Utilisateur:Leonard Fibonacci/Reflexion sur l'Iturée

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Ituréens[modifier | modifier le code]

Le nom d'Ituréens (Greek: Ἰτουραῖοι ou Ἰτυραῖοι), qui dérive du nom du beau-père de Moïse, Itur, c'est-à-dire Jethro (ou Hobab), est utilisé tout d'abord par Eupolème comme l'une des tribus soumises par le roi David[1], et à sa suite par des auteurs tels que Strabon, Pline l'Ancien, Flavius Josèphe et Dion Cassius. Ils présentent les Ituréens comme un peuple arabe nabatéen. Les Romains les connaissent comme un peuple de pillards[2] et ils sont appréciés par leur grande habileté en tant qu'archers[3]. L'Iturée fut conquise par le roi hasmonéen Alexandre Jannée et fut convertie de force au judaïsme[4].

Histoire[modifier | modifier le code]

Présentation[modifier | modifier le code]

« L’histoire de la Syrie hellénistique entre le milieu du second siècle avant notre ère et la marche de Pompée en 64/3 a.C. est caractérisée par la dissolution de l’autorité séleucide sous l’effet conjugué de trois phénomènes : la crise de la dynastie royale, la montée des autonomismes locaux et l’accroissement des pressions extérieures. Au moment où les cités de la côte phénicienne s’émancipent progressivement de la tutelle séleucide, le Liban et la Syrie du Sud constituent le terrain où s’affirme le pouvoir des Ituréens. Sous l’égide de Ptolémaios fils de Mennaios, dynaste de Chalcis du Liban, les Ituréens se taillent une principauté dont on peut suivre l’histoire jusqu’à son démembrement au cours des années 20 a.C. Les sources littéraires — essentiellement les ouvrages de Flavius Josèphe — permettent de décrire les étapes de l’assimilation des différents territoires administrés par des princes ituréens dans le cadre de la politique clientéliste perpétuée par Rome au Proche-Orient jusqu’à la fin du premier siècle de notre ère[5]. »

POV de Julien Aliquot[modifier | modifier le code]

« Jusqu’à présent, de nombreuses tentatives modernes visent à évaluer dans quelle mesure la disparition progressive de l’autorité séleucide aurait encouragé le brigandage rural et aurait favorisé les raids des nomades au I er siècle a.C., provoquant en retour une diminution de l’espace agricole utilisé3. Avec la fin de la Syrie séleucide et l’établissement d’un premier ordre romain, c’est à Rome qu’il reviendrait d’impulser le balancier dans un mouvement inverse afin de mettre un terme au brigandage, ce « sport national » des Ituréens si l’on en croit Strabon ou Er. Will4. (p. 162) »

Pour Julien Aliquot « L’application au Liban d’un tel schéma explicatif me semble surtout fondée sur la volonté d’opposer la prospérité présumée des IIIe -IIe siècles a.C. et la désolation des I er siècle a.C. et I er siècle p.C., l’autorité royale et l’anarchie tribale, les habitants de la plaine et les montagnards, les sédentaires et les nomades. L’examen de la question ituréenne m’incite donc à reconsidérer l’explication qui privilégie l’opposition entre les populations sédentaires et les populations nomades en évitant l’amalgame abusif, hérité des auteurs grecs et latins, entre « Arabes », « pasteurs », « nomades », « montagnards » et « brigands ». (p. 162) »

D'après lui « le simple fait de replacer les données relatives aux Ituréens dans un contexte proche-oriental plus vaste, comme le fait M. Sartre dans sa récente synthèse, invalide le schéma binaire précité, sans que soient niées pour autant la réalité du brigandage rural ni la présence des nomades au Liban. »

1.1.3. Les premières attestations de l’ethnique ituréen et l’expansionnisme hasmonéen[modifier | modifier le code]

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Les premières attestations de l’ethnique ituréen apparaissent dans deux textes grecs du second siècle avant notre ère, celui de la traduction grecque des Chroniques — ou Paralipomènes22 — et celui de l’historien juif Eupolémos. Il est donc tentant de mettre en parallèle ces deux textes contemporains, où les Ituréens figurent parmi les peuples combattus par les Hasmonéens. Les Hasmonéens, Jonathan et ses successeurs, soumettent au tribut et convertissent de force certains peuples installés au-delà des frontières de leur domaine afin d’assurer son homogénéité judaïque, bien que la judaïsation forcée des populations soumises n’ait aucun fondement scripturaire. Les Ituréens figureraient parmi ces peuples, si l’on en croit Flavius Josèphe, qui dépend sur ce point d’une information de l’historien alexandrin du premier siècle avant notre ère Timagène d’Alexandrie, elle-même transmise par un ouvrage historique perdu de Strabon23. De manière remarquable, les témoignages concernant la politique expansionniste des Hasmonéens à l’encontre des Ituréens sont corroborés par un auteur contemporain des événements, Eupolémos, dont on peut penser d’après la Préparation évangélique (IX, 30-34) d’Eusèbe qu’il utilise déjà la version grecque des Paralipomènes24. Dans les extraits conservés de son œuvre, cet historien juif du milieu du IIe siècle a.C. fait preuve du nationalisme farouche qui s’exprime au moment où l’État hasmonéen réalise d’importants progrès territoriaux : il présente ainsi Moïse comme le véritable fondateur des civilisations orientales, ce qui l’oblige à réviser toute la chronologie à la hausse. Un passage de son ouvrage Sur la prophétie d’Élie où il est question des campagnes de David mentionne les Ituréens parmi les peuples soumis au tribut par le roi des Hébreux25 :
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« D’après Eupolémos dans un livre Sur la prophétie d’Élie […]. Ensuite David son fils [c’est-à-dire le fils de Saül] monta sur le trône, pour soumettre les Syriens riverains de l’Euphrate, la Commagène, les Assyriens de la Galadène et les Phéniciens. Il guerroya aussi contre les Iduméens, les Ammanites, les Moabites, les Ituréens, les Nabatéens, les Nabdéens. En outre, il fit campagne contre Sourôn, le roi de Tyr et de Phénicie ; tous ceux-là, il les contraignit à payer tribut aux juifs […]. »

Dans le passage cité plus haut, où la liste des ennemis de David se fonde sur 2 S 8, 1-14, Eupolémos substitue certainement les Ituréens aux Araméens bibliques du royaume de Soba26. Il est très probable que l’historien juif fasse remonter à l’époque royale les prétentions territoriales hasmonéennes sur certaines régions de la Syrie méridionale, ce qu’avait également déduit M. Hengel de la correspondance fictive de Salomon avec Sourôn, « roi de Tyr, de Sidon et de la Phénicie », telle qu’Eupolémos la présente27 : les lettres de Salomon et de Sourôn, qui s’inspirent de 2 Ch 2, 2-17 (cf. 1R5, 17-23), évoquent les tractations du roi hébreu pour la construction du Temple avant d’énumérer les possessions que Salomon aurait reçues de David28 ; à nouveau, cette liste ferait allusion aux prétentions des Hasmonéens sur des régions qu’ils convoitent à partir du milieu du IIe siècle a.C., mais que, pour la plupart, ils ne détiennent pas avant le règne d’Alexandre Jannée, en 103-7629. Ainsi le contexte historique dans lequel l’ethnique des Ituréens apparaît pour la première fois est lié en même temps à la décomposition de l’autorité séleucide et à l’affirmation de l’État juif hasmonéen, qui émerge de la révolte maccabéenne à partir de 152 a.C. et qui manifeste ses ambitions expansionnistes en Syrie méridionale avant la conquête de son indépendance. Le programme d’expansion territoriale des Hasmonéens se trouve justifié à leurs yeux par la présence de juifs dans la plupart des régions périphériques de la Judée. En effet, le dynamisme démographique de la Judée aux IIIe -IIe siècles a.C. a pu entraîner un mouvement d’émigration vers Alexandrie, vers les villes grecques de Syrie (Damas, Gérasa, Antioche, Apamée Sidon, Ptolémaïs notamment), peut-être déjà vers l’Asie Mineure, mais aussi vers la Galilée, l’Idumée et le Haurân. On peut supposer que les Hasmonéens se soucient d’étendre à leurs conquêtes les moins peuplées de juifs les règles de pureté rituelle en usage sur le territoire national30.
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Vers le nord, leurs campagnes auraient mené les Hasmonéens dans la Beqæ‘, comme le suggèrent le témoignage du premier livre des Maccabées et celui de Flavius Josèphe lorsqu’ils évoquent l’expédition que le grand-prêtre Jonathan mène contre les troupes du séleucide Démétrios II vers 143 a.C. Les Hasmonéens prennent alors la direction de l’Amathitide31, ce qui traduit leur volonté de reconstituer un royaume qui coïnciderait avec la Terre Promise. La mention de l’Amathitide n’implique nullement que Jonathan ait atteint la cité même d’Épiphanie-Hama, située sur le cours de l’Oronte : dans l’Ancien Testament, en effet, le territoire de Hama confine au sud à une localité nommée Lebo-Hamath, toponyme dont la signification littérale est « Entrée de Hamath » ; il s’agit du premier poste du royaume biblique de Hamath, qui correspond dans l’Ancien Testament tantôt à la frontière septentrionale de la Terre Promise, tantôt à la frontière septentrionale du royaume de David et de Salomon. Cette localité est parfois identifiée à Laboué, dans le nord de la Beqæ‘, aux sources de l’Oronte32, ce qui conforte l’hypothèse d’une incursion de Jonathan dans la haute plaine centrale libanaise, hypothèse d’autant plus probable que le livre des Maccabées précise que les troupes séleucides menacées par celles du grand-prêtre ont pu opérer leur retraite au-delà du cours de l’Éleuthéros33. L’expédition hasmonéenne concerne donc sans doute la Beqæ‘, car l’Éleuthéros, l’actuel Nahr al-Kabîr du sud, en marque la frontière géographique vers le nord-ouest. Dans cette affaire, l’implication des Ituréens, qu’ignorent le livre des Maccabées et Flavius Josèphe, reste entièrement conjecturale. Contrairement à ce qu’affirment plusieurs auteurs34, je doute qu’il soit pertinent de rapprocher les textes de 1 M et de Flavius Josèphe d’un passage de la Megillat Taanit ou Rouleau du Jeûne (33). Afin d’expliquer l’origine de la fête du 17 Adar, ce petit calendrier rédigé en araméen à la fin du Ier siècle ou au début du IIe siècle p.C. indique que « le dix-septième [jour du mois de Adar], les Gentils s’étaient levés contre le reste des docteurs de la Loi dans le pays de Chalcis (klqys) et de Beth Zabdai (bt zbd), mais Israël fut délivré35 ». Cette phrase reprise à l’identique dans le Talmud de Jérusalem (Traité Taanit 2, 8) est peu explicite. Selon A. Kasher, l’ensemble des textes cités ferait référence à la même expédition militaire de Jonathan et il faudrait interpréter l’événement de la façon suivante : dans un contexte politique désormais marqué par la rivalité entre les Hasmonéens et leurs voisins arabes du nord, le grand-prêtre aurait cherché à porter secours aux juifs qui auraient trouvé refuge chez les Ituréens de la Beqæ‘ à la suite de la persécution intervenue sous Antiochos IV Épiphane (175-164). Cette interprétation laisse perplexe en l’absence totale de preuves qui attesteraient la présence de tels réfugiés juifs dans la Beqæ‘. Par ailleurs, le contexte de l’événement relaté n’est pas précisé, ce qui amène à douter des rapprochements textuels opérés par divers auteurs. C’est pourquoi les nouveaux éditeurs de l’ouvrage d’E. Schürer restent indécis sur ce point et soulignent l’aspect hypothétique de cette reconstitution36. Or, un des commentaires médiévaux du Megillat Taanit semble indiquer que l’événement relaté date du règne d’Alexandre Jannée (103-76) : selon cette glose tardive, où le secours prétendument apporté aux juifs malmenés par les païens est confondu avec la persécution de ses propres compatriotes par le souverain hasmonéen37, « les docteurs, persécutés par le roi Jannée, se sauvèrent en Syrie et s’établirent à Koslikos [ou Kalikos, autre version]. Ils y sont assiégés, pressés et battus par les Gentils ; cependant, une partie s’échappe et atteint Beit Zabdai, où elle reste jusqu’à la nuit pour continuer sa fuite. […] » Cette datation basse s’accorderait avec les données relatives à la compétition engagée entre les Ituréens et les Hasmonéens dans le premier tiers du I er siècle a.C. En effet, les intentions belliqueuses d’Alexandre Jannée à l’encontre des Ituréens sont attestées par Georges le Syncelle38, même si c’est aux descendants du souverain hasmonéen qu’il reviendra de les traduire dans les faits vers 70 a.C., à l’époque où Aristobule II, le fils de la reine Alexandra, mène une expédition militaire à Damas sous le prétexte de défendre la ville contre Ptolémaios fils de Mennaios[6] (~ -85 à -40). En résumé, il reste à démontrer que les expéditions militaires hasmonéennes des années 140 a.C. concernent les Ituréens.
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Eupolémos ne retient que l’aspect nationaliste et guerrier des entreprises hasmonéennes, et s’oppose par là aux témoignages croisés de Strabon et de Flavius Josèphe, qui permettent de nuancer l’analyse de l’expansionnisme des Hasmonéens. Ces deux auteurs évoquent une époque postérieure d’une quarantaine d’années à celle de Jonathan. À la mort de Jean Hyrcan au début de l’année 104 a.C., le nouvel État juif est désormais solidement installé et il présente de nombreux points communs avec les monarchies hellénistiques. En 104-103 a.C., la prise du titre royal par Aristobule manifeste la rupture avec les Séleucides40. La confrontation du texte de Strabon avec celui de Flavius Josèphe, qui cite ce dernier, pose quelques problèmes d’interprétation : la multiplication des intermédiaires qui se trouvent à la source de l’information pourrait expliquer la contradiction entre le jugement de Timagène sur Aristobule, dont l’équité est louée, et la biographie globalement défavorable de l’Hasmonéen que dresse Flavius Josèphe. Cette contradiction apparaît notamment dans le passage des Antiquités juives relatif à l’attitude du roi juif vis-à-vis des Ituréens en 104-103 a.C.41 :

