Affaire Jérôme Pernoo

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Le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, à La Villette.

L'affaire Jérôme Pernoo - CNSMDP - Émilie Delorme est une affaire administrative et judiciaire qui oppose, depuis mars 2021, le professeur de violoncelle du Conservatoire de Paris (CNSMDP) Jérôme Pernoo à la direction de l'établissement, représentée par Émilie Delorme, sur la base d'allégations de harcèlement de la part du professeur à l'encontre de certains de ses élèves.

À l’issue d’une enquête interne controversée, menée conjointement par le CNSMDP et le groupe Egaé, en la personne de Caroline De Haas, la procédure disciplinaire diligentée par le Conservatoire a conduit sa directrice à annoncer successivement : la réintégration sans aucune sanction de Jérôme Pernoo après les quatre mois légaux[1] de suspension, sa convocation deux mois plus tard à un entretien en vue d’un « licenciement pour faute grave », puis son renoncement au licenciement au profit d’une suspension d’un an du professeur, sans traitement, « pour avoir manqué aux exigences d’exemplarité ».  

Jérôme Pernoo a attaqué cette sanction en référé au tribunal administratif de Paris et obtenu gain de cause contre le CNSMDP en décembre 2021. Le juge a estimé la sanction disproportionnée « compte tenu de la nature des fautes » commises par l’intéressé, et a ordonné sa réintégration immédiate. Émilie Delorme, après avoir d’abord laissé entendre qu’elle faisait appel, s’est finalement exécutée et a annulé rétroactivement la sanction, réintégré Jérôme Pernoo, mais en le suspendant à nouveau dans la foulée, pour une période de quatre mois, afin de diligenter une deuxième enquête interne.

Origine

Le 16 mars 2021, après avoir reçu, selon les sources, un[2], deux[3],[4] ou « plusieurs »[5] signalements contre le violoncelliste Jérôme Pernoo via une boîte mail anonyme[6] mise en place par le groupe Egaé au CNSMDP, Émilie Delorme, sa directrice, déclenche une enquête interne et suspend le professeur pour une durée maximale de quatre mois, comme le prévoit la loi[1]. Le ou les signalements l’auraient avisée de « faits pouvant s'apparenter à du harcèlement et des agressions sexuelles, notamment sur mineurs. »[3],[4]

Entre temps, elle a informé le procureur, comme elle en a l’obligation, du ou des signalements qu’elle a reçus. Une enquête préliminaire pour « agression sexuelle sur mineur », confiée à la Brigade des mineurs, est ouverte le 20 avril[7].

Enquête administrative interne

Caroline de Haas (en rouge) à la Fête de l'Humanité en 2016 à La Courneuve.

L’enquête administrative interne, confidentielle, est confiée conjointement à Christophe Pillon, chef des ressources humaines du CNSMDP, et Caroline De Haas, militante féministe et directrice associée du groupe Egaé. Elle commence le 17 mars 2021. Des élèves témoignent avoir été contactés par Mediapart, à son sujet, dès le 23 mars[8]. Caroline De Haas explique au Point que la présence du Conservatoire à ses côtés, en tant que co-enquêteur, « garantit le bon déroulement [de l'enquête] et permet un regard de la structure sur le travail mené par le groupe Egaé[3],[4]. »

Soutien des élèves et des collaborateurs

Une semaine après le début de l’enquête, le 24 mars, Émilie Delorme est avisée, par lettre recommandée d’une proche collaboratrice de Jérôme Pernoo, que le compte-rendu d’entretien qu’Egaé lui demandait de signer était expurgé de la quasi-totalité de ses remarques à décharge, y compris les plus circonstanciées. La même lettre est envoyée à Christophe Pillon, co-enquêteur pour le CNSMDP[3],[4].

