Jeanne de Lartigue

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Jeanne de Lartigue
Description de cette image, également commentée ci-après
Maison de Jeanne de Lartigue, impasse Rue-Neuve à Bordeaux.
Nom de naissance Jeanne Catherine de Lartigue
Naissance vers 1692
Clairac, France
Décès
Bordeaux, France
Nationalité France Français
Conjoint

Jeanne de Lartigue, née vers 1692 probablement à Clairac et morte le à Bordeaux, est l'épouse de l'écrivain et philosophe Montesquieu.

Éléments de biographie[modifier | modifier le code]

Infimes sont les traces qui nous sont parvenues d'elle (toute sa correspondance avec son mari est perdue notamment[1]), et les spécialistes modernes soulignent comment les auteurs ont progressivement comblé ce manque en créant de toutes pièces des éléments de biographie[2].

Famille[modifier | modifier le code]

Jeanne naît vers 1692, sans doute à Clairac (actuel Lot-et-Garonne). Son père Pierre de Lartigue, un officier, est anobli en 1704 et fait Chevalier de Saint-Louis[N 1]. Il terminera sa carrière militaire lieutenant-colonel d'infanterie au régiment de Maulévrier[3],[4], après avoir été blessé plusieurs fois au combat, notamment au siège de Namur[2]. Son épouse Elizabeth Pauzié et lui possèdent des terres voisines de la baronnie de La Brède, la propriété de la famille Montesquieu à Martillac (actuelle Gironde), ainsi qu'à Clairac dans l'Agenais[5]. À Bordeaux la famille a une maison, toujours visible aujourd'hui[N 2],[6]. Un grand-père d'Elizabeth est Salomon de Massac, médecin du prince Maurice d'Orange, d'une petite noblesse protestante de Tonneins[3].

C'est une famille huguenote, donc proscrite depuis que l’Édit de Nantes a été révoqué en 1685[2]. Jeanne est fille unique, et est présentée comme une « calviniste très ardente »[1].

Mariage avec Montesquieu[modifier | modifier le code]

Château de la Brède.

Charles Louis Secondat de Montesquieu, baron de La Brède et futur baron de Montesquieu, est né le à La Brède. Ses oncles, soucieux de la pérennité du lignage, le poussent[7] à se marier et l'incitent à contracter le avec Marguerite Denis, la fille aînée de Daniel Denis dit Piedecourt, jurat et négociant du quartier des Chartrons anobli depuis peu[1] : le mariage doit lui apporter 75 000 livres de dot[2]. Mais Charles rompt le contrat pour en signer un autre le avec Jeanne de Lartigue. On ignore si cette décision procède d'une volonté personnelle, notamment de s'émanciper de la tutelle de ses oncles, ou plutôt du souhait de respecter le vœu de son père décédé deux ans plus tôt : qu'il cherche épouse du côté de La Brède[8].

Le mariage est célébré dans la basilique Saint-Michel de Bordeaux le . Ni la famille de Jeanne, tenue à l'écart des églises en raison de ses convictions protestantes, ni celle de Charles — ce qui corrobore la première hypothèse — n'assistent à l'office[2].

Sur le plan matériel, l'alliance n'est pas plus intéressante que le premier mariage projeté : les deux femmes sont d'extractions comparables, et si la dot de Jeanne est supérieure (100 000 livres), elle est surtout constituée de créances. L'une d'elles en particulier, douteuse, provoque en 1717 une brouille de Montesquieu avec ses beaux-parents[8]. L'attitude de Jeanne dans la querelle n'est pas documentée[2].

Du mariage naissent trois enfants : Jean-Baptiste en , Marie-Catherine en 1717 et Denise en 1727. Les deux filles sont mises en pension très jeunes, et Jean-Baptiste est envoyé avant neuf ans poursuivre ses études au lycée Louis-le-Grand à Paris.

Jeanne semble vivre à l'écart des amis de Montesquieu et des mondanités : aucun ne la mentionne, aucun ne semble l'avoir rencontrée[2]. Elle est de même totalement absente de la vie intellectuelle, littéraire, esthétique ou philosophique de son époux[1]. Il ne l'amène pas davantage dans ses multiples voyages — pas plus dans son périple de trois ans en Europe que dans ses « mouvements pendulaires entre Paris et La Brède »[1].

