Hypermnésie

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L'hypermnésie (du grec huper, « avec excès », et "Μνήμης", « mémoire »), appelée également exaltation de la mémoire, se caractérise par une mémoire autobiographique extrêmement détaillée et un temps excessif consacré à se remémorer son passé pour certains et beaucoup de temps pour construire son futur pour d'autres[1].

Description[modifier | modifier le code]

Les personnes atteintes d'hypermnésie peuvent se remémorer des périodes lointaines de leur vie, remontant à la petite enfance. Ces souvenirs sont principalement visuels, mais parfois sonores, olfactifs, tactiles, avec des souvenirs de sensations qui leur sont parfois associés. L'hypermnésie ne doit pas être confondue avec la faculté, que nous possédons tous, d'avoir quelques images « flash » sur des événements particulièrement marquants, et souvent violents. Les hypermnésiques décrivent leur mémoire comme fonctionnant par associations incontrôlables. Leur mémoire ne garde pas le souvenir de chaque élément de leur vie. Elle est aléatoire et peut parfois retenir des événements perçus comme insignifiants. En revanche, comme ils n'ont pas de maîtrise des éléments à retenir, leur mémoire ne leur permet pas de conserver ce qu'ils souhaiteraient, à volonté.

L'hypermnésie ne doit pas non plus être confondue avec les capacités exceptionnelles de mémorisation de certaines personnes, capables de restituer de longues listes de données ne présentant pas un caractère personnel, aptitude qui résulte le plus souvent de l'emploi de moyens mnémotechniques. Au contraire, les hypermnésiques ont des souvenirs autobiographiques d'une grande précision mais n'ont pas des capacités mnésiques supérieures à la moyenne pour le reste de leur mémoire épisodique. Dans leur cas, il n'y a aucun procédé technique mis en œuvre volontairement, les souvenirs s'imposant au contraire de façon automatique[2].

Les facultés sont divisées en degrés et en fonction des différents sens des humains. Un hypermnésique complet est une personne dont toutes les informations perçues par ses différents sens sont « enregistrées » tandis qu'un hypermnésique du premier degré ne garde qu'un seul de ses sens en mémoire. Les deux sens les plus souvent gardés sont la vue et l'ouïe.

Malgré leurs capacités, les hypermnésiques ne sont pas des calculateurs calendaires comme certaines personnes autistes ou atteintes du syndrome du savant. Toutefois, il existe des similitudes entre certaines formes d'hypermnésie et certaines formes d'autisme. Comme certains « autistes Asperger » certains hypermnésiques ont un intérêt obsessionnel pour les dates. Le psychologue russe Alexandre Louria a documenté le cas de Solomon Cherechevski[3]. Celui-ci était tout à fait différent de la première hypermnésique documentée, connue comme « AJ », en ce qu'il pouvait délibérément mémoriser des quantités pratiquement illimitées d'informations. On a parfois avancé l'hypothèse que les hypermnésiques auraient une mémoire plus faible que la moyenne pour les informations non-autobiographiques. Cela n'a jamais été mis clairement en évidence. Un autre parallèle frappant entre le cas de Shereshevskii et certains autistes savants est la synesthésie temps-espace de Shereshevskii[4]. Il a été suggéré que la mémoire autobiographique supérieure est intimement liée avec ce type de synesthésie[5].

Conséquences[modifier | modifier le code]

Les capacités hypermnésiques pourraient avoir, dans certains cas, un effet néfaste sur les capacités cognitives. En prenant pour exemple un cas particulier, le flux irrépressible de souvenirs a causé d'importantes perturbations dans la vie de « AJ », le premier cas attesté en 2006 d'hypermnésie[6]. Elle a décrit ses remémorations comme « incessantes, incontrôlables et totalement épuisantes » et comme « un fardeau »[1]. Comme tous les hypermnésiques, AJ a tendance à s'absorber et se perdre dans ses souvenirs. Cela peut rendre difficile son attention aux événements présents ou futurs, puisqu'elle vit en permanence dans le passé.

AJ affiche beaucoup de difficulté à mémoriser des informations allocentrées[7]. « Sa mémoire autobiographique, bien qu'incroyable, est également sélective et même ordinaire, à certains égards » selon McGaugh[1]. Ceci a été démontré par la piètre performance de AJ aux tests de mémoire normalisés. À l'école, AJ était une élève moyenne, manifestement incapable d'appliquer à ses études sa mémoire exceptionnelle. Des tendances similaires ont été observées dans d'autres cas d'hypermnésie.

