Théorème des six exponentielles

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Conjecture d'indépendance algébrique des logarithmes  
 
Conjecture
forte
des quatre
exponentielles
Conjecture
pointue
des quatre
exponentielles
Conjecture
des quatre
exponentielles
   
Conjecture
forte
des cinq
exponentielles
Conjecture
pointue
des cinq
exponentielles
Théorème
des cinq
exponentielles
 
Théorème
fort
des six
exponentielles
Théorème
pointu
des six
exponentielles
Théorème
des six
exponentielles
Implications logiques entre divers théorèmes et conjectures de cette famille. Les cases en vert correspondent aux théorèmes démontrés, celles en rouges à des conjectures.

En mathématiques, et plus spécialement dans la théorie des nombres transcendants, le théorème des six exponentielles, publié par Serge Lang et Kanakanahalli Ramachandra dans les années 1960, garantit, sous certaines conditions, l'existence d'au moins un nombre transcendant parmi six nombres écrits sous forme exponentielle.

Ce théorème permet donc de prouver la transcendance d'un nombre, en mettant en évidence qu'il fait partie de six nombres vérifiant les hypothèses du théorème, dès lors que les cinq autres sont algébriques.

Il existe de nombreuses variantes de ce théorème, dont certaines sont encore des conjectures. Le diagramme ci-contre montre les implications logiques entre tous ces résultats ou conjectures.

Énoncé[modifier | modifier le code]

On note ℚ le corps des rationnels et L le ℚ-espace vectoriel des « logarithmes de nombres algébriques », c'est-à-dire l'ensemble des nombres complexes dont l'exponentielle est un nombre algébrique. Le théorème des six exponentielles dit que si, dans une matrice 3×2 à coefficients dans L, chaque ligne et chaque colonne est ℚ-libre (ou, ce qui revient au même : ℤ-libre), alors cette matrice est de rang 2 sur ℚ :

Théorème des six exponentielles — Soient x1, x2, x3 trois complexes ℚ-linéairement indépendants et y1, y2 deux complexes également ℚ-linéairement indépendants. Alors, l'un au moins des six nombres exp(xiyj) est transcendant[1].

Historique[modifier | modifier le code]

Le théorème des six exponentielles n'a été officiellement formulé et démontré que dans les années 1960, indépendamment, par Lang[2] et Ramachandra[3]. Cependant, Lang admet[1] « qu'il peut être considéré comme un corollaire d'un résultat de Schneider[4], et que Siegel [son directeur de thèse] le connaissait[5] ». En effet, dans un article de 1944, Leonidas Alaoglu et Paul Erdős s'appuient sur une communication privée de Siegel à ce sujet pour démontrer que le rapport de deux nombres colossalement abondants consécutifs est toujours soit premier, soit semi-premier ; plus précisément, ils utilisent le cas particulier suivant du théorème[6] : si q, r et s sont trois nombres premiers distincts et x un réel alors « qx, rx et sx ne peuvent pas être simultanément rationnels sauf si x est un entier[5] ». Par exemple si 2x, 3x et 5x sont simultanément rationnels[7] (donc algébriques) alors, puisque (x1, x2, x3) := (log 2, log 3, log 5) est libre, (y1, y2) :=(1, x) est lié, c'est-à-dire que x est rationnel (donc entier, puisque 2x est rationnel).

Théorème des cinq exponentielles[modifier | modifier le code]

Un théorème similaire mais plus fort est le suivant :

Théorème des cinq exponentielles[8],[9] — Soient (x1, x2) et (y1, y2) deux couples de nombres complexes, chaque couple étant ℚ-libre, et γ un nombre algébrique non nul. Alors, l'un au moins des cinq nombres suivants est transcendant :

Il est à son tour impliqué par la conjecture des quatre exponentielles, toujours ouverte, qui prévoit que

Conjecture des quatre exponentielles — Au moins un des quatre premiers nombres de la liste précédente est transcendant.

Autrement dit[10] : le même résultat que le théorème des six exponentielles mais pour une matrice 2×2.

