Thémistocle

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Thémistocle
Θεμιστοκλῆς
Thémistocle

Naissance vers 524 av. J.-C.
Athènes
Décès 459 av. J.-C.
Magnésie du Méandre
Allégeance Athènes (jusqu'en 471 av. J.-C.)
Perse (469-459 av. J.-C.)
Grade Stratège
Conflits Guerres médiques
Faits d'armes 490 : Bataille de Marathon
480 : Bataille de l'Artémision
480 : Bataille de Salamine

Thémistocle (en grec ancien : Θεμιστοκλῆς), né vers 524 av. J.-C. et mort en 459 av. J.-C., est un homme d'État et stratège athénien. Chef du parti démocratique d'Athènes, il ordonne la création d'une marine de guerre, afin de défendre la cité contre l'Empire perse, et contribue au triomphe de la coalition grecque à Salamine. Il est considéré comme le fondateur de la thalassocratie athénienne[1].

Biographie[modifier | modifier le code]

Origine et débuts[modifier | modifier le code]

Buste romain de Thémistocle. Musée archéologique d'Ostie.

Thémistocle naît dans une famille de petits commerçants. Son père, Néoclès, du bourg de Phréar, de la tribu Léontide, n'appartient pas à l'aristocratie. D'après Phanias de Lesbos, sa mère s'appelle Euterpe, est originaire d'Halicarnasse, et appartient au lignage sacerdotal des Lycomides, noblesse de second ordre[2].

Issu du peuple, il bénéficie des réformes politiques introduites à Athènes par Clisthène en 508[3]. Il est désigné archonte en 493[4], puis stratège en 490, et s'illustre au côté d'Aristide à la bataille de Marathon[5]. Chef du parti populaire à partir de 483, il réussit à convaincre les Athéniens réunis en ecclesia d'utiliser les revenus des mines d'argent du Laurion afin de construire cent trières de combat[6]. L’initiative est d'autant plus facilement accueillie qu'Athènes est alors en guerre contre Égine[7].

Seconde guerre médique[modifier | modifier le code]

La bataille de Salamine en -480. Illustration du XIXe siècle.

En 480, les troupes de Xerxès envahissent la Grèce après avoir franchi l'Hellespont sur deux ponts flottants[8]. Les Athéniens, craignant l'immense armée perse, vont d'abord consulter l'oracle d'Apollon à Delphes. La Pythie de Delphes leur conseille en premier lieu de partir aux extrémités du monde[9]. Cela effraie encore plus les Athéniens, pour qui abandonner Athènes sans se battre est presque inimaginable. Ils décident donc de la consulter une deuxième fois[10]. Elle leur conseille alors de se réfugier « derrière une muraille de bois ». Les Athéniens sont divisés et une partie pense alors à se protéger grâce aux fortifications en bois de l'Acropole. Thémistocle conseille plutôt aux Athéniens de se préparer à un combat naval, car cette muraille de bois signifie la flotte[11],[12].

Sous les ordres du général spartiate Eurybiade, Thémistocle commande le contingent athénien et tient tête pendant trois jours à la flotte perse près du cap Artémision, tout en subissant des pertes importantes[13].

Sur le continent, l'armée grecque est battue aux Thermopyles et les Perses s'emparent de la Béotie, puis de l'Attique. Les femmes et les enfants d'Athènes sont envoyés en sécurité à Trézène, Égine et Salamine[14]. Après avoir rasé Thespies et Platées, les soldats de Xerxès détruisent la cité d'Athènes[15]. Les alliés, principalement des Péloponnésiens, préparent la défense de l'isthme de Corinthe[16].

Thémistocle persuade alors les alliés de combattre la flotte perse dans le détroit situé entre l'Attique et l'île de Salamine[17]. Il a tiré les leçons de la bataille de l'Artémision : « en combattant dans un lieu étroit avec un petit nombre de vaisseaux contre un plus grand, nous remporterons, selon toutes les probabilités de la guerre, une grande victoire, parce qu'un détroit nous est autant avantageux que la pleine mer l'est aux ennemis[18]. » Athènes, qui possède deux cents navires, fournit près de la moitié des trières dont disposent les Grecs face aux mille deux-cents navires perses[19],[20]. Après avoir utilisé son esclave Sicinnos pour une ruse de guerre[21], Thémistocle commande cette flotte avec le Spartiate Eurybiade et remporte une victoire décisive à Salamine.