Sa signature (« Lartigue de Montesquieu ») apparaît sur plusieurs actes[N 3],[1], et si son mari lui confie la gestion courante de ses terres pendant ses voyages, ses procurations restent limitées : le baron fait casser l'achat du moulin de Luzié et de la seigneurie de Saint-Morillon qu'elle signe en 1738 pour 8 200 livres, au motif qu'elle n'a pas de délégation suffisante de sa part (mais les rachète huit ans après pour 5 000 livres). Il semble que le rôle de Jeanne se limite à celui d'exécutante des décisions du baron pour l'exploitation de ses propriétés[2].

L'inventaire du château de La Brède au décès de Montesquieu en révèle un mobilier « vieilli et dépareillé », dépourvu de luxe voire de confort[2].

Fin de vie[modifier | modifier le code]

Jeanne de Lartigue survit quinze ans à son mari et meurt le dans sa maison de l'impasse Rue-Neuve à Bordeaux[6], à l'âge de 78 ans. Elle est inhumée dans un cimetière protestant de la ville[2].

Affabulations[modifier | modifier le code]

Catherine Volpihac-Auger argumente que les qualificatifs de « laide, boiteuse mais bonne gestionnaire »[N 4] que la tradition prête à Jeanne ne reposent sur aucune donnée — sinon l'art des biographes de combler les manques en recourant aux clichés[2] :

« Mme de Montesquieu a joué son rôle en garantissant la pérennité du lignage et l’activité, donc les revenus du domaine. Les plaisirs de Montesquieu étaient ailleurs, et ses travaux intellectuels hors de sa portée ; au moins n’a-t-elle jamais gêné ni les uns ni les autres. Mais sur sa personne et sa personnalité propres, on se gardera de rien avancer, ni de porter des jugements aussi gratuits qu’inutiles. »

Liens externes[modifier | modifier le code]

Le site de la Direction régionale des affaires culturelles de la Nouvelle Aquitaine expose plusieurs dessins de la maison de Jeanne au 5, impasse rue Neuve réalisés par Lucien de Maleville :

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Lettres de noblesse de Pierre de Lartigue, beau-père de Montesquieu, mars 1704.
  2. Dans une cour au fond de l'actuelle impasse rue-Neuve, la maison a été connue sous les noms successifs d'« houstau de Carles » et d'« hôtel Port Mahon ». Typique du XVIe siècle, elle possède un escalier à vis, deux passages couverts superposés, supportés par deux arcs en plein cintre. Deux bustes sculptés soutiennent la galerie du premier étage.
  3. Sur 409 actes notariés entre 1716 et 1755, Jeanne en signe seule 155.
  4. On a beaucoup cité ce passage des Lettres Persanes (1721) : « Je connais une femme qui marche assez bien mais qui boite dès qu'on la regarde. », pour pointer à la fois la timidité et les défauts physiques de Jeanne. Mais rien ne permet d'être certain que Montesquieu pense alors à sa femme.

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e et f Pawel Matyaszewski (de l'université catholique de Lublin), Montesquieu, sa femme et ses filles, Acta Universitatis Wratislaviensis n°3282, Romanica Wratislaviensia LVIII, Wroclaw, (lire en ligne), p. 71 à 80
  2. a b c d e f g h i j et k Catherine Volpilhac-Auger, « Montesquieu, Jeanne de Lartigue, baronne de La Brède (1692 ? - 1770) », sur dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr, (consulté le )
  3. a et b François-Alexandre Aubert de La Chesnaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse contenant les généalogies, l'histoire & la chronologie des familles nobles de France, l'explication de leurs armes & l'état des grandes terres du royaume, Paris, Antoine Boudet, (lire en ligne), Seconde édition, tome IX, p 571, article Massac
  4. Oscar de Poli, Le Régiment de la Couronne : 1643-1791, , 427 p. (lire en ligne), Collection (c)XIX
  5. Louis Desgraves, Inventaire des documents manuscrits des fonds Montesquieu de la Bibliothèque municipale de Bordeaux, Bordeaux, Droz, , 359 p. (lire en ligne), p. 94
  6. a et b « La maison de Jeanne Lartigue à Bordeaux », sur www.petit-patrimoine.com (consulté le )
  7. Chronique du Bordelais au crépuscule du Grand Siècle : le mémorial de Savignac (1708-1720), Pessac, Caroline Le Mao, Presses universitaires de Bordeaux et Société des bibliophiles de Guyenne, , p. 404
  8. a et b Jean Dalat, Montesquieu : chef de famille en lutte avec ses beaux-parents, sa femme, ses enfants, Paris, Minard, « Archives des lettres modernes », , p. 30