 0521825970 et 978-0521825979)
  14. a b et c (en): History; site Virtual Shtetl
  15. (en): The Outlook: A weekly review of politics, art, literature, and finance du 1er janvier 1906; page: 334
  16. (en): Abraham Malamat et Haim Hillel Ben-Sasson: A History of the Jewish people; éditeur: Harvard University Press; 1976; page: 887; (ISBN 9780674397316)
  17. (pl): Teodor Ładyka: Polska Partia Socjalistyczna (Frakcja Rewolucyjna) w latach 1906–1914 (Parti socialiste polonais (faction révolutionnaire) en 1906-1914); éditeur: Ksia̜żka i Wiedza; 1972; page: 112; (ASIN B01M3R6G0C)
  18. (pl): Józef Piłsudski: Pisma wybrane (Lettres choisies); éditeur: Krakowskie Towarzystwo Wydawnicze; 1943; page: 60
  19. (pl): Henryk Wereszycki: Historia polityczna Polski, 1864–1918 (Histoire politique de la Pologne, 1864-1918); éditeur: Zakład Narodowy im. Ossolińskich; 1990; page: 221; (ASIN B01M24QZOJ)
  20. (en): Arnon Rubin: The rise and fall of the Jewish Communities in Poland and their relics today: District Lublin; éditeur: Arnon Rubin; page: 241; (ISBN 978-9659074419)
  21. (en): Stefani Hoffman et Ezra Mendelsohn: The Revolution of 1905 and Russia's Jews; éditeur: University of Pennsylvania Press; 2008; page: 129; (ISBN 0812240642 et 978-0812240641)