Des déficits dans la capacité à agir et une latéralisation anormale ont également été identifiés chez « AJ ». Ces déficits cognitifs sont caractéristiques des troubles frontostriataux (en)[1].

Formes spécifiques d'hypermnésie[modifier | modifier le code]

Le syndrome de Targowla[modifier | modifier le code]

Le syndrome de Targowla, aussi appelé « syndrome d'hypermnésie émotionnelle paroxystique tardive », catégorie diagnostique de la psychiatrie psychanalytique, non reconnu dans la nomenclature scientifique médicale internationale, serait un type d'hypermnésie traumatique : causé par la guerre et les rappels à la mémoire d'un ou plusieurs souvenirs traumatisants — ce "syndrome" serait notamment typique des anciens déportés des camps nazis. S'installant après une période de latence allant de quelques mois à plusieurs années, il pourrait avoir été compensé. Les "fragilités" acquises pendant ces événements se seraient manifestées régulièrement sous la forme de décompensations et de dépressions, affectant fréquemment des personnes âgées de 20 ans à 30 ans lors de leur déportations et parvenues à l'âge de la retraite[8].

Les "symptômes" seraient d'ordre affectifs et émotionnels, mais la personne atteinte garderait ses fonctions mentales intactes. Ce "syndrome" n'altérerait pas gravement la personnalité et le sujet qui en serait affecté serait conscient de son hypermnésie et des troubles du comportement qu'elle impliquerait, celui-ci pourrait alors en dominer ainsi, au moins en partie, les effets.

Hypermnésie hypomaniaque[modifier | modifier le code]

Selon l'école française de psychiatrie, il existerait des cas d'hypermnésie hypomaniaque, caractérisée : « comme un rappel massif, pendant l’épisode hypomaniaque, d’informations autobiographiques non accessibles en période d’humeur normale »[9].

L'hypermnésie dans la littérature et le cinéma[modifier | modifier le code]

Les capacités extraordinaires des hypermnésiques ont fasciné de nombreux écrivains et cinéastes (entre autres dans le genre fantastique). Ce sont ses effets, plus que la maladie elle-même, qui ont intéressé la plupart de ces artistes, d'où beaucoup de ré-interprétations et d'utilisations plus ou moins erronées ou exagérées de l'hypermnésie.

Quelques œuvres ayant utilisé l'hypermnésie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d Parker ES, Cahill L, McGaugh JL, « A case of unusual autobiographical remembering. », Neurocase, vol. 12, no 1,‎ , p. 35–49 (PMID 16517514, DOI 10.1080/13554790500473680, lire en ligne)
  2. (en) Darold Treffert, « Hyperthymestic Syndrome: Extraordinary Memory for Daily Life Events : Do we all possess a continuous tape of our lives? » (consulté le )
  3. (en) Jérôme S Bruner, The mind of a mnemonist : a little book about a vast memory, Cambridge, Harvard University Press, , 160 p. (ISBN 0-674-57622-5)
  4. Caroline Yaro et J Ward, « Searching for Shereshevskii: What is superior about the memory of synaesthetes? », The Quarterly Journal of Experimental Psychology, vol. 60, no 5,‎ , p. 681–695. (DOI 10.1080/17470210600785208)
  5. Julia Simner, Mayo, N & Spiller, M-J, « A foundation for savantism? Visuo-spatial synaesthetes present with cognitive benefits », Cortex, vol. 45,‎ , p. 1246–1260. (DOI 10.1016/j.cortex.2009.07.007)
  6. Samiha Shafy, « An Infinite Loop in the Brain », The Science of Memory, Spiegel Online (consulté le )
  7. « allocentrées » : qui concernent les autres, et non pas elle-même
  8. P. Lefebvre L'individualisation par Targowla du syndrome d'hypermnésie émotionnelle paroxystique tardive chez les déportés
  9. S. Gallemaers et I.O Godfroid, « L’hypermnésie maniaque : un mythe ou une réalité clinique ? », Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 2002;160(4):279–288. DOI 10.1016/S0003-4487(02)00170-1
  10. « Hypermnésia sur France Culture : du souvenir à l'oubli », sur www.telerama.fr (consulté le )
  11. « Potlatch - Éditions çà et là », sur www.caetla.fr (consulté le )

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]