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En chimie physique, et plus particulièrement en thermodynamique, la relation de Duhem-Margules, appelée également relation de Gibbs-Duhem-Margules ou équation de Duhem-Margules, lie les variations des pressions partielles d'une phase vapeur aux variations de la composition d'une phase liquide en équilibre à température constante.
La relation de Duhem-Margules est démontrée en supposant une phase vapeur idéale, c'est-à-dire se comportant comme un mélange de gaz parfaits. Il n'est par contre fait aucune hypothèse sur la nature de la phase liquide, qui peut en conséquence ne pas être idéale. Ainsi la relation de Duhem-Margules représente-t-elle correctement les équilibres liquide-vapeur réels aux pressions proches de la pression atmosphérique, y compris donc ceux qui ne suivent pas la loi de Raoult, voire ceux qui présentent un azéotrope.
Elle n'est cependant pas rigoureuse, car elle est établie en supposant que, à température constante, la pression totale de la vapeur ne varie pas en fonction de la composition du liquide, ce qui est en contradiction avec la règle des phases. Aux basses pressions il est toutefois possible de justifier cette approximation[4].
Soit un mélange liquide binaire, constitué des corps et , en équilibre avec une phase vapeur se comportant comme un mélange de gaz parfaits. À température constante, les pressions partielles des deux corps en phase vapeur varient en fonction de la composition du liquide et sont liées par la relation de Duhem-Margules :
Cette relation se trouve également sous les formes :
Relation de Duhem-Margules
Hypothèse de la pression constante
On trouve dans la littérature la relation de Duhem-Margules énoncée à pression et température constantes[5],[4] :
Or il est impossible de faire varier la composition d'un liquide binaire tout en maintenant un équilibre liquide-vapeur à pression et température constantes. En effet, selon la règle des phases énoncée par Gibbs, un mélange de deux constituants possède degrés de liberté ; or, avec :
le nombre de constituants ;
le nombre de contraintes expérimentales, puisque et sont imposées ;
le nombre de phases en équilibre ;
on a . Il n'y a donc aucun degré de liberté pour un mélange binaire à l'équilibre liquide-vapeur lorsque la pression et la température sont imposées. À température constante, la pression totale au-dessus du liquide évolue avec la composition de celui-ci comme le montre la figure ci-contre établie avec la loi de Raoult qui donne :
Néanmoins l'hypothèse de la pression totale constante est prise lors de la démonstration de la relation de Duhem-Margules, ou du moins peut-on démontrer que sa variation est négligeable. Sans cette hypothèse, on obtient :
Aux points d'extrémum (maximum ou minimum) de pression :
d'où :
De fait, la relation de Duhem-Margules telle qu'établie et énoncée n'est vraie que pour les extrémums de la pression de vapeur, c'est-à-dire pour les azéotropes selon le théorème de Gibbs-Konovalov, et n'est qu'approximative autrement[6].
Démonstration
On suppose un mélange binaire à l'équilibre liquide-vapeur à la pression et la température . Pour la phase liquide, la relation de Gibbs-Duhemà température constante, soit , donne :
Puisque le liquide est en équilibre avec sa vapeur, on a l'égalité des potentiels chimiques :
avec et les potentiels chimiques respectifs des corps et en phase vapeur. Si la phase vapeur peut être considérée comme un mélange de gaz parfaits, alors :
avec et les potentiels chimiques respectifs des corps et en phase vapeur idéale. Si, à température constante, on fait varier la composition de la phase liquide tout en restant à l'équilibre liquide-vapeur, on a :
(2a)
(2b)
La fugacité d'un corps quelconque, dans un état quelconque, est définie par la variation à température constante de son potentiel chimique :
En considérant les relations (2a), (2b) et (3), on réécrit la relation de Gibbs-Duhem à température constante (1) :
Le volume molaire de la phase gaz idéale valant , on a :
(4)
Par définition des pressions partielles :
on obtient :
(5)
En considérant que :
aux basses pressions, c'est-à-dire loin du point critique du mélange, le volume molaire d'un liquide est très inférieur à celui d'un gaz, soit ,
, soit et ,
on peut écrire, pour des plages de fractions molaires importantes :
Ainsi peut-on réécrire approximativement la relation (5) selon :
Remarque
S'il existe en phase gaz un troisième corps, noté , incondensable, donc indépendant de la composition du liquide, tel que et , alors on a : on obtient directement la relation ci-dessus à partir de la relation (4). On obtiendrait également plus rapidement cette relation en supposant dès la relation (1) que la pression totale est constante, soit . Or, comme nous l'avons vu dans l'énoncé de la relation, il est impossible de faire varier la composition de la phase liquide d'un mélange binaire tout en restant à son équilibre liquide-vapeur et à température et pression constantes. Néanmoins, comme démontré ci-dessus, la variation de pression totale engendrée est négligeable devant les variations des pressions partielles qui la composent.
