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Les différentes versions du récit[modifier | modifier le code]

Ce récit vétérotestamentaire est absent de la Bible hébraïque.

Fait surprenant, il existe toutefois deux versions de l'histoire de Suzanne et les vieillards : la première est issue de la Septante, tandis que la seconde est tirée de la version de Théodotion, qui est celle adoptée par Jérôme de Stridon pour développer sa traduction latine de la Bible, la Vulgate. Ainsi, la version de Théodotion consiste en une révision de celle proposée par la Septante et comporte donc quelques passages supplémentaires, soulignant davantage le rôle de Suzanne[1].

Au-delà de la structure du récit, la place qu'il occupe sein du Livre de Daniel diffère également entre ces deux versions : l'histoire de Suzanne et les vieillards se trouve à la fin du Livre dans la Septante, tandis qu'elle se situe au début dans la version de Théodotion/Vulgate.

-         Septante (à la fin) : Daniel 1-12 – Bel et le Dragon – Suzanne

-         Théodotion (au début) : Suzanne – Daniel 1-12 – Bel et le Dragon

Cet ordre a son importance puisque le récit de Suzanne semble indépendant des autres dans la Septante alors qu'il fait office d'introduction dans la version de Théodotion. Dans ce dernier cas, l'histoire de Suzanne participe à légitimer le rôle de Daniel en tant que figure héroïque de l'Ancien Testament[1].

A la fin du IVe siècle, la version de la Septante disparait. La version de Théodotion est alors plus largement adoptée dans la tradition chrétienne, ce qui explique que le texte soit canonique pour les catholiques et apocryphe ou deutérocanonique pour les protestants[2].

Contexte et véracité historique[modifier | modifier le code]

Le récit se déroule à Babylone et évoque la période de l'exil, ce qui correspond à un contexte bien réel bien que l'histoire semble purement fictive. En effet, il n'est pas possible d'établir la véracité de cette histoire, et ce, pour plusieurs raisons : aucune datation précise n'est proposée, contrairement aux autres passages du Livre de Daniel et les noms très communs portés par le père et par le mari de Suzanne ne donnent pas davantage d'indices. Ainsi, l'historicité de ce récit est mise en doute dès l'Antiquité, notamment par Jules l'Africain, chroniqueur chrétien mort vers 240[1].

Il est difficile de déterminer la date d'écriture précise du texte, mais l'hypothèse la plus largement adoptée considère qu'il date du IIe siècle av. J. - C. L'histoire de Suzanne et les vieillards est donc écrite dans un contexte de domination grecque et laisse transparaitre les tensions alors en présence au sein de la communauté juive. Dans ce cadre, une distinction est notamment faite entre les filles d'Israël et les filles de Juda dans le verset 57[1] : "C’est ainsi que vous agissiez avec les filles d’Israël et elles, par crainte, avaient commerce avec vous, mais une fille de Juda n’a pu supporter votre démence dans l’iniquité."

Évocations artistiques[modifier | modifier le code]

Histoire de l'iconographie[modifier | modifier le code]

Suzanne et les vieillards, Catacombe de Praetextat, Rome
Suzanne et les vieillards, milieu du IVe siècle, Fresque murale, Catacombe de Praetextat

Les premières représentations connues datent de la période paléochrétienne, plus précisément du IIIe siècle ap. J. -C.[1], avec des exemples relevés dans une dizaine de catacombes mais aussi sculptés sur la cuve ou le couvercle de plusieurs sarcophages. Ces représentations retracent alors les différentes scènes suggérées par le récit biblique, c'est-à-dire aussi bien le moment du bain que celui du procès ou encore la punition des vieillards. Suzanne apparaît alors généralement en orante et les représentations de la nudité lors du bain sont rares, cette scène évoquant davantage la cérémonie du Baptême. La représentation de ce récit consistait alors à démontrer une innocence injustement bafouée face à la méchanceté humaine et bienheureusement sauvée par l'intervention divine. Dans ce cadre, des représentations allégoriques de ce récit sont développées, telle que celle de la catacombe de Praetextatus, à Rome, représentant Suzanne et les vieillards sous la forme d'une brebis (Suzanne) flanqué de loups (vieillards)[3].

Le thème se perd pendant plusieurs siècles, avant de réapparaitre eu milieu du IXe siècle dans les bibles, les psautiers, ou encore les livres d'heure. Entre le IXe siècle et le XVe siècle, la représentation de Suzanne et les vieillards est de moins en moins allégorique mais ne se concentre pas encore sur la scène du bain, comme ce sera le cas plus tard. A l'image de l'art paléochrétien, les représentations médiévales se concentrent surtout sur la représentation de l'innocence bafouée, comme une illustration exemplaire du Bien face au Mal et surtout de la victoire du premier sur le second[3].

VALENTIN DE BOULOGNE, L'Innocence de Suzanne reconnue
VALENTIN DE BOULOGNE, L'Innocence de Suzanne reconnue, vers 1627-1629, Huile sur toile, Paris, Musée du Louvre, © 2015 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

Au cours du XVe siècle, le thème passe lentement du religieux au profane. Il s'agit d'une période charnière qui consiste en une transition de l'allégorie vers le réel, de la sainte vers la femme. Dans ce cadre, les représentations se concentrent davantage sur la scène du bain, et sa nudité occupe une place centrale. La prégnance érotique du sujet s'impose entre le XVIe et le XIXe siècle, réduisant l'importance des autres passages du récit, comme le procès notamment. Quelques rares artistes décident toutefois de développer cette dernière scène, et/ou l'intervention de Daniel comme Valentin de Boulogne, Antoine Coypel ou le Titien. La Suzanne au bain de Tintoret, qui date de 1550, apparait alors comme l'œuvre inaugurale dans cette érotisation d'une iconographie biblique. Le peintre vénitien représentera ce sujet six fois, ce qui participera ainsi à développer une véritable saison de Suzanne dans la peinture vénitienne de la seconde moitié du XVIe siècle[1]. Plus généralement, c'est toute l'Europe qui développera une représentation picturale de ce sujet par la suite[1].

