Post reditum in senatu

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Post reditum in senatu (Après son retour : au Sénat) est un discours prononcé devant le Sénat par Cicéron le 6 septembre 57, au lendemain de son retour d'exil, triomphal, à Rome. Il y remercie l’assemblée et certains de ses membres, s’en prend à ceux qu’il juge responsables de son infortune et met en évidence toutes ses actions passées au service de la République.

Il est l’un des trois discours conservés qu’il prononça en ce mois de septembre 57, avec le Post reditum in quirites et le De Domo sua.

Le titre[modifier | modifier le code]

Le titre donné par Cicéron n’est pas connu. La tradition en retient plusieurs : Post Reditum in Senatu[1], In Senatu, Cum senatui gratias egit[2].

Contexte[modifier | modifier le code]

Buste de Cicéron (1er s. ap. J.-C.).

L’exil[modifier | modifier le code]

En 63, Cicéron, consul, déjoue la conjuration de Catilina. Sous son autorité, des complices, citoyens romains, sont exécutés sans jugement.

En 59[3], Jules César, consul, se prépare à sa mission en Gaule. Il sera absent de Rome pour des années[4] et se méfie de Cicéron dont l’influence pourrait défaire les mesures qu’il a prises. Ses tentatives de compromis échouent. Il décide donc de faire tomber Cicéron et charge son homme de main Clodius Pulcher, tribun de la Plèbe désigné pour 58, de la tâche. Ce dernier voue une haine féroce envers Cicéron depuis plusieurs années[5].

Clodius ressort l’affaire des exécutions illégales[6] de 63 dès son entrée en charge, ce qui aboutit au vote de l’exil et à la confiscation des biens en mars 58 (Lex de exsilio Ciceronis). Le consul Lucius Pison détient les faisceaux[7] en ce mois de mars, c’est donc lui qui organise le vote.

Le retour[modifier | modifier le code]

Dès le vote de la lex de exsilio, les amis et alliés politiques de Cicéron manœuvrent pour la faire abolir et obtenir le retour du banni[8]. Cela leur prendra plus d’un an de procédures et de négociations avec les triumvirs ou leurs représentants. Finalement, une loi (Lex Cornelia) est votée en juillet 57 : elle prescrit le rappel de Cicéron et la restitution de ses biens. Dès qu’il en est informé, il quitte Dyrrachium, où il était en attente, et gagne l’Italie par la mer. Il débarque à Brindes le 5 août. De là, il gagne Rome où il est accueilli triomphalement le 5 septembre. Le lendemain, au Sénat, il prononce ce discours.

Objectifs de Cicéron à son retour[modifier | modifier le code]

Dans une lettre conservée et adressée à son ami et banquier Atticus[9], Cicéron décrit ses trois objectifs : retrouver son poids politique (splendor, auctoritas), récupérer son patrimoine mis sous séquestre, enfin se venger de ses ennemis.

Contenu[modifier | modifier le code]

Ce bref discours[10] comporte 39 paragraphes dans le découpage actuel.

Cicéron y remercie (gratias agere) le Sénat en son nom mais aussi au nom de sa famille pour les bienfaits (beneficia) dont ses membres les ont gratifiés, lui et ses proches. Il se contente néanmoins mais volontairement[11] de n’en citer nommément qu’un petit nombre. En parallèle, il défend et illustre ses actions antérieures pour le service et le salut de la République.

Dès le § 6, il commence à s’en prendre violemment à ses adversaires, Clodius tout d’abord (6-7), les consuls de 58, Gabinius et Pison, ensuite (8-18).

Dans la suite, il entremêle ces trois thèmes.

Dans la péroraison (§ 37-39), il promet de mettre à nouveau ses qualités au service de l'État.

Le Post Reditum in Senatu est particulièrement soigné[12]. On y retrouve toute la panoplie des effets oratoires que l’auteur avait par ailleurs[13] théorisés : à un style ample de périodes élaborées, quand il remercie ou défend son action, alternent des séquences plus heurtées d’invectives et d’injures, d’interrogations et d’exclamations quand il s’en prend à ses adversaires.

Résultat et suites[modifier | modifier le code]

Le résultat dépasse ses espérances. Son premier objectif est atteint : il retrouve tout son crédit politique. La lettre à Atticus déjà mentionnée, où il fait un bilan de ces premières journées, en atteste :

« Déjà j’ai retrouvé ce qu’en ma position je n’espérais guère, et mon lustre (splendor) au forum, et mon autorité (auctoritas) dans le sénat, et mon crédit (gratia) sur les gens de bien ; le tout au-delà même de mes souhaits. »[14]

Il pourra en user dès le lendemain. Il participe en effet à la séance du Sénat consacrée à la crise frumentaire qui touche Rome en cet été. Il fait jouer son autorité et voter un sénatus-consulte confiant à Pompée, pour cinq ans, tous les pouvoirs, sur tout l’empire, pour garantir l’approvisionnement de Rome en blé[15].

En outre, toujours lors de cette séance, il obtient des magistrats l’autorisation de prononcer devant le peuple romain une version adaptée de son discours. Il le fera le 8. C’est le Post reditum in quirites.

Enfin, les grands thèmes et arguments de sa lutte vengeresse contre les consuls de 58 sont posés dans le discours : indignité, bassesse, illégalités, malversations dans la gestion de leur province. Cela va l’occuper les années à venir (voir l’article In Pisonem).

