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Utilisateur:Marie-Antoinette Josèphe Jeanne de Habsbourg-Lorraine/Brouillon

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Violence politicosexuelle[modifier | modifier le code]

La violence politicosexuelle (de l’espagnol violencia política sexual) est un concept employé dans la littérature féministe académique et militante en réflexion politique, qui fait référence à l’utilisation que fait un État (et ses appareils) de la violence sexuelle comme outil de terreur[1]. Ainsi, l’État exerce un pouvoir ancré sur des rapports de force genrés qui vise à réprimer, punir et terroriser les femmes, les corps féminisés ainsi que leurs communautés à des fins politiques. Le terme a été proposé par des organisations féministes et de défense des droits des femmes latino-américaines[i] pour mettre en lumière l’utilisation délibérée et généralisée de la violence sexuelle de l’État[2][3].

Contrairement à la violence sexuelle, la violence politicosexuelle souligne la participation d’agents de l’État dans tout acte sexuel, tentative d’acte sexuel ou tout autre acte exercé contre la sexualité d’une personne en faisant usage de la force. Historiquement, ce type de violence est exercée par un pouvoir politique sexualisé et utilisée dans les conflits armés, les guerres et les dictatures comme forme symbolique d’occupation du territoire, comme outil d’humiliation de l’ennemi, ou de manière plus générale, comme une arme de guerre[4]. La violence politicosexuelle peut prendre de nombreuses formes[ii], notamment le viol, la torture, la séquestration, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée et la stérilisation forcée[5][6]. En termes plus simples, ce type de violence est politique, car il est exercé par des forces répressives de l’État contre les femmes et émane d’organisations gérées par celui-ci, et ce type de violence est sexuelle, car elle s’attaque de manière explicite au corps des femmes comme mécanisme de leur annihilation et de leur subordination[7].

Origine du concept[modifier | modifier le code]

À l’image des désaccords sur la définition de la violence sexuelle au niveau international, le terme de violence politicosexuelle a été inventé par le collectif et l’organisation féministe chilienne Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes (« Femmes survivantes toujours résistantes »). Beatriz Bataszew Contreras, à la fois plaignante dans une affaire de violences sexuelles et dirigeante de Mujeres Sobrevivientes, explique que le collectif a inventé le concept afin de dénoncer le pouvoir sexualisé exercé par la police et les forces de l’ordre contre les femmes[8].

Le 12 décembre 1974, à l’âge de 20 ans, Beatriz Bataszew a été arrêtée par la Direction nationale du renseignement (DINA, Direccíon de inteligiencia nacional en espagnol), la police politique chilienne mise sur pied pendant la dictature civilo-militaire d’Augusto Pinochet, et détenue au centre de torture connu sous le nom de la Venda Sexy. Le nom offert à la maison peut être traduit comme bandeau sexy, en faisant référence aux détenus qui restaient les yeux bandés. Le centre était également baptisé « La Discothèque » en raison de l’utilisation très forte et constante de la musique afin de couvrir les cris des détenus torturés[9]. Ce centre de détention se distinguait des autres mis en place à l’époque dictatoriale par ses méthodes de torture misant l’accent sur les violences sexuelles. Les détenus y étaient quotidiennement violés et torturés. Même si certains détenus masculins ont été victimes d’un tel traitement, plusieurs survivants ont eux-mêmes estimé que cette violence était exprimée de manière différenciée et inégale sur le corps des femmes détenues[10]. La maison Venda Sexy fut opérationnelle de la fin 1974 jusqu’au milieu de 1975.

Dans un discours prononcé devant la maison Venda Sexy le 18 mai 2014, la dirigeante du collectif remémore les horreurs vécues :

Je suis Beatriz Bataszew Contreras, détenue et torturée à l’âge de 20 ans dans cette maison de torture, connue sous le nom de Venda Sexy.

Selon les informations dont nous disposons, 85 personnes sont passées par cette maison. Sur trois personnes arrêtées, deux ont survécu.

[…]

Dans cette maison, que nous voulons aujourd’hui récupérer comme lieu de mémoire, a été appliquée la politique répressive de la dictature civilo-militaire, basée sur deux instruments fondamentaux : la torture et la violence politicosexuelle.

