Suicide au Japon

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Tendances des suicides de 1960 à 2007 au Japon, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande, en Norvège, en Suède, en Suisse et aux États-Unis

Le suicide au Japon est un phénomène national d'envergure importante[1],[2].

Historique[modifier | modifier le code]

Dans la culture japonaise, on retrouve une longue tradition de considérer certains types de suicide comme honorables, en particulier dans un cadre militaire. Par exemple, le hara-kiri est l'utilisation d'une épée courte pour s'étriper soi-même, généralement utilisée par les samouraï pour éviter le déshonneur, par exemple après une défaite ou pour protester contre une action du gouvernement. Les kamikaze s'écrasent en avion sur l'ennemi pendant la Seconde guerre mondiale. Les banzaï sont des charges massives d'infanterie japonaises pendant la guerre du Pacifique, sans grandes chances de survie[3].

En 1998, on note une augmentation des suicides de 34,7 % par rapport à l'année précédente, ce qui pousse le gouvernement japonais à réagir en finançant le traitement des causes principales de suicides et l'accompagnement médical des personnes ayant fait une tentative de suicide.

Le Japon a un taux de suicide élevé par rapport à la plupart des autres pays, mais leur nombre décroît depuis 2010, restant à moins de 30 000 suicides par an pendant neuf années consécutives[4],[5]. En 2014, en moyenne, 70 Japonais se suicident par jour[6], dont 71 % d'hommes. Il s'agit de la première cause de mort chez les hommes de 20 à 44 ans. En 2016, le taux de suicide atteint le chiffre le plus bas depuis 22 ans à 21 764 suicides, dont 15 017 hommes et 6 747 femmes[7]. Il est de 21 007 en 2021, en très légère diminution par rapport à 2020[8].

Démographie[modifier | modifier le code]

Les suicides sont très majoritairement masculins, avec 71 % des victimes en 2007. En 2009, le nombre d'hommes suicidés atteint 23 472, dont 40.8 % d'hommes âgés de 40 à 69 ans. Le suicide est la première cause de décès des hommes de 20 à 44 ans[9]. Les hommes ont deux fois plus de chances que les femmes de se suicider après un divorce, mais le suicide reste la première cause de décès des femmes de 15 à 34 ans au Japon[10].

En 2009, le nombre de suicide atteint 34 845 cas, soit presque 26 suicides pour 100 000 habitants, et dépasse les 30 000 cas pour la douzième année consécutive[11]. En 2014, le suicide est la première cause de mort pour les jeunes de 10 à 19 ans[12],[13].

Lieux[modifier | modifier le code]

Un lieu commun pour les suicides est Aokigahara, une forêt située au pied du Mont Fuji[14]. Jusqu'en 1988, on y compte environ 30 suicides par an[15]. En 1999, on en recense 74[16], puis 78 en 2002[17]. En 2003, on arrive à 105 corps trouvés dans la forêt[18]. La zone est patrouillée par la police, à la recherche de personnes cherchant à se suicider. En 2010, on compte 247 tentatives de suicides dont 54 fatales dans cette forêt.

Les rails de train sont aussi des lieux de fort suicide, en particulier avec la ligne rapide Chūō[19].

La préfecture qui compte le plus haut taux de suicides est la préfecture d'Akita avec 31,86 suicides pour 100 000 habitants, pour une moyenne nationale de 22,94 suicides pour 100 000 habitants[20]. Au contraire, la préfecture de Nara ne compte que 17,28 suicides pour 100 000 habitants.

Causes de suicide[modifier | modifier le code]

Causes les plus communes[modifier | modifier le code]

Les facteurs majeurs du suicide incluent le chômage, des périodes de stagnation ou de récession économique (comme la décennie perdue entre 1990 et 2010), et la pression sociale[21]. En 2007, la police identifie 50 motifs de suicide, avec un maximum de 3 motifs à identifier pour chaque cas de suicide. La dépression arrive en tête, suivie par la perte d'un emploi et les difficultés de vie[22].

Près de 2 000 lycéens se sont suicidés en raison de harcèlement scolaire[23].

En 2021, les problèmes de santé sont au premier rang en tant que facteur contribuant à un suicide (47 %), suivis par les problèmes économiques et de subsistance (16 %) et les problèmes de famille (15 %)[8].