Le 9 avril, à la demande de l’ensemble des élèves de Jérôme Pernoo, se tient une réunion en visio-conférence avec Émilie Delorme et Caroline De Haas. Les élèves, l’accompagnatrice et l’assistant de Jérôme Pernoo, qui ont déjà tous été interrogés par Caroline De Haas et Christophe Pillon, et qui soutiennent unanimement le professeur, y font part de leur inquiétude quant à la tenue de l’enquête, qu’ils jugent partiale et uniquement à charge, craignant que le portrait qu’on leur fait dresser de leur professeur soit déformé. C’est au cours de cette réunion que Caroline De Haas dit à tous les élèves, devant la directrice : « Pour moi, quelqu'un qui témoigne ne porte jamais préjudice. La personne dit la vérité[3],[4],[8]. »

Critiques de l'enquête

Dans les semaines qui suivent, un grand nombre de témoins décrivent à plusieurs reprises dans la presse ces déformations systématiques de leurs propos[3],[9],[10],[8],[6], l’absence des questions de l’enquêtrice dans les comptes-rendus, et la suppression de leurs témoignages à décharge, quand ce n’est pas l’inversion absolue du sens de leurs réponses. Un élève raconte ainsi : « Dans certains cas, on me faisait même dire l’exact opposé de ce que j'avais dit. Par exemple, “ça ne m'a jamais mis mal à l'aise” est devenu “ça m'a mis mal à l'aise”. Ils ont fait ça plusieurs fois. » Un autre précise : « Mon rapport ne reflétait pas ce que je voulais dire. Souvent, on enlevait les questions qui m'ont été posées et ça changeait le sens des réponses. Vu le sujet de l'enquête, ça donnait tout de suite une image très négative du professeur[6]. » Un ancien élève raconte comment « Caroline De Haas lui a conseillé de consulter un professionnel de santé, afin de se souvenir de potentiels comportements répréhensibles commis par son professeur. » Il ajoute : « Je n'avais jamais été confronté à des pratiques parajudiciaires mais celles-ci me glacent quelque peu. Surtout lorsque l'on m'explique littéralement que si mon témoignage est à décharge, il n'est pas très intéressant et ne sera pas considéré comme tel puisque le but de cette enquête est de prouver [que Jérôme Pernoo] est coupable et non innocent[8]. » Plusieurs témoins affirment par ailleurs avoir signé leurs PV et n'avoir compris qu'a posteriori que ce qu'ils avaient dit n'avait pas été pris en compte[3],[4].

Jérôme Pernoo, violoncelliste, professeur au CNSMDP.

Les soutiens de Jérôme Pernoo rappellent en outre que l'engouement autour de sa personne lui a garanti, en quatorze ans d'enseignement au Conservatoire, un dossier administratif « absolument vierge », qu'il s'agisse de faits de violences sexuelles ou de brouilles avec ses élèves. En outre, aucun de ses étudiants n'aurait jamais exprimé le désir de quitter sa classe pour en rejoindre une autre, pratique pourtant courante au CNSMDP[8].

Jérôme Pernoo est lui-même interrogé par les enquêteurs les 8 et 15 avril. Alors qu’il est censé être questionné en dernier pour pouvoir répondre à toutes les éventuelles mises en cause, un témoin sera interrogé cinq jours après lui, le 20 avril. Les propos de ce témoin auraient été cités sept fois à charge sans que le prévenu ait eu la possibilité de les connaître, et donc d’y répondre[3],[4]. L’enquêteur du CNSMDP, Christophe Pillon, n’est pas présent à cet interrogatoire tardif, et évoque « un conflit d’agenda », sans plus de précisions, quand on lui demande d’expliquer cette double irrégularité.

Confrontée à ces très nombreuses alertes, Émilie Delorme soutiendra toujours, quant à elle, que « l’enquête a été menée de manière contradictoire, diligente, rigoureuse et impartiale[6]. » La direction du CNSMDP déclarera même en décembre 2021 : « En juillet dernier, aucun élément en notre possession ne nous permettait de remettre en cause le caractère impartial de l’enquête interne[11]. »

Clôture de l'enquête et procédure disciplinaire

L’enquête est clôturée le 20 avril, et le rapport est remis à la directrice. Elle décide à sa lecture de maintenir la suspension de Jérôme Pernoo, qui n’était, au départ, annoncée que pour « le temps de l’enquête. »[3],[4] Le 4 mai 2021, Émilie Delorme confirme dans Diapason qu’une enquête interne est en cours contre un professeur, sans citer son nom[12].

