Aller au contenu

Utilisateur:Patrick Costemane/Brouillon

Une page de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Jean-Marie Leissen

Jean-Marie Leissen, commissaire de la marine, défenseur des pêcheurs d'Islande, né le 4 mars 1856 à Caudan (Morbihan) décédé en 1942.

Biographie[modifier | modifier le code]

Il entre dans la Marine en qualité d'élève-commissaire le 1er novembre 1878, puis navigue sur la frégate Pallas en Atlantique sud et sur l'aviso Dayot dans le Pacifique. En 1893, sous-commissaire affecté au quartier de Paimpol, il occupe ensuite différents postes, notamment à Rochefort, Brest et Lorient. Commissaire principal de la Marine Nationale le 1er septembre 1901, opte pour le Corps des Administrateurs de l'Inscription Maritime. En 1904, Administrateur en chef de 1re classe de l'Inscription Maritime, il est, de nouveau, affecté au quartier de Paimpol. Au 1er janvier 1917, directeur de l'Inscription Maritime pour les sous-arrondissements de Nantes et de Lorient. Il termine sa carrière le 4 mars 1921 au grade d'administrateur général de l'Inscription Maritime et commandeur de la Légion d'Honneur.

Combat pour les pêcheurs d'Islande[modifier | modifier le code]

À cette époque, les conditions de vie des pêcheurs d'Islande sont très loin des mythes véhiculés, entre autres, par Pierre Loti et Théodore Botrel[1].

Le commissaire Leissen s’intéresse à tous les aspects de la vie à bord, que ce soit la nourriture médiocre, l'alcoolisme encouragé, le manque de confort élémentaire ou l'absence de sécurité. Il fournit des rapports qui décrivent précisément le sort de ces marins commandés par des capitaines trop souvent incompétents et fréquemment alcooliques. Ces rapports, disponibles au service historique de la Défense et conservés à Brest par les archives de la marine, ont servi à quelques historiens pour rétablir la vérité sur le quotidien des pêcheurs d'Islande. Ainsi propose-t-il aux armateurs, plus soucieux de rentabilité que du sort des pêcheurs, des solutions à mettre en œuvre. L'obstination du commissaire Leissen, de nombreuses disparitions en mer et de dramatiques naufrages (120 goélettes et 2 000 marins disparus au cours des campagnes morutières[2]) finiront par faire adopter aux armateurs ces mesures. En dépit des menaces sur sa carrière, traduites par des manœuvres politiques pour freiner son avancement, Leissen persévère dans ce qu'il considère comme une mission impérative.

À bord des goélettes pampolaises[modifier | modifier le code]

En 1852, l"Occasion", l'ancien navire négrier brésilien "Trovoada", arraisonné en 1846 par la Marine et acheté à l'encan par l'armateur Louis Morand, est le premier bateau à partir de Paimpol pour la pêche en Islande. Le départ de ce brick-goélette, inadapté à cette activité et qui fera deux ans plus tard l'objet d'un acte de baraterie[3] jamais sanctionné, marque le commencement de cette aventure tragique. Au début de la "Pêche à Islande", expression consacrée pour désigner les grandes campagnes morutières, les armateurs se contentent, en général, d'aménager rapidement des navires déjà existants, puis le besoin de s'équiper d'une flotte adaptée apparait. Bien qu'elle soit pratiquée par toutes sortes d'embarcations, cette Grande Pêche reste associée, dans l'imagination populaire, aux goélettes pampolaises (voir Goélette paimpolaise). Ces goélettes à hunier, conçus pour la chasse à la morue, sont un si bel exemple d'architecture navale que les plans ont servi de modèle pour la construction de La Belle Poule et de L’Étoile, célèbres bateaux-école de la Marine Nationale. Si les performances à la mer de ces navires sont incontestables, il n'en est pas de même pour le confort accordé aux "Islandais", surnom donné aux hommes, qui, du mousse au capitaine, composent l'équipage. Néanmoins, il faut de nombreuses admonestations de la part des commissaires de "La Royale", devenus entre-temps administrateurs de l'Inscription Maritime, pour obtenir les installations nécessaires.