« Il [Aristobule] mourut en prononçant ces paroles mêmes après un an de règne. On l’appelait Philhellène et il avait rendu de grands services à sa patrie : il avait fait la guerre aux Ituréens et annexé une partie considérable de leur territoire à la Judée, forçant les habitants, s’ils voulaient demeurer dans le pays, à se circoncire et à vivre suivant la loi des juifs. Il était d’un naturel très équitable et très modeste, comme en témoigne Strabon, d’après Timagène : “C’était un homme équitable et qui fut d’une grande utilité aux juifs ; il agrandit, en effet, leur territoire, et leur annexa une partie du peuple des Ituréens qu’il leur unit par le lien de circoncision.” »

Là où Flavius Josèphe décrit la conversion des Ituréens comme un acte de violence, Strabon affirme que ces derniers s’allient aux juifs en adoptant la circoncision. Dans les deux cas, on peut penser que l’historien comme le géographe négligent le fait que d’autres peuples que celui des juifs ont pu pratiquer la circoncision, en particulier les peuples arabes, parmi lesquels figureraient les Ituréens42. Selon S.J.D. Cohen, qui appuie son analyse sur une comparaison entre la conversion d’une partie des Ituréens et celle, plus précoce, des Iduméens vers 128 a.C., il faudrait refuser l’explication de Flavius Josèphe, dont le souci de présenter la conversion comme un acte de violence prouverait uniquement que l’historien juif n’admet pas que l’expansion hasmonéenne puisse instrumentaliser la conversion. Si l’on se place du point de vue juif, cette explication pourrait s’inscrire dans le cadre de la redéfnition de l’identité juive dans la Palestine hasmonéenne. L’incorporation d’Ituréens au peuple des Ioudaioi montrerait ainsi que la séparation entre Grecs et barbares ne témoigne que d’un aspect parmi d’autres de la nouvelle perception que les juifs ont d’eux-mêmes. Dans cette optique, le rôle de la circoncision est primordial puisque cette pratique, qui permet de distinguer les Ioudaioi des Hellènes, rapproche au contraire le peuple juif d’autres populations indigènes du Proche-Orient. Paradoxalement, le judaïsme de l’époque hasmonéenne, afin de résister à l’assimilation et aux influences grecques, aurait revêtu des caractéristiques propres à l’hellénisme, en faisant sienne la notion grecque de politeia, « constitution » susceptible d’intégrer des éléments ethniques autrement que par la naissance43.
Si l’on se place du point de vue des Ituréens, il est difficile, en se fondant sur le récit des campagnes militaires hasmonéennes, de tirer quelque conclusion que ce soit des témoignages de la conversion d’une partie d’entre eux44. Tout ce que l’on retiendra est qu’il existe à l’époque d’Aristobule un territoire — non localisé — peuplé d’Ituréens ou sous domination ituréenne, qu’une partie de ce territoire a été annexée par les Hasmonéens à la fin du IIe siècle a.C. et que les populations non juives qui l’occupaient ont été converties au judaïsme à cette occasion.
Selon l’hypothèse que j’ai développée, la première attestation de l’ethnique des Ituréens est donc loin de confirmer l’identification du Ye†ûr biblique à leur éventuel ancêtre éponyme. Elle s’inscrit en revanche dans l’entreprise de redéfinition de l’identité juive à l’époque de l’expansionnisme hasmonéen. Quand Eupolémos, dans la seconde moitié du IIe siècle a.C., compte les Ituréens parmi les tribus combattues par David en les assimilant aux Araméens bibliques de Soba, il est possible qu’il se fonde sur la présence sporadique de ce peuple au nord de la Transjordanie jusqu’à l’intervention du souverain hasmonéen Aristobule (104-103). Mais cette proposition demeure conjecturale car il est difficile de définir les limites de l’expansion hasmonéenne en direction des territoires déjà occupés ou tenus par les Ituréens. Sur ce point, la Galilée et le Jawlæn posent un problème particulièrement délicat à traiter, comme on le verra dans la seconde partie de cette étude. En revanche, il est possible de chercher la trace des Ituréens dans la Beqæ‘ et dans ses montagnes bordières, c’est-à-dire au nord des territoires enlevés aux Séleucides par les Hasmonéens.
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Même si les récits de la conquête d’Alexandre le Grand se réfèrent à une pré- sence arabe au Liban dès la fin du IVe siècle a.C., il n’existe aucune preuve que la pénétration ituréenne aurait commencé avant l’affaiblissement du royaume séleucide, à la fin du IIe siècle a.C. C’est vers cette époque seulement que les Ituréens paraissent implantés au Liban sans que l’on puisse évaluer l’importance du phénomène. La question de l’origine arabique des Ituréens reste ouverte et il paraît préférable de s’en tenir aux données relatives à leur localisation entre la fin de l’époque hellénistique et le début de l’époque impériale.

1.2. YÂr[modifier | modifier le code]

Les doutes portant sur l’identification des Ituréens à d’autres groupes ethniques apparaissent aussi en aval de la chronologie.
Pour mémoire, je citerai la théorie infondée de l’origine ituréenne des Druzes, qu’il est surprenant de retrouver dans l’étude relativement récente de S. Dar45. Parce qu’elle paraît moins aventureuse a priori, l’identification des Ituréens aux membres d’un groupe attesté dans l’épigraphie safaïtique mérite un examen plus détaillé.
À l’époque romaine, quelques inscriptions safaïtiques attestent l’existence d’un groupe social nommé yÂr. Certains de leurs auteurs font remonter leur généalogie à un ancêtre portant le nom yÂr(CIS V, 100). Dans un autre cas, l’auteur déclare appartenir au groupe ’l yÂr (CIS V, 784). Un texte safaïtique est daté par la formule « l’année de la guerre de yÂr » (CIS V, 2209). Une inscription date de « l’année de la migration de ’l yÂr » (CIS V, 4677). Un dernier texte relatif à des opérations de pillage évoque encore le groupe ’l yÂr (CIS V, 2156). Plusieurs savants sémitisants identifient les Ituréens aux membres du groupe yÂr46. Selon E.A. Knauf, il faudrait même analyser la formule du texte safaïtique CIS V, 4677, cité ci-dessus, comme un indice de la pénétration des Ituréens dans la Beqæ‘ au IIe siècle a.C.
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Le problème de ce type d’hypothèses n’est pas spécifique à la question ituréenne mais se pose de manière récurrente dans les études historiques et philologiques sur le Proche-Orient hellénistique et romain : la diversité des vocalisations possibles d’un terme sémitique ne garantit pas systématiquement son équivalence avec celle de ses éventuelles transcriptions grecques ou latines. Ainsi, il paraît préférable d’adopter l’attitude prudente de M.C.A. Macdonald dans l’utilisation de l’épigraphie safaïtique47. De manière générale, on peut douter qu’un ethnique grec fasse référence à un groupe social dont le nom serait attesté en safaïtique, car tout terme consonantique sémitique peut se prêter à de multiples vocalisations qui ne correspondent pas nécessairement à une dénomination grecque donnée. En l’occurrence, l’identification de yÂr à l’ethnique grec Itouraioi est d’autant plus incertaine qu’elle se fonde sur le raisonnement circulaire suivant : yÂr se réfèrerait nécessairement au groupe ethnique connu par ailleurs sous le nom Itouraioi parce que la lettre araméenne † est la transcription habituelle de la lettre  utilisée dans les écritures nord-arabiques tel le safaïtique ; par suite, yÂr équivaudrait à *y†r qui serait équivalent à Itouraioi; mais, comme la transcription normale en hébreu de l’arabe yÂr aurait dû être *YeÒºr et non Ye†ºr, il faudrait considérer Ye†ºr comme une interpolation tardive via l’araméen48. Comme je l’ai déjà signalé plus haut, il est douteux que Ye†ºr soit le nom original de l’ancêtre éponyme des Ituréens. Dans ces conditions, l’identification de yÂr à l’ethnique grec Itouraioi demeure d’autant plus conjecturale d’un point de vue philologique que les diverses possibilités de vocalisation du vocable safaïtique donneraient des noms qui peuvent se référer à plusieurs groupes sociaux49. Par ailleurs, l’utilisation du terme ’l en safaïtique dans un groupe nominal tel que ’l yÂr n’implique pas nécessairement l’existence d’un peuple, puisque ’l peut servir à introduire le nom de groupes sociaux allant de la famille au groupe ethnique entier50. L’attestation de yÂr en tant qu’anthroponyme dans plusieurs inscriptions safaïtiques et hismaïques ne permet pas de supposer l’existence d’une ethnie entière mais plutôt celle de petits groupes sociaux ou familiaux dénommés d’après le nom d’un ancêtre.
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1.3. Ituréens, Arabes et Araméens[modifier | modifier le code]

Si les témoignages relatifs aux Ituréens se font plus nombreux à partir du I er siècle a.C., et, plus précisément, dans les sources grecques et latines relatives à l’établissement de l’ordre romain en Syrie, ils ne sont pas plus explicites sur l’orgine et sur l’appartenance ethnique de ceux qui sont présentés tantôt comme des Syriens, tantôt comme des Arabes.
Il est remarquable de ce point de vue que Flavius Josèphe, dont les informations permettent de reconstituer l’histoire complexe de leurs principautés dans ses grandes lignes, n’identifie jamais ethniquement les Ituréens ; c’est le cas aussi bien dans la Guerre juive, publiée vers 79 p.C., que dans les Antiquités juives, achevées en 93/4 p.C. et dont les livres XII-XX développent les livres I-II de son premier ouvrage. L’historien juif se contente d’admettre à la suite de Timagène et de Strabon que les Ituréens constituent un ethnos, un peuple51. Cette caractérisation s’explique aisément : Flavius Josèphe écrit une histoire du peuple juif et les Ituréens ne sont pas du tout au centre de son propos. Le but que l’historien s’assigne est clairement explicité par le titre même de son premier ouvrage : Guerre juive s’entend comme « guerre des Romains contre les juifs », ce qui indique également que l’ensemble du récit est relaté d’un point de vue romain. De fait, lorsqu’il cite les « autorités » sur lesquelles il s’appuie, Flavius Josèphe nomme systématiquement des sources romaines ou proromaines : ainsi reconnaît-il dépendre de Strabon pour l’épisode de la conversion des Ituréens. Par ailleurs, les auteurs de l’époque impériale qui identifient ethniquement les Ituréens à des Syriens ou à des Arabes ne paraissent pas dépendre de l’historien qui donne le plus d’informations sur leur histoire politique. On sait en effet que la Guerre juive est une histoire acceptée et authentifiée par Titus et par l’Hérodien Agrippa II 52, mais il ne semble pas que l’œuvre de Flavius Josèphe ait grandement influencé les auteurs qui ont pu évoquer les Ituréens à partir du IIe siècle p.C. Certes, Eusèbe de Césarée fait de l’historien « de beaucoup le plus célèbre des juifs de son temps, non seulement auprès de ses compatriotes, mais aux yeux mêmes des Romains, si bien qu’à Rome on l’honora d’une statue et que le sérieux de ses ouvrages leur valut l’honneur des grandes bibliothèques53 ». Cependant, on ne dispose pas d’information qui corrobore les écrits d’Eusèbe54.
Il faut donc se tourner vers d’autres auteurs pour tenter de caractériser le peuple ituréen des sources classiques