Le 7 mai[6], elle rédige un rapport disciplinaire pour saisir la commission consultative paritaire qui doit se prononcer sur le dossier. Selon Le Figaro[8], ce rapport contiendrait des « erreurs grossières » à charge, parmi lesquelles le changement de l’âge d’un témoin, présenté comme un adolescent de quatorze ans alors qu’il était en réalité âgé de vingt ans. Par ailleurs, un passage entier du compte rendu d'Egaé, où les faits reprochés à l'enseignant sont présentés au conditionnel, est repris à l'indicatif par Émilie Delorme dans le rapport disciplinaire. Enfin, les nombreux témoignages à décharge n’y sont évoqués que comme renforçant la charge : « [M. Pernoo] génère chez beaucoup d'élèves - actuels ou anciens - une admiration très importante, voire une forme de fascination[6] […] Les enquêteurs ont assisté à des entretiens dans lesquels ils ont senti une volonté très nette des interlocuteurs de protéger Jérôme Pernoo […] comme s'il semblait impossible pour un certain nombre de personnes d'admettre un seul comportement problématique de la part de Jérôme Pernoo. Cela semble témoigner d'une forme d'ascendant de la part de Jérôme Pernoo sur les personnes qui l'entourent[8]. »

Médiatisation

Le 8 juin paraît dans Mediapart[7] un article d’Antoine Pecqueur, qui dévoile pour la première fois, alors que la procédure disciplinaire n’est pas terminée, le nom de Jérôme Pernoo. Il y est question « d’attouchements envers plusieurs jeunes garçons, mineurs, qui seraient intervenus en dehors du CNSMDP […] et qui se seraient déroulés sur plus d'une dizaines d’années. » Les seuls témoins cités dans l’article ne mentionnent cependant pas d’agression sexuelle ni d’attouchements, mais critiquent des méthodes d’enseignement ou des comportements, l’une parlant de « séduction et d’emprise », un autre affirmant : « on accepte des choses inacceptables au prétexte qu’on fait partie d’une même famille. » Un ancien élève de Jérôme Pernoo, répond, pour sa part : « J’ai la désagréable impression et quasi-certitude que l’on cherche à le traîner dans la boue. Les signalements à son encontre me semblent surtout être des témoignages malveillants en vue de le détruire professionnellement et socialement. »

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Maison de la radio et de la musique, siège de France Musique.

Le 9 juin, France Musique[13] reprend sur son site l’essentiel de l’article de Mediapart, en citant à nouveau le nom de Jérôme Pernoo, sans apporter davantage de témoignages. Le 10 juin, Antoine Pecqueur, également chroniqueur à la matinale de France Musique, consacre son billet à son propre article de l'avant-veille, reprenant ses accusations et divulguant à nouveau le nom de Jérôme Pernoo[14].

Toujours le 10 juin, Émilie Delorme, selon un témoin, envoie un courriel à tout le Conservatoire pour confirmer l’existence de la procédure évoquée dans la presse[6].

Le 12 juin, c’est Diapason qui publie à nouveau ces éléments, sans apporter de témoignages supplémentaires[15].

Le 15 juin a lieu une deuxième réunion entre la direction et les élèves de Jérôme Pernoo, à la demande de ces derniers. Ils y font à nouveau part à la directrice de leurs inquiétudes quant au déroulement de l’enquête[6], et réclament le retour de l’enseignant, ou au moins le droit de pouvoir le contacter, ce que la directrice refuse[8].

Le 22 juin a lieu la commission consultative paritaire. D’après Jérôme Pernoo, « plutôt que de devoir répondre à des questions précises, il lui avait été demandé de raconter "ce qu'il avait compris du dossier"[6]. » Il évoque une réunion « brouillon et mal organisée » et soupçonne une « méconnaissance du dossier de 517 pages de la part des participants[8]. »

Réintégration de Jérôme Pernoo et projet de licenciement

Le 16 juillet 2021, dernier jour des quatre mois de suspension[1], Émilie Delorme annonce à Jérôme Pernoo qu’elle ne prononce pas de sanction et le réintègre dans ses fonctions. Elle le convoque néanmoins le 2 septembre pour un entretien préalable à une sanction disciplinaire et précise qu’elle envisage un « licenciement pour motifs disciplinaires sans préavis ni indemnités de licenciement[6],[16]. »

Le Conservatoire s’abstient de toute communication quant à cette réintégration. Tous les élèves de Jérôme Pernoo tentent à plusieurs reprises et par plusieurs moyens, y compris publiquement sur Twitter[17],[11], de contacter Émilie Delorme pour savoir si, d’une part, cette réintégration dont ils ont eu connaissance par voie de presse est vraie, et d’autre part si elle signifie qu’ils ont désormais le droit de le voir et de le contacter, ce qui leur était interdit depuis le 16 mars. Émilie Delorme ne leur écrira qu’à la rentrée, pour les convoquer à une réunion, sans jamais répondre à leur question[11].

