Amers (Saariaho)

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Amers
Genre Musique concertante
Nb. de mouvements 2
Musique Kaija Saariaho
Effectif Violoncelle solo, ensemble, comprenant un piccolo, un hautbois, une clarinette, une clarinette basse, un cor, deux percussionnistes, une harpe, deux claviers, et électronique
Durée approximative 20 minutes
Dates de composition 1992
Commanditaire Ircam, Centre Pompidou et Barbican Centre
Création
Barbican Centre, Londres
Interprètes Anssi Karttunen (violoncelle solo), ensemble Avvanti, Jukka-Pekka Saraste (dir.)

Amers est une œuvre concertante pour violoncelle solo, ensemble, comprenant un piccolo, un hautbois, une clarinette, une clarinette basse, un cor, deux percussionnistes, une harpe, deux claviers, et électronique de la compositrice Kaija Saariaho composée en 1992 et qui constitue une synthèse de la musique spectrale au début des années 1990.

Contexte historique[modifier | modifier le code]

L'œuvre, commande à la fois de l'Ircam, du Centre Pompidou de Paris et du Barbican Centre de Londres s'inspire du recueil éponyme de Saint-John Perse qui prend pour sujet les points de repère qui jalonnent la côte et aide les navigateurs[1]. L'idée première de la pièce était d'abord celle d'un violoncelle soliste qui serait « comme un marin naviguant dans la mer des sons » et dont la traversée, balisée de passages obligatoires induits par l'état de la matière sonore, serait bloquée par son environnement[1]. Si l'œuvre peut être considéré, peut-être à tort, comme un concerto, la compositrice a cependant voulu écarter le principe d'un face-à-face pour l'organiser plutôt en trois plans indépendants mais aussi reliés : le violoncelle seul, l'ensemble instrumental et les sons synthétiques de l'ordinateur[1].

Grâce à l'analyse informatique, Kaija Saariaho a observé la structure de certains sons du violoncelle, et s'est servie de cette étude comme point de départ à son travail de composition[1]. Dans Amers, la synthèse sonore est réalisée à l'aide de modèles de résonance issus du son initial : le trille du mi bémol grave de l'instrument[1]. Ce sont a été choisi dans l'œuvre ...à la fumée[2]. Cette synthèse est complétée par d'autres modèles inspirés des cloches et des percussions[1]. Ainsi, l'écriture harmonique autant que rythmique de la pièce est fondée sur les principes de fusion, de fission et d'interpolation des sons. Cependant, si la compositrice utilise l'électronique pour les rythmes complexes et stricts, ils sont aussi présents sous une forme beaucoup plus livre dans les parties du violoncelle soliste et de l'ensemble instrumental[1]. De plus, Kaija Saariaho utilise la texture sonore, qu'elle épaissie ou affine en unisson, pour en faire émerger des motifs qui se dispersent ensuite[1].

La pièce est créée le au Barbican Centre par Anssi Karttunen en violoncelliste soliste et l'ensemble Avvanti sous la direction de Jukka-Pekka Saraste[1]. La partie d'électronique a, quant à elle, été enregistrée à l'Ircam[1].

Structure[modifier | modifier le code]

L'œuvre est constituée de deux parties :

  1. Libero, dolce, misterioso
  2. Sempre molto energico, ma espressivo

Analyse[modifier | modifier le code]

Si le son choisi est un trille du mi bémol grave du violoncelle, le mode de jeu a aussi son importance : il est joué « vertica », entre note appuyée et effleurée, avec des variations de pression d’archet[2]. C'est d'ailleurs le violoncelle qui ouvre la pièce avec ce trille, et l'œuvre paraît être entièrement construite en résonance à ce son, comme le théorise le courant de la musique spectrale dont l'idée est que l'observation et la restitution du son garantissent la cohérence de la structure musicale au niveau macroscopique comme microscopique[2]. Selon Gérard Grisey : « L’instrumentation et la distribution des volumes et des intensités suggèrent un spectre synthétique qui n’est autre que la projection dans un espace dilaté et artificiel de la structure naturelle des sons »[3]. C'est sur le modèle spectral de ce trille que se fonde l'œuvre[4].

Usage des outils technologiques[modifier | modifier le code]

Les premières esquisses de la pièce montre plusieurs méthodes d'analyse spectrale de la note de mi bémol[2] :

  1. Une analyse spectrale standard qui représente les différentes couches du son sous forme de fréquences et d'amplitudes. ;
  2. Une analyse dite « par modèle de résonance » qui modélise le son sous la forme d'un filtre résonant ;
  3. Une synthèse des modèles physiques qui ne permettent pas d'analyser le son, mais apportent un point de vue conceptuel sur les développements de ce son.

