Lettre de change en droit français

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La lettre de change est un écrit par lequel une personne, dénommée tireur, donne à un débiteur, appelé tiré, l'ordre de payer à l'échéance fixée, une certaine somme à une troisième personne appelée bénéficiaire ou porteur. La lettre de change est un acte de commerce, le tribunal de commerce est compétent en cas de litige et le droit cambiaire s'applique.

La lettre de change est utilisée comme moyen de paiement, souvent dans un pays étranger : par l'intermédiaire des banques, elle permettait dès le Moyen Âge, de payer dans la monnaie du pays (d'où le nom de lettre de « change »). Elle est aussi un moyen de crédit par l'escompte. Elle est donc très utilisée par les commerçants car donnant satisfaction au débiteur qui paiera à crédit, au créancier qui sera payé immédiatement en ayant recours à l'escompte, et à l'organisme bancaire qui en retire des intérêts. Cependant le bordereau de Dailly et l'affacturage empiètent sur le domaine de la lettre de change.

Les règles, favorables au porteur de la lettre de change, ont été établies pour protéger sa fiabilité. Le tiré qui a accepté ne peut refuser de payer le porteur de bonne foi en soulevant des exceptions (moyens de défense) qu'il pourrait opposer à son créancier d'origine (le tireur) en invoquant par exemple des malfaçons, ou une absence de livraison : la lettre de change est donc inopposable. Elle entraîne aussi une garantie solidaire des signataires. En effet, en cas de défaillance du tiré, chacun d'entre eux s'est engagé.

Histoire

La lettre de change en France est un procédé très ancien, qui existait aussi dans des sociétés peu bancarisées. À la fin du Moyen Âge, la cité d'Anvers l'utilise plutôt que d'écrire les dettes dans un seul livre de comptes comme à Venise. La place flamande développe au début du XVe siècle les lettres de change qui peuvent être escomptées, tandis que l'achat à terme se développe : il arrivait « de plus en plus fréquemment » que la date des livraisons soient reportées, l'écart de temps « permettant d'escompter la hausse ou la baisse » du cours des marchandises[1].

Les conditions de validité

La lettre de change est un instrument de crédit (effet de commerce) qui crée des obligations de nature cambiaire. Le Code de commerce régit la lettre de change et exige le respect de certaines conditions de fond et de forme.

Les conditions de fond

La lettre de change est un contrat soumis aux conditions générales de validité des contrats, et aux conditions de fond spécifiques aux lettres de change. La loi exige la capacité commerciale du souscripteur, et subordonne la validité de la lettre de change à l'existence d'une provision.

La capacité commerciale du souscripteur

La lettre de change est un acte de commerce par la forme[2] qui doit nécessairement être accompli par un commerçant. Par conséquent, la loi exige la capacité commerciale du tireur de la lettre de change à peine de nullité. Ainsi, les lettres de change souscrites par un mineur[3] et par un emprunteur à l'occasion d'une opération de crédit à la consommation[4] sont nulles. Toutefois, le principe d'indépendance des signatures retient la validité de l'engagement des autres souscripteurs, en présence d'un souscripteur incapable[5].

La provision de la lettre de change

La provision est la cause objective de la création de la lettre de change. Elle fonde le droit de créance du tireur et des porteurs successifs sur le tiré. La jurisprudence exige une provision existante à la date de l'échéance de la traite (ce qui explique que la provision n'est pas une condition de validité, sinon elle serait exigée dès l'origine) [6], et le porteur devient propriétaire de la provision à l'échéance, même lorsque celle-ci n'est pas liquide et exigible, dès lors que la créance existe en son principe[7]. En revanche, le tiré ne peut être contraint d'accepter ni de payer à l'échéance lorsque la créance qui forme la provision n'est pas certaine, liquide et exigible[8], et la traite est nulle faute de provision lorsque la créance, qui était exigible lors de l'émission, s'est éteinte avant l'échéance[9].

Les conditions de forme

Le Code de commerce impose des conditions de forme nécessaire à la validité de la lettre de change, à peine de nullité de la traite émise[10]. La nullité résultant de l'omission d'une mention obligatoire étant d'ordre public, cette nullité peut être invoquée par tout intéressé et soulevée d'office par le juge[11]. Cependant la lettre de change qui omet une mention obligatoire est simplement disqualifiée[12], et peut faire preuve d'un engagement contractuel entre les parties[13], tel un commencement de preuve par écrit d'un acte sous seing privé de reconnaissance de dette, voire de cautionnement lorsqu'un aval est apposé[14].