Théorème pointu des six exponentielles[modifier | modifier le code]

Un autre théorème, qui implique celui des cinq exponentielles, est le suivant :

Théorème pointu des six exponentielles[11] — Soient x1, x2 deux complexes ℚ-linéairement indépendants, y1, y2, y3 trois complexes également ℚ-linéairement indépendants, et βij, pour 1 ≤ i ≤ 2 et 1 ≤ j ≤ 3, six nombres algébriques tels que les six nombres exiyj – βij sont algébriques. Alors les six exposants xiyj – βij sont nuls.

Le théorème des cinq exponentielles s'ensuit en posant βij = 0 pour chaque (i, j) ≠ (1, 3), β13 = γ, y3 = γ/x1, et en appliquant le théorème de Baker à (x1y1, x1y2)[11].

Il y a également une version pointue du théorème des cinq exponentielles. C'est la conjecture suivante, qui impliquerait le théorème pointu des six exponentielles :

Conjecture pointue des cinq exponentielles[12] — Soient (x1, x2) et (y1, y2) deux couples de nombres complexes, chaque couple étant ℚ-libre, et α, β11, β12, β21, β22, γ six nombres algébriques avec γ ≠ 0, tels que les cinq nombres suivants sont algébriques :

Alors les cinq exposants sont nuls : xiyi = βij pour chaque (i, j) et γx2 = αx1.

Une conséquence de cette conjecture serait la transcendance — pas encore démontrée — de eπ2, en posant x1 = y1 = β11 = 1, x2 = y2 = iπ, et α = β12 = β21 = β22 = γ = 0.

Théorème fort des six exponentielles[modifier | modifier le code]

Les théorèmes et conjectures dans ce domaine existent également dans leurs versions fortes.

On note ici L* l'espace vectoriel engendré, sur le corps des nombres algébriques, par 1 et l'ensemble L des « logarithmes de nombres algébriques ». Le théorème suivant, démontré par Damien Roy[13], implique le théorème pointu des six exponentielles :

Théorème fort des six exponentielles[14] — Soient x1, x2 deux complexes -linéairement indépendants et y1, y2, y3 trois complexes également -linéairement indépendants. Alors, l'un au moins des six nombres xiyj n'est pas dans L*.

Autrement dit[13] : si, dans une matrice 2×3 à coefficients dans L*, chaque ligne et chaque colonne est -libre, alors cette matrice est de rang 2 sur .

La conjecture suivante, formulée par Michel Waldschmidt[15], impliquerait à la fois le théorème fort des six exponentielles et la conjecture pointue des cinq exponentielles :

Conjecture forte des cinq exponentielles — Soient (x1, x2) et (y1, y2) deux couples de nombres complexes, chaque couple étant -libre. Alors, l'un au moins des cinq nombres suivants n'est pas dans L* :

La conjecture suivante, qui étend le théorème de Baker, impliquerait toutes les conjectures et tous les théorèmes ci-dessus[16] :

Conjecture d'indépendance algébrique des logarithmes — Si des logarithmes de nombres algébriques sont ℚ-linéairement indépendants, alors ils sont algébriquement indépendants.

Généralisation aux variétés de groupes commutatifs[modifier | modifier le code]

La fonction exponentielle ez uniformise la fonction exponentielle sur le groupe multiplicatif Gm. Par conséquent, on peut reformuler le théorème des six exponentielles de façon plus abstraite comme suit :

Soit et soit un homomorphisme de groupes non nul analytique sur C. Soit L l'ensemble des nombres complexes z pour lesquels u(z) est un point algébrique de G. Si un ensemble générateur minimal de L sur ℚ a plus de deux éléments, alors l'image u(C) est un sous-groupe algébrique de G(C).

L'énoncé du théorème des six exponentielles peut ainsi être généralisé à une variété arbitraire de groupes commutatifs G sur le corps des nombres algébriques.

On peut aussi prendre et remplacer « plus de deux éléments » par « plus d'un élément » ; on obtient ainsi une autre variante de la généralisation. Cependant cette « conjecture généralisée des six exponentielles » semble encore hors d'atteinte dans l'état actuel de la théorie des nombres transcendants.