1.3.1. Le peuple ituréen des sources classiques[modifier | modifier le code]

Plusieurs auteurs anciens, à partir du premier siècle de notre ère, caractérisent les Ituréens comme un peuple — tout comme Timagène d’Alexandrie au siècle précédent — et le classent parmi les Syriens. On peut évoquer tout d’abord le témoignage de Pline l’Ancien. Dans son Histoire naturelle dédiée à Titus en 77 p.C., cet auteur compte encore les Ituréens parmi les peuples de la Syrie intérieure : l’expression qu’il emploie — « le peuple des Ituréens et ceux d’entre eux que l’on nomme les Baethaemi55 » — impliquerait de surcroît l’existence de subdivisions dans ce groupe ethnique. Au cours de la seconde moitié du deuxième siècle de notre ère, Appien mentionne de même l’Iturée aux côtés de la Syrie Creuse, de la Palestine et de tous les autres peuples syriens sans évoquer les Arabes56. Vibius Sequester, enfin, caractérise les Ituréens comme des Syriens rompus au maniement de l’arc57. Dans tous les cas, l’appartenance des Ituréens aux peuples syriens se justifie essentiellement par leur situation géographique, sans référence ethnique ni sociologique
À cette première catégorie de témoignages, dont l’utilité est négligeable pour caractériser l’identité ethnique ituréenne, on peut en opposer une seconde, qui met les Ituréens en relation avec les Arabes, soit pour les en distinguer soit pour les assimiler à eux. Les trois auteurs qui distinguent les Ituréens des Arabes font tous référence à la marche de Pompée en 63 a.C.: il s’agit de Strabon et des deux compilateurs latins tardifs Eutrope et Orose58. Le témoignage strabonien est le plus intéressant parce qu’il situe précisément sur le Mont Liban les brigands déjà combattus par Pompée et encore actifs à l’époque augustéenne. L’aspect caricatural du jugement négatif porté par Strabon sur les pillards de la montagne libanaise montre cependant qu’il faut préférer en l’occurrence l’acception sociologique à l’acception ethnique des termes ∆Itouraioi` et Arabe" [ . Il faut donc admettre à la suite de M. Sartre que c’est leur activité de brigands qui rapproche des Arabes les Ituréens de la montagne libanaise et non leur appartenance au même peuple59.
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Seul Dion Cassius laisse supposer la survivance au début du IIIe siècle p.C. d’une tradition selon laquelle les Ituréens auraient été identifiés à des Arabes. L’historien évoque la nomination par Caligula, en 38 p.C., d’un certain Sohaimos à la tête des « Ituréens parmi les Arabes »60. Cette allusion concorde avec l’idée qu’il existe une Arabie des Ituréens61. Mais le témoignage de Dion Cassius demeure isolé.
L’analyse des sources de la tradition classique aboutit donc à un résultat relativement décevant puisque la plupart des auteurs grecs et latins caractérisent les Ituréens uniquement comme un peuple de la Syrie intérieure. Il est possible que les rapprochements entre les Ituréens et les Arabes découlent uniquement de la pratique du pastoralisme ou du brigandage, sans qu’aucun critère ethnique n’entre jamais en compte. Tous les textes précédemment cités permettent d’affirmer que si les auteurs grecs et latins ne se font pas nécessairement une idée précise de l’appartenance ethnique des Ituréens, ces derniers n’en sont pas moins identifiés dans la tradition littéraire. Par ailleurs, de nombreux témoignages épigraphiques montrent que les Ituréens sont également identifiés dans l’Empire romain, dès lors qu’ils sont combattus au Liban par le préfet Quintus Aemilius Secundus en 6-7 p.C.62, ou à partir du moment où certains d’entre eux intègrent les troupes de l’armée romaine.

1.3.2. L’onomastique ituréenne et la présence arabe au Liban[modifier | modifier le code]

Les témoignages de l’intégration des Ituréens aux troupes romaines abondent, les plus anciens remontant au milieu du I er siècle a.C. Dès cette époque, c’est-à-dire avant même le démembrement de la principauté constituée par Ptolémaios fils de Mennaios, des Ituréens sont recrutés en Syrie. Virgile évoque dans ces termes l’arme qui fait leur renommée, à savoir l’arc: « les ifs sont ployés en arcs ituréens »63. Des Ituréens combattent dans le camp pompéien à Pharsale en 48 a.C.64. En 46 a.C., ils sont aux côtés de César en Afrique65. Cicéron les mentionne au service d’Antoine dans les Philippiques66. Après les guerres civiles, l’Empire romain recrute des Ituréens. L’Histoire des Alains d’Arrien (1 et 18) cite une cohorte ituréenne equitata parmi les troupes auxiliaires de la Cappadoce dans la première moitié du IIe siècle p.C. Plus tardivement encore, à la fin du IVe siècle p.C., l’auteur de l’Histoire Auguste attribue à l’armée romaine une unité composée de trois cents archers ituréens sous le règne d’Aurélien67 ; certes, on peut se demander s’il ne s’agit pas en l’occurrence d’une mention purement littéraire de ce corps de troupes, mais la Notitia Dignitatum in partibus Orientis (XXVIII, 44) conserve à la même époque le souvenir de la présence de la deuxième cohorte ituréenne en Basse-Égypte lors du IVe siècle p.C. Par ailleurs, l’épigraphie confirme l’incorporation d’une aile et de plusieurs cohortes ituréennes aux troupes romaines sous le Haut-Empire, c’est-à-dire après le démembrement de la principauté libanaise des dynastes de Chalcis68. Les soldats ituréens sont principalement connus par leurs épitaphes. Les plus anciennes paraissent être les pierres tumulaires des soldats de la cohorte I Ituraeorum, qui prouvent la présence de ce corps de troupe sur le limes germanique à l’époque de Tibère69. Ces épitaphes permettent d’établir des listes onomastiques70, dont l’exploitation pose pour la recherche de l’identité ethnique ituréenne des problèmes de méthode. En effet, l’intégration d’un soldat dans une unité militaire ne constitue pas une preuve absolue de son appartenance au groupe ethnique qui donne son nom au corps de troupe. C’est la raison pour laquelle, par exemple, la seule attestation certaine de l’ethnique des Ituréens dans l’épigraphie grecque de la Syrie n’est pas très instructive71 : sur un bloc découvert à Îît, dans le Haurân, on peut lire l’épitaphe d’un soldat envoyé en Mésie qui fut « commandant des Ituréens » ; celui-ci est vraisemblablement originaire du village où il est enterré, tout comme l’un de ses compatriotes, soldat de l’aile auxiliaire Agrippiana, mort en Germanie, et dont le corps ou les cendres ont été ramenées à Îît72. « Bien qu’aucune de ces deux épitaphes ne soit datée, précise A. Sartre-Fauriat, il est vraisemblable que ces deux décès sont liés aux expéditions militaires sur les frontières occidentales, permanentes à partir de la fin du IIe siècle73 », c’est-à-dire au moins un siècle après que le recrutement de troupes ituréennes a commencé. À cette date, on ne peut affirmer sans hésitation que le gradé défunt de Îît est un Ituréen. Dans ces conditions, la proposition d’E.A. Knauf, qui prétend notamment pouvoir distinguer les « Ituréens ethniques » des « Ituréens de métier » dans les troupes auxiliaires de l’armée romaine74, est particulièrement hasardeuse. En effet, l’armée est un milieu spécifique, distinct de la région d’origine des soldats, où l’assimilation s’opère rapidement, où la langue commune est le latin et dont le modèle commun est celui de la civilisation gréco-romaine. Pour illustrer ce propos banal d’un exemple révélateur relatif aux troupes ituréennes stationnées en Égypte, je renvoie aux attestations du terme militaire ∆Itouraiwroum v , translittération exacte du latin Ituraeorum, dans plusieurs inscriptions grecques du temple nubien de Talmis-Kalabshah, où un proscynème émane notamment de Gaius Sa — et d’un personnage dont le nom est entièrement illisible, tous deux adorateurs du dieu local Mandoulis et soldats de la cohors II Ituraeorum equitata, cantonnée sur les rives du Nil pendant toute la durée de l’Empire75.
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Les épitaphes de soldats ituréens sont gravées en latin et il est parfois impossible de déterminer l’appartenance ethnique de tel ou tel porteur d’un nom sémitique latinisé. Ainsi, lorsqu’il fait l’inventaire des inscriptions de l’époque impériale relatives aux soldats ituréens, W. Schottroff doit-il se contenter de donner la transcription grecque courante du nom latin de tel ou tel Ituréen et de renvoyer aux répertoires onomastiques : les transcriptions grecques et latines des anthroponymes attestés en milieu ituréen correspondent fréquemment à des noms attestés dans toute la Syrie, en milieu arabe ou en milieu araméen76. Le choix de l’une ou de l’autre solution repose sur un postulat discutable, ce qui amène à rejeter les conclusions d’E.A. Knauf, selon qui les noms arabes sont largement majoritaires dans l’onomastique ituréenne77. Le recours privilégié à la langue arabe pour interpréter les anthroponymes des soldats ituréens transcrits en latin pourrait s’expliquer, ici comme ailleurs, par la possibilité de trouver des parallèles en plus grand nombre avec l’arabe qu’avec l’araméen. En tout état de cause, compte non tenu de ce problème méthodologique, on retiendra que l’onomastique des soldats ituréens révèle l’intégration linguistique et culturelle d’éléments araméens78.
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Quand on étudie la répartition géographique d’un anthroponyme porté par un soldat ituréen, on peut, dans certains cas, circonscrire une région moins étendue que l’ensemble de la Syrie. L’étude de D. Feissel sur les attestations du nom Beeliabos sous ses diverses formes hellénisées ou latinisées montre que les douze localisations des porteurs de ce nom orientent vers la Phénicie et plus précisément vers la région s’étendant entre le Mont Liban et la Damascène, c’est-à-dire là où l’on s’attend à trouver l’une des capitales ituréennes, Chalcis du Liban. Les données de la prosopographie externe confirment cette localisation, puisque deux parents de soldats ituréens se nomment Beliabus. Il ne s’ensuit pas nécessairement que tous les porteurs de ce nom soient identifiables à des Ituréens : D. Feissel constate simplement que les porteurs du nom Beliabus ne se rencontrent en Occident qu’en milieu ituréen79. Le même problème se retrouve dans l’épigraphie du Liban, de l’Anti-Liban et de l’Hermon, où les attestations de noms arabes ne signalent pas systématiquement la présence des Ituréens. Si l’on tient compte des inscriptions collectées dans les régions du Liban actuel, là où l’on s’attend à les trouver, l’identification d’une onomastique sémitique spécifiquement ituréenne semble vaine, contrairement à ce que suggère S. Dar à propos des inscriptions d’Har Senaim sur l’Hermon méridional80. Par ailleurs, l’onomastique des inscriptions grecques et latines de la Beqæ‘ et de ses montagnes bordières révèle avant tout l’aramaïsation du pays, un phénomène qui concerne l’ensemble des populations de langue sémitique, y compris celles de la Phénicie côtière81.
Certains anthroponymes, certains cultes et certaines coutumes funéraires sont toutefois révélateurs d’une présence arabe incontestable au Liban à l’époque hellénistique et romaine, mais l’on peut hésiter à les mettre systématiquement en relation avec les Ituréens. Le patronyme hellénisé du premier prince de Chalcis, Mennaio", ne semble attesté sous cette forme que dans les écrits de Strabon et dans ceux de Flavius Josèphe82. H. Seyrig avait remarqué que ce nom, qui pourrait correspondre à Manaî (m‘ny), est formé sur le théonyme Maan ou Maanº (m‘n) comme d’autres anthroponymes transcrits en grec de diverses manières83. Or, plusieurs émissions monétaires de Ptolémaios fils de Mennaios et de ses successeurs présentent au revers les images des Dioscures, les jumeaux dont le couple est fréquemment vénéré sous divers aspects par les Arabes à Édesse, à Émèse, dans le Haurân, à Palmyre et en Palmyrène. Parmi les couples divins attestés à Palmyre, on retrouve celui que forment Ma‘anº et Shaarº. Le nom de l’un des jumeaux vénérés par les Ituréens pourrait donc être Ma‘anū84.
Sur les monnaies frappées par certains de ces dynastes, le type d’Athéna rappelle la forme hellénisée d’Allæt, la déesse guerrière dont le culte serait commun à tous les Arabes de Syrie. Ainsi, tout comme les Arabes d’Émèse et d’Arca, les Ituréens implantés dans le Liban septentrional ont-ils pu pratiquer ce culte à Beit Jallouk. Mais je doute que l’on puisse prouver une quelconque exclusivité ethnique des cultes et des dévots de ce sanctuaire en se fondant sur la mention des théonymes grecs Némésis, Kairos Kalos et Athéna, ainsi que sur les noms qui apparaissent dans les quatre inscriptions des IIe et IIIe siècles de notre ère que publie H. Seyrig85. Si l’on suivait le raisonnement d’H. Seyrig et si, par ailleurs, on pouvait conserver la leçon d’un passage de la Guerre juive (II, 481) où Flavius Josèphe nomme Noaros le fils d’un tétrarque ituréen d’Arca, le nom de celui-ci pourrait également être considéré comme un indice de l’appartenance ethnique arabe des dynastes ituréens, car il transcrit en grec un anthroponyme arabe attesté notamment à Arados et dans les environs de cette cité à Qalaat Yahmûr86 ; mais deux autres passages de l’œuvre de Flavius Josèphe ne recommandent pas cette solution et le nom du prince libanais, qui doit être Ouaros87, peut transcrire le latin Varus aussi bien qu’un anthroponyme sémitique.
Enfin, je ne suivrai pas la proposition de G.W. Bowersock selon laquelle le nom de Zénodôros de Chalcis recouvre certainement le nom arabe Wahballah88, car le prince ituréen n’est dénommé qu’au moyen de l’anthroponyme grec.
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Même si les arguments d’H. Seyrig ne sont pas négligeables, les noms des princes ituréens et les types des monnaies de Chalcis du Liban ne garantissent pas l’identification des dynastes à des Arabes. J’observe que le nom Mennaios est également celui d’un juif, père de l’un des trois ambassadeurs envoyés par Hyrcan à Antoine89. Je constate par ailleurs que l’onomastique des princes de Chalcis — Ptolémaios fils de Mennaios, Lysanias et Zénodôros — n’est pas plus homogène que celle des soldats engagés dans les troupes ituréennes, ce qui confirme encore que les liens supposés entre le nom et l’origine d’un individu sont souvent artificiels90.
Dans un article déjà ancien sur « La notion de tombeau en Syrie romaine », M. Gawlikowski proposait d’attribuer la stèle funéraire de type nefesh à des populations nomades arabophones qui auraient pénétré en Syrie à l’époque hellénistique et qui auraient eu pour coutume de dresser au-dessus des sépultures individuelles ces monuments censés incarner l’âme du défunt91. Si cette hypothèse reste intéressante à l’heure actuelle, il est douteux en revanche que l’apparition de nefesh dans des régions de la Syrie romaine qui ont relevé de l’autorité ituréenne permette de l’étayer, car il n’existe aucune preuve des liens entre la stèle de type nefesh et les coutumes funéraires des Ituréens, inconnues par ailleurs. De tels monuments sont signalés dans l’arrière-pays de Beyrouth (el-Mécherfé), de Sidon (er-Rmaïlé, el-Habâbîyé, el-Hlâlîyé, el-Brâmîyé), dans les petites vallées du Mont Liban qui débouchent sur la Beqæ‘ (Nîha, Fourzol), en Abilène (Souq Wædî Baradæ) et au Qalamoun (Yabroud)92. On peut simplement retenir l’idée que les attestations ponctuelles de nefesh au Liban constituent un indice supplémentaire de la présence arabe dans cette région contrôlée et occupée par les Ituréens.
Tout comme l’étude onomastique, celle des témoignages relatifs à la présence arabe au Liban laisse donc subsister des incertitudes sur l’identification des Ituréens à des Arabes. Par ailleurs, il est certain que le groupe ethnique ituréen semble avoir absorbé des éléments non négligeables de la culture araméenne.