En plus de ce travail d'étude, Kaija Saariaho travaille sur les différentes possibilités d'interpolation ou de transition progressive d'un état sonore à un autre et dont le propre est d'être contrôlé par un algorithme[2]. Ainsi, Amers déploie son geste initial du trille du mi bémol au-delà de la simple trille du violoncelle et ce matériau va s'appliquer autant à l'écriture instrumentale qu'à la synthèse sonore, toute deux mises sur le même plan, et s'influant l'une l'autre[2].

Analyse spectrale et réemploi[modifier | modifier le code]

Kaija Saariaho a d'abord réalisé une analyse FFT afin de déterminer les partiels du son ainsi que leur fréquence et leur amplitude[2]. Grâce aussi à l'algorithme de Terhardt (Iana) qui permet de simplifier les résultats de l'analyse FFT pour se restreindre aux fréquences les plus perceptibles du timbre, la compositrice a pu tirer de cette analyse spectrale brute un modèle pour construire les premiers sons synthétiques de la pièce et de l'analyse filtrée un modèle réduit pour les parties instrumentales[2]. Elle travaille ainsi avec la proximité perceptive entre l'harmonie (spectre réduit) et le timbre (spectre total)[2].

Grâce à l'analyse FFT qui permet une structuration du son en tranches temporelles régulières, la compositrice va pouvoir s'appuyer sur ce matériau pour organiser les premières séquences de la pièces[2]. Ainsi, au début du premier mouvement, le violoncelle lance le trille du mi bémol tout en se mêlant soit aux sons électroniques, soit à l'ensemble instrumental[2].

Cependant, le matériau qu'utilise Kaija Saariaho se trouve être un matériau spectral à trois dimensions : la fréquence, le temps et la profondeur de champ, permettant des effets de focus révélant plus ou moins les détails[2]. De fait, le discours de l'œuvre est basé sur la mise en perspective des différents éléments, souligné tant par l'électronique que par l'ensemble ou le violoncelle seul, plutôt que sur une forme plus traditionnelle[2]. Dans la seconde partie, le même trille est joué, mais à la quinte inférieure pour atteindre le la bémol[2].

L'orchestration se fait à différents degrés de précision à partir du même matériel harmonique ou mélodique, mais dans la continuité de l'orchestration classique : ainsi les cuivres et les percussions énoncent les grandes lignes de l'évolution tonale de façon simplifiée par des tenues ou des impulsions rythmiques[2]. De plus, ces pupitres étant en fond de scène, surcharger leurs traits musicaux brouillerait le message[2].

Dans la première partie, l'électronique a une morphologie simple afin de prendre en charge l'évolution harmonique de la pièce, ponctuée par les cors et les clarinettes sur les éléments principaux de l'harmonie spectrale[2].

Synthèse sonore[modifier | modifier le code]

La synthèse électronique est la moins articulée, prenant la plupart du temps la forme d’une vague[2]. Le modèle spectral est représenté le plus fidèlement possible au niveau du timbre et de l'harmonique mais la complexité rythmique et la gestuelle du trille est simplifiée à l’extrême[2]. Mais parfois, le son de synthèse peut avoir une forte sensation de consonance et fusionne avec le trille du violoncelle, bien qu'il en soit radicalement opposé par son absence d’articulation ains que par sa position acousmatique qui contraste avec la physicalité et les mouvements du soliste mis en valeur[2].

Ensemble instrumental[modifier | modifier le code]

À partir de quelques hauteurs harmoniques issues du modèle réduit du spectre, l’ensemble instrumental expose des rythmes variés[2]. Il se superpose au son synthétique par un effet de calque, tout en étant plus volubile que le modèle spectral[2]. La superposition du modèle complet (son synthétique) et du modèle réduit (ensemble instrumental) entraine une fusion des sons l'un dans l'autre[2]. Dans l'ensemble, ce n'est pas le timbre ou l'harmonie du trille qui importe, mais son énergie agogique, sans cesse renouvelée par des interpolations rythmiques souples[2].

Violoncelle seul[modifier | modifier le code]

Si le principe de la musique spectrale est de chercher à fusionner les sons instrumentaux en un seul son, la présence d'un instrument soliste peut sembler contradictoire[2]. Dans Amers, Kaija Saariaho prend le contrepied de Marc-André Dalbavie et de sa pièce Diadèmes qui est un concerto pour alto, ensemble et électronique datant de 1986 : la compositrice permet au contraire une mise en avant du soliste par l'expression pure de la surface du champ harmonique[2]. Le violoncelle est donc à la fois opposé aux sons synthétiques et aux sons de l'ensemble mais affirme à un autre degré la synthèse du modèle harmonique[2]. Dans son rôle d'instrument à la fois soliste et concertant, le violoncelle exprime autant le son d'origine (le trille en mi bémol) que l'ensemble des sons du modèle réduit ou même la polarité que peuvent avoir certaines notes du modèle complet[2]. La partie de violoncelle, quasi-complète et autonome, va donner lieu à l'écriture d'une « pièce-sœur » : Près (1992-1994), reprenant avec un ordre légèrement différent et en trois mouvements les éléments du violoncelle et de l'électronique d'Amers[5].

