Massacre des Juifs de Rouen

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Exécution de Juifs (reconnaissables à leur chapeau d'infamie, judenhut) lors de la Première croisade, illustration d'une Bible française, 1250

L'appel à la croisade de 1095 après le Concile de Clermont provoqua, sans le vouloir, une série de massacres de juifs et de pogroms dans toute l'Europe. Les plus connus, car les plus documentés, sont ceux qui ont eu lieu en Rhénanie, comme à Worms ou à Mayence. Cependant, un massacre assez mal connu, pourtant d'une extrême violence, a eu lieu à Rouen en 1096. La principale source de ce massacre vient de l'Autobiographie (De vita sua) de Guibert de Nogent, dans laquelle il nous raconte ce massacre à travers l'histoire d'un autre moine de l'Abbaye de Saint-Germer-de-Fly, un juif converti qui échappa à ce massacre durant sa jeunesse: un certain Guillaume le Juif (Guillelmus Iudeus).

Antijudaïsme au Moyen Âge[modifier | modifier le code]

Les Juifs pendant le Haut Moyen Âge ne souffrirent pas de beaucoup de persécutions, excepté en Espagne Wisigothique. En effet, le Code Théodosien est assez tolérant avec eux, et malgré un certain nombre de traités les critiquant ou les traitant de déicide, le plus connu étant De fide catholica contra Iudeos du célèbre Isidore de Séville, ils purent jouir pendant toute la période de privilèges commerciaux, notamment sous les Carolingiens, qui leur offrirent même une protection. Dans l'espace de la France du Nord, qu'ils appellent le "Tzarfat", de fortes communautés juives s'installèrent en Champagne et en Neustrie dans ce qui sera le duché de Normandie, la ville de Rouen avait une importante communauté juive. Nous savons par exemple que Guillaume le Conquérant en transféra une partie à Londres, pour les mettre sous sa protection directe et leur faire jouir des lois anglo-saxonnes sur la question juive. En 1084, l'évêque Rudingen de Spire leur concéda un quartier avec une Synagogue, le droit de participer à la défense de la ville et même d'avoir des serviteurs chrétiens (ce qui était interdit dans le Code Théodosien). Enfin, l'abbé Gilbert Crispin écrivit en 1093 Dispute entre un juif et un chrétien, dialogue philosophique montrant en réalité les points communs des deux fois. Pourtant les chose changèrent en 1096, au début de la Première Croisade. Les premiers à partir furent des paysans et quelques chevaliers sans avoirs, mené principalement par Pierre l'Ermite, qui appela d'ailleurs à maintes reprises au massacre des juifs, ce qui fait que les croisés populaires se livrèrent à de nombreuses exactions envers la communauté juive sur la route du Saint-Sépulcre. Ces exactions eurent pour conséquence de remettre au goût du jour l'idée que les juifs sont déicides, le chroniqueur juif Salomon Ben Samson nous dit : « Après s’être rassemblées, [les voix des croisés] recommandèrent le mal contre la nation de Dieu, demandant pourquoi ils devraient se charger de lutter contre les Sarrasins autour de Jérusalem alors qu’en leur sein était une nation qui ne professait pas de respect pour leur religion (chrétienne), et que de plus, les ancêtres (de cette nation) avaient crucifié leur seigneur »[1]. Cette idée justifia les persécutions des juifs pendant tout le Moyen Âge et l’Époque Moderne, et fut également une des raisons de l'Antisémitisme de l’Époque Contemporaine.