Le 2 septembre a lieu l’entretien préalable à une sanction disciplinaire. Émilie Delorme y entend pour la première fois les arguments de la défense du professeur, presque six mois après sa mise à pied.

Renoncement au licenciement et exclusion d'un an

Le 7 septembre, elle décide de renoncer au « licenciement pour faute grave » qu’elle avait envisagé. Elle prononce néanmoins une exclusion d’un an sans traitement[18]. Le communiqué du CNSMDP, daté du 10 septembre[19], ne fait « aucune mention des accusations de violences sexuelles »[20],[21],[22], aucune « mention des signalements à l’origine de l’enquête »[11], mais met en cause ses « méthodes d’enseignement »[20],[23].

La direction précise avoir « constaté que Jérôme Pernoo avait manqué aux exigences d’exemplarité requises par le Conservatoire en tant qu’établissement d’enseignement supérieur. Il ressort de nombreux témoignages que [ses] méthodes d’enseignement […] perturbent la bonne marche du Conservatoire et entravent l’exercice du devoir de protection qui s’impose à ce dernier vis-à-vis de ses élèves ». La direction indique aussi avoir « choisi ce type de sanction dans une démarche d’apaisement, après avoir reçu l’assurance de la part de Jérôme Pernoo de son engagement de changer ses méthodes pédagogiques et de dispenser un enseignement conforme à l’exemplarité exigée au sein d’un établissement d’enseignement. »[17]

Les avocats de Jérôme Pernoo, Hervé Temime et Chirine Heydari-Malayeri, se félicitent de ce que le CNSMDP ait décidé « d’abandonner le projet de licenciement pour faute grave[17]. » Ils rappellent qu'« aucun des faits pénalement qualifiables évoqués par la presse n’a été retenu à son encontre, en dépit d’une enquête réalisée exclusivement à charge, en violation des principes cardinaux de contradictoire, d’objectivité, d’impartialité, de prudence et de confidentialité. [M. Pernoo] avait d'ailleurs été réintégré par sa hiérarchie dans les effectifs de l'établissement dès le 16 juillet 2021[17],[23]. » Ils dénoncent par ailleurs cette suspension de douze mois prononcée « sur le fondement de prétendus griefs pédagogiques, étrangers [aux] accusations [évoquées par la presse][18]. »

Aux termes de la lettre de sanction, selon plusieurs sources, il est reproché à Jérôme Pernoo d’avoir trop d’emprise, de créer un esprit de famille et donc de concurrence entre les élèves, de faire usage de contrepèteries et de donner des surnoms à ses élèves[23],[24].

Contestation devant le tribunal administratif

Jérôme Pernoo fait savoir qu’il contestera cette décision devant le tribunal administratif[24],[23].

Le 28 septembre, les parents de tous les élèves de Jérôme Pernoo, « alertés par la colère de leurs enfants » selon Marianne[11], et sachant que les griefs retenus contre le professeur ne concernent que ses méthodes pédagogiques, écrivent à Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, pour lui demander de reconsidérer la sanction que la directrice a prononcée contre Jérôme Pernoo. Ils s'alarment des conséquences pour leurs enfants d’une sanction qui leur semble « disproportionnée » au regard des faits apparemment reprochés à Jérôme Pernoo, en allant « totalement à l’encontre des intérêts des élèves[25]. » « Jamais, poursuivent-ils, [nos enfants] ne nous ont rapporté le fait de se sentir mal à l’aise dans sa classe pour des raisons telles que l’usage de certaines formes d’humour, le fait d’être appelés par un surnom amical, ou l’absence de distance entre enseignant et élève… Bien au contraire, l’ambiance sympathique créée par le professeur, son approche pédagogique sensible et singulière et son dévouement total pour la réussite de ses étudiants leur a permis de s’investir pleinement dans leur travail, de révéler leur personnalité artistique et de progresser vers le niveau d’excellence qu’il attend d’eux par ailleurs, comme l’exige un établissement de ce rang. […] Aujourd’hui, [ils] n’aspirent qu’à une seule chose : reprendre le cours normal de leur vie d’étudiant et retrouver ce qu’ils sont en grande partie venus chercher au CNSMDP, à savoir leur professeur[11]. »