1.3.3. Les Ituréens et la culture araméenne[modifier | modifier le code]

Sur la question des rapports entre les Ituréens et la culture araméenne, des publications récentes permettent de proposer de nouvelles hypothèses de travail qui complètent les études déjà anciennes ayant trait à l’aramaïsation des populations qui occupent la Phénicie et le Liban, c’est-à-dire l’espace géographique où l’on s’attend à trouver les Ituréens.
La Phénicie, la haute plaine de la Beqæ‘ et ses montagnes bordières se caractérisent sur le plan démographique comme une mosaïque ethnique, où cohabitent aux époques hellénistique et romaine des indigènes, des Grecs et des Romains. Dans cette région du Proche-Orient, on suppose que le phénicien et l’araméen restent pour la majorité de la population rurale les moyens de communication habituels, non sans que le rapport dans la langue orale entre ces deux parlers indigènes ne se modifie au profit de l’araméen93. En effet, les inscriptions phéniciennes demeurent nombreuses sur la côte au IIe siècle a.C., ne se raréfiant qu’au I er siècle a.C. avant de disparaître. L’hellénisation culturelle de la Phénicie se manifeste ainsi par la quasi-disparition de la langue phénicienne comme langue écrite. F. Briquel-Chatonnet montre que le témoignage le plus récent sur l’usage de la langue phénicienne en Orient consiste en la dédicace bilingue faite par un gymnasiarque à Hermès et à Héraclès, texte gréco-phénicien précisément daté de 25/4 a.C.94 ; comme d’autres indices le laissent penser, on pourrait même considérer ce document assez inattendu comme « le signe d’une sorte […] d’affirmation de la culture propre à la région, réaction due justement au fait que la langue phénicienne semblait menacée ». Il faut en conclure que « depuis le début de notre ère seul le grec est écrit en Phénicie », exception faite du latin, qui reste d’ailleurs rare en dehors du territoire de la colonie romaine de Berytus. La Phénicie et l’intérieur syrien représentent ainsi à l’époque impériale le cas d’un pays caractérisé d’un point de vue linguistique par la distorsion courante dans les empires à vocation universelle tel l’Empire romain entre la langue vernaculaire et la langue écrite, celle du pouvoir dominant, en l’occurrence le latin et le grec qu’utilisent les princes ituréens sur leurs monnaies et sur leurs inscriptions (mais cf. infra). Rien ne permet d’affirmer que, sur la côte, le phénicien ait continué à jouer, aux premiers siècles de notre ère, le rôle d’une langue vernaculaire. En revanche, divers témoignages indirects particulièrement révélateurs et, surtout, l’onomastique de la Phénicie côtière et celle de l’intérieur syrien prouvent que l’araméen, qui joue depuis au moins le VIIe siècle a.C. le rôle de langue véhiculaire dans tout le Proche-Orient, a alors tendance à supplanter le phénicien en Phénicie même, de sorte que la permanence, sinon la résurgence, d’une tradition visible dans la mode des noms locaux atteste l’aramaïsation profonde des cultures indigènes au cours des premiers siècles de notre ère. L’explication de ce phénomène résiderait dans « le fait que la Phénicie faisait partie depuis l’époque hellénistique du même ensemble politique que le monde araméen et que, semble-t-il, la langue araméenne détrônait le phénicien comme langue usuelle sur toute la côte et dans la montagne libanaise où, malgré des vicissitudes, elle a été parlée jusqu’au XVIIe siècle ». Sur l’ensemble du pays correspondant à l’actuel territoire libanais et jusqu’à la côte phénicienne, le maintien de traditions indigènes s’opère par l’usage, dans la langue parlée, de l’araméen et non du phénicien. Il faudrait donc analyser la disparition du phénicien dans la langue écrite et dans la langue parlée de son pays d’origine comme une conséquence de la situation et du rôle particulier de la Phénicie, région de contacts entre la mer Méditerranée et l’intérieur syrien.

La publication de l’unique inscription araméenne découverte à ce jour au Liban pourrait fournir un indice supplémentaire de l’aramaïsation linguistique des Ituréens, selon la conjecture de P. Bordreuil et de F. Briquel-Chatonnet95. Découvert dans les années 1960 à Yanouh, dans l’arrière-pays montagneux de Jbayl, ce texte lacunaire évoque la construction d’un temple que l’on peut identifier à un édifice cultuel hellénistique récemment mis au jour sur le même site. En ce qui concerne la montagne libanaise, il s’agirait de la première attestation de l’araméen comme langue d’affichage, à une époque qui correspondrait au moment où les Ituréens s’implantent au Liban, comme le laisse supposer le fait que le choix de l’ère des Séleucides paraît s’imposer pour le calcul de la date — an 203, équivalant à l’an 110/9 a.C. L’écriture araméenne qu’utilisent les auteurs de la dédicace provient de la graphie standard de l’époque achéménide, sans pour autant se rattacher à l’un ou l’autre des rameaux connus de l’araméen de la Syrie hellénistique et romaine comme le palmyrénien, l’édessénien ou le nabatéen. Dans ce contexte, il est tentant de considérer ce texte comme un témoignage de l’emprise ituréenne sur le versant maritime du Mont Liban ; si tel est le cas, des Ituréens auraient constitué dès la fin du deuxième siècle avant notre ère un groupe social assez structuré pour dédier un temple dans la vallée du Nahr Ibrahim.
L’hypothèse développée par P. Bordreuil et par F. Briquel-Chatonnet pourrait être renforcée. Une monnaie ituréenne acquise par le Kadman Numismatic Museum de Tel Aviv et publiée par A. Kindler présente une nouveauté remarquable par rapport aux autres monnaies ituréennes connues, dont les légendes n’emploient que le grec : au revers de ce bronze du tétrarque Lysanias fils de Ptolémaios, deux lettres araméennes apparaissent dans le champ à droite ; l’auteur identifie une écriture probably early Palmyrene et reconnaît les initiales bet et m®m, qu’il faudrait développer par b(r) m(‘ny) soit « fils de Mennaios »96. F. Briquel-Chatonnet, qui a bien voulu me faire part de son avis sur cette lecture dans une communication personnelle, estime que l’on peut raisonnablement suivre A. Kindler dans l’identification de caractères araméens même s’il n’y a pas de raison de les rapprocher du palmyrénien et même si la lecture proposée mériterait d’être vérifiée au moyen d’une photographie de meilleure qualité. L’enjeu est de taille car l’apparition de l’araméen sur la monnaie d’un prince de Chalcis du Liban confirmerait l’usage officiel de l’araméen en contexte ituréen97.

1.4. Bilan[modifier | modifier le code]

La question de l’identité ethnique ituréenne appelle une réponse plus nuancée que celle qui figure généralement dans les travaux scientifiques jusqu’ici.
Premièrement, la thèse d’une migration des Ituréens depuis l’Arabie septentrionale ne me semble pas pertinente et je rejoins donc M. Gawlikowski quand il évoque les dynastes arabes qui parviennent à soustraire à la tutelle séleucide les villes d’Aréthuse, de Beroia et d’Édesse, en Syrie du Nord ; l’hypothèse de leur migration depuis le nord de la péninsule Arabique ne s’impose pas non plus, d’autant que rien ne permet de supposer dans ce cas précis que ces princes et leurs tribus soient étrangers aux régions de la Syrie septentrionale qu’ils dominent à partir du IIe siècle a.C.98.
Deuxièmement, l’identité ethnique ituréenne reste difficile à cerner. Certains auteurs modernes estiment que des nomades araméens parcourent encore la steppe environnant Palmyre à l’époque de l’apogée de la ville et que leur sédentarisation n’est toujours pas achevée au cours des trois premiers siècles notre ère99. Si l’on pouvait vérifier cette hypothèse, l’identification des Ituréens à des Araméens ne serait pas à exclure en théorie, non parce que l’on dispose d’indices susceptibles de confirmer leur aramaïsation linguistique, car on ne peut en tirer aucune conclusion définitive sur leur appartenance ethnique, mais parce que l’on s’apercevrait que l’intérêt des Modernes à analyser la pénétration des Arabes en Syrie avant l’islam a pu contribuer d’une part à accréditer la confusion, héritée de l’Antiquité, entre les Arabes et les Araméens, d’autre part à masquer les mouvements des populations araméennes dans le Proche-Orient hellénistique et romain. Néanmoins, un faisceau d’indices convergents permet de retenir l’identification des Ituréens à un groupe ethnique arabe ou arabophone présent au Liban à partir du IIe siècle a.C. Selon cette théorie, plus probable que la précédente, l’aramaïsation linguistique et culturelle des Ituréens serait à mettre sur le même plan que celle qui concerne l’ensemble des populations indigènes qui occupent la région syrienne où leur présence est signalée.
La situation des Ituréens serait donc comparable à celle des Nabatéens, nomades sédentarisés au cours de l’époque hellénistique, qui ont adopté l’écriture araméenne, et dont l’onomastique et les cultes permettent de présumer l’origine arabe ; on peut ainsi supposer une évolution du concept d’« Ituréen » analogue à celle du concept de « Nabatéen », dont M.C.A. Macdonald indique qu’il se réfère initialement à une identité ethnique ou tribale, puis à la sujétion à un souverain nabatéen, et enfin, après l’annexion de 106 p.C., à une appartenance originelle à une aire géographique et culturelle particulière100.

2. LES TERRITOIRES DES ITURÉENS[modifier | modifier le code]

Si l’Iturée demeure insaisissable en tant qu’entité géographique clairement définie, il est cependant possible de délimiter les aires du peuplement ituréen en Syrie. On peut ensuite tenter d’analyser le mode de vie des Ituréens sur les territoires qu’ils occupent.

2.1. L’Iturée n’existe pas[modifier | modifier le code]

Même si les termes ∆Itouraiva et Ituraea sont employés par les Anciens, l’identifcation d’une Iturée strictement ou vaguement circonscrite ne semble pas possible, contrairement à ce que l’on peut lire dans la réédition de l’ouvrage d’E. Schürer et dans le récent Barrington Atlas101.

2.1.1. L’épigraphie de ‘Atîl (Haurân) et les spéculations modernes sur l’Iturée antique[modifier | modifier le code]

Il convient tout d’abord de remarquer que les apports de l’épigraphie sont peu fiables si l’on tente de circonscrire l’Iturée antique. Contrairement à plusieurs auteurs102, je doute que l’ethnique ituréen apparaisse dans deux inscriptions lacunaires de ‘Atîl (Haurân) publiées au tournant du siècle dernier par Ch. Clermont-Ganneau103. Ces deux textes, dont la mise en page diffère mais dont le contenu serait similaire, commémorent la construction ou la réfection d’un atelier effectuée grâce à la générosité d’un certain Alexandros fils de Maximos : To; ejrgasthvr(ion) ejk filotei⁄miva" ∆Alexavndrou Maxiv⁄mou bouleutou'∆Iatou⁄raivou ∆Aªdºra<h>nou', selon la lecture que propose Ch. Clermont-Ganneau pour le premier texte, plus complet que le second. L’établissement du texte est mal assuré, en particulier pour l’ethnique de l’antique Adraha (Der‘æ) : Ch. Clermont-Ganneau obtient ∆Aªdºra<h>nou'en combinant les deux transcriptions de R.E. Brünnow, Aª. rºanou et ªA.º⁄rahnou; M. Dunand conteste cette lecture et préfère Aªijrºhnou', solution peu satisfaisante104.
Quoi qu’il en soit, dans le texte de ‘Atîl, dont l’établissement demeure douteux, la succession hypothétique de deux ethniques se trouve à l’origine de spéculations modernes sur la délimitation de l’Iturée antique. Parmi d’autres savants, R. Dussaud a cru pouvoir conclure de ce témoignage épigraphique que « le fait qu’un personnage porte deux ethniques atteste que ces deux ethniques sont différents. Notre Alexandre fils de Maxime était de race ituréenne, probablement né en Iturée, mais demeurant à Adraa »105. En fait, l’assertion de R. Dussaud est sans doute trompeuse car la pierre porte clairement IATOU⁄RAIOU dans le premier texte et IATOURAªIOU < º dans le second. Il s’agit certainement moins d’un ethnique que de la transcription grecque d’un anthroponyme sémitique, *Iatouraio", qu’il convient peut-être de rapprocher de Iatouro", plus fréquent106 ; attesté à plusieurs reprises dans l’épigraphie nabatéenne sous la forme y†wr, Iatouro" rappelle en outre le nom du fils d’Ismaël, Ye†ºr107, mais ces rapprochements onomastiques n’éclairent en rien la question de la localisation de l’Iturée antique.

