Al pie de la Santa Cruz

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Al pie de la Santa Cruz est un tango composé en 1933, dont les paroles ont été écrites par Mario Battistella sur une musique d'Enrique Delfino. La chanson raconte l'histoire d'un ouvrier qui, à la suite d'une grève et d'une « lutte sanglante » est expulsé du pays, raison pour laquelle le tango a subi la censure entre 1943 et 1949.

Les auteurs[modifier | modifier le code]

Mario Battistella (Monteforte d'Alpone, Vérone, Italie; - 10 octobre 1968) est un parolier, traducteur, dramaturge et représentant artistique italien résidant en Argentine[1],[2],[3]. En 1910, il voyage en Argentine. Il écrit des chansons de divers genres avant de créer, en 1925, Pinta brava, son premier tango.Quelques-unes de ses chansons ont été créées à partir de thèmes sociaux tels que Al pie de la Santa Cruz et Bronca.

Enrique Pedro Delfino (Buenos Aires, - Buenos Aires, ) est un compositeur, pianiste, directeur d'orchestre et parolier de tango argentin. Il était aussi connu sous le nom de Delfy.

Il a écrit plus de deux cents tangs, certains sont devenus des classiques du genre, comme Ré Fa Si, Milonguita, Haragán, La copa del olvido, Ventanita florida et Al pie de la Santa Cruz. Il est l'un des créateurs du tango romancé et a introduit des innovations dans le tango chanté.

La Loi de Résidence[modifier | modifier le code]

La loi 4.144 de Résidence sanctionnée par le Congrès de la nation argentine en 1902 permettait que le Pouvoir Exécutif expulsât les étrangers sans jugement préalable. Pendant ses 56 ans de vigueur jusqu'à son abrogation en 1958, sous le mandat présidentiel d'Arturo Frondizi, les gouvernements argentins successifs ont utilisé divers "critères d'expulsion", surtout dirigés contre les mouvements de résistance ouvrière —surtout dans ses premiers temps d'application— en expulsant principalement anarchistes et socialistes ; organisant aussi la déportation de proxénètes de délinquants et d'espions allemands après la Seconde Guerre mondiale, et concerna même les petits marchands espagnols pendant les campagnes péronistas "contre la spéculation" entre 1948 et 1952, qui ont conduit en prison des dizaines de petits marchands.

L'histoire[modifier | modifier le code]

Le tango raconte l'histoire d'un ouvrier auquel, à la suite d'une grève et d'une « lutte sanglante » — sans doute la Semaine Tragique de 1919[5]— s'applique la “Loi Patronale”, allusion à la Loi de Résidence, pour l'expulser du pays. Quelques auteurs envisagent que le personnage du tango est envoyé avec « les pieds engrillados » à la prison d'Ushuaïa mais Battistella a expliqué dans un reportage qu'il s'agissait d'une déportation[4].

José Gobello pense qu'il s'agit de l'un des rares de tangos de protestation ayant été diffusé[5]. Diego Ruiz dit qu'il n'existe pas beaucoup de tangos parlant de la question sociale mais certains se placent parmi les pratiques culturelles de protestation[4]. De son côté, Javier Campo place ce tango du côté de l'idéologie anarchiste[6].

Eduardo Giorlandini rappelle la phrase, selon laquelle le tango "est le livre de plaintes de l'arrabal" et dit qu'en certaines occasions les paroles de tango s'affirment comme protestation et constituent une littérature sociale ou engagée. Pour Giorlandini, il existe des paroles avec cette coloration, mais les lettres couvrent tout le spectre de la vie humaine et de l'histoire des Argentins, et ne peut donc être exclue question sociale[7].

Par ailleurs, l'auteur de la chanson a manifesté une certaine religiosité, dans le refrain du tango dans lequel la mère du condamné fait une invocation à Dieu[7].

Censure et paroles alternatives[modifier | modifier le code]

À partir de 1943 au cours d'une campagne initiée par la dictature de 1943 qui a obligé à supprimer le langage lunfardo, ainsi que toute référence à l'ivresse ou des expressions considérées comme immorales ou négatives pour la langue ou pour le pays, le tango n'a pas pu être radiodiffusé avec ses paroles originales[8].

Le tango a été enregistré en 1946 avec l'orchestre d'Alfredo De Ángelis et la voix de Carlos Dante avec un texte modifié.

Letra original
Declaran la huelga,
Hay hambre en las casas,
Es mucho el trabajo
Y poco el jornal;
Y en ese entrevero
De lucha sangrienta,
Se venga de un hombre
La ley patronal
Letra censurada
Corría la caña
y en medio del baile
la gresca se armó.
Y en ese entrevero
de mozos compadres
un naipe marcado
su audacia pagó.

Alors qu'il était interrogé sur ce changement, De Ángelis a expliqué: “Qu'est-ce que vous voulez ? Sinon ils m'auraient fait prisonnier”[4].

Les contraintes continuèrent sous le gouvernement constitutionnel du général Perón et, en 1949, des dirigeants de la Sadaic ont demandé la suppression de cette contrainte, sans succès. Ils ont obtenu une audience avec Perón le 25 mars 1949, et le Président –qui a affirmé qu'il ignorait l'existence de ces directives- les a supprimé et Al pie de la Santa Cruz tout comme de nombreux autres tangos put revenir à son nom et à ses paroles originales, bien que certains musiciens, par crainte, continuèrent de jouer avec les modifications les parties considérées comme sensibles politiquement[9],[10].

Enregistrements[modifier | modifier le code]

Il existe des versions de Al pie de la Santa Cruz chantées par Carlos Gardel accompagné de guitares (18 septembre 1933), Alberto Gómez avec l'Orchestre Typique Victor (11 octobre 1933), Alfredo De Ángelis et la voix de Carlos Dante (1946) et Guillermo Fernández (2013).

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Néstor Pinsón, « Mario Battistella » [archive du ], Todo Tango. Los Creadores (consulté le )
  2. Pablo Taboada, « Mario Battistella. Un letrista mayúsculo. Reseña de su extensa trayectoria. Primera parte », Investigación Tango, (consulté le )
  3. Manuel Adet, « Preludio de tango. Mario Battistella », El Litoral, Santa Fe, (consulté le )
  4. a b et c Pero, ¿hay tangos de protesta? Por Diego Ruiz. Acceso 11-2-2015
  5. José Gobello : Tangos, letras y letristas tomo 4 pág.18 Buenos Aires 1991 Editorial Plus Ultra (ISBN 950-21-1166-4)
  6. 17 Las ideas libertarias y la cuestión social en el tango por Javier Campo. Acceso 11-2-2015
  7. a et b Al pie de la Santa Cruz por Eduardo Giorlandini. Acceso 11-2-2015
  8. Horvath, Ricardo: Esos malditos tangos p. 140, Buenos Aires 2006. Editorial Biblos (ISBN 950-786-549-7)
  9. Nº 300 - El último poeta del tango, Enrique Cadícamo. Y la historia de Los mareados, con música de Juan Carlos Cobián erreur modèle {{Lien archive}} : renseignez un paramètre « |titre= » ou « |description= » Consultado 2013-10-28
  10. Horvath, Ricardo: Esos malditos tangos pág.142/3. Editorial Biblos Buenos Aires 2006 (ISBN 950-786-549-7)

Références[modifier | modifier le code]

  • Eduardo Romano (coordinación y prólogo), Las letras del tango. Antología cronológica 1900 – 1980, Rosario (provincia de Santa Fe),, Editorial Fundación Ross, , 252/3. (ISBN 950-9472-24-7)

Liens externes[modifier | modifier le code]