Moroïdine

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Moroïdine
Image illustrative de l’article Moroïdine
Identification
Nom systématique acide (8S,9S,12S,15S,18S,21S,27S)-21-[3-(diaminométhylideneamino)propyl]-12-(2-méthylpropyl)-10,13,16,19,22,25-hexaoxo-9-{[(2S)-5-oxopyrrolidine-2-carbonyl]amino}-8,15-di(propan-2-yl)-2,11,14,17,20,23,26,30,32-nonazapentacyclo[16.14.2.13,7.129,32.04,33]hexatriaconta-1(33),3,5,7(36),29(35),hex-30-ène-27-carboxylique
No CAS 104041-75-0
PubChem 14311394
SMILES
InChI
Propriétés chimiques
Formule C47H66N14O10
Masse molaire[1] 987,114 7 ± 0,048 g/mol
C 57,19 %, H 6,74 %, N 19,87 %, O 16,21 %,

Unités du SI et CNTP, sauf indication contraire.

La moroïdine est un composé biologiquement actif présent dans les plantes Dendrocnide moroides et Celosia argentea[2]. C'est un peptide bicyclique constitué de huit acides aminés, avec notamment par des liaisons croisées inhabituelles leucine-tryptophane et tryptophane-histidine formant les deux macrocycles. Il a été montré que la moroïdine est au moins l'un des composés bioactif responsable de la piqûre douloureuse de Dendrocnide moroides. Elle a également démontré des propriétés antimitotiques, notamment par l'inhibition de la polymérisation de la tubuline, ce qui lui confère un potentiel de médicament chimiothérapeutique. Ceci, combiné à sa structure chimique inhabituelle, en a fait une cible pour la synthèse organique.

Structure[modifier | modifier le code]

La moroïdine est un octapeptide bycyclique qui a été isolé de Dendrocnide moroides (aussi appelée Laportea moroides) et des graines de Celosia argentea. Sa structure a été confirmée par cristallographie aux rayons X en 2004[3]. Elle contient de liaisons croisées inhabituelle, l'une entre la leucine et le tryptophane, et l'autre entre le tryptophane et l'histidine. Ces liaisons sont également présentes dans une famille de composés analogues, les célogentines, présentes également dans Celosia argentea[4].

Synthèse totale[modifier | modifier le code]

La synthèse totale de la moroïdine n'a pas été rapporté[5], seules des synthèses partielles, notamment des liaisons Leu-Trp et Trp-His ont été réalisées. En revanche, plusieurs groupes sont parvenus à la synthèse totale de la célogentine C, un composé extrêmement proche.

Célogentine C, composé de la famille des célogentines, un groupe de molécules présentes dans les graines de Celosia argentea analogues à la moroïdine.

Dans leur synthèse totale de la célogentine C, Castle et al. sont parvenus dans un premier temps à former la liaison Leu-Trp. Cette formation passe par une condensation de Knoevenagel intermoléculaire, suivie d'une addition radicalaire conjuguée et d'une reduction nitro. Le produit est un mélange de diastéréoisomères, le produit principal ayant la configuration souhaitée[4].

Une seconde approche par Jia et al. passe par une addition de Michael et une bromation, une réaction stéréosélective qui donne un composé avec la bonne configuration et la liaison Leu-Trp[6].

Chen et al. ont proposé une autre approche stéréosélective couplant l'iodotryptophane à la 8-aminoquinoline catalysé par le palladium donnant un seul des deux diastéréoisomères avec la bonne configuration et la liaison Leu-Trp[7].

Première approche de la synthèse partielle de la liaison Leu-Trp par Castle et al. Si la liaison est obtenu à la première étape par condensation de Knoevenagel intramoléculaire, la synthèse du produit final a échoué devant l'impossibilité d'introduire un groupe nitro et un groupe aldéhyde à la molécule[4].
Schéma réactionnel de Jia et al. montrant la synthèse de la liaison Leu-Trp. La première étape montre une addition de Michael asymétrique formant la liaison croisée, suivie par une bromation qui permet aux substituants d'être ajoutés dans les étapes suivantes[6].
Schéma réactionnel simplifié de la formation de la liaison Leu-Trp par Chen et al. La liaison est formée en une étape sous catalyse au palladium(II)[7].
Exemples d'approches synthétique pour la liaison Leu-Trp et de la partie gauche de la moroïdine.