Tribunal administratif de Paris, salle d'audience.

Jérôme Pernoo saisit le tribunal administratif de Paris d'un recours en excès de pouvoir, accompagné d'un référé suspension[23],[24], et l’audience a lieu le 18 novembre 2021. La directrice du CNSMDP ne se rend pas à l’audience, ne s‘y fait pas représenter et ne produit pas de mémoire en défense[26],[11].

Condamnation du CNSMDP

Le 7 décembre 2021, le juge des référés donne raison à Jérôme Pernoo contre la décision d'Émilie Delorme et ordonne la suspension immédiate de la sanction. Le juge retient comme établis quatre faits qu’il qualifie de fautes pouvant être considérées comme « graves » et méritant sanction (bises et accolades, contrepèteries, emploi de surnoms et rapports de proximité avec les élèves)[27], mais pointe le « caractère disproportionné » de la sanction prononcée « par rapport à la nature des fautes commises », qui la rend manifestement illégale, et exige sa suspension jusqu’à l’audience au fond. Il pointe également « le manque d’impartialité de l’enquête administrative », ainsi que « l’irrégularité de la composition du conseil de discipline et de la procédure suivie devant cette instance consultative ». Il condamne par ailleurs le CNSMDP à verser la somme de 2 000  à Jérôme Pernoo[21].

Dans un communiqué du 8 décembre, le CNSMDP annonce « forme[r] dès aujourd’hui les recours qui s’imposent contre cette décision du tribunal administratif de Paris qui ne préjuge en aucun cas du jugement à venir sur le fond dans ce dossier. » Cette position étonne un certain nombre d’observateurs qui objectent qu’aucun recours ne peut faire obstacle à l’injonction du juge des référés, qui est exécutoire même en cas d’appel[21],[26],[28].

Le CNSMDP ajoute dans son communiqué que « plusieurs plaintes contre Jérôme Pernoo ont été déposées par d’anciens élèves, entre les mains du Procureur de la République de Paris », sans en préciser le nombre, la date ni la teneur. Il fait probablement allusion à un article du Parisien du 24 septembre[29] qui mentionnait deux plaintes, tout en laissant entendre que ni le parquet, ni l’avocate d’un des supposés plaignants ne confirmaient cette information. L’article n’avait été repris par aucun organe de presse, pas même par Le Parisien lui-même qui, huit jours après, interrogeait Roselyne Bachelot sur cette affaire sans mentionner l’existence supposée ou avérée de plaintes[30].

Le 13 décembre, Le Point n’obtient toujours pas de confirmation de l’avocate citée par Le Parisien[26], et le 17 décembre, Marianne n’obtient pas davantage de confirmation du parquet[11].

Le 10 décembre 2021, Émilie Delorme réunit, « en catastrophe » selon l’un d’entre eux, les élèves de Jérôme Pernoo. Elle ne leur annonce pas sa réintégration, dont ils avaient pourtant compris, en lisant la presse, qu’elle était inéluctable, ce qui avait été un « soulagement » pour eux[11]. Selon des témoignages de parents, Émilie Delorme aurait fait mine, durant cette réunion, de penser que les élèves étaient contrariés par cette décision de justice[22]. La directrice leur aurait également fait croire que la décision du juge des référés ne reposait que sur des vices de procédure[11].

Fin anticipée de la procédure juridictionnelle

Ce même 10 décembre, Émilie Delorme, renonçant finalement à faire appel de la décision du tribunal administratif, en prend acte et s’y conforme.

