Problème du mot pour les groupes

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En mathématiques, plus précisément dans le domaine de la théorie combinatoire des groupes, le problème du mot pour un groupe de type fini G est le problème algorithmique de décider si deux mots en les générateurs du groupe représentent le même élément.

Plus précisément, si X un ensemble fini de générateurs pour G, on considère le langage formel constitué des mots sur X et son ensemble d'inverses formels qui sont envoyés par l'application naturelle sur l'identité du groupe G. Le problème du mot est le problème algorithmique qui consiste à décider de l’appartenance ou non d'un mot à ce langage formel. On peut voir que si Y est un autre ensemble de générateurs pour G, alors le problème du mot avec l'ensemble Y est équivalent au problème du mot avec ensemble X. On peut donc parler sans ambiguïté de la décidabilité du problème du mot pour un groupe G de type fini.

Un problème différent mais lié est le problème du mot uniforme pour une classe K de groupes donnés par un ensemble récursif de présentations ; le problème algorithmique est alors de décider, étant donné une présentation P d'un groupe G de la classe K, si deux mots représentent le même élément de G. On peut aussi considérer que la classe K est définissable seulement par un ensemble récursivement énumérable de présentations.

Le problème du mot est indécidable dans le cas général, mais est décidable pour de nombreux groupes. Par exemple, les groupes polycycliques (en) ont un problème du mot décidable ; de même, l'algorithme de Todd-Coxeter[1] et la complétion de Knuth-Bendix[2] donnent des résultats effectifs. D'un autre côté, le fait qu'un algorithme particulier ne s'applique pas dans un cas particulier n'implique pas que le problème du mot est indécidable. Par exemple, l'algorithme de Dehn ne résout pas le problème du mot pour le groupe fondamental du tore, et pourtant ce groupe est le produit direct de deux groupes cycliques infinis et possède donc un problème du mot décidable.

Une description plus concrète[modifier | modifier le code]

On considère une présentation donnée par un couple est l’ensemble des générateurs et l’ensemble des relateurs. Le problème du mot consiste à déterminer si deux mots sur et son inverse représentent le même élément du groupe modulo les relateurs. Plus formellement, soit un groupe de type fini, donné par une présentation avec X fini. On considère l'alphabet , où est un alphabet disjoint de et en bijection avec ; ses éléments représentent les inverses formels des éléments de . On considère l'application tel que engendre , étendue en un morphisme surjectif du monoïde libre sur . Le problème du mot consiste alors à déterminer si , où si pour deux mots et , et où est l'inverse formel de dans et où est l'élément neutre de . De manière équivalente, le problème est décider si pour un mot de , donc si appartient au langage formel

.

Par un raccourci un peu elliptique, on dit aussi que l'ensemble est le problème du mot. On dit aussi que le problème du mot est résoluble si l'appartenance au langage est décidable.

Exemples[modifier | modifier le code]

Groupes avec un problème de mot résoluble[modifier | modifier le code]

Les groupes suivants ont un problème de mot résoluble :

Groupes avec un problème de mot indécidable[modifier | modifier le code]

  • Soit X est un ensemble récursivement énumérable d'entiers naturels où le problème d'appartenance est indécidable. Alors le groupe est de type fini avec une présentation récursivement énumérable et dont le problème du mot est indécidable[5].
  • Tout groupe de type fini avec une présentation récursivement énumérable et un problème du mot indécidable est un sous-groupe d'un groupe de type fini avec un problème du mot indécidable[6]
  • Le nombre de relateurs d'un groupe finiment présenté avec un problème du mot indécidable peut être égal à 14[7] ou même 12[8],[9].
  • Un exemple explicite d'une présentation avec un problème du mot indécidable est le suivant[10],[11] :
générateurs :
relations : (commutations), et de plus

Résultat généraux[modifier | modifier le code]

  • Théorème de Boone-Rogers : Il n'existe pas d'algorithme partiel qui résout le problème du mot dans tous les groupes de type fini ayant un problème du mot résoluble.En d'autres termes, le problème du mot uniforme n'est pas résoluble pour la classe de tous les groupes finiment présentés.
  • Théorème de Boone-Higman : Un groupe finiment présenté a un problème du mot résoluble si et seulement s'il peut être plongé dans un groupe simple qui, lui, peut être plongé dans un groupe finiment présenté.
  • Le résultat suivant a été démontré par Bernhard Neumann et Angus Macintyre:Un groupe finiment présenté a un problème du mot résoluble si et seulement s'il peut être plongé dans tout groupe algébriquement clos (en).
  • Pour les groupes simples :Un groupe simple présenté récursivement a un problème du mot résoluble.Le problème du mot est uniformément résoluble pour la classe des groupes simples finiment présentés.