Pour la liaison Trp-His, Castle et al. ont proposé un couplage oxydant par le NCS formant la liaison C-N. Pour empêcher une sur-chloration over-chlorination, le NCS a été incubé avec le Pro-OBn, qui réagit avec le NCS de manière à moduler sa concentration[4]. Cette méthode pour lier le tryptophane et l'histidine a ensuite été utilisé dans les tentatives de synthèse totale[7].

Schéma réactionnel simplifié montrant la formation de la liaison s Trp-His, par Castle et al. Cette étape de couplage oxydatif a été utilisée dans plusieurs tentatives de synthèse ultérieures[7].

Toxicité[modifier | modifier le code]

Toxine urticante[modifier | modifier le code]

La moroïdine est l'un des nombreux composés biologiquement actifs isolés du venin de Dendrocnide moroides, un membre de la famille des orties. La plante stocke son venin dans des poils de silice qui se détachent lorsqu'on les touche, libérant les toxines à travers la peau et provoquant une douleur extrême[8]. La moroïdine produit également une réponse douloureuse similaire lorsqu'elle est injectée sous la peau, et on pense donc qu'elle est en partie responsable de la toxicité de la plante. Cependant, les injections de moroïdine ne sont pas aussi puissantes que les injections de matière brute isolée de Dendrocnide moroides, ce qui suggère que le venin contient d'autres toxines urticantes[9].

Agent antimitotique[modifier | modifier le code]

La moroïdine a montré qu'elle avait des propriétés antimitotiques, principalement en inhibant la polymérisation de la tubuline[10]. Les polymères protéiques de la tubuline sont le principal composant des microtubules. Au cours de la mitose, les microtubules forment la structure organisatrice appelée fuseau mitotique, qui capture, aligne et sépare les chromosomes. L'alignement et la séparation corrects des chromosomes sont essentiels pour garantir que les cellules répartissent leur matériel génétique de manière égale entre les cellules filles[11]. Si les chromosomes ne sont pas attachés au fuseau mitotique, le point de contrôle mitotique (en) est activé, ce qui empêche les cellules d'entrer en anaphase et de procéder à la division cellulaire. Les agents qui perturbent les microtubules inhibent donc la mitose par l'activation de ce point de contrôle[12].

La moroïdine et ses composés apparentés, les célogentines, inhibent la polymérisation de la tubuline. Dans cette famille, la célogentine C est la plus puissante (CI50 0.8×10−6 M), et elle est plus puissante que l'agent antimitotique vinblastine (CI50 3.0×10−6). La moroïdine a elle la même puissance que la vinblastine[13]. En raison de cette activité biologique, les composés de cette famille ont un potentiel en tant qu'agents anticancéreux[4].

Le mécanisme de perturbation de la tubuline n'est pas connu, mais le degré d'activité biologique a été lié à la structure de du cycle droit contenant la liaison Trp-His. La moroïdine et les célogentines peuvent être divisées en trois groupes en fonction de la similarité structurelle du cycle droit. La célogentine C, le composé le plus puissant, possède un cycle droit unique contenant un résidu de proline. La moroïdine et ses célogentines analogues (E à J) ont toutes une activité comparable à celle de la vinblastine, et un troisième groupe de célogentines ont toutes une activité réduite[4]. Par contraste, l'acide stéphanotique, un composé cyclique analogue uniquement au cycle gauche et contenant la même liaison Leu-His, n'a pas d'activité antimitotique[13].

