Ave César

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Ave Caesar Morituri te Salutant, toile de Jean-Léon Gérôme (1859), représentant des gladiateurs devant l'empereur Vitellius.

Ave César (en latin : Avē Cæsar) était à l'époque impériale romaine une formulation rapide utilisée pour saluer l'empereur.

On la connait particulièrement à travers la formule Avē Cæsar, moritūrī tē salūtant.

Ave Caesar

Ave est, contrairement à salvē, une forme de salutation principalement militaire[1]. Cette phrase a souvent été reprise, parfois à des fins caricaturales, dans la littérature et la culture populaire, qu'il s'agisse de péplums ou d'œuvres humoristiques comme les aventures Astérix le Gaulois[2].

Avē est une interjection latine issue du verbe ăvĕo (« saluer »)[3].

Quant à Cæsar, il s'agit à l'origine d'un nom de famille de la gens Iulia, illustré par César, et qui fut ensuite utilisé comme un titre honorifique par les empereurs et, à partir d'Hadrien, par leurs successeurs présomptifs[4].

Ave Caesar, morituri te salutant

Selon une croyance moderne erronée, durant les combats, les gladiateurs auraient eu l'habitude de saluer l'empereur en ces termes : Ave Caesar morituri te salutant  : « Salut César, ceux qui vont mourir te saluent »[1].

La formule a une origine authentique, basée sur le témoignage[1] de l'historien romain Suétone dans sa Vie des douze Césars[5]. Cependant, cette citation ne s'appliquait pas aux gladiateurs, puisque ces derniers n'avaient aucune certitude de mourir, contrairement à ce qu'implique le terme morituri. Elle fut apparemment prononcée en une seule occasion par des soldats renégats que l'empereur Claude avait condamnés à mourir au cours d'une naumachie au bord du lac Fucin.

L'association incorrecte avec la gladiature demeure malgré tout vivace dans la culture populaire[6],[1].

Écriture et prononciation

Écrit avec des macrons optionnels : Avē Imperātor (Cæsar), moritūrī tē salūtant ou, plus exactement, Hauē Imperātor, moritūrī tē salūtant![7]

Prononciation classique : [ˈaweː impeˈraːtor (ˈkae̯sar) moriˈtuːriː teː saˈluːtant]

Sources

L'épisode des soldats condamnés par Claude est raconté par trois historiens de Rome postérieurs à cet événement daté de l'an 52 : Suétone, Dion Cassius et Tacite (ce dernier mentionne l'événement, mais ne cite pas la phrase).

  • Suétone : "Avant de dessécher le lac Fucin, il y donna une naumachie. Mais les combattants s'étant écriés : 'Salut à l'empereur ! Nous te saluons avant de mourir !', il répondit : 'Salut à vous' / 'Ou pas'. ['Ave imperator, morituri te salutant !', respondisset 'Avete vos !' / 'Aut non']. Ils prirent ce mot pour une grâce, et aucun d'eux ne voulut plus combattre. Claude hésita longtemps: il ne savait s'il les ferait périr tous par le fer ou par le feu. Enfin il s'élança de son siège, et, faisant le tour du lac d'un pas tremblant et ridicule, moitié par menace, moitié par promesse, il les força à combattre. " (Vie des XII Césars : Claude, 21, 13)
  • Dion Cassius  : "Claude désira donner un combat naval sur sur un lac ; il fit mettre une muraille de bois et construire des échafauds tout autour, et il rassembla une multitude innombrable de personnes (...). Les combattants étaient des condamnés à mort ; ils avaient cinquante vaisseaux de chaque côté, avec les noms de Rhodiens et de Siciliens. Après s'être d'abord réunis en une seule troupe, ils s'adressèrent tous ensemble à Claude en ces termes : « Salut à toi, empereur ; au moment de mourir, nous te saluons ». N'ayant pu obtenir grâce et ayant, malgré cette prière, reçu l'ordre de combattre, ils se mirent simplement en rangs et ne s'attaquèrent que lorsqu'ils eurent été contraints de se massacrer les uns les autres." (Histoire romaine, 60, 33)