La nourriture médiocre[modifier | modifier le code]

Étant surtout constituée de soupe, il est difficile de se rendre compte si la quantité de nourriture fournie à l'équipage est suffisante. Par contre, le manque de qualité et de variété sont indéniables. Pour des travailleurs soumis aux rudes épreuves de la pêche en haute mer, la monotonie des repas n'apporte pas un grand réconfort. Les carences en vitamines font apparaitre de nombreux cas de scorbut assurément évitables en apportant plus de soin à l'approvisionnement lors de l'embarquement.

« L’alimentation pêche surtout par l'absence de variété dans la ration et par le rôle prépondérant qu'y joue le lard salé. Du jour du départ à celui de l'arrivée les marins sont toujours au même menu. Le matin, café, biscuit, boujaron d’eau de vie. À midi, la soupe au lard avec dedans, sur les lieux de pêche, une demi morue ou un autre poisson, deux quarts de vin. Le soir, une soupe à la graisse de Normandie ou dénommée telle, avec des fayots sur certains navires tant que dure l'unique sac de 100 kg qui est embarqué, et un quart de vin. La nuit, du thé aux hommes de quart ou pêchant. ...les cas de scorbut sont assez fréquents parmi les marins d’Islande. II convient donc de modifier le régime… »

— Jean-Marie Leissen, rapport du 25 septembre 1904

L'alcoolisme encouragé[modifier | modifier le code]

La lutte contre l'alcoolisme est la cause qui mobilise en priorité le commissaire Leissen. Les dégâts occasionnés par l'intempérance des marins sont considérables, autant pour leur constitution que pour leur sécurité. Certes, à l'époque, l'effet bénéfique de l’alcool pour la santé est souvent invoqué, mais cette dépendance est encouragée par les armateurs et les capitaines qui y voient un moyen de sujétion. L'enrôlement, par exemple, avant chaque campagne de pêche est facilité par quelques libations judicieusement orchestrées. Même si ces comportements ne sont pas l'apanage des armateurs, le résultat est que des malheureux enivrés se retrouvent parfois engagés dans des expéditions pour lesquelles ils ne sont pas volontaires et dont ils ne mesurent pas la rudesse. Cette addiction contagieuse provoque aussi des ravages dans les familles.

« Bien qu’averti à l'avance, j'ai été étonné en arrivant à Paimpol du grand nombre de gens pris de boisson qu’on y rencontre. ...j'ai acquis la conviction que le régime que suivent à la mer les pêcheurs a contribué pour une large part à l'établissement de ces déplorables habitudes. Il va sans dire que tout le liquide qu’on leur donne est absorbé, l'eau de vie de préférence. Aussi la grande majorité des marins sont ils alcooliques. En Islande, à certains pêcheurs, les 0 litre 25 qui leur reviennent chaque jour ne suffisent pas... Les capitaines eux-mêmes ne sont pas en général à l'abri de ce vice et la rumeur publique affirme que plus d'un sinistre de ces dernières années n'a pas d'autre cause que l'ivresse… »

— Jean-Marie Leissen, rapport du 10 février 1894

« Usant de la faculté que leur ouvre la circulaire du 8 février 1876, les armateurs embarquent tous le maximum de la ration d'eau de vie, soit un litre soixante quinze par semaine et par homme..., ce qui donne normalement par jour une ration individuelle de 0 litre 25. Mais il est à remarquer que depuis plusieurs années, les campagnes d'Islande ne durent pas sept mois... Des distributions supplémentaires avaient été faites par les capitaines de sorte qu’en six mois à peine, la quantité prévue pour sept avait été absorbée et qu'en réalité la ration avait été non de 0 litre 25 mais bien de 0 litre 30 par jour en moyenne. En plus de l'eau de vie chaque pêcheur reçoit journellement 0 litre 75 de vin et un litre de cidre. ...cette eau de vie, quoique du goût des marins est de qualité plus que médiocre… »