De surcroît, alors que le juge, au stade du référé et en attente de l’audience au fond, n’était en mesure d’ordonner que la suspension de la sanction, la directrice décide de prononcer son annulation, définitive et rétroactive. Ce faisant, elle mettait fin à l’action juridictionnelle engagée par Jérôme Pernoo contre le CNSMDP au tribunal administratif, l’audience au fond, censée justement se prononcer sur l’annulation de la sanction, n’ayant désormais plus lieu d’être[26].

Nouvelle suspension de Jérôme Pernoo

Émilie Delorme, directrice du CNSMDP.

Un communiqué de presse du 13 décembre précise que Émilie Delorme réintègre donc Jérôme Pernoo dans les effectifs du CNSMDP, mais décide dans la même seconde de le suspendre à nouveau pour une durée maximale de quatre mois, afin de réaliser une seconde enquête interne, confiée à une « autre structure que celle ayant réalisé la précédente ». Le communiqué ne mentionne pas de faits nouveaux justifiant l’ouverture d’une seconde enquête, ni ne précise si le CNSMDP sera, comme la première fois, co-enquêteur.

Le Conservatoire indique que « le juge a considéré que les griefs retenus contre Jérôme Pernoo "peuvent être considérés comme graves" en raison des fonctions qu'il exerce » et motive l'ouverture d'une nouvelle enquête par l'existence de « critiques formulées par le juge des référés quant à l’impartialité de l’enquête initialement menée par le cabinet Egaé[11]. »

Pour « justifier cette brusque volte-face », la direction du CNSMDP déclare à Marianne, comme il est dit plus haut, « qu'en juillet dernier, aucun élément en [sa] possession ne [lui] permettait de remettre en cause le caractère impartial de l’enquête interne[18]. » Le Conservatoire reprend par ailleurs l’évocation de plaintes à l’encontre du professeur, sans donner davantage de précisions (date, nombre, teneur) que dans son communiqué du 8 décembre[31].

Réactions

Avocat

Dans les colonnes de Diapason[31], Patrice Spinosi, l'avocat de Jérôme Pernoo, fait part de la « stupéfaction » de son client quant à cette nouvelle suspension. « La décision du tribunal administratif était pourtant claire. Les prétendus faits qui lui sont reprochés ne peuvent pas justifier de le priver de son enseignement. » Il ajoute : « Il ne s’agit là que d’une nouvelle manœuvre aussi injuste qu’infamante », et précise que M. Pernoo « saisira de nouveau le juge administratif pour engager une action indemnitaire contre le Conservatoire dont les agissements fautifs lui ont causé un préjudice considérable. Le tribunal qui lui a déjà donné raison une première fois n’aura pas de mal à le faire une seconde fois. »

Dans Marianne, Patrice Spinosi évoque, à propos de la décision d'Émilie Delorme, un « détournement de procédure »[11].

Élèves et parents d'élèves

D'après un article du Point[26], cette décision d'Émilie Delorme « suscite de nombreuses critiques, en interne et dans le monde de la musique, où de nombreux soutiens au professeur continuent de se manifester », évoquant une « guerre d'usure » ou une « chasse à l'homme ».

Selon Marianne[22], « ces manœuvres judiciaires ont eu raison de la patience des 12 élèves de Jérôme Pernoo. » Trois d’entre eux se confient à l’hebdomadaire[11] et font part de leur exaspération. L’un relate que les cours avec le remplaçant « ne se passent pas bien du tout », qu’un élève « âgé de 15 ans ne veut plus mettre les pieds en cours » mais que la directrice, alertée par les parents, ne leur a proposé que de s’adresser « à la Troisième Rive, un organisme d’écoute, sans proposer plus de solutions. » Un autre fustige l’absence de communication entre la direction et la classe de Jérôme Pernoo depuis le début : « On ne nous a jamais prévenus depuis le début de cette affaire, ou alors avec une ou deux semaines de retard. » Un autre élève dit avoir « envie de faire un signalement contre la direction du Conservatoire, mais [que] c’est difficile. D’un point de vue hiérarchique, nous sommes bloqués […] Personne dans la classe n'est choqué par les contrepèteries, c'est la façon dont on nous traite qui nous choque, nous sommes infantilisés ! […] Avec la direction, la confiance est complètement rompue. »

Roselyne Bachelot, ministre de la Culture.