Liens avec l'emploi[modifier | modifier le code]

L'économie du Japon est la troisième plus large au monde mais connaît sa plus importante récession depuis la Seconde guerre mondiale au début de 2009, faisant arriver le chômage, historiquement extrêmement bas en raison de la tradition de l'emploi à vie, à 5,7 % en [24]. Les chômeurs forment 57 % de la population suicidée.

Auprès des personnes ayant un emploi, la pression des heures supplémentaires et du peu de jours de congé ou de congé maladie ont un impact négatif sur la santé mentale. D'après le gouvernement, la fatigue due au travail et les problèmes de santé, incluant la dépression due au travail, sont des motifs importants de suicide, affectant le bien-être des salariés et touchant 47 % des suicidés en 2008[25],[26]. Sur 2 207 cas liés au travail en 2007, on en compte 672 dus au karōshi, la mort par excès de travail.

Dans certains cas, le suicide peut suivre une erreur professionnelle. Après le Vol 123 Japan Airlines, le technicien de maintenance Hiroo Tominaga se suicide pour s'excuser auprès des victimes.

De plus, le vide de la retraite pousse les personnes âgées au suicide chaque année. En réponse à ces suicides, beaucoup d'entreprises et d'organismes ont mis en place des activités pour les personnes âgées qui peuvent se sentir seules et sans objectif[27].

Prêts aux particuliers[modifier | modifier le code]

La police compte un quart de suicides dus aux finances. Chaque année, on compte un grand nombre d'inseki-jisatsu (引責自殺?, suicides dus aux responsabilités). Les banques japonaises forcent les emprunteurs à utiliser des proches comme garants, ce qui cause une culpabilité extrême auprès du prêteur en cas de défaut de paiement[28]. Plutôt que de forcer les garants à payer, beaucoup choisissent de régler leurs impayés grâce à leur assurance-vie. En 2005, 17 banques ont reçu 4 300 000 000 yens suivant un suicide, de la part de 4 908 emprunteurs, soit 15 % du total des suicides de l'année[29].

Attitude culturelle face au suicide[modifier | modifier le code]

Le gouvernement japonais investit des ressources non négligeables pour limiter le taux de suicide. Cependant, la culture japonaise a tendance à accepter le suicide, qui a atteint le niveau d'« expérience esthétique » au sens culturel et social[30].

La conception commune du suicide est celle d'une action qui montre une certaine responsabilité morale[31]. Cette tolérance peut venir de la fonction historique du suicide dans l'armée : aujourd'hui, les suicides d'honneur sont appelés hara-kiri[32]. Elle peut aussi expliquer par le concept d'amae, le fait que l'acceptation et la conformité transcendent l'individualité de chacun[33]. La valeur de quelqu'un est donc corrélée à la façon dont cette personne est perçue par les autres, ce qui augmente les chances de suicide si la personne se sent ostracisée[34]. La tradition du suicide reste elle aussi positive : le gouverneur de Tokyo Shintarō Ishihara décrit Toshikatsu Matsuoka comme un « véritable samouraï » lorsque ce dernier se suicide pendant un scandale politique. Ishihara rédige aussi le scénario du film Je pars mourir pour vous, qui glorifie le courage des pilotes kamikazes de la Seconde Guerre mondiale[35].