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2.1.2. L’Iturée des sources classiques[modifier | modifier le code]

Si l’on examine ensuite les sources littéraires, il semble que les termes ∆Itouraiav et Ituraea y réfèrent aux avatars du territoire ituréen plutôt qu’à une région unique de la Syrie. Le témoignage d’Appien évoque l’époque des guerres civiles de la fin de la République romaine. Il mentionne l’Iturée aux côtés de la Syrie Creuse et de la Palestine, pour rappeler simplement la décision prise par Antoine en 37/6 a.C. d’offrir aux enfants de Cléopâtre les territoires enlevés à Lysanias, le dynaste ituréen qui a soutenu les Parthes[7] (Voir ci-dessous pour lexte d'Appien). À cette date, il peut encore s’agir d’une région de la Syrie correspondant au territoire où s’exerçait quelques années auparavant la domination des princes de Chalcis, c’est-à-dire à la Beqæ‘ et à ses montagnes bordières jusqu’au versant maritime du Mont Liban. Cette acception du toponyme ∆Itouraiva répondrait donc à l’expression employée par Strabon pour désigner le domaine de Ptolémaios fils de Mennaios, à savoir « le Massyas et la montagne des Ituréens »[8].
Dans les autres sources de la tradition classique, qui traitent toutes de l’époque postérieure au démembrement de la principauté ituréenne placée sous l’autorité de la dynastie lagide entre 37/6 et 31 a.C., l’Iturée, sensiblement restreinte par rapport au domaine des premiers princes de Chalcis, est toujours mise en relation avec la Trachônitide antique. Cependant, contrairement à cette dernière, dont G.W. Bowersock montre qu’elle correspond à une région hauranaise clairement identifiable géographiquement qui comprend non seulement le plateau basaltique du Lejæ mais aussi le plateau de Qura’ au nord-est du Jabal al-‘Arab110, l’Iturée demeure insaisissable. Sur ce point, les divergences entre Luc et Eusèbe de Césarée, les deux auteurs qui utilisent le terme ∆Itouraiav en le mettant en relation avec la Trachônitide, sont remarquables.
L’Iturée de Luc et de la tradition chrétienne attachée à la lettre de l’Évangile composé entre 70 et 85 p.C. — Origène, Eusèbe lui-même, le Chronicon paschale, Georges le Syncelle — ne correspond qu’à une partie du domaine attribué à l’Hérodien Philippe à la suite du décès de son père, Hérode le Grand, en 5/4 a.C.111

« L’an quinze du gouvernement de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneurde la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d’Iturée et de Trachônitide, et Lysanias tétrarque d’Abilène, sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie, dans le désert. »


D’après le texte de Luc, l’Iturée est une région distincte à la fois de la Trachônitide, placée elle aussi sous la domination de Philippe, et de la Galilée et de l’Abilène, sans que l’on puisse en préciser les contours. (??) Cette délimitation en négatif de l’Iturée correspond aux données transmises par Strabon, selon qui, à l’époque d’Auguste, les deux plateaux nommés Trachônes se distinguent des parties montagneuses du pays situé au sud de Damas, peuplées d’un mélange d’Arabes et d’Ituréens112. Or, d’après Flavius Josèphe, le territoire confié au tétrarque Philippe à la mort d’Hérode le Grand recouvre non seulement la Trachônitide, mais aussi la Gaulanitide, la Batanée, l’Auranitide et l’Hermon méridional, où le tétrarque hérodien refonde Paneas sous le nom de Césarée113. Il est donc impossible de délimiter l’Iturée lucanienne, qui pourrait correspondre à tout ou partie du domaine de Philippe, à l’exception de la Trachônitide. Peut-être Chalcis du Liban a-t-elle été incluse dans les territoires de Philippe, bien qu’on ne dispose d’aucun moyen de vérifier cette hypothèse : on sait seulement qu’une grande partie, sinon l’intégralité du territoire de Zénodôros a été attribuée au père de Philippe (Hérode le Grand) par Auguste à l’occasion de son voyage en Orient, en 21/0 a.C.[9], mais le sort de l’ancienne capitale ituréenne reste inconnu. Si l’on conserve la leçon de certains manuscrits de la Guerre juive, il semble plus vraisemblable que le domaine de Philippe ne comprenne pas la Beqæ‘ méridionale, mais qu’il s’étende plutôt sur le versant oriental de l’Hermon, qui avait fait partie des domaines de Zénodôros115.
Je conclus de l’examen du texte de Luc que l’Iturée lucanienne a pu comprendre l’Hermon méridional et oriental et que l’évangéliste dénomme ∆Itouraiav une région nettement réduite par rapport à l’ancien domaine de Ptolémaios fils de Mennaios.
Bien qu’il connaisse le passage de Luc puisqu’il le reprend littéralement dans sa Démonstration évangélique (VIII, 14), Eusèbe de Césarée identifie explicitement l’Iturée à la Trachônitide dans son Onomasticon116. La précision qu’il apporte ensuite laisse supposer qu’il les considère comme un seul pays hauranais de la province d’Arabie, situé entre Bostra et Damas : « on appelle Trachônitide le pays qui confine au désert de Bostra en Arabie » ; « déjà mentionnée ci-dessus, elle est au-delà de Bostra dans le désert au sud dans la direction de Damas »117. Manifestement, à l’époque d’Eusèbe de Césarée (ca 265-339/40), ∆Itouraiva est un toponyme qui n’a pas disparu de l’usage savant mais qui ne dénomme toujours pas une entité territoriale connue et reconnue, de sorte qu’on ne peut s’appuyer sur cet auteur pour délimiter précisément le pays qu’il nomme ainsi. On peut néanmoins affirmer que l’Iturée d’Eusèbe de Césarée et celle de Jérôme, le traducteur latin de son Onomasticon, coïncide encore dans ses grandes lignes avec celle de Luc, à savoir avec tout ou partie de la région syrienne dominée par Zénodôros de Chalcis à l’époque d’Auguste, puis attribuée à Hérode le Grand et, par la suite, au fils de ce dernier, Philippe. Ce n’est déjà plus le cas de l’Iturée d’Épiphane, l’évêque de Salamine de Chypre, natif d’un village proche d’Éleuthéropolis en Palestine et mort en 402.

2.1.3. Une terre de légende[modifier | modifier le code]

À deux reprises dans son traité contre toutes les hérésies composé à Chypre de 374 à 376, Épiphane de Salamine évoque le « pays d’Iturée » (∆Itouraiva cwvra), qu’il localise au bord de la mer Morte tout comme la Nabatène, la Moabitide et l’Ariélitide ; c’est dans ces régions que les sectes juive et judéo-chrétienne des osséens et des sampséens, toutes deux liées au mouvement baptiste syncrétiste des elkasaïtes, auraient recruté une partie de leurs membres[10]. Cette localisation de l’Iturée en Transjordanie demeure isolée et difficilement compréhensible : peut-être révèle-t-elle le peu d’importance qu’accorderait Épiphane à l’exactitude géographique dans son traité hérésiologique ; si tel n’est pas le cas, ce qui est plus probable compte tenu des origines palestiniennes de cet auteur, il est possible que la tradition manuscrite assez défectueuse dont le texte d’Épiphane de Salamine a été la victime ait abouti à une confusion de l’Iturée avec l’Idumée119. Quoi qu’il en soit, les témoignages plus tardifs, jusqu’à l’époque médiévale et au-delà, ignorent la localisation de l’Iturée en bordure de la mer Morte. Après Épiphane, les auteurs qui situent l’Iturée semblent rester fidèles à la géographie néo-testamentaire120, comme le montre encore au XIIe siècle la Chronique de Guillaume de Tyr121. Si l’on écarte la description problématique d’Épiphane de Salamine, on pourrait conclure du texte de Guillaume de Tyr à l’existence d’une longue tradition, fidèle à la géographie néo-testamentaire et unanime sur la localisation de l’Iturée. Or, il n’en est rien, comme le montre la lecture du texte d’Eusèbe de Césarée. Les divergences de la tradition littéraire relative à l’Iturée pourraient refléter le fait que l’implantation des Ituréens dans les régions où ils sont mentionnés n’exclut pas leur coexistence avec d’autres groupes ethniques, comme l’indique explicitement Strabon. Par ailleurs, les différentes localisations de l’Iturée invitent à imaginer une implantation ituréenne progressive, éventuellement conditionnée par l’émergence de pouvoirs rivaux (Hasmonéens, Nabatéens); il est possible de faire l’hypothèse que la poussée des Hasmonéens en direction de la Damascène aurait refoulé une partie des Ituréens au-delà de la Transjordanie et du Haurân dans la seconde moitié du IIe siècle a.C., mais les preuves font défaut pour étayer cette proposition. Dans le cadre de l’Empire romain, le fait que l’Iturée n’a jamais eu de frontières connues et reconnues explique sans doute que les géographes et les itinéraires anciens en ignorent totalement l’existence. Il apparaît en effet que cette (ou ces) région(s) se défini(ssen)t comme tout espace géographique placé à un moment ou à un autre de l’histoire sous la domination d’un prince ituréen client de Rome. Au premier siècle de notre ère, les multiples remaniements territoriaux du domaine autrefois gouverné par les dynastes de Chalcis du Liban et désormais attribué à divers princes clients ont probablement contribué au rétrécissement spatial du territoire que les Anciens et les Modernes auraient continué à dénommer au moyen du même toponyme jusqu’à en faire une terre de légende122. Dans ce processus, le rôle joué par l’allusion de Luc est déterminant : la mention de l’Iturée par l’évangéliste en fait un pays dont la tradition savante chrétienne doit admettre l’existence et qu’il faut localiser.

2.2. Les aires de peuplement ituréen[modifier | modifier le code]

La plupart des auteurs qui traitent de l’histoire du peuple ituréen entre le IIe siècle a.C. et la fin du I er siècle p.C. ne mentionnent jamais l’Iturée, exception faite des quelques témoignages dont il a déjà été question. S’il faut utiliser avec précaution les données qu’elles transmettent, la tradition littéraire et l’épigraphie permettent d’identifier certaines régions où l’on peut s’attendre à trouver les Ituréens, en prenant garde de ne pas considérer leur occupation comme exclusive : le passage de la Géographie strabonienne relatif à l’occupation humaine du Mont Liban et de la Beqæ‘ entre l’époque de Pompée et celle d’Auguste (XVI, 2, 18) suggère en effet que Ptolémaios fils de Mennaios n’est pas le seul « tyran » et que les Ituréens ne sont pas les seuls « brigands » connus à avoir élu domicile dans les montagnes ou en d’autres points stratégiques du Liban afin de prendre le contrôle des villes de la côte phénicienne et des campagnes de l’intérieur.

2.2.1. Le cas douteux de l’occupation ituréenne de la Galilée et du Jawlæn[modifier | modifier le code]

Si l’on considère le cas de la Galilée et celui du Jawlæn, il apparaît que les sources littéraires n’impliquent aucunement la présence des Ituréens dans ces régions. S.J.D. Cohen, parmi d’autres auteurs, suppose que les Ituréens convertis par l’Hasmonéen Aristobule (104-103) auraient été absorbés parmi la population de la Galilée. Cette proposition me paraît peu vraisemblable car, même à une date antérieure à leur conversion, leur présence n’est pas du tout attestée dans cette région, contrairement à ce que répètent de nombreux historiens à la suite d’A.H.M. Jones123 : il n’est jamais question des Ituréens dans les passages de Flavius Josèphe relatifs aux avancées hasmonéennes en Galilée à la fin du IIe siècle a.C., ni non plus de la Galilée dans les écrits de ce même auteur qui concernent les Ituréens. Un passage de Georges le Syncelle est parfois allégué comme preuve de l’occupation ituréenne d’une partie au moins de la Galilée à l’époque d’Alexandre Jannée, mais l’examen de ce témoignage tardif n’est pas plus concluant que celui des écrits de Flavius Josèphe. À propos du siège de Tyr qu’aurait entrepris Alexandre Jannée (103-76) à la fin de son règne, le chroniqueur byzantin (mort après 810) indique que l’Hasmonéen était sur le point de partir combattre les Ituréens lorsqu’il mourut124 :

« Ayant porté la guerre contre Antiochos [XII] Dionysos [88-85], le fils de Grypos, Alexandre Jannée remporta la victoire. Après avoir envahi le territoire des Tyriens, il assiégea leur île. Ayant été mis à l’épreuve par un soulèvement des Nabatéens et des Ituréens, il envoya le stratège galiléen Digaios contre les Nabatéens. Et il se disposait à combattre les Ituréens lorsqu’il mourut, la trentième année de son règne, remettant le pouvoir aux mains de son épouse Salinè, qui avait eu de lui deux enfants, Hyrcan et Aristoboulos. À compter de ce moment, les affaires des juifs furent bouleversées. »

L’information transmise indépendamment de Flavius Josèphe par le chroniqueur byzantin du IXe siècle n’implique aucune occupation ituréenne permanente de la Galilée ou du Jawlæn. Les Hasmonéens et les Tyriens s’opposent déjà depuis le milieu du IIe siècle a.C. pour le contrôle de la Galilée, en particulier pour celui du village de Kadesh, qui finit par être englobé dans le territoire de la cité côtière phénicienne à l’époque impériale125.