En considérant la variable fraction molaire du corps en phase liquide et puisque la démonstration est effectuée à température constante, on a :
Or, puisque , on a :
On obtient finalement la relation de Duhem-Margules :
Relation de Duhem-Margules :
L'expression obtenue sans négliger la variation de pression globale dans la relation (4) est :
Sens de variation de la pression et des pressions partielles
La relation de Duhem-Margules montre que les pressions partielles de tous les corps évoluent de la même façon en fonction de leur fraction molaire en phase liquide. En effet, selon cette relation et sont de même signe. Expérimentalement, la pression partielle d'un corps augmente toujours avec sa fraction molaire en phase liquide :
La relation de Duhem-Margules est cohérente avec cette observation.
D'autre part, puisque :
bien que la relation de Duhem-Margules soit établie à pression constante, on écrit :
ou :
Ceci permet d'étudier la variation de la pression totale en fonction de la composition du liquide à température constante et d'établir, notamment, les règles de Konovalov.
La relation de Duhem-Margules permet de démontrer les deux règles de Konovalov, nommées en référence à Dimitri Konovalov qui les établit expérimentalement. En effet :
si et seulement si :
La première règle de Konovalov énonce que, pour un équilibre liquide-vapeur :
« À température donnée, la vapeur est toujours plus riche que le liquide en composant le plus volatil. En d'autres termes, la fraction molaire du composant le plus volatil est toujours plus grande dans la vapeur que dans le liquide. Ou encore, la vapeur est plus riche que le liquide en composant dont l'addition au liquide induit une augmentation de la pression de vapeur totale. »
— Première règle de Konovalov.
L'hypothèse de la pression totale constante prise lors de la démonstration de la relation de Duhem-Margules est donc en contradiction avec cette règle.
La deuxième règle de Konovalov énonce que :
« À température constante, aux points d'extrémum de la pression de vapeur les compositions de la vapeur et du liquide sont identiques. »
— Deuxième règle de Konovalov.
Cette règle décrit donc les azéotropes à température constante. Elle est généralisée par le théorème de Gibbs-Konovalov aux azéotropes à pression constante et aux équilibres de phases autres que l'équilibre liquide-vapeur.
Expression des pressions partielles
Loi de Raoult et loi de Henry
Si la pression partielle de l'un des composants, par exemple le composant , est proportionnelle à sa fraction molaire en phase liquide (selon la loi de Raoult ou la loi de Henry) :
avec une constante positive quelconque (qui peut dépendre de la température, mais pas de la composition), alors :
Dans ces conditions, la relation de Duhem-Margules induit que :
La pression partielle de l'autre composant, ici le composant , répond donc à la relation :
et par conséquent suit également une relation linéaire avec sa fraction molaire en phase liquide :
avec une constante positive quelconque (qui peut dépendre de la température, mais pas de la composition).
On en déduit que si l'un des composants suit la loi de Raoult ou la loi de Henry, alors l'autre composant suit également l'une de ces deux lois[7].
loi de Raoult : le volume molaire du corps pur liquide, à la température , sous la pression ;
loi de Henry : le volume molaire partiel du corps (soluté) infiniment dilué dans le deuxième corps (solvant) du mélange binaire, à la température , sous la pression ;
une pression de référence :
loi de Raoult : la pression de vapeur saturante du corps , à la température ;
loi de Henry : la pression de vapeur saturante du deuxième corps (solvant) du mélange binaire, à la température .
On a alors la dérivée partielle :
Déclinée aux deux corps et d'un mélange binaire, on a :
d'où :
Les lois de Raoult et de Henry supposent que la phase liquide se comporte comme une solution idéale ; son volume molaire vaut par conséquent :
D'autre part, la phase vapeur est supposée être un mélange de gaz parfaits dans la relation de Duhem-Margules comme dans les lois de Raoult et de Henry ; son volume molaire vaut par conséquent :
On obtient :
On retrouve la relation de Duhem-Margules démontrée sans l'hypothèse de la pression constante. On en déduit que si l'un des composants suit la loi de Raoult avec correction de Poynting ou la loi de Henry avec correction de Poynting, alors l'autre composant suit également l'une de ces deux lois[8].