Note historique[modifier | modifier le code]

Les calculs dans les groupes sont souvent effectués en utilisant diverses formes normales. L'existence d'une telle forme normale résout en général implicitement le problème du mot pour les groupes étudiés. En 1911 Max Dehn propose de considérer le problème du mot comme un sujet d'étude important en lui-même[12], de même que le problème de conjugaison (en) et le problème de l'isomorphisme de groupes (en). En 1912, il donne un algorithme pour résoudre le problème du mot et le problème de conjugaison pour les groupes fondamentaux de variétés fermées orientables de dimension 2 de genre supérieur ou égal à 2[13]. D'autres auteurs ont ensuite étendu grandement l'algorithme de Dehn et l'ont appliqué à de nombreux problèmes de décision[14],[15],[16].

En 1955, Piotr Novikov montre qu'il existe un groupe finiment présenté G dont le problème du mot est indécidable[17]. Il en résulte immédiatement que le problème du mot uniforme est également indécidable. Une preuve indépendant a été donnée par William Boone en 1958[18].

Le problème du mot a été l'un des premiers exemples d'un problème indécidable qui n'est pas issu de la logique mathématique ou de la théorie des algorithmes, mais de algèbre générale, branche centrale des mathématiques classiques.

Notes et références[modifier | modifier le code]

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Word problem for groups » (voir la liste des auteurs).

Notes[modifier | modifier le code]

  1. (en) J. A. Todd et H. S. M. Coxeter, « A practical method for enumerating coset of a finite abstract group », Proc. Edinburgh Math Soc. (2), vol. 5, pages 25-34, 1936.
  2. (en) D. Knuth et P. Bendix, « Simple word problems in universal algebras », dans J. Leech, Computational Problems in Abstract Algebra, , p. 263-297.
  3. (en) H. Simmons, « The word problem for absolute presentations », J. London Math. Soc., vol. 2, no 6, 1973, p. 275-280.
  4. Lyndon et Schupp 2001.
  5. Collins et Zieschang 1990, p. 149.
  6. Collins et Zieschang 1990, Cor. 7.2.6.
  7. Collins 1969.
  8. Borisov 1969.
  9. Collins 1972.
  10. Collins 1986.
  11. La version présentée est une version corrigée extraite de A Catalogue of Algebraic Systems de John Pedersen.
  12. Dehn 1911.
  13. Dehn 1912.
  14. (en) Martin Greendlinger, « Dehn's algorithm for the word problem », Comm. Pure Appl. Math., vol. 13, no 1,‎ , p. 67-83 (DOI 10.1002/cpa.3160130108).
  15. (en) Roger C. Lyndon, « On Dehn's algorithm », Mathematische Annalen, vol. 166, no 3,‎ , p. 208-228 (DOI 10.1007/BF01361168, lire en ligne).
  16. (en) Paul E. Schupp, « On Dehn's algorithm and the conjugacy problem », Mathematische Annalen, vol. 178, no 2,‎ , p. 119-130 (DOI 10.1007/BF01350654, lire en ligne).
  17. Novikov 1955.
  18. Boone 1958.

Références citées[modifier | modifier le code]

Livres
  • (en) Donald J. Collins et H. Zieschang, Combinatorial Group Theory and Fundamental Groups, Berlin, New York, Springer, (MR 1099152)
  • (en) Roger C. Lyndon et Paul E. Schupp, Combinatorial Group Theory, Springer, coll. « Classics in Mathematics », , xiv+339 (ISBN 3-540-41158-5, lire en ligne) — Réimpression de l'édition de 1977
Articles

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie complémentaire[modifier | modifier le code]

  • (en) William W. Boone, F. B. Cannonito et Roger C. Lyndon (éditeurs), Word Problems: Decision Problem in Group Theory, North-Holland,
  • (en) William W. Boone et G. Higman, « An algebraic characterization of the solvability of the word problem », J. Austral. Math. Soc., vol. 18,‎ , p. 41-53
  • (en) William W. Boone et H. Rogers Jr., « On a problem of J. H. C. Whitehead and a problem of Alonzo Church », Math. Scand., vol. 19,‎ , p. 185-192
  • (en) Sam A. M. Jones et Richard M. Thomas, « Word problems of groups: Formal languages, characterizations and decidability », Theoretical Computer Science, vol. 750,‎ , p. 2-23 (DOI 10.1016/j.tcs.2018.05.007)
  • (en) C. F. Miller, « Decision problems for groups - survey and reflections », dans Algorithms and Classification in Combinatorial Group Theory, Springer, , p. 1-60
  • (en) Carl-Fredrik Nyberg-Brodda, « The word problem for one-relation monoids: a survey », Semigroup Forum, vol. 103,‎ , p. 297-355 (DOI 10.1007/s00233-021-10216-8, lire en ligne)
  • (en) Joseph J. Rotman (en), An Introduction to the Theory of Groups, Berlin, New York, Springer, , 517 p. (ISBN 978-0-387-94285-8, lire en ligne)
  • (en) J. Stillwell, « The word problem and the isomorphism problem for groups », Bulletin AMS, vol. 6,‎ , p. 33-56

Lien externe[modifier | modifier le code]

(en) « Word problem », sur PlanetMath