Synthèse[modifier | modifier le code]

À partir d'Io, œuvre pour ensemble et bande magnétique de 1987, Kaija Saariaho va systématiser l'emploi de l'analyse spectrale pour bâtir l'harmonie de ses œuvres[2]. Les analyses sont alors porteuses de la dynamique et de la hiérarchisations des niveaux sonores[2]. Dans Amers, ce sont les niveaux de représentation de l'harmonie qui sont hiérarchisés[2]. Cette écriture par superposition des matériaux sonores par « transparence » se fait à partir du dyptique orchestral Du cristal... ...à la fumée pour évoluer, dans Amers, vers une structuration de l'harmonie et de l'instrumentation au moyen de nouvelles analyses spectrales et de la mise en œuvre du principe du « modèle de résonance »[2].

Usage du modèle et écriture de la résonance[modifier | modifier le code]

Dans Amer, le trille de mi bémol joue le rôle de modèle de référence, de point de repère, qui est aussi un point de consonance et de repos du discours, et lancé au début de chaque section de la première partie[6]. Kaija Saariaho organise donc la dynamique des consonances et dissonances entre l'électronique et l'ensemble aussi bien qu'au niveau formel, puisque les moments où la tension est la plus importante sont matérialisés par des sons bruités et une figuration rythmique complexe, qui correspondent aussi à l'état harmonique le plus éloigné du mi bémol d'origine[2]. Au niveau formel, l'alternance du modèle d'origine avec celui du la bémol agit avec le même effet que le trille au niveau local[2].

Synthèse physique du modèle électronique[modifier | modifier le code]

Kaija Saariaho va utiliser métaphoriquement le procédé virtuel de construction du son : dans la création du son, il faut prendre en compte autant les harmoniques du son que l'attaque de ce son, qui sont définit par la taille et la tension de la corde, la pression de l'archet et tous les paramètres physiques qui déterminent un son[2]. Ainsi, dans la première partie, elle développe la ligne du violoncelle autour du concept de construction du son et de résonance du trille, et dans la seconde partie elle travaille, par les sons percussifs, l'aspect physique et gestuel du son créé[2].

De la modélisation à l'abstraction[modifier | modifier le code]

Dans Amers, Kaija Saariaho s'intéresse à la cohérence dans la perception des timbres sonores[2]. À partir d'un même son, elle en tire un modèle spectral qui va se répandre dans la partie de violoncelle, mais aussi dans la partie orchestrale et dans la synthèse additive de fréquences sonores[2]. Ainsi, les gongs sont exprès totalement extérieur au spectre harmonique du trille[2]. Le modèle spectral laisse alors place à un système plus abstrait pourtant issu de lui[2].

Discographie[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f g h i et j Peter Szendy, « Amers, Kaija Saariaho – Note de programme », sur brahms.ircam.fr (consulté le )
  2. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t u v w x y z aa ab ac ad ae af ag ah ai aj ak al am et an Grégoire Lorieux, « Analyse d'Amers de Kaija Saariaho », sur brahms.ircam.fr (consulté le )
  3. Barrière 1991, p. 352.
  4. Wang 1997.
  5. Lorieux 1999.
  6. Lorieux 2004.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Jean-Baptiste Barrière (dir.) et Gérard Grisey, Le Timbre, métaphore pour la composition, Christian Bourgois IRCAM, coll. « Musique, passé, présent », (ISBN 978-2-267-00808-1).
  • Hugues Dufourt (dir.) et Miao Wen Wang, Le son comme élément commun à la grammaire et au matériau : étude de Amers de Kaija Saariaho, Paris, ENS-Ircam, .
  • Geneviève Mathon (dir.) et Grégoire Lorieux, Les pièces sœurs de Kaija Saariaho, à travers deux exemples : Lichtbogen/Stilleben et Amers/Près, Université de Tours, .
  • Grégoire Lorieux, « Une analyse d'Amers de Kaija Saariaho », DEMeter,‎ .
  • Ivanka Stoianova, « Une œuvre de synthèse : analyse d'Amers », Cahiers de l’Ircam, compositeurs d’aujourd’hui no 6 « Kaija Saariaho »,‎ , p. 43-66.

Liens externes[modifier | modifier le code]