La torture et la violence sexuelle, à caractère politique, comprises comme l’expression d’une structure de domination contre tout acte de rébellion et/ou d’opposition, cherchaient à « briser » la résistance des prisonniers par les tortionnaires.

[…]

Plus de quarante ans, deux générations se sont écoulés et les crimes de torture et de violences sexuelles jouissent d’une impunité absolue.

À ce jour, aucune personne n’a été condamnée pour délit de torture et de violences sexuelles, avec plus de 40 000 personnes soumises à ces fléaux[11].


Dans le but de capturer un aspect particulier de la violence sexuelle, le terme fut popularisé devant les tribunaux chiliens et lors de regroupements militants afin de reconnaitre et de porter justice aux violences sexuelles contre les femmes subies pendant et après la dictature civilo-militaire[12].

Pratiques de la violence politicosexuelle[modifier | modifier le code]

La violence politicosexuelle prône une perspective intersectionnelle de la violence, dans la mesure où le concept additionne les attaques et souligne l’interaction de celles-ci. Ainsi, dans un contexte particulier, les femmes torturées ne sont pas victimes de violence uniquement du fait de leur statut de femme ou de militante, mais parce qu’elles étaient des femmes militantes. La violence politicosexuelle est donc une nouvelle forme spécifique d’oppression générée à l’intersection de différentes violences[13].

Le réseau de violence symbolique et matérielle qui entretient la violence politicosexuelle découle de l’exercice du pouvoir d’un État et de ses structures, ainsi que des manifestations des préceptes idéologiques de la culture du viol et, plus largement, de la culture patriarcale dans la régulation des sociétés. Au-delà de la violence sexuelle, la violence politicosexuelle est le produit d’une stratégie planifiée de contrôle de l’État qui objectifie et déshumanise le corps des femmes à des fins politiques. Il s’agit d’un « outil de l’État qui, ancré dans la culture du viol comme précepte idéologique, exerce un pouvoir sexualisé visant à réprimer et punir les femmes, les corps féminisés et leurs communautés[14] ».

Cette forme de violence politique est utilisée par l’État afin de justifier la torture sexuelle comme une punition pour les femmes qui, du fait de leur militantisme, dépassent le cadre traditionnel et conservateur de la femme. La perpétuation de ces violences symboliques et matérielles s’exerce contre les femmes militantes qui se proclament autonomes de leur corps et de leurs fins politiques. L’État utilise les atteintes physiques et sexuelles comme une stratégie militaire dans le but de modifier le comportement des militantes et de les déshumaniser. Cet exercice d’objectification de la femme au sein de la violence politicosexuelle se radicalise, « les corps féminisés sont un moyen de profaner tout un peuple, une idée, une culture, sa famille ; des femmes (objets) violées pour torturer leurs camarades militants masculins[15] ».

Dans un tel contexte de violence politique révélée, la militarisation implique une forme de rhétorique antiféministe qui évoque une « remasculinisation » de la société. Cette situation exacerbe les stéréotypes patriarcaux selon le collectif Mujeres Sobrevivientes et transforme le corps des femmes en territoire de guerre ; « avec une virilité exacerbée, la figure du masculin apparaît comme la maxime de la masculinité. Ainsi, les viols et abus sexuels sur les femmes, les filles, les garçons, les dissidents deviennent des outils de répression étatiques[16] ».

Au Chili[modifier | modifier le code]

Le 14 mai 2014, un groupe d’anciennes prisonnières politiques de la dictature civilo-militaire décide de déposer une plainte aux instances juridiques chiliennes pour dénoncer et porter justice aux violences sexuelles subies par les femmes dans les maisons de torture qui avaient été mises en place par le régime à l’époque. Les survivantes racontent y avoir subi des interrogatoires continus avec les yeux bandés et les membres du corps ligotés, l’administration d’électricité, de coups et d’objets dans les parties génitales, des agressions sexuelles et des viols, causant de graves souffrances physiques et psychologiques. L’objectif principal de la plainte est de distinguer le terrorisme d’État (et tous ses registres répressifs) de la violence politicosexuelle afin de souligner le caractère genré de celle-ci et de mettre de l’avant l’expérience unique que les prisonnières politiques ont été contraintes de subir[17]. En 2020, le ministre Mario Carroza Espinosa prononce une sentence qui condamne quatre des auteurs d’enlèvements et les tortionnaires de la maison de torture Venda Sexy à des peines d’emprisonnement variant de quinze à deux ans. L’État est aussi chargé d’indemniser les survivantes[18].