Massacre de Rouen (1096)[modifier | modifier le code]

Conversions forcées[modifier | modifier le code]

Guibert de Nogent nous raconte que des croisés se seraient demandés : « Notre intention est d'aller attaquer les ennemis de Dieu en Orient, non sans avoir à traverser de vastes territoires, alors que nous avons ici même, sous nos yeux, les Juifs. Or il n'existe pas de race plus hostile à Dieu. Voilà qui n'a ni queue ni tête ! »[2] Ils placèrent les malheureux dans des églises "par violence ou par ruse - je ne saurais préciser", et les forcèrent à se convertir sous la menace du glaive. Nous ne savons pas grand chose sur ce massacre, Guibert de Nogent en est l'unique source et est assez avare en détails. Nous savons seulement que Guillaume, comte d'Eu, était présent à ce massacre et que c'est lui qui sauva le jeune Guillaume le Juif.

Rapts[modifier | modifier le code]

Nous savons que pendant les massacres de juifs en Rhénanie, des croisés enlevèrent des enfants juifs pour les convertir de force, il est donc probable qu'il y en ait eu également à Rouen, d'autant plus que beaucoup de familles juives se plaignirent à Guillaume le Roux pour que leurs proches, convertis de force et/ou enlevés, reviennent dans leur communauté. Le cas de Guillaume le Juif s'apparente à un rapt, s'il a commencé comme un sauvetage, sa famille adoptive redoutait que sa famille biologique, qui avait survécu, ne vienne le reprendre et l'incite à revenir au Judaïsme, lui qui s'était converti au christianisme par peur de la mort. C'est pour cette raison que dame Hélissende d'Eu, sa mère adoptive, l'envoya au Monastère de Fly. Il devint moine, resta dans la religion chrétienne, et surtout, sa famille ne pouvait plus réclamer qu'il leur revienne. De toute façon, Guillaume n'avait plus aucune connaissance des lettres hébraïques et était devenu un fervent chrétien, qui rédigea d'ailleurs plusieurs traités de théologie[3].

Conséquences du massacre[modifier | modifier le code]

Ni l’Église, ni les autorités laïques n'approuvèrent ce massacre. Ainsi, Guillaume le Roux, roi d'Angleterre et Duc de Normandie, s'engagea à aider les juifs victimes du massacre. Eadmer le Moine nous raconte que des juifs seraient allés se plaindre au roi que certains de leurs coreligionnaires furent convertis de force. Guillaume les obligea à se reconvertir[4]. En réalité, nous savons qu'il a donné le droit aux juifs convertis de force de revenir à leur ancienne religion, ce que beaucoup firent. C'est d'ailleurs pour ça que Guillaume le Juif fut placé au Monastère de Fly, dans le Beauvaisis et non plus en Normandie, échappant alors à l'autorisation du roi d'Angleterre qui était bien trop judaïsant et judéophile pour ses contemporains.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Salomon b. Samson, ibid., p. 18, en haut ; Eliézer b. Nathan, ibid., p. 40.[source insuffisante]
  2. G. de Nogent (trad. Edmond René Labande), Autobiographie, Paris, Les Belles Lettres, .
  3. Dahan 1978.
  4. Eadmeri Monachi Cantuariensis Historiae Novorum

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Jessie Sherwood, « A Convert of 1096: Guillaume, Monk of Flaix, Converted from the Jew », Viator, vol. 39, no 1,‎ , p. 1-22 (DOI 10.1484/J.VIATOR.1.100111).
  • Norman Golb, Les Juifs de Rouen au Moyen Âge : Portrait d’une culture oubliée, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, (ISBN 9791024011134, OCLC 1235826240).
  • Gilbert Dahan, Guillaume de Flay et son Commentaire du Livre des Juges : Études et édition, Paris, Études Augustiniennes, (OCLC 468895116) — Extrait de la revue Recherches Augustiniennes et Patristiques, vol. 13 p. 37-104 (OCLC 5864710405)
  • Gilbert Dahan, « Quelques réflexions sur l'antijudaïsme chrétien au Moyen », Âge, Histoire, Économie et Société, no 3,‎ , p. 355-366
  • Bernhard Blumenkranz, Juifs et chrétiens dans le monde occidental : 430-1096, Paris, Louvain, (OCLC 949204275).

Articles connexes[modifier | modifier le code]