JACOPO TINTORETTO, Suzanne au bain
JACOPO TINTORETTO, Suzanne au bain, 1550, Huile sur toile, 167x238cm, Musée du Louvre, Paris, © RMN-GP (musée du Louvre) / Thierry Le Mage
LUDOVIC CARRACHE, Suzanne et les vieillards
LUDOVIC CARRACHE, Suzanne et les vieillards, Dessin, Paris, Musée du Louvre, © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) - A. Didierjean

Le caractère érotique des œuvres prend parfois la forme d'une menace imminente pour Suzanne, les vieillards passant d'une attitude relativement passive à une véritable agressivité dans certaines œuvres. Ainsi, chez Jacques Blanchard, Ludovic Carrache ou Cristofana Allori, c'est bien un viol qui est suggéré avec deux vieillards qui profitent de leur supériorité physique et de leur force physique[3]. Si l'attitude des vieillards connait quelques variantes, le thème restera très fréquemment traité jusqu'au XVIIIe siècle avec une nette préférence pour la représentation de la nudité de Suzanne durant la scène du bain. Les seules innovations que l'iconographie connait alors concerne l'approche stylistique et/ou des détails de la composition[4].

En France, l'iconographie connaitra un renouvellement radical avec Delacroix et Manet[4]. Si l'érotisation de Suzanne se poursuit dans la peinture contemporaine, la représentation du corps de la jeune femme devient également de plus en plus réaliste. Dans ce cadre, il est possible de citer en exemple la Suzanne de l'artiste américain Thomas Hart Benton peinte en 1938. Pablo Picasso a lui aussi abordé le sujet au milieu du XXe siècle, en représentant Suzanne de la même manière que ses autres nus couchés.

Bethsabée et Suzanne[modifier | modifier le code]

JEAN COLOMBE, Bethsabée au bain, Horae ad usum Romanum, dites Heures de Louis de Laval, dernier quart du XVe siècle, BnF, Paris
JEAN COLOMBE, Bethsabée au bain, Horae ad usum Romanum, dites Heures de Louis de Laval, dernier quart du XVe siècle, BnF, Paris
JEAN COLOMBE, Suzanne et les Vieillards, Horae ad usum Romanum, dites Heures de Louis de Laval, dernier quart du XVe siècle, BnF, Paris
JEAN COLOMBE, Suzanne et les Vieillards, Horae ad usum Romanum, dites Heures de Louis de Laval, dernier quart du XVe siècle, BnF, Paris

L'iconographie de Suzanne et les vieillards permet de développer une représentation double du voyeurisme, avec d'une part les vieillards qui observe Suzanne dénudée et d'autre part le spectateur de l’œuvre, qui observe également le corps de la jeune femme. Cette mise en situation de spectateur-voyeur se développe petit à petit à partir du XVe siècle[3]. Par la suite, cette thématique deviendra un sujet récurrent en histoire de l'art et sera utilisée dans d'autres iconographies, notamment bibliques, comme celle du personnage de Bethsabée.

Ainsi, il est intéressant de noter que Suzanne et Bethsabée sont les deux seules figures bibliques féminines représentées pendant leurs bains et qu'elles sont toutes deux épiées, par les vieillards pour Suzanne et par David pour Bethsabée. Toutefois, dans le cas de cette dernière, le récit biblique est plus ambigu puisqu'elle est considérée comme étant la femme qui a entrainé David dans le vice. Contrairement à Suzanne, Bethsabée n'est pas un personnage moral. Ce caractère négatif de Bethsabée explique notamment son faible succès iconographique par rapport à Suzanne[3]. Ainsi, les représentations de Bethsabée s'inscrivent généralement dans des cycles plus vastes relatant l'histoire de David. Pourtant, des exemples de représentations de Suzanne en regard de Bethsabée sont à noter, comme celles des Heures de Laval, manuscrit enluminé par Jean Colombe dans le dernier quart du XVe siècle[1]. Ce rapprochement iconographique participe à reconsidérer la figure de Suzanne comme étant davantage ambivalente puisque Bethsabée est "citée parfois comme exemple négatif du pouvoir des femmes sur le cœur des hommes" (Joséphine Le Foll)[1]. Une confusion entre les deux iconographies est donc possible, notamment dans les œuvres où les vieillards sont presque absents de la représentation.

  1. a b c d e f g h et i Jacques Henric, Joëlle Ferry et Joséphine Le Foll, Suzanne et les vieillards, Paris, Desclée de Brouwer,
  2. Marie-Louise Fabre, Suzanne ou Les avatars d'un motif biblique, Paris, L'Harmattan,
  3. a b c d et e Jacques Bonnet, Femmes au bain ou du voyeurisme dans la peinture occidentale, Paris, Hazan,
  4. a et b Jean-Claude Prêtre, Michel Butor, Yves Christie, Alain Grosrichard, Marc Le Bot et Achille Oliva Bonito, Suzanne : Le procès du modèle, Paris, La Bibliothèque des Arts,