À l’époque d’Auguste, Strabon évoque la diversité ethnique qui caractérise le pays situé au nord de Jérusalem : dans cet ensemble régional, la Galilée est peuplée d’un mélange de tribus composées d’Égyptiens — c’est-à-dire de juifs selon la tradition alexandrine —, de Phéniciens et d’Arabes126 ; mais le géographe, qui connaît les Ituréens, ne fait aucun rapprochement entre ces derniers et les Arabes galiléens, de sorte qu’il n’y a aucune raison d’identifier les premiers aux seconds. En ce qui concerne le Jawlæn, l’extension du territoire hasmonéen s’opère dans le cadre de la rivalité entre Alexandre Jannée et les Nabatéens d’Arétas III, sans que l’on sache rien de l’identité ethnique des populations vivant dans cette région sous la tutelle du premier127. L’examen des sources littéraires ne confirme donc la présence éventuelle des Ituréens ni en Galilée ni au Jawlæn à l’époque hellénistique. À propos de Banias et du lac Houlé, il y a lieu de se demander si leur présence dans cette région ne remonte pas uniquement à l’époque de Lysanias et de Zénodôros de Chalcis ; encore faut-il remarquer qu’il n’est jamais question que d’une domination politique sur la région des sources du Jourdain.

2.2.2. Le Liban[modifier | modifier le code]

D’après Strabon et Flavius Josèphe, l’aire principale de la domination ituréenne à l’époque de Pompée correspond à la Beqæ‘, aux montagnes bordières de cette haute plaine, et même à quelques places côtières phéniciennes qui auraient été investies dans les environs immédiats des cités de Byblos, de Tripolis et de Bérytos. La région qui forme le domaine présumé de ceux que Strabon nomme « les Ituréens et les Arabes » (XVI, 2, 18) est le Liban. Si l’on considère le Liban antique dans son extension la plus large, comme le rappelle P.-L. Gatier128, il faut prendre en compte non seulement le massif libanais, mais aussi l’Anti-Liban et son prolongement méridional, le Mont Hermon. Au cœur de cette région, la présence de trois agglomérations sous contrôle ituréen (Chalcis du Liban, Arca et Abila de Lysanias) amène à distinguer les régions sous domination ituréenne du Liban, où l’on trouverait un véritable peuplement ituréen sans que l’on puisse pourtant en évaluer l’importance. L’examen des témoignages relatifs à l’identification et à la localisation de l’Iturée laisse présumer l’implantation des Ituréens en bordure des plateaux du Trachôn ou en Trachônitide même. Mais G.W. Bowersock129 me semble trop affirmatif sur ce point car, jusqu’à présent, le Liban est la seule région pour laquelle on dispose de témoignages qui y rendent certaine l’implantation des Ituréens : ces derniers y ont été combattus par Quintus Aemilius Secundus à l’époque augustéenne ; on trouve encore au Liban les agglomérations ituréennes, à savoir non seulement Chalcis du Liban, mais aussi Arca, érigée en colonie romaine sous le nom de Caesarea Ituraeorum. Sur le versant syrien de l’Anti-Liban, la haute vallée du Baradæ, englobée dans la tétrarchie abilénienne, peut constituer un autre foyer de peuplement ituréen. Enfin, avant le démembrement de la principauté de Ptolémaios fils de Mennaios et de son fils Lysanias, les Ituréens ont pu investir la région du lac Houlé et de Paneas, au pied de l’Hermon méridional, qui demeure en territoire ituréen jusqu’à l’attribution progressive à Hérode le Grand, entre 27 et 20 a.C., des domaines autrefois alloués à Zénodôros de Chalcis.

2.2.3. Des traces problématiques de la culture matérielle ituréenne[modifier | modifier le code]

Les sources littéraires et épigraphiques attestent la présence des Ituréens ou des princes placés à la tête des territoires ituréens dans les montagnes du Liban à la fin de l’époque hellénistique et sous le Haut-Empire. A priori, ce constat justifie entièrement les entreprises de divers chercheurs pour déceler les témoignages de la culture matérielle de ce groupe ethnique aux époques hellénistique et romaine. Néanmoins, il me semble nécessaire de mettre en doute les postulats sur lesquels ils se fondent, en particulier lorsqu’ils identifient des sites ruraux ituréens dans la Beqæ‘, au Jawlæn et sur l’Hermon. Dans la mesure où elles ne posent pas toutes les mêmes problèmes méthodologiques, il convient d’examiner les propositions des uns et des autres au cas par cas. Selon E.A. Knauf, il faudrait considérer comme les restes d’un fortin ituréen les structures anciennes relevées à Tell Hîra, dans la Beqæ‘ septentrionale sur la rive droite du cours supérieur de l’Oronte, à huit kilomètres environ au nord-ouest du bourg de Hermel130. Or, les archéologues de la mission allemande qui y ont relevé en septembre 1972 les vestiges d’une vaste structure antique les datent de l’époque romano-byzantine d’après l’analyse du matériel céramique repéré en surface ; S. Mittmann interprète cette structure comme un camp militaire romain, destiné à garder la région des sources de l’Oronte131. Quoi qu’il en soit, l’hypothèse d’E.A. Knauf est irrecevable car elle ne se fonde que sur des rapprochements hasardeux d’une part entre les vestiges de Tell Hîra et l’architecture militaire nabatéenne et d’autre part entre le nom arabe actuel du site antique (Hira) et le présumé toponyme araméen dont il dériverait (Ìrt) et qui signifierait « installation temporaire », « camp bédouin »132. Par conséquent, les considérations d’E.A. Knauf sur la sédentarisation incomplète des Ituréens paraissent gratuites (j’aurai l’occasion d’y revenir plus loin). Dans un ouvrage qui synthétise les résultats de prospections de surface et de fouilles archéologiques effectuées entre 1969 et 1993 dans la partie du Mont Hermon occupée par l’État israélien, S. Dar tente d’intégrer ces données nouvelles à l’histoire politique et culturelle ituréenne, comme l’indique explicitement le sous-titre de son livre, Settlements and Cult Sites on Mount Hermon, Israel. Ituraean culture in the Hellenistic and Roman periods133. L’aire explorée par l’équipe archéologique israélienne ne couvre environ qu’un dixième du Mont Hermon, dans sa partie méridionale. On peut souligner d’emblée que rien dans l’archéologie des soixante-quatre sites explorés ne renvoie de manière irréfutable à la culture ituréenne, dont on sait très peu de choses par ailleurs. En effet, ce qui aurait pu être une hypothèse de recherche intéressante se transforme en un postulat invérifiable dans les faits allégués par l’auteur.

Sans revenir sur la « quête des origines », on peut réfuter le postulat initial adopté par S. Dar, selon qui, d’une part l’ensemble des régions montagneuses limitrophes du Liban, de la Galilée septentrionale et de la Trachônitide étaient peuplées d’Ituréens, et, d’autre part la principauté de Ptolémaios fils de Mennaios et de ses descendants, en particulier Zénodôros, un temps souverain de Paneas, constituait un territoire occupé principalement par ce groupe ethnique. De telles prémisses sont discutables car elles ne tiennent pas compte de la mention d’autres groupes ethniques dans la région même des sources du Jourdain : on ne peut pas affirmer que les Danoi par exemple soient des Ituréens ; les Évangiles attestent également la présence de juifs à proximité de Paneas134, où réside une communauté juive malmenée lors de la révolte de 66-70135.

Par ailleurs, l’existence d’autres groupes ethniques sur les territoires dominés par les Ituréens est très probable, y compris dans l’Anti-Liban ou dans la Beqæ‘ méridionale. Entre la fin du IIe siècle et le début du I er siècle avant notre ère, les Ituréens ne sont probablement pas les seuls à occuper la Beqæ‘ et ses montagnes bordières.

De retour de son expédition vers l’Amathitide, Jonathan aurait combattu avec succès les « Arabes appelés Zabadéens », avant d’être capturé à la fin de l’année 143 a.C. par Diodôtos Tryphon, l’usurpateur du pouvoir séleucide (1 M 12, 31). Selon le premier livre des Maccabées, ce groupe serait établi entre le cours de l’Éleuthéros, au nord, et la cité de Damas, au sud, ce qui permet de localiser les Zabadéens dans la Beqæ‘ ou dans l’Anti-Liban[11]. Au tournant du premier siècle de notre ère, Strabon évoque encore les populations mêlées de la montagne libanaise, territoire occupé par les Ituréens et par les Arabes, et des pays hauranais, peuplés d’Arabes et d’Ituréens mélangés137.

S. Dar fait remonter au début de l’époque hellénistique l’implantation des Ituréens sur le Mont Hermon, ce qui entre en contradiction avec la thèse plus assurée d’une présence ituréenne au Liban à partir de la seconde moitié du IIe siècle a.C. seulement. Or, aucun des témoignages matériels allégués par cet auteur ne provient d’un contexte stratigraphique clair. Sur le site exploré de la manière la plus intensive, Har Senaim138, la majeure partie du matériel céramique est datée des IIe - IVe siècles p.C. En comparant le matériel céramique hermonien à celui du plateau du Jawlæn ou à celui de Paneas, Z.U. Ma‘oz conclut même à l’absence de matériel d’époque hellénistique sur l’Hermon139. L’exploration de surface n’a livré que six monnaies lagides et séleucides qui, réparties entre quatre sites différents, n’attestent en aucun cas l’occupation humaine de la région au cours de la haute époque hellénistique. La majorité des monnaies découvertes en surface date en fait de l’Antiquité tardive et de l’époque mamlûke. En résumé, les constructions relevées par les archéologues israéliens permettent uniquement d’affirmer que la partie méridionale de l’Hermon a été occupée de façon certaine entre le Ier siècle et le IVe siècle p.C.

L’aspect le plus discutable de la reconstitution de S. Dar dépasse cependant l’analyse régionale de l’Hermon méridional. Même s’il admet lui-même que l’étude complète du matériel céramique hermonien reste à faire140, il reprend l’hypothèse de l’attribution du « Golan Ware » à la culture matérielle ituréenne.

Initialement suggérée par S. Gutman en 1973 puis reprise par d’autres auteurs, l’identification d’une céramique ituréenne se fonde sur l’attribution à la culture matérielle ituréenne de grandes jarres (pithoi) parfois inscrites en grec et considérées comme caractéristiques de la céramique dite Golan Ware. L’opinion selon laquelle le « Golan Ware » a été utilisé dans la région depuis l’époque hellénistique jusqu’à l’époque romaine de façon continue s’est trouvée confirmée sur quelques sites archéologiques du Jawlæn141. Les archéologues qui explorent le Jawlæn en viennent à identifier soixante-sept sites « ituréens »142. L’analyse de la céramique hermonienne que propose S. Dar se situe dans le prolongement de cette théorie. Dès 1972, S. Dar a pu souligner que la céramique appelée Golan Ware se trouve également sur les sites hermoniens. De manière cohérente, il soutient que cette céramique est de facture locale et que son aire de production s’étend non seulement aux sites du Jawlæn septentrional mais aussi à la partie méridionale du Mont Hermon. Certes, les études de D. Urman sur le Jawlæn permettent de valider une telle proposition143, mais l’on pourrait aussi étendre à la Galilée septentrionale l’aire de diffusion de la prétendue céramique ituréenne au cours de l’époque hellénistique144, voire son aire de production. L’identification d’une céramique ituréenne demeure problématique à l’heure actuelle. Elle n’a pas convaincu l’ensemble des chercheurs145. L’attribution de l’ethnique ituréen au « Golan Ware » semble en effet non fondée parce que d’une part la présence des Ituréens sur le plateau du Jawlæn est douteuse et que d’autre part on ne sait absolument rien de la céramique qu’ont éventuellement produite les Ituréens dans les régions où leur présence est attestée, telle la Beqæ‘. En revanche, on peut remarquer dès à présent que les résultats des prospections de surface et des fouilles archéologiques menées dans le Liban Nord autour de Yanouh dans la vallée du Nahr Ibrahim et sur le site d’Arqa, où la présence des Ituréens est respectivement probable et certaine, montrent que le type des jarres prétendument caractéristiques de la culture matérielle ituréenne semble absent du répertoire des formes produites dans cette région à l’époque hellénistique et romaine146. Ces objections me paraissent s’appliquer à la fois aux thèses de S. Dar sur le matériel hermonien et aux arguments des archéologues qui prétendent que la présence présumée des Ituréens aux environs de Banias suffit pour qualifier d’ituréenne la céramique du Jawlæn. Dans ces conditions, il semble préférable de considérer le « Golan Ware » comme une production régionale, sans que l’on puisse l’attribuer à un peuple. La plus élémentaire prudence impose donc de laisser en suspens la question du lien éventuel entre les Ituréens et la culture matérielle des villageois présents sur le Mont Hermon et sur le plateau du Jawlæn.

