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Joffre Dumazedier

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Joffre Dumazedier, né le à Taverny (Val-d'Oise) et mort le à Créteil (Val-de-Marne), est un sociologue français.

Joffre Dumazedier est né le à Taverny (Val-d'Oise)[1] d'une famille modeste du Nord de la France. Son père meurt lors de la bataille de Verdun. Le concours des bourses lui ouvre l'accès au collège et au lycée puis il poursuit des études littéraires à la Sorbonne qu'il achève par un mémoire de linguistique portant sur les fonctions médiatrices du langage.

Dès 1935, toujours étudiant en Sorbonne, il vient dans sa banlieue d'origine animer des cours du soir dans un collège du travail pour ses anciens « copains de la communale » opprimés par l'injustice sociale. Il tente de mettre des savoirs savants à leur disposition. Sa pédagogie ne semble pas adaptée à ses auditeurs. Chercheur-militant, il entreprend une longue réflexion pour comprendre les difficultés d'apprentissage des publics désavantagés. Dans la conquête des performances physiques, ses amis lui font découvrir l'efficacité de l'entraînement sportif qu'il essaiera de transposer dans le travail intellectuel. Durant ses nombreuses expérimentations, il inversera progressivement le paradigme de la distribution de savoirs par une méthode d'aide à l'appropriation de connaissances par le sujet social.

Bien que marxiste et coutumier du monde ouvrier, après la défaite de 1940, il intègre en tant qu'instructeur l'école des cadres d'Uriage où il organise les stages ouvriers, et se voit confier les questions sociales et pédagogiques. Dans Les Hommes d'Uriage (la Découverte), Pierre Bitoun retrace la vie et la philosophie de cette « école ». Cette méthode d'aide à l'accès aux savoirs devient le socle de ses pratiques et de son éthique socio-pédagogique.

Résistant, il participe aux « équipes volantes » du Vercors de 1943 à 1944. Il pratique et formalise davantage cette méthode de simplification du travail intellectuel qu'en 1945 il nommera «l'entraînement mental ». On peut la découvrir dans son opuscule La Méthode d'entraînement mental (voies livres). Elle est également exposée et expérimentée dans Organiser sa pensée - Apprendre à décider avec l'entraînement mental de Georges Le Meur (chronique sociale).

Il contribue avec une majorité d'anciens uriagistes à fonder, en 1944, le mouvement d’éducation populaire Peuple et culture, au travers duquel il expérimente ses théories en matière de sociologie des loisirs et d’utilisation du temps libre. Un autodidacte, Benigno Cacérès, charpentier, réfugié espagnol, formé à Uriage, l'accompagnera dans l'aventure et lui consacrera un ouvrage : Le Président[2]. Peuple et Culture assurera la divulgation et le suivi de la méthode d'entraînement mental dans les divers lieux socio-économiques.

En 1954, il fonde le Groupe d'études des loisirs et de la culture populaire. À Amsterdam en 1956, il crée, avec une vingtaine de sociologues allemands, américains, anglais, brésiliens, hollandais, russes, yougoslaves..., le Comité de recherche sur le loisir, composante de l'Association internationale de sociologie. Il est également, à partir de 1952, chercheur au CNRS puis professeur à l'université Paris-Descartes[3] où il crée la chaire de socio-pédagogie de la formation des adultes en 1968. En tant que sociologue, il publie une quinzaine d'ouvrages en sciences sociales en rapport avec ses recherches plurielles.

Il enseigne dans des universités européennes, américaines, canadiennes, d'Amérique latine. Il est nommé docteur honoris causa de l'université européenne de Bruxelles, de l'université du Québec à Trois-Rivières, de l'université fédérale de Rio de Janeiro.