Le 21 août 2023, la Cour suprême du Chili rejette un recours déposé contre la sentence qui avait précédemment condamné les quatre agents de la Direction nationale du renseignement (DINA) pour leur implication et leur responsabilité dans l’enlèvement, la torture et les actes de violence sexuelle perpétrés entre septembre et décembre 1974 contre Beatriz Bataszew Contreras, Cristina Godoy Hinojosa, Laura Ramsay Acosta, Sara de Witt Jorquera, Carmen Holzapfel Picarte et Clivia Sotomayor Torres. Cette décision, rendue 49 ans après les évènements et à la suite de 19 ans de procédures judiciaires, souligne le caractère systémique des violences sexuelles perpétrées par des agents de l’État et sa spécificité en tant que manifestation de violence contre les femmes[19]. Cependant, le jugement rendu n’est pas suffisant aux yeux des survivantes qui soulignent l’évacuation de la reconnaissance de la violence politicosexuelle de celui-ci[20]. Dans sa déclaration publique publiée le 24 août 2023, Beatriz Bataszew Contreras affirme que justice n’a pas été complètement rendue aux survivantes. Selon elle, le jugement de la Cour Suprême[21] efface la composante politique du terrorisme d’État et ses outils répressifs utilisés pour violer et punir les femmes qui luttent contre « l’usage systématique du pouvoir sexualisé par l’État et ses agents[22] ».

La directrice de Corporacíon Humanas qui représente les plaignantes devant les tribunaux depuis 2016, Camila Maturana Kesten, estime que le jugement de la Cour suprême n’est qu’une mesure partielle face à la reconnaissance de la violence politicosexuelle au Chili : « Cinquante ans après le coup d'État, nous espérons que cet arrêt de la Cour suprême contribuera à clarifier qu'en aucun cas les violations des droits de l'homme ne sont admissibles et que les violences politicosexuelles doivent être reconnues et punies puisqu'elles constituent des crimes contre l'humanité. Au-delà de cet arrêt, il reste nécessaire de faire avancer des politiques globales de réparation pour les victimes et surtout des garanties de non-répétition. Le Chili doit s'engager à ne plus jamais le faire[23]».

Critiques et réception du concept[modifier | modifier le code]

Dans la foulée des désaccords sur la définition de la violence sexuelle au niveau international, plusieurs plaignantes et militantes féministes se sont battues pour la reconnaissance de la violence politicosexuelle dans le droit international. La Cour pénale internationale, le Statut de Rome et les traités des droits de l’homme classent les crimes de torture et de violence sexuelle comme deux crimes différents, deux crimes contre l’humanité. La violence politicosexuelle, sans statut juridique spécifique, est alors imprescriptible et inadmissible aux yeux du droit international.


D’autres obstacles juridiques font face à la reconnaissance de la violence politicosexuelle devant les tribunaux régionaux ou internationaux. La définition étroite des violences sexuelles, les exigences élevées en matière de preuve de ces violences (exacerbées par le temps passé entre l’exécution du crime et le début des procédures juridiques), les catégories alternatives de crimes inadéquates et l’absence d’un cadre contentieux spécifique ne sont que quelques exemples[24].


[i] Les collectifs féministes chiliens Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes et Memorias de Rebeldias Feministas

[ii] La violence politicosexuelle englobe les définitions reliées aux crimes de violence sexuelle et de torture.