2.3. Nomades et sédentaires[modifier | modifier le code]

Lorsqu’ils évoquent le pays des Ituréens, les auteurs anciens se réfèrent fréquemment à une partie de la vaste zone syrienne livrée au brigandage qui confine aux marges du pays civilisé, là où la vie sédentaire s’épanouit dans le cadre de la cité ou du village. Dans ces conditions, toute recherche sur le mode de vie des Ituréens dans leurs territoires implique au préalable d’opérer un décryptage des sources littéraires, sans lequel on prend le risque de se méprendre sur la nature des informations transmises par la tradition classique, marquée au sceau d’une idéologie de la conquête supervisée par l’État central (successivement, les Hasmonéens, Pompée, Hérode le Grand, Auguste).

2.3.1. Les Ituréens et les lieux communs de l’ethnographie antique sur le pasteur et sur le nomade[modifier | modifier le code]

C’est chez Strabon surtout que les Ituréens se trouvent accusés des défauts caractéristiques des peuples montagnards. Il n’est donc pas inutile de reproduire le passage de la Géographie maintes fois cité — mais analysé de manière inexacte à mon avis — où l’ethnographe de l’époque augustéenne stigmatise les exactions des Ituréens depuis l’époque de Pompée147 :

« À cette plaine de Makras succède le canton de Massyas [c’est-à-dire la Beqæ‘], dont une partie tient déjà à la montagne et où l’on remarque, entre autres points élevés, Chalcis, semblable à une acropole du Massyas. C’est à Laodicée, dite Laodicée du Liban, que commence le canton de Massyas. Toute la population de la montagne, composée d’Ituréens et d’Arabes, vit de crimes et de brigandages ; celle de la plaine, au contraire, est exclusivement agricole et, à ce titre, a grand besoin que tantôt l’un, tantôt l’autre la protège contre les violences des montagnards ses voisins. Les montagnards du Massyas ont des repaires fortifiés qui rappellent les anciennes places d’armes du Liban, soit celles de Sinna, de Borrama, etc., qui en couronnaient les plus hautes cimes ; soit celles qui, comme Botrys et Gigartos, en défendaient les parties basses ; soit enfin les cavernes de la côte et le fort bâti au sommet du Théouprosôpon, tous repaires détruits naguère par Pompée parce qu’il en partait sans cesse de nouvelles bandes qui couraient et dévastaient le pays de Byblos et le territoire de Bérytos qui lui fait suite, ou, en d’autres termes, tout l’espace compris entre Sidon et le Théouprosôpon. Byblos, dont Kinyras avait fait sa résidence, est consacrée, comme on sait, à Adonis. Pompée fit trancher la tête à son tyran et rendit ainsi la ville à la liberté. Elle est bâtie sur une hauteur, à faible distance de la mer. »
Sur le brigandage[modifier | modifier le code]

Le passage cité reprend en tous points les thèmes traditionnels de l’ethnographie antique du pasteur et du nomade, dont P. Briant montre qu’ils se conforment à un système d’analyse antinomique148. La définition strabonienne des Ituréens est négative, ce qui explique éventuellement le rapprochement que le géographe opère entre eux et les Arabes de la montagne. Ces brigands ne sont ni des cultivateurs ni des sédentaires. Au contraire, lorsqu’ils parcourent en tous sens (katevtrecon) le pays situé entre Sidon et le Théouprosôpon (Râs ech-Chekka, au nord de Tripoli), leur mobilité évoque le mode de vie des nomades. Leur genre de vie diffère également de celui des sédentaires en ce qu’ils vivent cachés dans des grottes et des cavernes, ce dont on trouve un écho chez le même Strabon à propos de la répression du brigandage au temps d’Hérode le Grand, mais aussi chez Flavius Josèphe et dans un édit lacunaire affiché à proximité de Qanawæt par l’un des deux Agrippas au cours du premier siècle de notre ère149.

Le thème de l’agressivité inhérente au mode de vie des montagnards est un autre lieu commun de l’ethnographie antique et « Strabon y a recours presque en permanence », comme le souligne P. Briant, qui relève à partir d’autres exemples l’existence dans la Géographie strabonienne d’une échelle de la civilisation, où la civilité des peuples décroît à mesure qu’augmente l’altitude à laquelle ils vivent150. Enfin, l’opposition schématique entre les brigands montagnards, dont l’organisation politique s’apparente à la tyrannie, et les paysans de la plaine justifie aux yeux de Strabon l’interventionnisme des rois, « tantôt l’un, tantôt l’autre », avant que Pompée ne survienne et ne rétablisse l’ordre en libérateur. La nécessité et l’inéluctabilité de la conquête sont encore des idées prégnantes dans le passage relatif à l’écrasement du brigandage en Trachônitide, qui doit précéder l’avènement d’un nouvel ordre sous le bon gouvernement romain.

Parmi les ouvrages des auteurs qui ont cherché à analyser le phénomène du brigandage qui sévit en Syrie méridionale au tournant de notre ère, les travaux de B. Isaac font autorité151. Sans qu’il soit nécessaire d’évoquer ici la situation particulière de la Judée, il me semble toutefois que l’interprétation de cet auteur concède une part trop importante au déterminisme écologique sur lequel se fondait déjà dans l’Antiquité l’explication des relations entre l’État central et les populations pastorales. En effet, l’examen des nombreux témoignages relatifs au brigandage libanais et hauranais amène B. Isaac à adopter le point de vue de Strabon et de Flavius Josèphe, selon qui la pauvreté du sol explique le nomadisme et le banditisme. Or, il s’agit d’un principe qui se retrouve chez tous les ethnographes antiques et qui ne rend compte que de manière partielle et partiale des relations entre l’État et les montagnards ou les pasteurs : la « loi du besoin », selon la formule de P. Briant152, repose sur une chaîne de causalités qui unit la qualité médiocre du sol et/ou la rigueur du climat à la mobilité et à l’agressivité de ses habitants. Dans le passage suivant des Antiquités juives, sur lequel notamment se fonde B. Isaac, la « loi du besoin » joue à plein pour expliquer l’accroissement du brigandage en Trachônitide sous le règne d’Auguste : selon Flavius Josèphe, « il n’était pas facile d’y parvenir [c’est-à-dire, à exterminer les brigands de cette région, conduits depuis peu par Zénodôros], le brigandage étant entré dans leurs mœurs et devenu leur seul moyen d’existence ; ils n’avaient, en effet, ni villes ni champs, mais simplement des retraites souterraines et des cavernes qu’ils habitaient avec leurs troupeaux. Ils avaient su amasser des approvisionnements d’eau et de vivres qui leur permettaient de résister longtemps en se cachant. […] Quand ces brigands se trouvaient dans l’impossibilité de nuire aux populations voisines, ils s’attaquaient les uns les autres, si bien qu’il n’était sorte de méfait qu’ils n’eussent commis153. »

Si l’on compare les écrits de Strabon et ceux de Flavius Josèphe, il n’y a pas lieu de se réjouir d’avoir des témoignages concordants bien qu’indépendants, car les principes explicatifs de l’ethnographie antique y sont identiques. En effet, chez eux comme chez Aristote, conformément à la « loi du besoin », le brigandage est le mode de vie imposé à des populations qui occupent un territoire difficile ou impossible à cultiver ; en résulte l’opposition entre les brigands montagnards et les paysans de la plaine. Lorsqu’ils reconnaissent à l’antique « loi du besoin » une valeur explicative, les Modernes oublient qu’il s’agit pour Flavius Josèphe d’expliquer dans quelles circonstances Hérode le Grand a bénéficié des largesses du fondateur de l’Empire. Après l’élimination de la bande de Zénodôros, c’est au prince client que revient la mission pacificatrice, et il s’en acquitte en personne154.

Dans les Florides (6) d’Apulée, au milieu du IIe siècle p.C., la « loi du besoin » est énoncée en des termes plus concis et plus délicats mais non moins tendancieux : l’expression frugum pauperes Ityraeos, « les Ituréens pauvres en fruits », se réfère plutôt à la manière positive dont les tenants du discours ethnographique antique estiment la saine pauvreté des peuples qu’ils décrivent en cédant au « mirage nomade »155. Dans ces conditions, il convient de rejeter la conclusion de W. Schottroff156, selon qui les tribus « bédouines » ituréennes auraient obtenu par le brigandage ce que la nature leur refusait.

2.3.2. L’archéologie de la Beqæ‘ et l’opposition entre les sédentaires et les nomades[modifier | modifier le code]

Bien que problématique, l’équation ancienne entre nature et culture se retrouve dans les travaux modernes des archéologues et des historiens sur la Beqæ‘ hellénistique...

[...]

2.3.3. Les Ituréens et les nomades « safaïtes »[modifier | modifier le code]

Dans le prolongement de l’identification erronée du (des) groupe(s) nommé(s) yÂr aux Ituréens, certains auteurs161 mettent en relation la présence des seconds dans les montagnes du Liban et la découverte de quelques inscriptions safaïtiques dans le même espace géographique162. L’emploi de l’écriture safaïtique dans quelques graffiti isolés ne donne aucune indication sur l’identité ethnique de leurs auteurs. La découverte d’inscriptions safaïtiques au Liban n’atteste pas non plus l’existence d’une population arabe et nomade dans cet espace géographique. Au mieux, on peut constater le passage d’un groupe réduit d’individus dont l’origine reste indéterminée. À la suite de M.C.A. Macdonald, il convient d’insister aussi sur le fait que les inscriptions safaïtiques de l’Anti-Liban ne prouvent pas que la montagne libanaise soit un « site d’estivage » des nomades, et qu’elles n’indiquent pas la pénétration des Arabes du Haurân dans la Beqæ‘163. L’ère (ou l'aire) de distribution majoritaire des textes safaïtiques correspond à la région basaltique de la Syrie du Sud et du nord-est de la Jordanie, ainsi qu’à la partie septentrionale de l’actuelle Arabie saoudite ; le Liban, l’Anti-Liban et l’Hermon sont donc clairement en marge, voire en dehors du domaine des groupes sociaux qui les ont rédigés. Même dans leur domaine, il est impossible d’identifier un groupe ethnique tel « les Safaïtes » d’après la seule utilisation de l’écriture dite « safaïtique ». On peut retenir seulement qu’il s’agit de groupes sociaux qui écrivent au moyen de cette écriture. L’assimilation des prétendus Safaïtes à des groupes en voie de sédentarisation entre la fin de l’époque hellénistique et le début du Haut-Empire est une extrapolation : on trouve les textes safaïtiques principalement dans la steppe ; les activités qu’ils évoquent (agriculture, élevage) n’impliquent aucunement la sédentarisation de leurs auteurs ; il s’agirait plutôt d’éleveurs de chameaux qui pratiquent à l’occasion l’élevage de petit bétail, là où il devient possible, c’est-à-dire surtout en bordure du désert. Il est possible à l’heure actuelle de nuancer le propos : la découverte récente, dans une région de villages située sur le flanc oriental du Jabal al‘Arab, d’environ quatre cents inscriptions safaïtiques dont certains de leurs auteurs affirment apparemment appartenir à la population d’un village tel Sha‘af, prouve que l’on ne peut considérer systématiquement tous ceux qui utilisent l’écriture safaïtique comme des nomades164. Il n’en demeure pas moins que l’immense majorité des graffiti safaïtiques a été trouvée dans des zones désertiques et qu’elle concerne le mode de vie nomade. Enfin, bien qu’il soit parfois question de raids dans les textes safaïtiques, on ne peut assimiler ces groupes sociaux à des brigands nomades, d’autant que le Lejæ, région où sévit le « banditisme » au tournant de notre ère, ne semble avoir été visité qu’occasionnellement par les nomades, et que leurs tribus, comme le montre B. Isaac, ne représentent pas une menace avant le IVe siècle p.C.165. Pour résumer, l’apport de l’épigraphie safaïtique à la question ituréenne est nul jusqu’à nouvel ordre.

2.4. Bilan[modifier | modifier le code]

Au terme de la discussion sur les territoires ituréens, il apparaît que le Liban constitue la région principale du peuplement ituréen, sans que l’on puisse pour autant évaluer l’importance de cette occupation non exclusive. Contrairement aux nombreux auteurs qui présentent les Ituréens comme une population nomade et qui vont jusqu’à nier leur sédentarisation166, je remarque d’une part que l’archéologie ne permet pas encore de traiter cet aspect de la question ituréenne et d’autre part que cette théorie ne résiste pas à l’examen des sources littéraires et épigraphiques.

