Histoire de la philosophie (discipline)
L’histoire de la philosophie est une discipline philosophique à part entière qui occupe une grande place dans l’enseignement universitaire français. Cette importance lui a été accordée au début du XIXe siècle par Victor Cousin, philosophe et ministre de l’Instruction publique en 1840.
Plusieurs points de vue
Dès le début de l’Antiquité se pose la question de l’histoire de la philosophie. Deux points de vue opposés peuvent être dégagés : l'histoire de la philosophie est conçue soit comme marche vers la vérité, soit noyée dans le relativisme.
Marche vers la vérité
Pour Aristote, la philosophie, malgré ses errances, marche toujours vers la vérité, car la réalité nous contraint à corriger les erreurs de nos devanciers[réf. nécessaire]. Aristote examine donc les pensées des premiers philosophes[1]), mais il les déforme[réf. nécessaire] pour mettre en valeur son propre système. Cette pratique restera la règle au moins jusqu’au XVIIIe siècle. La cohérence de la philosophie au point de vue de son histoire[Quoi ?] est donc particulièrement suspecte, car c’est une cohérence fabriquée après coup.
Relativisme philosophique
Si l’on prend conscience de la diversité des systèmes et de leurs différences souvent irréductibles, il semble que l’on soit contraint de discréditer toute pensée et que l’on soit réduit au relativisme le plus extrême. Cet argument fut utilisé très tôt par les premiers sceptiques ; le raisonnement est que l’on ne saurait décider dogmatiquement quel philosophe a raison, car il y en a toujours un autre qui a soutenu, qui soutient ou qui soutiendra le contraire. D’où l’on devrait conclure que tous se trompent et qu’il n’y a pas de vérité dans le devenir historique de l’humanité. Cet argument porterait également contre tous les dogmes religieux. La simplicité du raisonnement et sa clarté paraissent irréprochables. L’argumentation serait pourtant fallacieuse, comme on le verra plus loin avec la philosophie de l'histoire de Hegel.
Problématique de cette discipline
Peut-on penser un devenir de la pensée qui ne soit pas autodestructeur ? La philosophie et l’histoire peuvent-elles être pensées ensemble sans que l’une ou l’autre ne disparaisse ? Faut-il choisir entre une philosophie éternelle de type platonicienne et un relativisme historique sceptique ou nihiliste ?
Une telle mise en question est dirigée contre le concept de vérité, et non contre la cohérence et l’élaboration d’un discours (de type philosophique ou religieux), ou d’une théorie (de type scientifique). Par exemple, un système logique peut être cohérent ; mais selon quel critère peut-il être dit vrai ?
Un des pièges dans lesquels on tombe souvent lorsqu'on écrit l'Histoire, c'est d'interpréter une période, surtout lointaine, avec nos mentalités d'aujourd'hui. L'oubli, conscient ou inconscient, d'un événement, peut dénaturer notre perception de la réalité historique. Ceci est encore plus vrai dans l'histoire de la philosophie. Il est donc important à la fois de restituer les personnages et l'enchaînement des événements dans leur contexte historique, et d'avoir une vision panoramique qui n'ignore aucune des périodes de l'histoire, et s'attache à tous les aspects de l'histoire d'une période (art, sciences, techniques, modes de diffusion de l'information, croyances, politique...)
Les obstacles que l'on rencontre fréquemment sont des préjugés, ou des croyances populaires erronées (voir doxa), qui, participant aux représentations sociales, n'en sont pas moins un miroir déformant de la réalité.
Parvenir jusqu'aux profondeurs des origines de la philosophie est une autre difficulté, car souvent les sources manquent (voir présocratiques).
Un autre risque est celui de la contingence : on oubliera un personnage ou un événement clés qui auraient pu être déterminants dans l'évolution historique. Par exemple, Gerbert d'Aurillac, Averroès, sur les acquisitions ultérieures des connaissances.
On peut aussi interpréter la pensée d'un philosophe d'une façon franco-centrée, ou employer involontairement des termes ambigus.
Perspectives contemporaines
Diverses réponses ont été apportées à ces questions :
Pour comprendre l’histoire de la philosophie, il faut commencer par rappeler comment cette discipline s’est constituée.
Pour Hegel, le relativisme est un prétexte ordinaire, qui permet de négliger le sérieux du travail philosophique. Selon lui, le raisonnement sceptique est faux : « Une seule philosophie peut donc être vraie. Or, comme les philosophies sont diverses, on en conclut que les autres sont nécessairement erronées. » Ce qui est remarquable, c’est que ce raisonnement suppose qu’il y a une vérité unique, autrement dit, son point de départ nie sa conclusion. Aussi, la thèse que « la philosophie est la science objective de la vérité » est-elle paradoxalement admise par le relativiste.
Marx et Engels pensent à la fois que l’Histoire obéit à des lois (lois de la dialectique), et que les sciences et la culture font partie des superstructures de la société. Cette apparente contradiction est critiquée par Popper, mais Sartre tente dans la Critique de la raison dialectique de la résoudre en donnant un sens à la citation : « Ce sont les hommes qui font leur histoire ».
Devenir de la philosophie : tradition continentale et philosophie analytique
La légitimité et la place d’une telle discipline sont problématiques, si l’on se souvient que la philosophie est censée poser des questions fondamentales, que l’on pourrait qualifier d’intemporelles : il ne semble pas nécessaire d’étudier l’histoire de la philosophie, et il suffirait d’étudier simplement les questions qui se posent à nous aujourd’hui.
La philosophie continentale (expression qui désigne les philosophes français et allemands, et plus spécialement ceux qui se réclament de la phénoménologie) privilégie la tradition des auteurs, notamment par un travail d’interprétation qui constitue bien souvent l’essentiel de la formation universitaire. Pour avoir un point de comparaison, il faut savoir que les philosophes anglo-saxons sont plutôt formés d’après des problèmes philosophiques précis (langage, corps et esprit, etc.) et sont sans doute plus critiques que les "continentaux" envers les "classiques" .
On peut très schématiquement dire qu’une opposition s’est constituée entre une philosophie assez relativiste (postmodernisme par exemple), qui ne croit plus en la vérité (qui serait une illusion, ou l’instrument d’un pouvoir religieux ou politique), et dont l’activité principale est surtout d’élucider l’histoire de la pensée (hypothétique fin de la métaphysique par exemple) ; et une philosophie plus ou moins logique, poussée vers une sorte de néo-scolastique par sa tendance rationaliste ; ce dernier courant de pensée oscille entre réalisme et nominalisme, et les problèmes philosophiques qu’elle se pose la rattachent particulièrement à des auteurs comme Aristote (cf. par exemple Anscombe) ou Guillaume d'Ockham.
On voit donc que les problèmes posés par le devenir de la pensée ne sont pas du tout résolus.
Notes
- Aristote, Métaphysique, livre A.
Voir aussi
Bibliographie
- Jacqueline Russ, Panorama des idées philosophiques, Armand Colin, 2000.
- Jean-Clet Martin,100 mots pour 100 philosophes, de Héraclite à Derrida, Empêcheurs/Seuil.
- Aristote, Métaphysique, livre A
- Hegel, La raison dans l’histoire
- Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie
- Émile Bréhier, Introduction de L’Histoire de la philosophie,
- Popper, Misère de l’historicisme,
- H. Putnam, Raison, vérité et histoire,
- Gérard Lebrun, Devenir de la philosophie.
- Jean C. Baudet, Curieuses histoires de la pensée. Quand l'homme inventait les religions et la philosophie, Jourdan, Bruxelles, 2011.