Il meurt le à l'hôpital Henri Mondor à Créteil[1]. Le mouvement Peuple et Culture qu'il a créé en 1945 lui rend un hommage lors d'une soirée en 2002. L'université de Nantes organise un séminaire d'une journée-souvenir avec de nombreux chercheurs en 2003. Les textes des communications sont publiés dans Construire ma recherche ; Joffre Dumazedier chercheur-accompagnateur en 2005 par Chronique Sociale où il a publié en 2002 son dernier livre Penser l'autoformation.

Sociologue du loisir et de l'auto-formation

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Joffre Dumazedier est considéré comme l'un des pionniers de la sociologie du loisir et l’auteur le plus éminent en la matière depuis son ouvrage paru en 1962 Vers une civilisation du loisir ? Il est également un contributeur fécond dans le domaine de la formation par sa réflexion sur le secteur novateur de l'auto-formation. Après une longue expérimentation, après la Seconde Guerre mondiale, il invente une méthode socio-pédagogique de simplification du travail intellectuel : l'entraînement mental.

La civilisation du loisir

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Les ouvrages[4] et plus largement le propos de Dumazedier concernent l’étude du loisir des masses et de ses interactions avec l’ensemble des activités de la vie quotidienne, le travail, la famille ou la politique. Ils soutiennent la thèse selon laquelle le loisir de masse doit s’intégrer dans une démocratie culturelle exigeant une politique globale et préalable d’éducation et d’information. Dans Sociologie empirique du loisir (Seuil), Joffre Dumazedier écrit que « le loisir, bien que conditionné par la consommation de masse et la structure de classe est de plus en plus le centre d'élaboration de valeurs nouvelles, surtout chez les jeunes ». Pour lui le loisir n'est pas un thème secondaire mais central de la société actuelle. Joffre Dumazedier est un des premiers[5] sociologues à proposer une réflexion sur l'impact de la réduction du temps de travail. Ainsi, dès les années 1950, il voit dans le temps libéré une nouvelle manière de penser et d'organiser sa vie. Que faire en dehors du travail ? Quelle activité avoir ? Comment utiliser le temps en dehors du travail pour soi ? En conséquence, les individus sont amenés progressivement à penser leurs loisirs en découvrant de nouvelles pratiques.

L'autoformation

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Joffre Dumazedier est également le principal sociologue et théoricien français de l'autoformation. Il a exposé son approche de celle-ci lors de l'ouverture du Premier Colloque européen sur l'autoformation organisé à l'Université de Nantes en 1994 par Georges Le Meur, cofondateur du Groupe de recherche sur l'autoformation en France. Dans sa communication intitulée Vers une socio-pédagogie de l'autoformation, après une approche des notions d'autoformation et de socio-pédagogie, Joffre Dumazedier traite du passage De l'enseignement des disciplines scolaires à l'aide au "travail autonome" de l'apprenant ; il s'attache à montrer l'évolution de l'éducation populaire et de la formation professionnelle continue vers l'aide collective à l'autoformation ; il présentera la Dynamique éducative contrariée de la société médiatique en faisant remarquer que l'enseignement à distance produit une autodidaxie assistée à tous les âges. Il aborde l'émergence d'un sujet social apprenant plus autonome en toute institution y compris l'institution scolaire. On peut lire ce texte dans la revue Education permanente no 122 de 1995.

Auparavant, en 1985, il a coordonné le no 78-79 de la même revue, numéro spécial sur l'Autoformation. Il voulait « nous faire profiter des recherches menées en socio-pédagogie des adultes à l'université René Descartes » et dans les divers espaces-temps de la société post-industrielle. Il ne s'agissait pas de joindre les voix au discours contre l'école, mais d'éclairer scientifiquement des pratiques éducatives qui se développent hors l'école... dans une perspective de l'éducation permanente.

