Histoires consistantes

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En mécanique quantique, les histoires consistantes[1] (également appelées histoires décohérentes[2] ou histoires rationnelles[3]) sont une tentative d'interprétation moderne de la mécanique quantique, généralisant l'interprétation conventionnelle de Copenhague et fournissant une interprétation naturelle de la cosmologie quantique[4]. Elle repose sur un critère de consistance (cohérence logique) permettant l'attribution de probabilités à différentes histoires alternatives d'un système, probabilités respectant les règles de la probabilité classique tout en étant cohérentes avec l'équation de Schrödinger. Contrairement à d'autres interprétations, en particulier l'interprétation de Copenhague, la réduction du paquet d'onde n'est pas associée à un possible processus physique, et la théorie de la mesure n'y est pas considérée comme un ingrédient fondamental de la mécanique quantique.

Histoires[modifier | modifier le code]

Une histoire homogène (ici désigne différentes histoires) est une suite de Propositions spécifiées à différents temps (ici désigne les temps). La suite s'écrit ainsi :

et se lit comme « la proposition est vraie au temps et puis la proposition est vraie au temps et puis  ». Les temps sont strictement ordonnés et appelés le support temporel de l'histoire.

Les histoires inhomogènes sont des propositions à temps multiples qui ne peuvent pas être représentées par une histoire homogène. Un exemple est le OU logique de deux histoires homogènes : .

Ces propositions peuvent correspondre à n'importe quel ensemble de questions épuisant toutes les possibilités. Exemple avec une expérience de fentes de Young avec des électrons donnant les trois propositions suivantes : « l'électron est passé par la fente de gauche », « l'électron est passé par la fente de droite » et « l'électron n'est passé par aucune des fentes ».

L'un des objectifs de l'approche est de montrer que des questions classiques telles que « où sont mes clés ? » ne sont pas incohérentes dans le cadre de la physique quantique. En l'occurrence, la question peut se traduire par un grand nombre de propositions spécifiant chacune une petite région de l'espace comme localisation des clés.

Chaque proposition ponctuelle peut être représentée par un opérateur de projection (les accents circonflexes indiquent des opérateurs) agissant sur l'espace de Hilbert du système. On peut alors représenter des histoires homogènes par le produit ordonné (en) chronologiquement des opérateurs de projection à différents temps. C'est le formalisme HPO (en) développé par Christopher Isham et qui encode naturellement la structure logique de l'historique des propositions.

Consistance[modifier | modifier le code]

Une construction importante dans l'approche des histoires consistantes est l'opérateur de classe pour une histoire homogène :

Le symbole indique que les facteurs du produit sont ordonnés chronologiquement selon leurs valeurs de  : les opérateurs du "passés" avec des valeurs plus petites de apparaissent sur le côté droit, et les opérateurs "futurs" avec des valeurs plus élevées de apparaissent sur le côté gauche. Cette définition peut également être étendue aux histoires inhomogènes.

La notion de consistance est au cœur des histoires consistantes. Un ensemble d'histoires est consistante (ou fortement consistante) si

pour tout . Ici représente la matrice de densité initiale, et les opérateurs sont exprimés selon la représentation de Heisenberg.

L'ensemble des histoires est faiblement consistant si

pour tout .

Probabilités[modifier | modifier le code]

Si un ensemble d'histoires est consistant alors des probabilités peuvent être attribuées à chacune de manière consistante. Nous postulons que la probabilité de l'histoire est simplement

qui obéit aux axiomes de probabilité si les histoires proviennent du même ensemble (fortement) consistant.

Par exemple, cela signifie que la probabilité de «  OU  » est égal à la probabilité de «  » plus la probabilité de «  » moins la probabilité de «  ET  », et ainsi de suite.

Interprétation[modifier | modifier le code]

L'interprétation basée sur des histoires consistantes est utilisée en combinaison avec les vues de la décohérence quantique. La décohérence implique que les phénomènes macroscopiques irréversibles (donc toutes les mesures classiques) rendent les histoires automatiquement consistantes, ce qui permet de retrouver le raisonnement classique et le « bon sens » lorsqu'il est appliqué aux résultats de ces mesures. Une analyse plus précise de la décohérence permet (en principe) un calcul quantitatif de la frontière entre le domaine classique et le domaine quantique. Selon Roland Omnès[5],

« l'approche des histoires, même si elle était initialement indépendante de l'approche de Copenhague, en est en quelque sorte une version plus élaborée. Elle a bien sûr l'avantage d'être plus précise, d'inclure la physique classique, et de fournir un cadre logique explicite pour des preuves indiscutables. Mais, lorsque l'interprétation de Copenhague est complétée par les résultats modernes sur la correspondance et la décohérence, cela revient essentiellement à la même physique.