Les mentions obligatoires et nécessaires à la validité d'une lettre de change sont :

  • la dénomination « lettre de change » ;
  • le mandat pur et simple de payer une somme déterminée ;
  • le nom du tiré et du porteur, pourvu qu'il n'y ait aucun risque de confusion ou d'erreur sur leur identité[15] ;
  • l'indication de l'échéance et lieu de paiement ;
  • l'indication de la date[16] et du lieu d'émission ;
  • la signature du tireur par tous moyens .

Les garanties données au porteur

Le porteur bénéficiaire de la lettre de change peut obtenir des garanties de paiement de la traite à l'échéance. Cette garantie peut être apportée, soit par le tiré débiteur (acceptation), soit par toute autre personne (aval).

L'acceptation

L'acceptation est l'engagement cambiaire du tiré de payer à l'échéance convenue le montant de la lettre de change[17]. L'acceptation de la traite par le tiré est soumise à des conditions de fond et des conditions de forme prévues par la loi, et précisées par la jurisprudence. La lettre de change régulièrement acceptée produit des effets à l'égard des parties (tireur, tiré et porteurs successifs).

Les conditions de validité de l'acceptation

L'acceptation suppose la qualité nécessaire du tiré pour accepter une traite. Lorsque la lettre de change est tirée sur une personne morale, l'acceptation suppose un mandat du signataire pour agir au nom et pour le compte du tiré, et dont le porteur n'est pas tenu de vérifier les pouvoirs[18]. Une société en formation peut être tenue d'une lettre de change en qualité de tirée, lorsque cette traite a été émise avant qu'elle n'acquière la personnalité morale[19]. Par ailleurs, l'acceptation de la lettre de change doit être pure et simple et peut être donnée pour tout ou partie de la provision[20].

L'engagement irrévocable du tiré est matérialisé par la signature au RECTO de la lettre. Par ailleurs, la provision de la lettre de change (la créance entre le tireur et le tiré) est transmise au porteur dès l'acceptation de la lettre.

L'aval

L'aval est la garantie personnelle de paiement du titre, donnée sous la forme cambiaire par un donneur d'aval (ou avaliste ou avaliseur), qui va garantir que la lettre de change sera payée à l'échéance[21]. Cette garantie peut être donnée pour tout ou partie du montant de la traite. L'aval est donné par une signature au verso de la traite, et doit indiquer l'identité du donneur d'aval.

Le donneur d'aval est solidairement tenu au paiement de la traite envers le porteur. Il ne peut invoquer la nullité de l'obligation garantie, mais il peut opposer au porteur les mêmes moyens de défense que le tiré. Le donneur d'aval actionné en garantie peut agir en paiement contre le tiré, soit au titre d'une action personnelle, soit au titre d'une action subrogatoire[22], soit au titre d'un recours spécifique[21].

Concernant le paiement, le donneur d'aval emploie généralement la formule « bon pour aval » et signe la lettre. Le paiement s'effectue dans la résidence du tiré (ou de son établissement bancaire) à l'échéance ou l'un des deux jours ouvrables qui suivent à celui qui en est porteur par l'intermédiaire de la banque.

La circulation de la lettre de change

La circulation de la lettre de change est assurée par l'endossement, qui peut être translatif, de procuration ou pignoratif[23].

L'endossement translatif

L'endossement translatif emporte transfert à l'endosseur des droits résultant de la lettre de change. L'endossement translatif est matérialisé par la signature de l'endosseur au verso de la traite, et constitue le principal instrument d'escompte bancaire des traites. Toutefois, le tireur peut exprimer sa volonté de ne pas transmettre la lettre en y apposant les mentions « Non à ordre » ou « Non endossable ».

L'endossement de procuration

L'endossement de procuration confère à l'endosseur un mandat de requérir et d'encaisser le montant de la traite au nom et pour le compte du porteur. L'endossement de procuration est matérialisé par l'apposition d'une mention non équivoque sur la lettre de change (telle que « pour procuration » ou « pour encaissement »).