Reste le dernier objectif, qui est pressant, au dire de sa lettre à Atticus :

« Quant à ma fortune, vous savez comme elle a été renversée, démembrée, anéantie. C’est là mon embarras ; et j’ai grand besoin de recourir, non pas à votre bourse, quoique je la regarde comme mienne, mais à vos conseils, afin de recueillir et sauver quelque débris. »[16]

Cicéron s’y attaque sans délai. La première étape, pour sa dignitas, est de récupérer sa demeure du Palatin, pillée, incendiée et accaparée par Clodius. Il lance la procédure aussitôt et plaide le 30 septembre (De domo sua). Il obtient gain de cause en octobre, ainsi qu'une indemnité de 2 750 000 sesterces[17].

Transmission[modifier | modifier le code]

Plusieurs manuscrits nous ont transmis  les trois discours de septembre 57.  Une analyse fine a permis aux éditeurs de poser que tous proviennent d'un modèle commun. Par élimination des filiations, quatre sont retenus pour les éditions modernes. Le plus ancien (Parisinus 7794 de la Bibliothèque Nationale, IXe siècle) s'avère de loin le plus proche de l'archétype commun. Néanmoins les autres permettent parfois de le corriger ou de le compléter utilement[18].

Bibliographie et ressources en ligne[modifier | modifier le code]

  • Cicéron, Discours, Tome XIII (Au Sénat - Au Peuple - Sur sa maison), texte établi et traduit par P. Wuilleumier, Collection des Universités de France, les Belles Lettres, 1952.
  • Pierre Wuilleumier 1952 : notice et notes (dans la référence précédente).
  • Pierre Grimal, « Le contenu historique du Contre Pison », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, no  1, 1966, p.  95-107 (lire en ligne)
  • Pierre Grimal, Cicéron, Paris, Fayard, 1986, (ISBN 978-2213017860)
  • Post Reditum in Senatu: texte latin sur la latin library.
  • Post Reditum in Senatu: traduction Nisard
  • Cicéron, Correspondance, Ad Att., IV, 1: texte latin sur la latin library.
  • Cicéron, Correspondance, Ad Att., IV, 1: traduction Nisard (lettre 87, erronément datée)

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Titre retenu par la collection Loeb.
  2. Titre retenu par la Collection des Universités de France (coll. Budé).
  3. Sur les évènements de 59/58, voir Grimal 1966 pour une analyse détaillée et Grimal 1986, p.  191-196 pour une synthèse
  4. Les magistrats supérieurs romains (préteur, consul, propréteur, proconsul) ne pouvaient pénétrer dans l'enceinte de Rome quand ils dirigeaient des armées (imperium militaire). Cela s'applique à César pendant tout son proconsulat en Gaule, de 58 à 50.
  5. Cicéron, par son témoignage, avait invalidé son alibi lors d'une affaire qui fit scandale en 62 : Clodius avait assisté, caché, à une cérémonie religieuse réservée aux femmes (les Damia en l'honneur de Bona Dea).
  6. Un point essentiel du droit des citoyens romains stipulait que tout accusé ou condamné à une peine capitale avait un droit d'appel devant le peuple (Ius provocationis). Les exécutés de 63 n'avaient évidemment pas pu en jouir, puisqu'il n'y avait pas eu de procès. Même s'il s'était fait couvrir par un vote du sénat, le consul Cicéron portait la pleine responsabilité légale de la décision. Sur ce point de droit, voir P. Grimal, Introduction à son édition de l'In Pisonem (CUF), p.  9-10 (1er tirage, 1966, pour la pagination).
  7. Quand ils résidaient tous les deux à Rome (hors des campagnes militaires), les consuls alternaient mensuellement le pouvoir effectif. Les faisceaux symbolisaient ce pouvoir. Sur les faisceaux, voir l'encyclopédie Daremberg-Saglio, s.v. "lictor". Lire en ligne
  8. Sur ces points, voir P. Grimal 1986 (chapitre X) et 1966. Pour une synthèse, P. Wuilleumier 195, notice, p. 19-21.
  9. Cicéron, Correspondance, Ad Atticum, IV, 1. Voir ressources en ligne.
  10. Il tient en 24 pages dans l'édition CUF (voir bibliographie).
  11. Cicéron, Pro Plancio, 74 : « Je n’y remerciais nommément qu’un très petit nombre de citoyens ; et comme je ne pouvais les remercier tous, et que j’aurais été coupable d’en omettre un seul, j’avais résolu de ne nommer que ceux qui s’étaient montrés les principaux auteurs et les chefs de mon rétablissement. »
  12. Voir P. Wuilleumier 1952, notice, p. 23-24.
  13. Dans le De Inventione, daté de 84.
  14. Ad Att., IV,1, 3: « nos adhuc, in nostro statu quod difficillime reciperari posse arbitrati sumus, splendorem nostrum illum forensem et in senatu auctoritatem et apud viros bonos gratiam magis quam optaramus consecuti sumus. »
  15. Ad Att., IV, 1, 6: « On rédigea, conformément à mon avis, un sénatus-consulte pour engager Pompée à prendre la direction des vivres, et pour décider la présentation d’une loi au peuple. À la lecture du sénatus-consulte et surtout à mon nom, le peuple éclata étonnantes démonstrations en applaudissements. »
  16. Ad Att., IV, 1, 3: « in re autem familiari, quae quem ad modum fracta, dissipata, direpta sit non ignoras, valde laboramus tuarumque non tam facultatum quas ego nostras esse iudico quam consiliorum ad conligendas et constituendas reliquias nostras indigemus. »
  17. P. Grimal 1986, p. 213
  18. Sur la tradition manuscrite, on consultera P. Wuilleumier 1952, notice p. 28-37. On y trouve le stemma et une liste de variantes et de bonnes leçons des manuscrits secondaires. T. Malowski dans son édition Teubner de 1981 affine encore ce modèle (compte rendu en ligne).