[... Il y a] trois différences principales :

1. L'équivalence logique entre une donnée empirique, qui est un phénomène macroscopique, et le résultat d'une mesure, qui est une propriété quantique, devient plus claire dans la nouvelle approche, alors qu'elle restait pour l'essentiel tacite et discutable dans la formulation de Copenhague.

2. Il y a deux notions apparemment distinctes de probabilité dans la nouvelle approche. L'une est abstraite et orientée vers la logique, tandis que l'autre est empirique et exprime le caractère aléatoire des mesures. Nous devons comprendre leur relation et pourquoi elles coïncident avec la notion empirique des règles de Copenhague.

3. La principale différence réside dans la signification de la règle de réduction dans « la réduction du paquet d'ondes ». Dans la nouvelle approche, la règle est valide mais aucun effet spécifique sur l'objet mesuré ne peut en être tenu pour responsable. La décohérence dans l'appareil de mesure suffit. »

Afin d'obtenir une théorie complète, les règles formelles ci-dessus doivent être complétées par un espace de Hilbert particulier et des règles qui régissent la dynamique, par exemple un hamiltonien.

D'autres considèrent[6] que cela ne constitue toujours pas une théorie complète car on ne peut prédire quel ensemble d'histoires consistantes se produira effectivement. En d'autres termes, les règles des histoires consistantes, l'espace de Hilbert et l'hamiltonien doivent être complétées par une règle de sélection ensembliste. Cependant, Robert B. Griffiths est d'avis que poser la question de savoir quel ensemble d'histoires « se produira effectivement » est une mauvaise lecture de la théorie[7] : les histoires sont un outil de description de la réalité effective, pas des réalités alternatives séparées.

Les partisans de l'interprétation des histoires consistantes - tels que Murray Gell-Mann, James Hartle, Roland Omnès et Robert B. Griffiths - soutiennent qu'elle clarifie les inconvénients fondamentaux de l'interprétation de Copenhague et peut être utilisée comme un cadre d'interprétation complet pour la mécanique quantique.

Dans Quantum philosophy (en)[8], Roland Omnès propose une manière moins mathématique d'appréhender ce même formalisme.

L'approche des histoires consistantes peut être vue comme un moyen de déterminer quels ensembles de questions classiques peuvent être posées de manière consistante sur un même système quantique, et quels ensembles sont fondamentalement inconsistants, et donc dénués de sens lorsque ces questions sont posées ensemble. Il devient par exemple possible de montrer formellement pourquoi les questions que Einstein, Podolsky et Rosen supposaient pouvoir être posées ensemble dans le paradoxe EPR ne pouvaient tout simplement pas l'être. Il devient également possible de montrer que la logique classique s'applique largement aux expériences quantiques et fixer mathématiquement les limites de cette application.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Griffiths, « Consistent histories and the interpretation of quantum mechanics », Journal of Statistical Physics, Springer Science and Business Media LLC, vol. 36, nos 1–2,‎ , p. 219–272 (ISSN 0022-4715, DOI 10.1007/bf01015734, S2CID 119871795)
  2. Griffiths, « The Consistent Histories Approach to Quantum Mechanics », Stanford Encyclopedia of Philosophy, Stanford University (consulté le )
  3. Roland Omnès, Comprendre la mécanique quantique, EDP Sciences, (ISBN 2-86883-470-1)
  4. Dowker et Kent, « Properties of Consistent Histories », Physical Review Letters, vol. 75, no 17,‎ , p. 3038–3041 (ISSN 0031-9007, PMID 10059479, DOI 10.1103/physrevlett.75.3038, arXiv gr-qc/9409037, S2CID 17359542)
  5. Roland Omnès, Understanding Quantum Mechanics, Princeton University Press, , 179, 257 (ISBN 978-0-691-00435-8, LCCN 98042442, lire en ligne Inscription nécessaire)
  6. Kent et McElwaine, « Quantum prediction algorithms », Physical Review A, vol. 55, no 3,‎ , p. 1703–1720 (ISSN 1050-2947, DOI 10.1103/physreva.55.1703, arXiv gr-qc/9610028, S2CID 17821433)
  7. R. B. Griffiths, Consistent Quantum Theory, Cambridge University Press,
  8. R. Omnès, Quantum Philosophy, Princeton University Press, 1999. See part III, especially Chapter IX

Liens externes[modifier | modifier le code]