D'autres agents anti-tubuline utilisés comme agents de chimiothérapie ont des effets secondaires douloureux connus sous le nom de neuropathie lorsque les médicaments sont en contact direct avec les tissus. Bien que le mécanisme exact de la cause de la neuropathie soit inconnu, on pense qu'il est lié à la dégradation des microtubules, qui sont des composants essentiels des neurones[14].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Masse molaire calculée d’après « Atomic weights of the elements 2007 », sur www.chem.qmul.ac.uk.
  2. Hiroshi Morita, Kazutaka Shimbo, Hideyuki Shigemori et Jun'ichi Kobayashi, « Antimitotic activity of moroidin, a bicyclic peptide from the seeds of Celosia argentea », Bioorganic & Medicinal Chemistry Letters, vol. 10, no 5,‎ , p. 469–471 (PMID 10743950, DOI 10.1016/S0960-894X(00)00029-9)
  3. Hayato Suzuki, Hiroshi Morita, Motoo Shiro et Jun'ichi Kobayashi, « Celogentin K, a new cyclic peptide from the seeds of Celosia argentea and X-ray structure of moroidin », Tetrahedron, vol. 60, no 11,‎ , p. 2489–2495 (DOI 10.1016/j.tet.2004.01.053)
  4. a b c d e et f Bing Ma, Biplab Banerjee, Dmitry N Litvinov, Liwen He et Steven L Castle, « Total synthesis of the antimitotic bicyclic peptide celogentin C », J Am Chem Soc, vol. 132, no 3,‎ , p. 1159–1171 (PMID 20038144, PMCID 2810426, DOI 10.1021/ja909870g)
  5. Lei Li, Weimin Hu et Yanxing Jia, « Synthetic studies of cyclic peptides stephanotic acid methyl ester, celogentin C, and moroidin », Tetrahedron, vol. 70, no 42,‎ , p. 7753–7762 (DOI 10.1016/j.tet.2014.05.082)
  6. a et b Weimin Hu, Fengying Zhang, Zhengren Xu, Qiang Liu, Yuxin Cui et Yanxing Jia, « Stereocontrolled and efficient total synthesis of (–)-stephanotic acid methyl ester and (–)-celogentin C », Org Lett, vol. 12, no 5,‎ , p. 956–959 (PMID 20108939, DOI 10.1021/ol902944f)
  7. a b c et d Arndt H-D, Milroy L-G et Rizzo S, Biomimetic Organic Synthesis, Wiley-VCH Verlag GmbH & Co. KGaA, , 357–394 (ISBN 9783527325801, lire en ligne Accès limité), « Biomimetic synthesis of indole-oxidized and complex peptide alkaloids »
  8. Marina Hurley, « Selective stingers », ECOS, no Oct-Dec,‎ (lire en ligne)
  9. T-W Christina Leung, Dudley H Williams, Jennifer CJ Barna, Salvatore Foti et Peter B Oelrichs, « Structural studies on the peptide moroidin from Laportea moroides », Tetrahedron, vol. 42, no 12,‎ , p. 3333–3348 (DOI 10.1016/s0040-4020(01)87397-x)
  10. Hiroshi Morita, Kazutaka Shimbo, Hideyuki Shigemori et Jun'ichi Kobayashi, « Antimitotic activity of moroidin, a bicyclic peptide from the seeds of Celosia argentea », Bioorg Chem Med Lett, vol. 10, no 5,‎ , p. 469–471 (PMID 10743950, DOI 10.1016/s0960-894x(00)00029-9)
  11. H Lodish, A Berk et SL Zipursky, Molecular Cell Biology, New York, WH Freeman, , 4th éd. (ISBN 9780716731368), « Microtubule dynamics and motor proteins during mitosis »
  12. April L Blajeski, Vy A Phan, Timothy J Kottke et Scott H Kaufmann, « G1 and G2 cell cycle arrest following microtubule depolymerization in human breast cancer cells », J Clin Invest, vol. 110, no 1,‎ , p. 91–99 (PMID 12093892, PMCID 151025, DOI 10.1172/JCI200213275)
  13. a et b Alexander KL Yuen, Katrina A Jolliffe et Craig A Hutton, « Preparation of the central tryptophan moiety of the celogentin/moroidin family of anti-mitotic cyclic peptides », Aust J Chem, vol. 59, no 11,‎ , p. 819–826 (DOI 10.1071/CH06324)
  14. Eiman Mukhtar, Vaqar M Adhami et Hasan Mukhtar, « Targeting microtubules by natural agents for cancer therapy », Mol Cancer Ther, vol. 13, no 2,‎ , p. 275–284 (PMID 24435445, PMCID 3946048, DOI 10.1158/1535-7163.MCT-13-0791)