L'endossement pignoratif

L'endossement pignoratif emporte la remise en gage de la lettre de change à l'endosseur. Celui-ci est alors considéré comme un créancier gagiste, titulaire d'un droit autonome de nature réelle. L'endossement pignoratif résulte de l'apposition d'une formule particulière telle que « donné en garantie ».

Le paiement

La lettre de change est quérable : le porteur doit réclamer le paiement au tiré à l'échéance et au lieu indiqués sur la traite. L'octroi d'un délai de grâce au débiteur tiré est interdit[24].

Le porteur doit faire constater le défaut de paiement par un protêt (acte d'huissier en la forme authentique), à peine d'engager sa responsabilité personnelle à l'égard des endosseurs.

Le protêt confère au porteur les effets cambiaires : il dispose alors d'un recours en paiement contre tous les signataires antérieurs de la traite, lesquels sont tenus solidairement envers lui.

Les actions cambiaires sont soumises à un délai de prescription particulier[25]. Les actions extra-cambiaires fondées sur l'obligation fondamentales sont soumises aux délais de prescription de droit commun.

Lettre de change relevé

La lettre de change relevé (LCR) est un moyen d'échanger des lettres de change de manière dématérialisée.

Le tireur / créancier / fournisseur envoie alors un fichier à sa banque (fichiers de 160 caractères par ligne, normalisés par le CFONB). Ceci est différent du circuit papier, où le tireur / créancier / fournisseur envoie la lettre de change au tiré / débiteur / client. On peut faire une analogie entre l'envoi d'une telle LCR et une forme de prélèvement entre entreprises. La LCR peut ou non être accompagnée d'une lettre de change papier. Si la lettre de change papier existe, alors le droit cambiaire s'applique, et la lettre de change peut être déjà acceptée (si elle est signée par le tiré) ou non.

Ensuite, il y a un échange entre la banque du tiré / débiteur / client et sa banque (via des fichiers de 240 caractères par ligne, normalisés par le CFONB, ou tout autre moyen) :

  • la banque transmet les lettres de change qui vont être exécutées ;
  • le tiré peut alors les accepter ou les refuser.

Les banques échangent entre elles les lettres de change via STET le système interbancaire de compensation, ces opérations sont codifiées 060. Le refus de payer est signifié par le même canal (code 460), et les impayés non techniques doivent être déclarés à la Banque de France et consultables par les établissements financiers. Cette déclaration se fait également par le SIT, par un ordre codifié 064.

Notes et références

  1. Si la Bourse m'était contée, par André Kostolany, Julliard (1960), page 26
  2. Article L110-1 10° du Code de commerce
  3. Article L511-5 du Code de commerce ; Com., 28 octobre 1969, Bull. civ. IV n°318.
  4. Article L313-13 du Code de la consommation
  5. Article L511-5 al. 2 du Code de commerce
  6. Com., 24 mars 1969, Bull. civ. IV n°110 ; RTD com. 1969.775, obs Cabrillac et Rives-Lange
  7. Com., 4 juin 1991, Bull. civ. IV n°208
  8. Civ. 11 mai 1853
  9. Cass. req., 24 janvier 1912
  10. Com., 13 mai 1986, Bull. civ. IV n°89
  11. Com., 16 juillet 1973, Bull. civ. IV n°243
  12. Article L511-1 II du Code de commerce
  13. Civ., 7 février 1934 ; Com., 10 février 1971, Bull. civ. IV n°42
  14. CA Paris, 5 juillet 2001 ; D.2001 AJ 2672
  15. Pour le tiré : CA Amiens, 15 octobre 1993 ; JCP 1994.II.22258 note Massot-Durin. Pour le porteur : Com., 12 octobre 1992, Bull. civ. IV n°349, D.1993 somm. 317 obs. Cabrillac
  16. Com., 7 novembre 1979 ; Com., 7 octobre 1987, Bull. civ. IV n°216.
  17. Article L511-19 du Code de commerce
  18. Com., 5 février 1985
  19. Com., 15 juin 1993, Bull. civ. IV n°246
  20. Article L511-17 al. 3 du Code de commerce
  21. a et b Article L.511-21 du Code de commerce
  22. Article 1251 du Code civil
  23. Article L.511-8 du Code de commerce
  24. Article L.511-45 du Code de commerce
  25. Article L.511-78 du Code de commerce

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