  1. « Criminalisation », sur Observatoire Violence, Criminalisation et Démocratie (consulté le )
  2. Colectivo de Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes y Memorias de Rebeldias Feministas. La violencia política sexual es terrorismo estatal: Aproximaciones desde la experiencia y la memoria contre la impunidad en Chile. Santiago : Fondation Alquimo, 2023.
  3. Pierre Mouterde & Luc Allaire. Crise sociale et politique au Chili 2019-2020 : Des atteintes systématiques et généralisées aux droits humains (Montréal, 2020). Montréal : Rapport de la mission québécoise et canadienne d’observation des droits humains au Chili, p. 24.
  4. Colectivo de Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes y Memorias de Rebeldias Feministas. La violencia política sexual es terrorismo estatal: Aproximaciones desde la experiencia y la memoria contre la impunidad en Chile. Santiago : Fondation Alquimo, 2023.
  5. Colectivo de Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes y Memorias de Rebeldias Feministas. La violencia política sexual es terrorismo estatal: Aproximaciones desde la experiencia y la memoria contre la impunidad en Chile. Santiago : Fondation Alquimo, 2023.
  6. Cour pénale internationale. « Article 7 ». Éléments des crimes. En ligne. <https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/Publications/Elements-des-crimes.pdf>. Consulté le 17 novembre 2023.
  7. (es) Belén Ignacia Riquelme Leiva, « Aproximaciones a la experiencia de Colectivo de Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes ante la visibilización de la violencia política sexual en Chile », {{Article}} : paramètre « périodique » manquant,‎ (lire en ligne, consulté le )
  8. « Nunca Más Meets #Niunamenos—Accountability for Pinochet-Era Sexual Violence in Chile – Columbia Human Rights Law Review », sur hrlr.law.columbia.edu (consulté le )
  9. (es) Renée Boche, « Beatriz Bataszew, sobreviviente de Venda Sexy », (consulté le )
  10. Colectivo de Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes y Memorias de Rebeldias Feministas. La violencia política sexual es terrorismo estatal: Aproximaciones desde la experiencia y la memoria contre la impunidad en Chile. Santiago : Fondation Alquimo, 2023.
  11. « TEXTO2.doc », sur Google Docs (consulté le )
  12. « Nunca Más Meets #Niunamenos—Accountability for Pinochet-Era Sexual Violence in Chile – Columbia Human Rights Law Review », sur hrlr.law.columbia.edu (consulté le )
  13. Colectivo de Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes y Memorias de Rebeldias Feministas. La violencia política sexual es terrorismo estatal: Aproximaciones desde la experiencia y la memoria contre la impunidad en Chile. Santiago : Fondation Alquimo, 2023.
  14. Colectivo de Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes y Memorias de Rebeldias Feministas. La violencia política sexual es terrorismo estatal: Aproximaciones desde la experiencia y la memoria contre la impunidad en Chile. Santiago : Fondation Alquimo, 2023.
  15. Colectivo de Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes y Memorias de Rebeldias Feministas. La violencia política sexual es terrorismo estatal: Aproximaciones desde la experiencia y la memoria contre la impunidad en Chile. Santiago : Fondation Alquimo, 2023.
  16. Colectivo de Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes y Memorias de Rebeldias Feministas. La violencia política sexual es terrorismo estatal: Aproximaciones desde la experiencia y la memoria contre la impunidad en Chile. Santiago : Fondation Alquimo, 2023.
  17. Colectivo de Mujeres Sobrevivientes Siempre Resistentes y Memorias de Rebeldias Feministas. La violencia política sexual es terrorismo estatal: Aproximaciones desde la experiencia y la memoria contre la impunidad en Chile. Santiago : Fondation Alquimo, 2023.
  18. (es) Elke von Loebenstein, « Ministro Mario Carroza aplica perspectiva de género al dictar condena a cuatro agentes de la DINA por secuestro y torturas en “La Venda Sexy”. », sur Diario Constitucional, (consulté le )
  19. « Corporación Humanas valora condena definitiva de Corte Suprema en caso de torturas y violencia política sexual perpetrada en dictadura en “Venda Sexy” – Humanas », sur www.humanas.cl (consulté le )
  20. (es) « Declaración pública de Beatriz Bataszew Contreras, sobreviviente Casa de Tortura Venda Sexy. », sur Le Monde diplomatique, (consulté le )
  21. « Corporación Humanas valora condena definitiva de Corte Suprema en caso de torturas y violencia política sexual perpetrada en dictadura en “Venda Sexy” – Humanas », sur www.humanas.cl (consulté le )
  22. (es) « Declaración pública de Beatriz Bataszew Contreras, sobreviviente Casa de Tortura Venda Sexy. », sur Le Monde diplomatique, (consulté le )
  23. « Corporación Humanas valora condena definitiva de Corte Suprema en caso de torturas y violencia política sexual perpetrada en dictadura en “Venda Sexy” – Humanas », sur www.humanas.cl (consulté le )
  24. « Nunca Más Meets #Niunamenos—Accountability for Pinochet-Era Sexual Violence in Chile – Columbia Human Rights Law Review », sur hrlr.law.columbia.edu (consulté le )