Bruges-la-Morte

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Ceci est une version archivée de cette page, en date du 1 janvier 2015 à 17:34 et modifiée en dernier par Jules* (discuter | contributions). Elle peut contenir des erreurs, des inexactitudes ou des contenus vandalisés non présents dans la version actuelle.

Bruges-la-Morte est un roman de l'écrivain belge d'expression française Georges Rodenbach (1855-1898), considéré comme un chef-d'œuvre du symbolisme, publié d'abord en feuilleton dans les colonnes du Figaro du 4 au 14 février 1892, puis en volume en mai de la même année, chez Flammarion.

Cet ouvrage, dont le personnage central est la ville de Bruges[1] elle-même, remportera un grand succès, rendant son auteur célèbre du jour au lendemain, et contribuera grandement à la renommée de la cité flamande.

Mais pour avoir décrit, en français, Bruges, le cœur battant de la Flandre sous un aspect nostalgique et avoir mené campagne contre le projet de Bruges-port de mer, ou Zeebruges, Georges Rodenbach est toujours persona non grata dans sa ville d'élection. Alors qu'il a largement contribué à sa renommée et donc à une partie de son regain économique.

Né à Tournai, déclinant des thèmes flamands en langue française, comme Verhaeren, Georges Rodenbach, premier écrivain belge à réussir à Paris, annonce toutes les contradictions de la Belgique actuelle. Son cousin, le poète Albrecht Rodenbach était d'ailleurs l'un des chantres d'une Flandre nationaliste en voie d'émancipation.

L'avertissement

Dans l'avertissement placé en tête de son livre, Rodenbach écrit :

« Dans cette étude passionnelle, nous avons voulu aussi et principalement évoquer une Ville, la Ville comme un personnage essentiel, associé aux états d'âme, qui conseille, dissuade, détermine à agir.
Ainsi, dans la réalité, cette Bruges, qu'il nous a plu d'élire, apparaît presque humaine… Un ascendant s'établit d'elle sur ceux qui y séjournent. Elle les façonne selon ses sites et ses cloches.
Voilà ce que nous avons souhaité de suggérer : la Ville orientant une action ; ses paysages urbains, non plus seulement comme des toiles de fond, comme des thèmes descriptifs un peu arbitrairement choisis, mais liés à l'événement même du livre.
C'est pourquoi il importe, puisque ces décors de Bruges collaborent aux péripéties, de les reproduire également ici, intercalés entre les pages : quais, rues désertes, vieilles demeures, canaux, béguinage, églises, orfèvrerie du culte, beffroi, afin que ceux qui nous liront subissent aussi la présence et l'influence de la Ville, éprouvent la contagion des eaux mieux voisines, sentent à leur tour l'ombre des hautes tours allongée sur le texte. »

Résumé de l'œuvre

Hugues Viane, fuyant une ville « cosmopolite », probablement Paris, s'est fixé au Quai du Rosaire à Bruges. Il y mène, avec sa pieuse servante, une vie calme et retirée, cultivant sa douleur dans le souvenir de son épouse disparue. De celle-ci, il a conservé dans un coffret de cristal une tresse blonde qu’il vénère chaque jour. Ce n'est pas au hasard qu'il a choisi Bruges. Personnage principal et omniprésent, la cité s'associe à son chagrin, s'assimile même à la morte. Un soir, à la sortie de Notre-Dame, Hugues rencontre une jeune inconnue dont la ressemblance avec la défunte le remplit de stupeur. Il la prend en filature jusqu'au Théâtre. Là, il découvre que Jane Scott joue le rôle d’une danseuse dans Robert le Diable de Meyerbeer. En devenant son amant, il espère retrouver le bonheur qu'il a connu avec sa compagne. La ville austère lui reproche cette liaison scandaleuse… Le récit se termine en tragédie. Lors de la procession du Saint-Sang, Hugues Viane étrangle la comédienne avec la chevelure qu’elle a, sans le savoir, profanée.

Roman de gare, thriller avant la lettre, poème en prose écrit dans une langue magistrale, mythe d'Orphée revisité, conte initiatique, Bruges-la-Morte, cette œuvre universelle, pièce maîtresse du symbolisme littéraire offre une pluralité d’interprétations qui continue de lui assurer un succès constant.