Autour du concept d'autoformation gravitent diverses notions connexes et constituantes. Pour Philippe Carré, elles forment une galaxie qu'il explique dans L'Autoformation (PUF). Pour Georges Le Meur, elles représentent un feu d'artifice émis par le concept de néo-autodidaxie. Il les expose et les définit dans Les Nouveaux Autodidactes, préfacé par Joffre Dumazedier (PU Laval Québec ou Chronique Sociale). À l'instar de Norbert Elias, André Moisan les installe dans une configuration pour repenser le lien autoformation-contexte organisationnel (« L'Autoformation en chantiers », Education permanente no 122). Brigitte Albéro complète le panorama des pratiques en théorisant L'Autoformation en contexte institutionnel (l'Harmattan). Dans son dernier ouvrage Penser l'autoformation (Chronique Sociale), Joffre Dumazedier montre que les mutations sociales justifient une éducation tout au long de la vie par le développement de l'autoformation des sujets sociaux.

Publications

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Ses publications personnelles

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  • Vers une civilisation du loisir ? paru pour la première fois aux éditions du Seuil en 1962 dans la collection "Collections Esprit. La Condition humaine"[6] et qui a fait l'objet de plusieurs rééditions, notamment chez MKF, en 2018, qui intègre un entretien avec Edgar Morin et une biographie[7]. Ce livre est devenu un classique. Il a fait l'objet d'un compte-rendu, rédigé par J. Cazeneuve dans la Revue française de sociologie à sa sortie en 1962[8];
  • Sociologie empirique du loisir, 1974[9];
  • Révolution culturelle du temps libre 1968-1988, 1988[10];
  • La méthode d'entraînement mental, 1994[11] et « La Méthode d'entrainement mental », Journal de la formation continue et de l'EAO, no 242, Paris, 1990[12];
  • Penser l'autoformation, 2002[13]

Contributions

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  • Bibliothèques de jeune : un guide pour les éducateurs et chefs de jeunesse, 1945[14];
  • Regards neufs sur le sport, 1950[15];
  • Regards neufs sur les Jeux olympiques, 1952[16];
  • Télévision et Éducation populaire, 1955[17];
  • Le Loisir et la Ville, 2 tomes, 1/ 1966, 2/ 1976[18];
  • Les Femmes innovatrices, 1975[19];
  • La Leçon de Condorcet. Une conception oubliée de l'instruction pour tous nécessaire à une république ; avec Éric Donfu, L'harmattan, Paris, 1994[20];
  • Nouveaux Autodidactes, avec Georges Le Meur, Chronique sociale, Lyon, 1998[21];
  • Pratique sportive et résistance au vieillissement, avec Raymonde Feillet, L'harmattan, Paris, 2000[22]
  • Temps libre et modernité : mélanges en l'honneur de Joffre Dumazedier / sous la dir. de Gilles Pronovost, Claudine Attias-Donfut et Nicole Samuel, 1993[23]