Dans les cas particuliers, mais intéressants, où et , et où sont des courbes elliptiques sur le corps des nombres algébriques, des résultats en direction de la conjecture des six exponentielles généralisées ont été prouvés par Aleksander Momot[17]. Ces résultats impliquent la fonction exponentielle ez et une fonction de Weierstrass resp. deux fonctions de Weierstrass avec des invariants algébriques , au lieu des deux fonctions exponentielles ey1z, ey2z dans l'énoncé classique.

Soit et supposons que n'est pas isogène (en) à une courbe sur un corps réel et que u(C) n'est pas un sous-groupe algébrique de G(C). Alors L est engendré sur soit par deux éléments , soit par trois éléments qui ne sont pas tous contenus dans une droite réelle , où est un nombre complexe non nul. Un résultat similaire existe pour G. = E × E′[17].

Références[modifier | modifier le code]

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Six exponentials theorem » (voir la liste des auteurs).
  1. a et b Serge Lang, « Nombres transcendants », Séminaire Bourbaki, vol. 9, no 305,‎ , p. 407-414 (lire en ligne).
  2. (en) Serge Lang, Introduction to Transcendental Numbers, Reading, Mass., Addison-Wesley, , chap. 2, section 1.
  3. (en) Kanakanahalli Ramachandra, « Contributions to the theory of transcendental numbers. I, II. », Acta Arithmetica, vol. 14,‎ , p. 65-72, 73-88.
  4. (de) Theodor Schneider, « Ein Satz über ganzwertige Funktionen als Prinzip für Transzendenzbeweise », Math. Ann., vol. 121, no 1,‎ , p. 131-140 (lire en ligne).
  5. a et b (en) Leonidas Alaoglu et Paul Erdős, « On highly composite and similar numbers », Trans. Amer. Math. Soc., vol. 56,‎ , p. 448-469 (DOI 10.2307/1990319, lire en ligne), p. 455.
  6. Waldschmidt 2000, p. 15.
  7. Waldschmidt 2000, p. 14, sans détailler le raisonnement, mentionne cette application — à ceci près qu'il suppose 2x, 3x et 5x entiers — puis remarque qu'on peut remplacer 2, 3 et 5 par trois nombres (complexes) algébriques multiplicativement indépendants, et qu'il n'est alors pas utile de restreindre la discussion aux valeurs réelles de x.
  8. Michel Waldschmidt, Diophantine Approximation on Linear Algebraic Groups, coll. « Grundlehren der mathematischen Wissenschaften », (lire en ligne), p. 200 (réimpr. 2013 sur Google Livres))
  9. Michel Waldschmidt, « On the transcendence methods of Gel'fond and Schneider in several variables », dans New Advances in Transcendence Theory, Cambridge University Press, (DOI 10.1017/CBO9780511897184.025), p. 375-398, Corollary 2.2.
  10. Waldschmidt 2000, p. 16.
  11. a et b Waldschmidt 2000, p. 386.
  12. (en) Michel Waldschmidt, « Hopf algebras and transcendental numbers », dans T. Aoki, S. Kanemitsu, M. Nakahara, Y. Ohno, Zeta Functions, Topology, and Quantum Physics: Papers from the symposium held at Kinki University, Osaka, March 3–6, 2003, vol. 14, Springer, coll. « Developments in Mathematics », (lire en ligne), p. 197-219, Conjecture 1.5.
  13. a et b (en) Damien Roy, « Matrices whose coefficients are linear forms in logarithms », Journal of Number Theory, vol. 41,‎ , p. 22-47 (DOI 10.1016/0022-314x(92)90081-y, lire en ligne), Section 4, Corollary 2.
  14. Waldschmidt 2000, p. 399, Corollary 11.16.
  15. Waldschmidt 1988.
  16. (en) Michel Waldschmidt, « Variations on the six exponentials theorem », dans R. Tandon, Proceedings of the Silver Jubilee Conference, University of Hyderabad, Hindustan Book Agency, (lire en ligne), p. 338-355.
  17. a et b Aleksander Momot, « Density of rational points on commutative group varieties and small transcendence degree », arxiv,‎ (arXiv 1011.3368)

Articles connexes[modifier | modifier le code]