Craignant que les Grecs ne détruisent les ponts flottants sur l'Hellespont et ne piègent son armée en Europe, Xerxès quitte la Grèce avec le plus gros de ses forces[21]. Il laisse une armée, sous les ordres de Mardonios. Celui-ci, après avoir envahi l'Attique et détruit Athènes une seconde fois[22], est battu et tué[23] à la bataille de Platées en 479.

Reconstruction d'Athènes[modifier | modifier le code]

Athéniens reconstruisant leur ville sous la direction de Thémistocle.

Après le départ de l'armée achéménide, les Athéniens récupèrent leur cité, entièrement détruite. La reconstruction d'Athènes est dirigée par Thémistocle à la fin de 479. Pour renforcer les murs de l'Acropole, il réutilise les ruines de l'ancien Parthénon et de l'ancien temple d'Athéna. Le « mur de Thémistocle », entourant la ville basse, est construit pour se défendre contre une nouvelle invasion. Une grande partie de ces efforts de construction est réalisée à l'aide de spolia, les restes des destructions du conflit précédent.

Sparte dépêche alors une ambassade à Athènes afin de s'opposer à la reconstruction de ses murailles[24]. Sur les conseils de Thémistocle, le peuple athénien congédie les émissaires lacédémoniens et envoie Thémistocle lui-même pour négocier avec eux. Il se fait donc députer à Sparte sous couleur de négocier, fait traîner les discussions en longueur, le temps que les Athéniens élèvent les murailles à une hauteur suffisante. Les Spartiates sont mis devant le fait accompli et mettent fin à leurs récriminations[25],[26].

Thémistocle s'emploie dès lors à garantir la sécurité d'Athènes, en poursuivant sa politique maritime et en faisant développer et fortifier le port du Pirée[27], et ce, en dépit de l'opposition de Sparte[28]. Il conseille aux Athéniens de construire vingt trirèmes tous les ans et d'exempter de tribut les étrangers domiciliés à Athènes et les ouvriers, afin d'attirer une main d’œuvre qualifiée[29].

Ostracisme et mort[modifier | modifier le code]

Ostrakon portant le nom de Thémistocle, fils de Néoclès, musée de l'Agora antique d'Athènes.
Thémistocle trouvant refuge chez le roi Admète (1832), par Pierre Joseph Célestin François.

Suscitant des oppositions, Thémistocle est frappé d'ostracisme en 470. Il se réfugie dans un premier temps à Argos[30], où il fomente des révoltes contre Sparte. Poursuivi par les Athéniens et les Lacédémoniens, il se rend à Corcyre où il exerce le rôle d'arbitre dans une querelle avec Corinthe, puis trouve refuge en Épire chez Admète, le roi des Molosses[31]. Des émissaires venus de Sparte demandent alors l'extradition de Thémistocle et menacent le roi de lui déclarer la guerre en cas de refus[32].

Giuseppe Bossi, Les funérailles de Thémistocle (1806).

En danger de mort, Thémistocle se réfugie auprès du roi perse Artaxerxès, fils de Xerxès. Il y est comblé d'honneurs et se voit confier le gouvernement de cités grecques d'Anatolie, qu'il gère jusqu'à sa mort à Magnésie en 459. Sa disparition, à 65 ans, est peut-être due à la maladie ou à l'âge, mais Thucydide et Plutarque affirment qu'il est possible qu'il se soit volontairement empoisonné « parce qu'il ne se sentait pas en état d'accomplir les promesses qu'il avait faites au Roi »[33] et pour ne pas avoir à commander une expédition contre les Grecs, ses concitoyens[34].

