Esprit Mortemart

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Mme de Montespan et ses enfants

L'esprit Mortemart, ou esprit des Mortemart, est une forme particulière d'esprit, ou d'humour, que l'on prête traditionnellement aux membres de la maison de Rochechouart-Mortemart à partir du XVIIe siècle[1],[2].

Définitions[modifier | modifier le code]

Ernest Lavisse parle de « l'esprit vanté des Mortemart, naturel, fin, trouveur de choses inattendues, un esprit qui avait l'art d'en donner aux autres[3] », Jean-François Solnon indique que « l'esprit brillant et caustique des Mortemart » était « célèbre »[4] et Jean-Christian Petitfils évoque « ce fameux esprit des Mortemart, que les contemporains décrivent comme une manière particulière de tourner la plaisanterie, de lancer des saillies malicieuses assaisonnées de “picoteries”, badines ou cruelles, et de singer d'un air moqueur les courtisans les mieux établis[5] ».

Les Mortemart[modifier | modifier le code]

Cette notion apparaît notamment lorsque Mme de Sévigné remarque chez Mme de Montespan, qui est une Mortemart, « cet esprit héréditaire dans sa famille ». L'expression revient au XVIIIe siècle sous la plume du mémorialiste Dreux du Radier : « L'esprit était tellement affecté à la maison de Mortemart qu'on a dit longtemps à la cour l'esprit des Mortemart, pour dire un tour fin dans la manière de penser[6]... » De même, Victor Cousin parlera de l'« esprit Mortemart » au sujet de Marie-Madeleine de Rochechouart, surnommée « la reine des abbesses », sœur de Mme de Montespan.

Saint-Simon et Proust[modifier | modifier le code]

C'est surtout Saint-Simon qui consacre cette formule en l'utilisant dans ses Mémoires. Il évoque les descendants de Gaspard de Rochechouart, marquis de Mortemart (1575-1643), sur quatre ou cinq générations[7], en attribuant un caractère héréditaire à leur « esprit » : Mme de Montespan, le maréchal-duc de Vivonne[8], Mme de Thianges, le duc du Maine, la duchesse d'Orléans, la duchesse de Berry, Marie-Élisabeth de Castries...

Le paradoxe que relève Proust est que Saint-Simon ne donne pas d'exemples précis de cet « esprit Mortemart »[9] et il s'en étonne à plusieurs reprises dans sa Correspondance[10],[7]. Dans À la recherche du temps perdu, il crée le personnage d'Oriane, duchesse de Guermantes, qui possède au plus haut point l'« esprit des Guermantes » car, « si l’on disait le teint et les cheveux des Guermantes, on disait aussi l’esprit des Guermantes comme l’esprit des Mortemart »[11]. Oriane incarne ainsi un équivalent de l'« esprit Mortemart »[12] dont les reparties sont admirées par le « faubourg Saint-Germain ».

Talleyrand[modifier | modifier le code]

Un descendant des Mortemart qui n'en porte pas le nom est Talleyrand, arrière-petit-fils de Marie-Françoise de Rochechouart[13], qui l'a élevé. Dans ses Mémoires, « il s'étend sur les charmes de l'esprit Mortemart[14] », entre autres lorsqu'il écrit à propos de son arrière-grand-mère : « Elle avait conservé ce que l'on appelait encore l'esprit des Mortemart : c'était son nom[15]. »

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Cette maison est à ce jour la plus ancienne des familles nobles de France.
  2. « Mme de Montespan et l'esprit des Mortemart »
  3. Ernest Lavisse, Louis XIV, Laffont, « Bouquins », 1989, p. 705.
  4. Primi Visconti, Mémoires sur la cour de Louis XIV, introduction et notes de Jean-François Solnon, Perrin, 1988, pp. 7 et 16.
  5. Jean-Christian Petitfils, Louis XIV, Perrin-LGLDM 1995 et 1997, p. 301.
  6. Jean-François Dreux du Radier, Mémoires historiques et anecdotes sur les reines et régentes de France, 1763-1776.
  7. a et b D. J. H. van Elden
  8. Ses mots sont cités par l'abbé de Choisy. Voir aussi Bernadette de Castelbajac, Les Mots les plus drôles de l'histoire, Perrin, 1988.
  9. Plusieurs spécialistes, parmi lesquels Herbert de Ley (Marcel Proust et le duc de Saint-Simon, Urbana, London, 1966), relèvent, sinon une totale absence d'exemples de cet « esprit », du moins un manque de précision de la part de Saint-Simon. Le mémorialiste « s'en tient en effet à des généralités sur le tour si particulier de ce milieu », écrit Herbert de Ley. (Cité par D. J . H. van Elden.)
  10. Voir notamment la Lettre à Paul Souday citée par D. J. H. van Elden.
  11. [1]
  12. Sylvaine Landes-Ferrali.
  13. « Marie-Françoise de Rochechouart, princesse de Chalais, la propre fille de M. de Vivonne, [...] veuve en premières noces de Michel Chamillart, marquis de Cany. » Cf. Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand, Fayard, 2003, p. 42.
  14. Emmanuel de Waresquiel, op. cit., p. 43.
  15. Cité par Jean Orieux, Talleyrand, Flammarion, 1970, p. 80.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • D. J. H. van Elden, Esprits fins et esprits géométriques dans les portraits de Saint-Simon, chap. « Le mythe de l'esprit Mortemart dans les Mémoires de Saint-Simon », Martinus Nijhoff, La Haye, 1975
  • Sylvaine Landes-Ferrali, Proust et le Grand Siècle, Gunter Narr Verlag, Tübingen

Voir aussi[modifier | modifier le code]