La Lamentation d'un pécheur

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La Lamentation d'un pécheur est un ouvrage publié par Catherine Parr, sixième épouse et veuve d'Henri VIII, et première femme à publier en Angleterre et en anglais sous son propre nom[1].  Le texte est rédigé au plus tard à l'automne 1546 et publié en novembre 1547, neuf mois après la mort de son mari. Sa publication a été parrainée par la duchesse de Suffolk et le marquis de Northampton, respectivement l'ami le plus proche et le frère unique de la reine[2].

Contexte[modifier | modifier le code]

L'influence de Catherine Parr sur la position et l'attitude du roi en matière politique, philosophique et religieuses se fait sentir les débuts de la relation avec Henry VIII. Elle contribue très certainement au sauvetage des universités, menacées, comme cela avait été le cas pour les monastères en 1534, par un acte du Parlement de 1544 et pour lesquelles elle a intercédé auprès du roi[3]. Son influence en matière religieuse est également manifeste même si elle est toujours restée très discrète. Son soutien salutaire à l'archevêque Thomas Cranmer et son rôle dans l'avancée des concepts de la Réforme protestante dans le cadre de la Réforme anglaise est mis en exergue par l'historien David Starkey[4].

Contenu et doctrine[modifier | modifier le code]

La Lamentation d'un pécheur, œuvre entièrement originale de Catherine Parr, a probablement été écrite courant 1546[5] et a commencé à circuler sous forme manuscrite à la cour au mois de novembre[6]. Le livre n'est toutefois publié que le 5 novembre 1547[2], neuf mois après la mort de son mari et le couronnement d'Édouard VI, alors âgé de neuf ans et sous le contrôle du Lord-protecteur[7]. L'ouvrage aborde en premier lieu les thèmes de la confession et du repentir[6], avec un ton inhabituellement humiliant pour l'épouse d'un monarque[8]. Le texte traite ensuite de la conversion et de la prophétie, un modèle inspiré des Psaumes[6]. Bien que le livre soit écrit à la première personne et s'appuie sur la propre expérience religieuse de l'auteur, Catherine Parr évite d'utiliser des détails autobiographiques ou d'actualité et privilégie un ton authentique et universel[6]. Toutefois, en s'identifiant clairement comme la reine d'Angleterre, épouse du roi Henri VIII, elle crée un contraste sans précédent entre son statut royal et son état de pécheresse[9].

Le texte de La Lamentation d'un pécheur [10]est conçu comme une confession publique de la reine[11]; Catherine Parr y est très critique vis-à-vis des membres de l'église catholique romaine qu'elle traite de « racaille » et qu'elle accuse de l'avoir détourné de la passion du Christ[12],. Elle fait en revanche l'apologie de l'église anglicane et de son chef suprême Henri VIII qui l'a amenée à « la connaissance de la vérité »[13]. Dans le droit fil de la pensée de Luther et Calvin[14], Parr dénonce les images de dévotion qu'elle associe aux idoles dénoncée par les prophètes bibliques[15]. Citant Saint Paul, elle reprend également à son compte la doctrine de la justification par la foi seule[16] que défendent ces deux réformateurs[17]. Elle défend aussi le principe protestant de la scola scriptura qui veut que la bible soit la seule autorité pour les questions religieuses[18], et juge qu'il faut « propager une meilleure connaissance de la parole de dieu dans le monde » et « ne pas permettre l'ignorance »[19]. L'accent ainsi mis par ce livre sur l'importance des saintes écritures le marque clairement comme un ouvrage réformiste[6], tout comme sa promotion du concept luthérien de la justification par la foi seule[20].

Pour autant, Catherine Parr ne remet pas en cause les limites fixées par l'Acte des six articles qui fixait alors la ligne rouge entre la doctrine de l'église anglicane et celle des protestants les plus radicaux. Elle se garde bien, notamment, d'aborder le thème de la transsubstantiation qui a valu à Anne Askew de finir sur le bucher. Elle critique la fausseté des « évangélistes concupiscents »[21], sans jamais adresser de critiques à qui que ce soit en particulier[6]. Elle soutient que la Réforme incite les chrétiens à se regarder eux-mêmes plutôt qu'à juger les autres[8].

Rayonnement de l'oeuvre[modifier | modifier le code]