Distinctions

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Notes et références

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  1. a et b (fr) Éric Donfu, « Nécrologie de Joffre Dumazedier », Le Monde,‎ (lire en ligne Accès payant [html])
  2. Lors des obsèques de Benigno Cacérès en octobre 1991, Joffre Dumazedier prononcera un hommage intitulé : "Bénigno Cacérès ou les deux rivages". Allusion non voilée au difficile parcours de la rive des savoirs ordinaires vers celle des connaissances savantes.
  3. Dossier administratif d'enseignant conservé aux Archives nationales à Fontainebleau sous la cote 20080243/6.
  4. dont un des plus connus est Vers une civilisation du loisir (Seuil, 1962).
  5. Philippe Champy et Christiane Étévé, Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation, Retz, (ISBN 2-7256-2461-4 et 978-2-7256-2461-7, OCLC 62487691, lire en ligne), p. 294
  6. Joffre Dumazedier, Vers une civilisation du loisir ?, Paris, Seuil, coll. « Collections Esprit. La Condition humaine », , 318 p. (SUDOC 010011714)
  7. Edgar Morin, Vers une civilisation du loisir? : introduit par un entretien avec Edgar Morin, (ISBN 979-10-92305-48-7, OCLC 1062394487, lire en ligne)
  8. J. Cazeneuve et Joffre Dumazedier, « Vers une civilisation du loisir? », Revue Française de Sociologie, vol. 3, no 4,‎ , p. 455 (DOI 10.2307/3319332, lire en ligne, consulté le )
  9. Joffre Dumazedier, Sociologie empirique du loisir; critique et contre-critique de la civilisation du loisir., Éditions du Seuil, (ISBN 2-02-002785-2 et 978-2-02-002785-4, OCLC 898271, lire en ligne)
  10. Joffre Impr. Laballery), Révolution culturelle du temps libre : 1968-1988, Méridiens Klincksieck, (ISBN 2-86563-176-1 et 978-2-86563-176-6, OCLC 416780090, lire en ligne)
  11. Joffre Dumazedier, La méthode d'entraînement mental, Lyon, Voies livres ; Association SE FORMER+, , 24 p. (SUDOC 166045128)
  12. « Le Journal de la formation continue & de l'EAO - Sudoc », sur www.sudoc.fr (consulté le )
  13. Joffre Dumazedier, Penser l'autoformation : société d'aujourd'hui et pratiques d'autoformation, Chronique sociale, (ISBN 2-85008-450-6 et 978-2-85008-450-8, OCLC 300732391, lire en ligne)
  14. Lucette Massaloux, François Ducruy, Joffre Dumazedier et Gilbert Gadoffre, Bibliothèques de jeunes : un guide pour les éducateurs et chefs de jeunesse, Paris, Seuil, , 107 p. (SUDOC 06448954X)
  15. J. Dumazedier, M. Baquet et A. Bazin, Regards neufs sur le sport, Paris, Seuil, coll. « Peuple et culture », , 223 p. (SUDOC 127503609)
  16. « Regards neufs sur les Jeux olympiques / par J. et J. Dumazedier ; avec la collaboration de Maurice Baquet et Georges Magnane - Sudoc », sur www.sudoc.fr (consulté le )
  17. « Télévision et éducation populaire : les télé-clubs en France / par Joffre Dumazedier ; avec la collaboration de A. Kedros et B. Sylwan - Sudoc », sur www.sudoc.fr (consulté le )
  18. « Le loisir et la ville - Sudoc », sur www.sudoc.fr (consulté le )
  19. « Les femmes innovatrices : problèmes post-industriels d'une Amérique francophone : le Québec / Colette Carisse, Joffre Dumazedier ; avec la collaboration de Mireille Gagnon, Marguerite Langlois et Serge Proulx - Sudoc », sur www.sudoc.fr (consulté le )
  20. Joffre Dumazedier et Éric Donfu, La Lecon de Condorcet : une conception oubliée de l'instruction pour tous nécessaire à une république, L'Harmattan, (ISBN 2-7384-2485-6 et 978-2-7384-2485-3, OCLC 299470485, lire en ligne)
  21. Georges Le Meur, Les nouveaux autodidactes : néo-autodidaxie et formation, Presses de l'Université Laval, (ISBN 2-85008-305-4 et 978-2-85008-305-1, OCLC 40220674, lire en ligne)
  22. Raymonde Feillet, Pratiques sportives et résistance au vieillissement, L'Harmattan, ©2000 : (ISBN 2-7384-9035-2 et 978-2-7384-9035-3, OCLC 301629510, lire en ligne)
  23. Claudine Attias-Donfut, Joffre Dumazedier, Nicole Samuel et Gilles Pronovost, Temps libre et modernité : mélanges en l'honneur de Joffre Dumazedier, Presses de l'Université du Québec, (ISBN 2-7384-2286-1, 978-2-7384-2286-6 et 2-7605-0750-5, OCLC 29598175, lire en ligne)
  24. « Université du Québec à Trois-Rivières », sur uquebec.ca via Internet Archive (consulté le ).

Articles connexes

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Liens externes

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