Variations des sources et des interprétations

La réponse de Claude est indiquée dans plusieurs manuscrits comme Avete vos !, suggérant un acte de faveur. Les premières éditions de De Vita Caesarum publiées à Rome en 1470 et Venise en 1471 donnaient la leçon" Avete vos ", et cette version était encore acceptée au XIXe siècle, comme dans l'édition Baumgarten-Crusius de 1816. Karl Ludwig Roth retourna aux manuscrits de meilleure qualité pour son édition de 1857 - principalement le Codex Memmianus du IXe siècle, la plus ancienne version connue de l'œuvre de Suétone - et corrigea la réponse de Claude en "Aut non".

Contexte culturel

Selon Suétone, Claude était très friand de jeux. Il se levait avec la foule après les matchs de gladiateurs et prononçait des éloges flatteurs des combattants ; il fut critiqué pour son habitude de quitter l'arène pendant les exécutions, comme c'était l'usage parmi les classes nobles.

Claude a également présidé de nombreux événements nouveaux et originaux. Il institua des jeux en l'honneur de son père, Nero Claudius Drusus, à l'occasion de l'anniversaire de ce dernier. Des jeux annuels ont été également tenus en l'honneur de son accession au pouvoir, et ont eu lieu au camp prétorien où Claude avait été proclamé empereur.

Claude a célébré les jeux séculaires - fête religieuse relancée par Auguste - pour marquer le 800e anniversaire de la fondation de Rome. Il a également participé à une chasse aux animaux sauvages au moins une fois, selon Pline l'Ancien, avec les cohortes prétoriennes, pour combattre un épaulard pris au piège dans le port d'Ostie.

Les divertissements publics variaient du duel de gladiateurs à des événements de grande envergure engendrant potentiellement des milliers de morts. La naumachie (aussi appelée navalia proelia par les Romains) était un événement militaire spectaculaire à grande échelle qui engeageait de nombreux navires et se tenait dans de grands lacs ou des arènes inondées. Les prisonniers de guerre et les criminels condamnés à mort étaient chargés, sous le nom de naumachiarii, d'exécuter ces batailles navales mortelles pour le divertissement du public.

À la différence des combats de gladiateurs, les naumachies étaient rares, organisées uniquement pour célébrer des événements notables. Jules César en organisa une avec 6.000 naumachiarii dans la Codeta, secteur marécageux du Tibre, pour célébrer sa quatrième victoire couronnée d'un triomphe. Dion Cassius cite deux naumachies que Titus organisa pendant les jeux inauguraux de l'amphithéâtre Flavien, incluant un événement de 3.000 hommes simulant une bataille entre Athéniens et Syracusains ; Domitien organisa une naumache pendant laquelle Dion rapporte que "presque tous les combattants et beaucoup de spectateurs ont péri".

La naumache de Claude célébrait l'achèvement d'un projet de drainage et de récupération de terres agricoles dans le plus grand lac intérieur d'Italie, le lac Fucin, un lac de cratère de 19 km dans la chaîne des Apennins à 80 km de Rome. Le projet, qui a duré onze ans et nécessité l'embauche de 30 000 hommes, comprenait le nivellement du sommet d'une colline et la construction d'un tunnel de 4,8 km entre le lac et la rivière Liris. Le tunnel a été décrit comme le plus grand tunnel romain et fut le plus long de ce type jusqu'à la construction de celui du Mont Cenis en 1876.