Postérité[modifier | modifier le code]

Le nom de Thémistocle est souvent associé à la démocratie[35], au même titre que ceux de Solon, Clisthène, et plus tard Éphialtès et Périclès, même si celle-ci n'avait pas encore réellement vu le jour. En effet, pour Thémistocle, Athènes ne pouvait exercer son hégémonie en Grèce, notamment contre Sparte, et se protéger des Perses qu'en développant sa flotte ; jusque-là, la guerre était le fait d'une élite capable de payer son équipement, les hoplites. Le développement de la flotte par Thémistocle renforce le pouvoir des marins, des hommes du peuple, contre les nobles[36]. C'est là l'embryon d'une forme d'égalité qui suscite l'opposition aristocratique, notamment celle de Cimon, fils de Miltiade. Eschine de Sphettos dit de lui dans son Alcibiade qu'il ne pouvait décider que de très grands espoirs de salut pour les Athéniens.

Doué, hardi, éloquent, avide de gloire et de richesses, fougueux, vaniteux et ambitieux, Thémistocle montre une absence totale de scrupules, mais a toutes les qualités d'un grand homme d'État, avec la capacité de voir à long terme, et le courage de défendre et d'imposer ses idées. Entre autres traits d'humour que lui attribue Plutarque, il y a celui-ci : comme le fils de Thémistocle abusait de la tendresse de sa mère et se servait d'elle pour gouverner son père, Thémistocle remarquait en plaisantant que son fils avait plus de pouvoir qu'aucun Grec. « Athènes commande à la Grèce, je commande aux Athéniens ; ma femme me commande, et mon fils commande à sa mère », disait-il[37]. Mais Thémistocle aime aussi le luxe, et son orgueil tyrannique irrite beaucoup de ses compatriotes : Aristide l'accusa de détournement d'argent public ; Thémistocle entre en conflit avec Cimon, fils de Miltiade, sur la stratégie à employer pour assurer l'hégémonie athénienne, Thémistocle estimant que la principale menace viendrait de Sparte et non des Perses. Ses opinions médisantes l'opposent avec virulence à Timocréon de Rhodes, qu'il aurait par ailleurs trahi en ne le rapatriant pas sur Rhodes, malgré paiement, et alors qu'il naviguait en mer Égée à la suite du repli des Perses, après leur défaite à Salamine.

D'après Thucydide, Thémistocle et Pausanias furent « les plus illustres des Grecs de leur temps[38] ». L'historien dresse d'ailleurs un portrait élogieux du stratège athénien :

« Thémistocle avait montré, d’une manière certes bien frappante, jusqu’où peut aller le génie de l’homme. À ce titre, en quelque sorte, il a plus qu’un autre des droits à notre admiration. Grâce à une sagacité naturelle, sans avoir préparé son esprit, sans avoir redressé son jugement par aucune étude antérieure ou subséquente, un instant de réflexion lui suffisait pour décider sûrement du présent. Quant aux événements à venir les plus éloignés, il en embrassait toute la série par l’excellence de ses conjectures. Tout ce qui était de son ressort, il le développait avec netteté ; pour les objets dont la pratique lui manquait, il n’était jamais incapable d’en juger sainement. Quelque obscure que parût une affaire, il en discernait avec succès le côté favorable ou contraire ; et pour tout dire en un mot, par les seules forces de la nature et avec peu d’efforts, il excellait à saisir à l’instant même l’à-propos des circonstances. »

— Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, traduction de Jean-Baptiste Gail, I, 138.

Dans la culture[modifier | modifier le code]

Citations[modifier | modifier le code]

Littérature[modifier | modifier le code]

Films[modifier | modifier le code]