Ce refus par Émilie Delorme de réintégrer Jérôme Pernoo malgré l’injonction du tribunal administratif provoque, selon Diapason[32], la « colère des soutiens du musicien, qui crient à "l'acharnement" », et pousse les parents de tous ses élèves à adresser à nouveau, le 21 décembre, une lettre à la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, dont une copie est envoyée également à Émilie Delorme et une autre à Stéphane Pallez, présidente du conseil d’administration du CNSMDP[22],[25],[32]. « Il nous semble y avoir un malentendu quant à la perception, par la direction du Conservatoire, de l’opinion de nos enfants », y écrivent-ils. « Nos enfants ne se sont pas retrouvés dans la classe de Jérôme Pernoo par hasard […] ils ont expressément demandé à rejoindre la classe de ce professeur plutôt que celle d'un autre[25]. » Ils poursuivent : « Les étudiants de Jérôme Pernoo connaissaient sa personnalité avant d’intégrer le Conservatoire, l’ont délibérément choisi comme professeur, n’ont eu aucune surprise en découvrant la réalité de ses cours et n’ont jamais été dérangés par sa façon d’interagir avec eux. […] Nous ne tolérons pas que l’on puisse de la sorte continuer à anéantir [la] scolarité [de nos enfants]. […] Nous vous appelons donc de nouveau à faire en sorte qu’il soit mis un terme à cette situation absurde et exaspérante, […] avant que l’état psychologique de nos enfants ne se dégrade encore[22]. »

Le CNSMDP recherche un prestataire pour la « communication de crise »

Quoique disposant d’un service interne de communication et relations publiques[33], le CNSMDP a choisi, pour les trois derniers communiqués de presse concernant cette affaire, les 10 septembre[11], 8 décembre[21] et 13 décembre[26], de faire appel à l’agence de communication privée Havas.

Le 24 janvier 2022, le Conservatoire publie un appel d’offre pour des « prestations de communication de crise », avec une date limite de remise des offres fixée au 15 février[34].

Notes et références

Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris » (voir la liste des auteurs).
  1. a b et c « Article 43 - Décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat pris pour l'application des articles 7 et 7 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat - Légifrance », sur www.legifrance.gouv.fr (consulté le )
  2. « Un cas de harcèlement sexuel au Conservatoire national supérieur de musique de Paris ? », sur musicologie.org (consulté le ).
  3. a b c d e f g h et i Peggy Sastre, « Le lucratif et opaque business de Caroline De Haas ! », sur Le Point, (consulté le ).
  4. a b c d e f g et h Peggy Sastre, « Les curieuses méthodes de Caroline De Haas », Le Point,‎ .
  5. Laurence Allard, « La société de Caroline De Haas nous répond », sur Le Point, (consulté le ).
  6. a b c d e f g h i et j Samuel Piquet, « Enquête de Caroline De Haas au Conservatoire de Paris : "Il n'y a pas de présomption d'innocence" », sur marianne.net, 2021-07-21utc14:50:51+0100 (consulté le ).
  7. a et b Antoine Pecqueur, « Conservatoires : le #MeToo de la musique classique », sur Mediapart (consulté le ).
  8. a b c d e f g h et i « Agressions sexuelles : le Conservatoire de musique de Paris dans la tourmente des enquêtes », sur LEFIGARO, (consulté le ).
  9. Peggy Sastre, « L’enquête à charge de Caroline De Haas sur un professeur du Conservatoire de Paris », sur Le Point, (consulté le ).
  10. Peggy Sastre, « Caroline De Haas ou l’art de rédiger un PV… », sur Le Point, (consulté le ).
  11. a b c d e f g h i j k l m et n Lou Fritel et Samuel Piquet, « Suspendu, réintégré, à nouveau suspendu : l'étrange jeu du Conservatoire avec Jérôme Pernoo », sur marianne.net, 2021-12-17utc17:49:19+0100 (consulté le ).
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  13. Louis-Valentin Lopez, « Les accusations de violences sexuelles dans les conservatoires se multiplient », sur France Musique, (consulté le ).
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  19. Franck Bastard, « Jérôme Pernoo exclu un an du conservatoire de Paris », (consulté le ).
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Articles connexes