Description de l'événement par Tacite

Selon Tacite, qui écrit environ 50 ans après l'événement :

Historique de la formule

Utilisation à l'époque romaine

H.J. Leon (Université du Texas) a étudié cette salutation dans les Transactions de l'American Philological Association en 1939. Il a observé que le salut était devenu largement représenté et embelli dans "de nombreux travaux traitant des antiquités romaines, de sorte qu'il est devenu un des coutumes romaines les plus connues et les plus souvent citées ". Il a été reconnu dans les écrits laïcs et académiques comme un salut coutumier des gladiateurs à l'empereur. Et pourtant «il n'y a pas d'autre référence ancienne à un salut des gladiateurs, et dans ce cas il n'a pas du tout été prononcé par des gladiateurs, mais par des naumachiarii. Un exemple frappant de cette croyance omniprésente, même dans le milieu universitaire, peut être trouvé dans le livre de l'historien Jérôme Carcopino, La Vie Quotidienne à Rome à l'Apogée de l'Empire. (...) L'auteur, membre de l'Académie française, professeur au Havre et à la Sorbonne et directeur de l'Académie française à Rome, cite la phrase et décrit avec des détails vifs et poétiques la «mélancolique salutation» des gladiateurs passant en défilé devant l'empereur avant d'entrer dans le Colisée."

Leon observe que les combattants n'étaient pas des gladiateurs, mais des criminels condamnés à mort : leur destin était le massacre (occidio). Le lac avait été entouré de «radeaux» pour éviter une rupture et de «soldats de la garde du prétoire, de l'infanterie et de la cavalerie, protégés par des remparts et équipés de catapultes et de ballistes marines, prêts pour l'action ". Il conclut que ce n'était pas un salut formel, mais sans doute un incident isolé, un plaidoyer de masse pour obtenir la sympathie ou la pitié de la part de condamnés désespérés.

Alan Baker en est d'accord : "Il n'y a aucune preuve que c'était une pratique courante chez les gladiateurs. À notre connaissance, la seule fois où cette phrase a été utilisée était lors d'un événement organisé par Claude." Plass note qu'"il est difficile de voir pourquoi ou comment l'expression a été utilisée à cette occasion si ce n'était pas une formule régulière". Kyle reconnaît qu'aucune autre source n'indique ce "salut du gladiateur supposé" et conclut que « les sources ont fait remarquer l'incident, en partie, parce qu'une grâce collective était une anomalie dans la pratique de l'arène. »

Utilisation aux temps modernes

La formule est employée dans la pièce Androcles et le Lion de George Bernard Shaw (1912), avant que les Chrétiens n'affrontent les lions, l'Empereur répondant « Bonjour, amis ».

Elle est passée dans la culture contemporaine, utilisée par des pilotes de l'armée de l'air (voir la biographie de John Lerew), dans un film de la Seconde Guerre mondiale intitulé Morituri, dans l'épisode de M * A * S * H intitulé Peace on Us, dans la bande dessinée de René Goscinny et Albert UderzoAstérix conquiert Rome (1976) et le film Les douze travaux d'Astérix, dans une bande dessinée Marvel des années 1980 : Strikeforce: Morituri , dans l'épisode Adventure Time : Morituri Te Salutamus, dans un ensemble de pièces de théâtre des années 1890 par Hermann Sudermann, dans le roman Heart of Darkness de Joseph Conrad (1902), dans le roman de James Joyce Ulysse (phrase prononcée par le héros M. Brown peu avant sa mort), dans le roman d'Agatha Christie The Secret Adversary (1924), ainsi que dans A Caribbean Mystery (1964), dans les chansons populaire des années 1980, et celles des jeux vidéo, etc.

Notes et références

Bibliographie

Sur les autres projets Wikimedia :

  • Félix Gaffiot, Le grand Gaffiot : dictionnaire latin-français, Paris, Hachette, (1re éd. 1934), 1766 p. (ISBN 2-01-166765-8)
  • Éric Teyssier et Brice Lopez, Gladiateurs. Des sources à l’expérimentation, Paris, Errances, , 154 p. (ISBN 2-87772-315-1)