Pour Janel Mueller, La Lamentation d'un pécheur est le premier récit de conversion publié, un genre qui devient central dans l'Angleterre non-conformiste au siècle suivant[8], ce livre est toutefois beaucoup moins diffusé parmi les lecteurs anglais que les ouvrages précédents publiés par Catherine Parr, Psaumes ou prières (1544) et Prières ou méditations (1545)[22]. La forme si particulière cette oeuvre ou la reine expose ainsi sa personnalité, ses failles et ses convictions a vraisemblablement influencé Édouard VI par sa subjectivité[9] ; ce texte révolutionnaire a probablement joué un rôle important dans l'évolution de la personnalité et de la maturité littéraire du jeune roi[20].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Mueller 2011, p. 1.
  2. a et b Mueller 2011, p. 425.
  3. James 2011, p. 251.
  4. Starkey 2004, chap.  76.
  5. James 2011, p. 213.
  6. a b c d e et f Martin 2014, p. 46.
  7. Mueller 2002, p. 250, 289.
  8. a b et c Mueller 2002, p. 289.
  9. a et b Mueller 2002, p. 251.
  10. The Religious Tract Society 1831, p. 212-244.
  11. J'ai embrassé l'ignorance comme une connaissance parfaite, et la connaissance m'a semblé superflue et vaine. J'ai fait peu de cas de la parole de Dieu, et je me suis livré aux vanités et aux ombres du monde. J'ai abandonné celui en qui est toute vérité, et j'ai suivi les vaines et folles imaginations de mon cœur. J'aurais couvert mes péchés en faisant semblant d'être sainte ; J'ai appelé superstition le sens divin, et vraie sainteté l'erreur .../... à cause de la multitude et de la grandeur de mes péchés, je suis obligé de m'accuser moi-même !
  12. "Le sang de Dieu ne me paraissait pas suffisant pour me laver de la souillure de mes péchés, ni les voies qu'il a tracées par sa parole ; mais j’ai pensé à cette racaille que l'évêque de Rome a plantée dans sa tyrannie et son royaume, comptant, avec une grande confiance, par leur vertu et sainteté, recevoir la pleine rémission de mes péchés. C'est ainsi que j'ai obscurci, autant qu'il était en moi, l'immense bienfait de la passion du Christ, dont aucune pensée ne peut concevoir quoi que ce soit de plus précieux. On ne peut faire un si grand tort et un si grand déplaisir à Dieu tout-puissant, notre Père, que de fouler aux pieds le Christ, son Fils unique et bien-aimé. Tous les autres péchés du monde, réunis en un seul, ne sont pas aussi odieux et détestables aux yeux de Dieu".
  13. "Rendons grâce au Seigneur qui nous a envoyé, en ces derniers jours, un roi si pieux et si savant pour régner sur nous et qui, par la vertu et la force de la parole de Dieu, a enlevé les voiles et les brouillards des erreurs, et nous a amenés à la connaissance de la vérité, par la lumière de la parole de Dieu... Mais notre Moïse, notre très sage gouverneur et roi, nous a délivrés de la captivité et de la servitude de Pharaon. J'entends par ce Moïse, le roi Henri VIII, mon seigneur et époux le plus souverain et le plus favorable et j’entends par ce Pharaon, l'évêque de Rome, qui a été et est un plus grand persécuteur de tous les vrais chrétiens que ne l'a jamais été le Pharaon des enfants d'Israël".
  14. Jérôme Cottin, « De la Réforme à la réforme des images », Études, vol. Janvier, no 1,‎ , p. 85–96 (ISSN 0014-1941, DOI 10.3917/etu.4234.0085, lire en ligne, consulté le )
  15. J'ai abandonné l'honneur spirituel du vrai Dieu vivant, et j'ai adoré des idoles visibles, des images faites de main d'homme, croyant par elles obtenir le ciel.
  16. « La doctrine de Jean Calvin » (consulté le )
  17. Saint Paul dit : Nous sommes justifiés par la foi en Christ, et non par les oeuvres de la loi ; car si la justice vient de la loi, Christ est mort en vain.
  18. "Oui, j'ai entendu des personnes qui comprenaient très bien le latin dire que, lorsqu'elles avaient entendu des hommes érudits persuader du bien-fondé et de la croyance de certaines vérités non écrites, qui ne sont pas exprimées dans les Écritures et qui sont pourtant enseignées comme une doctrine apostolique et qu'il est nécessaire de croire, elles étaient d'avis que les hommes érudits avaient plus d'épîtres écrites par les apôtres du Christ que nous n'en avons dans le canon de l'Ancien et du Nouveau Testament, et qu'elles n'étaient connues d'aucun autre, sauf des membres du clergé. Cette croyance, je n'ai pas manqué de la déplorer dans mon cœur en entendant qu'une créature puisse avoir une opinion aussi aveugle et ignorante".
  19. The Religious Tract Society 1831, p. 57-58.
  20. a et b Mueller 2002, p. 250.
  21. The Religious Tract Society 1831, p. 57.
  22. Mueller 2011, p. 427.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Janell Mueller, The Cambridge History of Early Modern English Literature, Cambridge University Press, (ISBN 0521631564)
  • (en) Janell Mueller, Katherine Parr: Complete Works and Correspondence, University of Chicago Press, (ISBN 978-0226647241)
  • (en) Randall Martin, Women Writers in Renaissance England: An Annotated Anthology, Routledge, (ISBN 978-1317862918)
  • (en) Melissa Franklin-Harkrider, Women, Reform and Community in Early Modern England: Katherine Willoughby, Duchess of Suffolk, and Lincolnshire's Godly Aristocracy, 1519-1580, Woodbridge, The Boydell Press, , 174 p. (ISBN 978-1843833659, lire en ligne)
  • (en) David Starkey, Six Wives: The Queens of Henry VIII, Vintage, , 852 p. (ISBN 0099437244)
  • (en) Susan James, Catherine Parr: Henry Viii's Last Love, Gloucestershire, The History Press, , 425 p. (ISBN 978 0 7524 6252 3)
  • The Religious Tract Society, Writings of Edward the Sixth, William Hugh, Queen Catherine Parr, Anne Askew, Lady Jane Grey, Hamilton and Balnaves, London, The Religious Tract Society, , 492 p. (OCLC 697881042, lire en ligne), « Catherine Parr »

Liens externes[modifier | modifier le code]