— Jean-Marie Leissen, rapport du 20 août 1894

Le manque de confort[modifier | modifier le code]

L'enseignant et chercheur universitaire François Chappé [4] exploite les rapports du commissaire Leissen pour argumenter sa thèse "L'épopée islandaise 1880-1914 : Paimpol, la République et la mer". Dans cet ouvrage, il dénonce les oligarques paimpolais, édiles et en même temps armateurs, qui utilisent la notoriété de Paimpol pour dissimuler la gravité du coût humain de la pêche en Islande. Il se réfère à la même source lors des conférences dans lesquelles il évoque les conditions de vie des pêcheurs et les répercussions sur leur physique. Le rapport du 1er juin 1893 consacré à l'obsolescence du coffre à médicaments montre l’indifférence de leurs employeurs pour ces hommes exposés à de nombreuses blessures et maladies.

« (Le pêcheur d'Islande) Surhomme il l'était peut-être, physiquement, au départ de sa carrière, mais il devient prématurément un être usé, fatigué. A bord, ont raison de lui, le froid, l'humidité, le sommeil réduit et accompli dans une atmosphère confinée, une alimentation déséquilibrée, un travail très dur, les panaris, la furonculose, les fatigues de la vision provoquées par la lumière sans cesse réfléchie du soleil qui pendant l'été islandais ne quitte jamais l'horizon, la saleté ambiante »

— François Chappé, Paimpol (1880-1914) : Mythes et réalités[5]

L'absence de sécurité[modifier | modifier le code]

C'est le point le plus surprenant. En ce temps-là, une vie humaine ne vaut pas le prix qu'on lui attache aujourd'hui. Sinon, comment expliquer l'inébranlable désinvolture affichée dans le traitement des questions de sécurité. A l'inconscience de nombreux capitaines, s'ajoute le souci d'économie d'armateurs invoquant tous les prétextes pour refuser d'investir dans de simples équipements de sécurité. Le bilan humain est catastrophique, le chiffre de 2000 morts et disparus couramment admis n’étant qu'une estimation minimum. Les rapports du commissaire Leissen lui valent une puissante inimitié des influents notables locaux, qui, malgré de fortes pressions politiques, n'obtiennent pourtant que son affectation provisoire à Brest. Car, des événements dramatiques devant faire valoir la justesse de ses analyses, il reçoit rapidement une nouvelle mutation pour Paimpol avec des pouvoirs accrus.

« Il est vrai que, selon le rapport du sous-commissaire Jean-Marie Leissen, une véritable anarchie régnait sur ces goélettes surchargées. Ainsi, fréquemment, l’homme de corvée de vigie descendait se coucher sans attendre la relève et en déclarant, avec l’approbation de ses supérieurs, « Veille qui a peur ! ». La raison en était simple : les armateurs nommaient capitaines de simples parents et amis ..., sans qu’ils aient besoin de savoir lire et écrire. Par ailleurs, ils refusaient, pour raison d’« encombrement », de fournir les ceintures et un second canot de sauvetage... Ainsi, lors d’un naufrage en pleine rade de Paimpol le 8 juin 1891, 14 marins se sauvèrent dans la seule barque disponible, les 8 autres périssant noyés. Allant à contre-courant de l’image propagée par le roman de Pierre Loti publié cinq ans plus tôt, le rapport de Leissen souleva de telles réactions que le sous-commissaire fut rapidement muté. Mais celui-ci, revenant dès 1903 comme administrateur de l’inscription maritime — corps créé l’année précédente —, reprit son combat alors que cette année fut marquée par le triste record de 88 disparus en mer. Dans un second rapport, il cite une goélette qui, ayant perdu son capitaine, ne dut son salut qu’au mousse qui était seul à savoir lire le compas à bord et d’une autre qui, du large de Lisbonne, ne put rentrer que grâce à l’assistance d’un navire étranger, personne ne sachant lire à bord. »

— Michel Foucault, Les vieux métiers illustrés par la chanson[6]