  • La Bataille des Thermopyles, réalisé en 1962 par Rudolph Maté.
  • Lawrence d'arabie, réalisé par David Lean, sorti en 1962. Au début du film, le général Murray, après avoir critiqué l’excentricité de Lawrence, conclut : « You don't seem able to perform your present duties properly » (Vous me faites l'effet d'un incapable). Lawrence lui rétorque en citant Thémistocle : « I cannot fiddle, but I can make a great state from a little city » (Je ne sais pas jouer de la lyre, mais je peux faire un grand État d'un petit village). La citation est rapportée en termes très voisins par Plutarque[41].
  • 300 : La Naissance d'un empire, réalisé en 2014 par Noam Murro.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Pascal Gauchon, « Quand Athènes régnait sur les flots », Conflits n°2, p. 32, juillet-août-septembre 2014. [1]
  2. Plutarque, Vie de Thémistocle, I, 1-3.
  3. Holland (2005), pp. 164-167.
  4. Cette date, donnée tardivement par Denys d'Halicarnasse, est incertaine ; des modernes ont opté pour 483. Voir Édouard Will, Le Monde grec et l'Orient, Le Ve siècle (510-403), PUF, 1972, p. 92 note 1, p. 93 et 102.
  5. Plutarque, Vie d'Aristide, V, 3.
  6. Plutarque, Vie de Thémistocle, IV, 1-3.
  7. Hérodote, Histoires, VII, 144.
  8. Hérodote, Histoires, VII, 35.
  9. Hérodote, Histoires, VII, 140.
  10. Hérodote, Histoires, VII, 141.
  11. Hérodote, Histoires, VII, 142.
  12. Plutarque, Vie de Thémistocle, X, 2.
  13. Hérodote, Histoires, VIII, 11-19.
  14. Hérodote, Histoires, VIII, 41.
  15. Hérodote, Histoires, VIII, 50-53.
  16. Hérodote, Histoires, VIII, 71.
  17. Hérodote, Histoires, VIII, 62.
  18. Hérodote, Histoires, VIII, 60.
  19. Hérodote, Histoires, VII, 89.
  20. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XI, 3.
  21. a et b Hérodote, Histoires, VIII, 75.
  22. Hérodote, Histoires, IX, 13.
  23. Hérodote, Histoires, IX, 63.
  24. Thucydide, La Guerre du Péloponnèse [détail des éditions] [lire en ligne], Livre I, 90.
  25. Thucydide, La Guerre du Péloponnèse [détail des éditions] [lire en ligne], Livre I, 90-92.
  26. Plutarque, Vie de Thémistocle, XIX, 1-3.
  27. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XI, 41.
  28. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XI, 42.
  29. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XI, 43.
  30. Plutarque, Vie de Thémistocle, XXIII, 1.
  31. Plutarque, Vie de Thémistocle, XXIV, 2.
  32. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, livre XI, ch. 56.
  33. Thucydide, La Guerre du Péloponnèse [détail des éditions] [lire en ligne], Livre I, CXXXVIII, 4.
  34. Plutarque, Vie de Thémistocle, XXXI, 5.
  35. Marie-Claire Amouretti et Françoise Ruzé : Le Monde grec antique, Paris, Hachette, 2008.[Où ?]
  36. Plutarque, Vie de Thémistocle, XIX, 5-6.
  37. Plutarque, Vie de Thémistocle, XVIII, 5.
  38. Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, I, 138.
  39. « Napoléon Ier - « Je viens, comme Thémistocle... », Le Monde,
  40. « Thémistocle, d'Olivier Delorme : politique, amour et guerre à Athènes », Actualitte.com,
  41. Plutarque, Vie de Thémistocle, II, 3.

Annexes[modifier | modifier le code]

Sources antiques[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • La Véritable Histoire de Thémistocle, recueil de textes antiques réunis et présentés par Jean Haillet, Paris, Les Belles Lettres, 2012.
  • (en) Tom Holland, Persian Fire, Londres, Abacus, (ISBN 978-0-349-11717-1, lire en ligne)
  • (en) A. J. Podlecki, The Life of Themistocles : a critical survey of the literary and archaeological evidence, Montréal-Londres, Mc Gill-Queens University Press,
  • Robert Flacelière, « Sur quelques points obscurs de la vie de Thémistocle », Revue des Études Anciennes, t. 55, nos 1-2,‎ , p. 5-28 (lire en ligne, consulté le ).
  • John Ma, « Thémistocle entre cité et empire », Métis. Anthropologie des mondes grecs anciens, vol. 12,‎ , p. 269-293 (lire en ligne, consulté le ).
  • Georges Méautis, « Thucydide et Thémistocle », L’Antiquité classique, t. 20, no 2,‎ , p. 297-304 (lire en ligne, consulté le ).

Filmographie[modifier | modifier le code]

  • Au nom d'Athènes, documentaire-fiction de Fabrice Hourlier diffusé sur Arte le 24 novembre 2012.

Liens externes[modifier | modifier le code]