Dans les années 1990, la forte hausse du taux de suicides change les comportements de la population japonaise[36].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Stephanie Strom, « In Japan, Mired in Recession, Suicides Soar », The New York Times,‎ (lire en ligne, consulté le )
  2. Leo Lewis, « Japan gripped by suicide epidemic », The Times,‎ (lire en ligne, consulté le )
  3. (en) Edward S. Harris, The Moral Dimensions of Properly Evaluating and Defining Suicide, Chowan College.
  4. (en) « Suicides down fourth straight year », Kyodo,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  5. « Le taux de suicide au Japon est au plus bas depuis 1978 », sur Nippon.com, (consulté le ).
  6. (en) Rupert Wingfield-Hayes, BBC News, Why does Japan have such a high suicide rate?, 3 juillet 2015.
  7. (en) « Suicides in Japan drop to 22-year low in 2016 », Japan Times,‎ (lire en ligne).
  8. a et b « Le nombre de suicides au Japon en légère baisse en 2021 », sur Nippon.com, (consulté le ).
  9. « Suicides Top 30,000 Cases in Japan for 12th Straight Year », Jiji Press Ticker Service,‎
  10. « The different impacts of socio-economic factors on suicide between males and females », Obesity, Fitness & Wellness Week,‎
  11. « Suicides in Japan top 30,000 for 12th straight year, may surpass 2008 numbers », The Mainichi Daily News,‎ (lire en ligne)
  12. mhlw.go.jp 第7表死因順位 Accessed 9/1/2015
  13. Mariko Oi Tackling the deadliest day for Japanese teenagers BBC News 9/1/2015
  14. Justin McCurry, « Nearly 100 Japanese commit suicide each day », The Guardian, London,‎ (lire en ligne, consulté le )
  15. Yoshitomo Takahashi, « EJ383602 - Aokigahara-jukai: Suicide and Amnesia in Mt. Fuji's Black Forest », Education Resources Information Center (ERIC), (consulté le )
  16. « Suicide manual could be banned », World: Asia-Pacific, BBC News,‎ (lire en ligne, consulté le )
  17. « 'Suicide forest' yields 78 corpses », The Japan Times,‎ (lire en ligne, consulté le )
  18. http://www.aokigaharaforest.com/ retrieved 07.02.2016
  19. (en) Howard W. French, « Kunitachi City Journal; Japanese Trains Try to Shed a Gruesome Appeal », The New York Times,‎ (lire en ligne, consulté le )
  20. 人口10万人あたりの自殺者数ランキング。都道府県格付研究所
  21. Andrew Chambers, « Japan: ending the culture of the 'honourable' suicide », The Guardian, London,‎ (lire en ligne, consulté le )
  22. « Suicides due to hardships in life, job loss up sharply in 2009 », Japan Economic Newswire,‎
  23. Japan Teen Suicides CNN
  24. « Japan suicides rise to 33,000 in 2009 », Associated Press Worldstream,‎
  25. Blaine Harden, « Japan's Killer Work Ethic, Toyota Engineer's Family Awarded Compensation », The Washington Post,‎ (lire en ligne, consulté le )
  26. « Japanese Suicide Rate Swells Amid Prolonged Economic Slump », RTT News (United States),‎
  27. Reena Shah, « In Japan, retiring is hard work », St. Petersburg Times, Florida,‎
  28. « Loans to tackle suicide », Geelong Advertiser (Australia) 1 - Main Edition,‎
  29. Akemi Nakamura, « Will lending law revision put brakes on debt-driven suicide? », The Japan Times,‎ (lire en ligne, consulté le )
  30. Emiko Ohnuki-Tierney, Illness and Culture in Contemporary Japan : An Anthropological View, Cambridge University Press, , 242 p. (ISBN 978-0-521-27786-0, lire en ligne), p. 67
  31. Chikako Ozawa-de Silva, « Too Lonely to Die Alone: Internet Suicide Pacts and Existential Suffering in Japan », Culture, Medicine, and Psychiatry, vol. 32, no 4,‎ , p. 516–551 (PMID 18800195, DOI 10.1007/s11013-008-9108-0) p. 519
  32. Ayumi Naito, « Internet Suicide in Japan: Implications for Child and Adolescent Mental Health », Clinical Child Psychology and Psychiatry, vol. 12, no 4,‎ , p. 583–597 (DOI 10.1177/1359104507080990)
  33. Chikako Ozawa-de Silva, « Shared Death: Self, Sociality, and Internet Group Suicide in Japan », Transcultural Psychiatry, vol. 47, no 4,‎ , p. 392–418 (DOI 10.1177/1363461510370239)
  34. Philippe Rochat, « Commentary: Mutual recognition as a foundation of sociality and social comfort », Social cognition: Development, neuroscience, and autism,‎ , p. 302–317
  35. Andrew Chambers, « Japan: ending the culture of the 'honourable' suicide », The Guardian,‎ (lire en ligne, consulté le )
  36. Kayoko Ueno, « Suicide as Japan's major export? A note on Japanese Suicide Culture », Revista Espaco Academico, vol. 44,‎ (lire en ligne)

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]