Les dernières années[modifier | modifier le code]

En 1921, ayant exercé les plus hautes fonctions à Lorient et Nantes, Leissen revient prendre sa retraite dans sa chère ville de Paimpol. En 1935, des deux goélettes parties de Paimpol, seule "La Glycine" revient au port, le naufrage du "Butterfly" en mer d'Irlande signant symboliquement la fin de l'épopée tragique de la "Pêche à Islande". Malgré le combat efficace du commissaire, les conséquences humaines de ces années de campagne sont effroyables. La Caisse Nationale des Invalides, dont les cotisations sont partiellement détournées selon un rapport de 1893, la Caisse de secours aux marins de la pêche d’Islande, la société d'assurances mutuelles, dont l'administrateur a préconisé la création selon le même rapport, ne servent que de maigres pensions. Les maisons cossues des armateurs sur la côte bretonne, ne doivent pas faire illusion, la misère est le lot des centaines de veuves, d'orphelins, d'estropiés et de malades, qui peuplent le littoral autour de Paimpol. Pourtant, la pêche en Islande magnifiée par de nombreux écrivains, reste une romance dans la conscience populaire. Trop peu de voix se sont élevées, pour dévoiler les sombres côtés de cette activité, en affichant le même courage que les rapports du commissaire Leissen.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • SHD Archives de la marine de Brest; Série P Inscription maritime : pêches, navigation commerciale et recrutement des équipages; Sous-série 5 P Quartiers de Paimpol et Tréguier (P2 20 et P2 25);
  • L’École du Commissariat de la Marine (Brest 1864-1939) Auteur: André Fourès, Éditeur L'Harmattan, Parution 09/02/2011, (ISBN 9782296132498);
  • Jean Kerlévéo (1910-2000), Paimpol au temps d'Islande Éditeur Chasse Marée Parution 03/03/2003 (ISBN 9782903708948);
  • François Chappé L'épopée islandaise 1880-1914 : Paimpol, la République et la mer Éditeur L'albaron Parution 1990 (ISBN 9782908528084);
  • François Chappé Paimpol (1880-1914) : Mythes et réalités In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 91, numéro 2, 1984. pp. 171-192;
  • Jean-Jacques Prado Jean-Marie Leissen (1856-1942) un commissaire de la marine défenseur des pêcheurs d'Islande, Les Cahiers de l'Iroise, 169, 1996-1, Société d’études de Brest et du Léon, Brest 1996;
  • Michel Foucault Les vieux métiers illustrés par la chanson Éditeur : Godefroy (Jean-Cyrille) Parution : 04/04/2000 (ISBN 9782865531318);
  • Jacques Dubois Le jardinier des mers lointaines, Tonton Yves, pêcheur d'Islande Éditeur : Jean Picollec Parution 01/01/1980 (ISBN 9782864770053);
  • Le Petit Manchot journal de la Manche d'hier et d'aujourd'hui[7];

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Jean-Jacques Prado, « Jean-Marie Leissen (1856-1942), un commissaire de la marine, défenseur des pêcheurs d'Islande », Les Cahiers de l’Iroise, Société d'Études de Brest et du Léon, no 169,‎ (lire en ligne, consulté le )
  2. « Mur des Disparus », sur site de Ploubazlanec (consulté le )
  3. Le capitaine laisse volontairement son navire se fracasser au fond du fjord Nordfjordur http://fr.wiktionary.org/wiki/baraterie
  4. François Chappé(1947-2007) Maître de conférences à l'Université de Bretagne-Sud, fut aussi conseiller technique chargé du patrimoine maritime auprès du Secrétaire d'État à la mer Jean-Yves Le Drian en 1991.
  5. François Chappé, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, t. 91 : Paimpol (1880-1914) : Mythes et réalités, (lire en ligne), pp. 171-192
  6. « Métiers de la mer », sur http://agroalimentaire.free.fr (consulté le )
  7. « Marins-pêcheurs », Cahiers de vacances du petit manchot, no 43,‎ (lire en ligne, consulté le )