Le roman a été mis en musique en 1920 par le compositeur autrichien Erich Wolfgang Korngold dans son opéra « Die tote Stadt » (La Ville morte).

EST-CE UN ROMAN OU NON ?

Le livre présente une série d'enjeux esthétiques et formels qui sont en lien avec la philosophie symboliste.

Il y a cependant un problème de représentation, puisque le symbolisme se présente comme incapacité d'écrire un récit, il y a là un problème esthétique dans l'écriture d'un roman symbolique.

CE QUE LE LIVRE DIT

Ce n'est pas un roman sur une histoire, mais bien le récit d'une ville. En lui donnant son titre, il lui accorde toute l'importance d'un personnage, car ceux-ci ne sont pas l'élément central du roman.

Cela dit, le roman ne contredit pas les récits réalistes (qui vise une étude), mais il se fond avec le récit symbolique, qui lui se veut une étude des passions.

le thème de la ville est donc le thème central du récit :

  1. Sert de paysage
  2. Sert de décor
  3. Sert de passion

Le roman met en scène un double discours qui vise l'étude des passions (donc étude il y a au sens réaliste) et le texte (texte au sens où se déroule une trame et des tissus circonstanciels).

Le roman en tant qu'étude aboutit ce faisant à un récit. Récit qui témoigne une impossibilité d'atteindre un idéal. (p. 269 Bruges-la-morte, le meurtre de Jane). La seule possibilité du récit se trouve dans le thème de la mort. Par possibilité, comprenons l'atteinte de l'Idéal telle que vue par les symbolistes :

"la poésie symbolique cherche à vêtir l'Idée d'une forme sensible qui, néanmoins, ne serait pas son but à elle-même, mais qui, tout en servant à exprimer l'Idée, demeurerait sujette. L'Idée, à son tour, ne doit point se laisser voir privée des somptueuses simarres des analogies extérieures ; car le caractère essentiel de l'art symbolique consiste à ne jamais aller jusqu'à la concentration de l'Idée en soi. Ainsi, dans cet art, les tableaux de la nature, les acions des humains, tous les phénomènes concrets ne sauraient se manifester eux-mêmes ; ce sont là des apparences sensibles destinées à représenter leurs affinités ésotériques avec des Idées primordiales[2]."

Hugues touche la mort et s'y perd à ne jamais complètement se perdre physiquement. Il est habité par des passions, notamment la tristesse, la mélancolie (qui est alimentée par le décor sombre de la ville et le monde physique), le ressentiment et l'amour. Il se perd dans ses passions et l'Idéal recherché est la mort. C'est pourquoi Jane s'offre comme possibilité. Elle est une copie conforme de la morte (la femme décédée de Hugues).

rapport analogique :

Hugues cherche à totaliser son expérience. Il recherche la totalisation paradigmatique, la répétition donne alors une unité totale, répétitions de mot, mais aussi de sens. Se répéter la morte, c'est vider le sens du symbole de la morte. Ce symbole est donc disposé à se remplir, c'est pourquoi Jane devient la figure analogique de la morte, puisqu'elle incarne une représentation parfaite de la défunte. Elle devient littéralement le symbole.

Cinéma

Le roman a été adapté deux fois au cinéma : en 1915 par Evgueni Bauer sous le titre Rêves et en 1981 par Roland Verhavert sous le titre presque éponyme Brugge, die stille.

Dans un article publié dans "Le Monde de Rodenbach"[3], Ana Gonzalez Salvador, directrice du Centre d'Études pour la Belgique, a démontré que le cinéaste Alfred Hitchcock s'est inspiré de Bruges-la-Morte, au travers du roman policier D'entre les morts de Boileau-Narcejac, pour son film Sueurs froides.

Thèmes

La chère disparue ou le mythe d'Eurydice.

La Gnose

Articles connexes

Sur les autres projets Wikimedia :

Liens externes

Notes et références

  1. Dans son roman Bruges la vive Dominique Rolin donnera une vision différente de la ville de Bruges
  2. Jean MORÉAS, "Manifeste du symbolisme", dans Le Figaro, 18 septembre 1886 ref: https://www.berlol.net/chrono/chr1886a.htm
  3. En 1999, éd. Labor à Bruxelles.