Margules proposa la solution suivante à la relation[1],[9] :
avec et les pressions de vapeur saturantes respectives des deux corps à . Il pourrait tout aussi bien s'agir, pour l'un des deux corps, de la constante de Henry. La constante , déterminée expérimentalement, est identique pour les deux corps. On vérifie la relation de Duhem-Margules :
Le modèle d'activité de Margules à deux paramètres :
vérifie également la relation de Duhem-Margules :
De façon plus générale, la relation de Duhem-Margules impose une contrainte au développement de tout modèle de coefficient d'activité. Un coefficient d'activité dépend de la pression, de la température et de la composition de la phase liquide. Par définition, l'enthalpie libre molaire d'excès de la phase liquide est égale à :
Enthalpie libre molaire d'excès :
et le volume molaire d'excès est égal à :
Volume molaire d'excès :
On dérive le coefficient d'activité des deux corps du mélange binaire :
et finalement, avec le volume molaire du gaz parfait :
Relation de Duhem-Margules pour les coefficients d'activité
Le volume molaire idéal du mélange liquide est égal à :
avec le volume molaire de référence pour le corps tel que défini au paragraphe Correction de Poynting. Le volume molaire réel du mélange liquide est égal à :
Le volume molaire d'excès est généralement considéré comme négligeable devant le volume molaire idéal : en valeur absolue . Par exemple, si l'on mélange 1 litre d'eau avec 1 litre d'éthanol, le volume idéal de la solution est de 2 litres. On obtient cependant un volume réel d'environ 1,92 litre[10]. Le volume se contracte sous l'effet des forces entre molécules d'eau et d'éthanol : le volume d'excès est de −0,08 litre. La plupart des modèles de coefficient d'activité (Margules, Van Laar(en), Wilson, NRTL(en), UNIQUAC, UNIFAC, COSMOSPACE) ne dépendent pas de la pression : il est considéré que et .
Expression générale des pressions partielles
En considérant la relation de Duhem-Margules dans sa forme rigoureuse :
les pressions partielles doivent avoir la forme générale :
avec pour tout corps :
la fraction molaire en phase liquide ;
un coefficient d'activité, fonction de la pression, de la température et de la composition de la phase liquide, sans dimension ;
une fonction de la température, ayant la dimension d'une pression ;
un volume molaire de référence, fonction de la pression et de la température ;
une pression de référence, fonction de la température.
La loi de Raoult et la loi de Henry sont retrouvées lorsque le coefficient d'activité est égal à 1 (solution liquide idéale) et la correction de Poynting négligée (aux basses pressions).
D'autre part, la relation de Duhem-Margules est développée en considérant que la phase gaz répond à la loi des gaz parfaits, son volume molaire étant . La relation de Duhem-Margules ne permet donc de trouver des expressions des pressions partielles que pour des pressions de moins de 10 atm. Les modèles de coefficient d'activité ne sont en général développés et valides que dans ce domaine de pression.
↑ a et bLa plupart des ouvrages et articles cités en référence démontrent la relation de Duhem-Margules à partir de la relation de Gibbs-Duhem considérée à pression et température constantes, sans explication. Jurgen M. Honig 1999, p. 228, et J. Mesplède 2004, p. 137, utilisent cette hypothèse et, paradoxalement, en tirent immédiatement après des expressions de la variation de la pression en fonction de la composition, ainsi que les règles de Konovalov. Kenneth George Denbigh, p. 233, et particulièrement C. R. Bury, p. 795-797, justifient que la variation de pression est négligeable, quoique non nulle.
(de) Max Margules, « Über die Zusammensetzung der gesättigten Dämpfe von Misschungen », Sitzungsberichte der Kaiserliche Akadamie der Wissenschaften Wien Mathematisch-Naturwissenschaftliche Klasse II, vol. 104, , p. 1243–1278 (lire en ligne, consulté le ).
E. Darmois, « La thermodynamique des solutions », J. Phys. Radium, vol. 4, no 7, , p. 129-142 (lire en ligne, consulté le ).
(en) C. R. Bury, « The Duhem-Margules equation and Raoult's law », Transactions of the Faraday Society, vol. 36, , p. 795-797 (DOI10.1039/TF9403600795, lire en ligne, consulté le ).
(en) Madan R.L., Chemistry for Degree Students : B.Sc. Semester - III (As per CBCS), S. Chand Publishing, (ISBN978-93-5253-520-0, lire en ligne), p. 9.
(en) R. C. Srivastava, Subit K. Saha et Abhay K. Jain, Thermodynamics : A Core Course, PHI Learning Pvt. Ltd., , 332 p. (ISBN978-81-203-3296-6, lire en ligne), p. 164-167.