En ce qui concerne les troubles qui agitent le Liban et le Haurân entre la fin du IIe siècle a.C. et la fin du Ier siècle p.C., j’ai insisté par ailleurs sur le fait que les figures stéréotypiques du montagnard et du pasteur sont prégnantes dans les écrits de Strabon et de Flavius Josèphe sur les Ituréens sans qu’elles expliquent pour autant ni les origines ni le développement du brigandage. Il ne s’agit pas de nier la réalité de ce phénomène et encore moins de douter de la nature économique et sociale de ses causes. Au contraire, les remarques précédentes visent à affiner l’analyse des causes socio-économiques des troubles qui agitent le Liban et la Syrie méridionale entre la fin du IIe siècle a.C. et la fin du I er siècle p.C., en ne les réduisant pas aux conditions pédologiques ou climatiques du domaine occupé, entre autres peuples, par les Ituréens. Dans la plupart des sources qui mentionnent le brigandage libanais et hauranais, le lien très étroit que les auteurs anciens établissent entre ce phénomène et la conquête du Proche-Orient par les Romains ou le changement politique permet de supposer que certaines populations de la Syrie méridionale refusent l’établissement d’un nouvel ordre politique et social et qu’elles le manifestent violemment. De ce point de vue, il est remarquable que les Ituréens dont les noms nous sont connus par la tradition littéraire aient joué le rôle de garants de l’ordre romain.

3. PRINCIPAUTÉS ET DYNASTIES ITURÉENNES[modifier | modifier le code]

Je tenterai de définir dans un premier temps la nature des États ituréens. Dans un second temps, je retracerai l’histoire des principautés ituréennes du Liban, qui figurent parmi les plus vastes des tétrarchies syriennes, en insistant sur le fait que l’existence de trois capitales ituréennes — Chalcis du Liban, Arca du Liban, Abila de Lysanias — s’inscrit dans la problématique de l’urbanisation de ces territoires à l’époque hellénistique et romaine. Enfin, j’aborderai la question des dynasties ituréennes et de leurs relations aux autres familles de princes clients de Rome.

3.1. La nature des États ituréens[modifier | modifier le code]

Récemment, E.A. Knauf a proposé de qualifier d’État bédouin la principauté constituée par Ptolémaios fils de Mennaios, en établissant un rapprochement entre cet État et l’organisation politique du royaume nabatéen167. Il convient de refuser une quelconque valeur analytique à l’expression État bédouin, dont M.C.A. Macdonald montre qu’elle est impropre dans le cadre du Proche-Orient hellénistique et romain168.

Par conséquent, il n’y a pas lieu de s’attarder sur la thèse de K.S. Freyberger, qui attribue à des dynastes tribaux la construction des sanctuaires qu’il étudie dans Die frühkaiserzeitlichen Heiligtümer der Karawanstationen im hellenistischen Osten (1998) : outre le fait qu’une telle conjecture se fonde sur des prémisses inexactes car apparemment issues des propositions erronées d’E.A. Knauf, il suffit de rappeler, à la suite de M. Gawlikowski, qu’Héliopolis-Baalbek n’a rien d’une station caravanière et que la construction de son sanctuaire s’opère sur le territoire d’une colonie romaine, après que les princes ituréens en ont été évincés169.

Il ressort en revanche de l’examen des sources disponibles que l’on peut caractériser les États ituréens comme des principautés clientes de Rome, dont les tétrarques se conforment aux valeurs de la culture gréco-romaine. Les liens que les dynastes de Chalcis semblent entretenir avec le sanctuaire de Baalbek invitent par ailleurs à rapprocher leur État des autres principautés sacerdotales de l’Orient hellénisé.

3.1.1. Des principautés clientes de Rome[modifier | modifier le code]

Dès l’époque de Pompée, Rome a constitué en Syrie un réseau d’États clients qu’Antoine a maintenu afin d’administrer certaines régions de l’intérieur syrien, moins hellénisées que la côte phénicienne. La reconnaissance de Ptolémaios et de Lysanias de Chalcis s’inscrit ainsi dans le cadre de la politique clientéliste mise en œuvre par Pompée, perfectionnée par Antoine et perpétuée jusqu’à la fin du premier siècle de notre ère : en effet, le fondateur de l’Empire, Octave-Auguste, loin de remettre en cause la politique clientéliste d’Antoine qu’il avait pourtant violemment critiquée, adopte finalement les principes de l’organisation de la Syrie par son prédécesseur. Entre la bataille d’Actium et la fin du Ier siècle p.C., le maintien des principautés entretient la discontinuité territoriale de la province syrienne, dans ses parties phénicienne et libanaise comme ailleurs, de sorte que la Syria augustéenne ne présente quasiment pas de frontière commune avec une autre province romaine et que des principautés indigènes s’y trouvent enclavées. Cette situation perdure jusqu’à la fin du I er siècle p.C.170.

Sur leurs monnaies, les princes clients ituréens se qualifient eux-mêmes de tétrarques, titre habituel des dynastes entrés dans la clientèle de Rome171. Depuis la fin de l’époque hellénistique, la dignité de ce titre est moindre que celle de roi (basileuv", rex), initialement réservé aux alliés les plus fidèles et les plus compétents de Rome. Cependant, les notices des lexicographes tardifs montrent qu’ils ont fini par être équivalents. Ainsi Hésychios donne-t-il de tétrarques la définition suivante : « tétrarques : rois. » Sous la dynastie flavienne, Pline l’Ancien établit un rapprochement entre tétrarchies et royaumes dans son Histoire naturelle, pour décrire les anciennes principautés clientes qui subsistent au cœur de la province syrienne dans la seconde moitié du I er siècle p.C. et qui s’incorporent elles-mêmes dans des royaumes172. De même, certains passages parallèles de Flavius Josèphe tendent à montrer une assimilation analogue entre tétrarchies et royaumes, par exemple ceux qui concernent la donation des territoires de l’Ituréen Lysanias à Agrippa Ier en 37 p.C., appelés tantôt tétrarchies173, tantôt royaumes, même si les éditeurs de l’ouvrage d’E. Schürer jugent cette dernière dénomination erronée174.

Il paraîtrait toutefois abusif de considérer que la souveraineté des princes clients reste entière. Le paiement du tribut à Rome symbolise la sujétion dans laquelle ils sont tenus et qui leur interdit de profiter entièrement de la richesse de leurs territoires. Pour les Ituréens, l’imposition du tribut remonte à l’époque de Pompée, dont l’action en Syrie consiste notamment à reconnaître les plus puissants des princes locaux en se gardant de les éliminer. Ainsi, après avoir soumis à contribution l’Émésénien Samsigéramos à Aréthuse, l’imperator fait de même avec Ptolémaios fils de Mennaios, le dynaste ituréen qui règne depuis 84 a.C. au plus tôt sur la Beqæ‘ et sur le nord du Liban. Une hypothèse séduisante d’H. Seyrig met en relation le passage de Flavius Josèphe qui évoque l’imposition de Ptolémaios fils de Mennaios avec les monnaies frappées sous ce dynaste de Chalcis175. Dans le premier monnayage, datant de 73/2 a.C. sur l’ère des Séleucides, le nom de Ptolémaios n’apparaît pas encore.

À cette date, les activités de pillage de Ptolémaios fils de Mennaios sont connues depuis une dizaine d’années. L’absence de son nom sur ses premières monnaies indiquerait que le dynaste de Chalcis n’assume pas encore son indépendance de manière officielle. Selon H. Seyrig, ce premier monnayage aurait été toléré par Tigrane d’Arménie, alors maître de la Syrie, en échange de l’aide que Ptolémaios a pu fournir contre leur ennemi commun, le souverain nabatéen Arétas III, que les Damascains ont appelé en 84 a.C. pour se protéger des entreprises bellicistes du prince de Chalcis176. Si elles présentent les mêmes types, les monnaies frappées en 63/2 a.C. montrent, d’une part, que Ptolémaios se nomme désormais ouvertement, et, d’autre part, qu’il prend les titres de tétrarque et de grand-prêtre, qui deviennent ensuite héréditaires dans la dynastie ituréenne177. Ce n’est qu’après la confirmation de sa souveraineté par Pompée en 63 a.C. que Ptolémaios fils de Mennaios ose [est autorisé à] battre monnaie en son nom. C’est le prix de cet accord, les mille talents dont l’imperator a besoin pour payer ses troupes, que nous livrerait Flavius Josèphe.

À l’époque triumvirale puis à l’époque impériale, les tétrarques ituréens sont nommés ou reconnus par Antoine puis par Octave-Auguste, qui disposent en dernier recours du droit de faire et de défaire les princes clients. En ce qui concerne les dynasties qui remontent à une époque antérieure à la marche de Pompée, telle celle de Ptolémaios fils de Mennaios, l’empereur reste maître de la décision de maintenir ou non le prince reconnu à la tête d’un État client. Les deux Agrippas du Ier siècle p.C., promus par les Julio-Claudiens au détriment des dynastes ituréens, sont ainsi les créatures de Rome au Liban et en Syrie méridionale, comme le montre par exemple la nomination du premier par Caligula après la mort de Tibère en 37 p.C.178. D’allié (socius), le roi client devient donc au premier siècle de notre ère un rex datus, qui doit son trône à Rome, évolution qui contribue probablement à réduire le prestige royal au Proche-Orient.

Si l’on ne sait rien de l’organisation politique ituréenne dans le détail, il est très probable qu’elle ressemble à celle des autres principautés entrées dans la clientèle romaine, telles celles des Hérodiens, des Éméséniens et des Nabatéens, et dont les caractères communs sont les suivants. « Amis et alliés du peuple romain », les dynastes indigènes clients de Rome n’en commandent pas moins des États indépendants, comme le souligne Pline l’Ancien : « considérés comme des royaumes aux noms barbares179 ». Sauf affaires politiques graves d’importance impériale et autres cas où la peine de mort est requise, à l’exception également des affaires mettant en cause des citoyens romains, les dynastes conservent l’exercice de la justice. Sur le territoire de leurs principautés, qu’ils soient tétrarques ou rois clients, les dynastes entretiennent une armée, soldée avec les rentrées fiscales, qui échappent donc au trésor impérial. Leur État conserve une structure administrative et fiscale intacte et assure avec sa propre armée et sa propre police locale la défense des frontières et la sécurité intérieure, ce qu’illustrent bien les efforts déployés par les Hérodiens pour lutter contre le brigandage dans l’Anti-Liban et en Syrie du Sud, où ils prennent la suite de Zénodôros de Chalcis : avant de désavouer ce dernier, Octave-Auguste a reconnu son autorité sur le territoire attribué par Antoine à son prédécesseur, le tétrarque Lysanias de Chalcis, et il lui a confié la garde des plateaux de la Trachônitide dans le dessein de lutter contre le brigandage.

Pour Rome, le système de gouvernement par prince client interposé constitue bien une manière alternative d’administrer des territoires qui appartiennent sans contestation possible à l’Empire romain. Bien que le trésor impérial perçoive moins de rentrées fiscales, ce système de gouvernement indirect présente l’avantage indéniable d’assurer le maintien de l’ordre à moindres frais, si toutefois, contrairement à Zénodôros de Chalcis, les dynastes se montrent à la hauteur des exigences romaines et qu’ils résistent à la tentation de recouvrer davantage d’indépendance.

L’histoire des principautés ituréennes ne se distingue donc pas de celle des autres formations politiques entrées dans la clientèle de Rome au cours du premier siècle avant notre ère. Dans le contexte des guerres civiles, les tétrarques ituréens ont pu faire les frais d’alliances malheureuses en embrassant le parti des vaincus. Mais, sauf exception, ils apparaissent comme les garants de l’ordre politique et social établi par Rome plutôt que comme les fauteurs des troubles qu’ils sont officiellement chargés de contenir, même lorsqu’ils ne se trouvent plus à la tête d’un État client. Deux passages de Flavius Josèphe révèlent ainsi qu’Hérode le Grand a pu compter sur un Ituréen du nom de Sohaimos, au point de lui confier le gouvernement d’un district (meridarciva) de son royaume vers 30 a.C. 180. Après que la principauté de Chalcis a été démembrée, certains Ituréens ont pu reconvertir leurs activités en proposant leurs services aux dynastes promus par Rome : lorsqu’en 53 p.C. la tétrarchie ituréenne du Liban Nord passe aux mains d’Agrippa II, son prince client démis de ses fonctions de tétrarque entre pour un temps au service de l’Hérodien181.

3.1.2. L’hellénisme des tétrarques ituréens[modifier | modifier le code]

La culture de la majorité des Ituréens nous échappe, mais il n’en va pas de même de celle des dynastes de Chalcis et des autres princes ituréens, où se mêlent les éléments indigènes et helléniques.

Si l’on peut effectivement l’attribuer à un dynaste local ituréen de la fin de l’époque hellénistique, le mausolée-tour qui s’élève à Hermel, dans la Beqæ‘ septentrionale, témoigne autant de l’appropriation d’un modèle architectural gréco-anatolien que de la tradition des nefesh. Par ailleurs, plusieurs indices plus fiables permettent une approche nuancée de l’acculturation des dynastes ituréens, dont le maintien au pouvoir passe par la maîtrise du grec et par certaines formes d’hellénsation. Les légendes des monnaies de Ptolémaios fils de Mennaios et de ses descendants, Lysanias et Zénodôros, sont toutes rédigées en grec182. De même, dans l’épigraphie monumentale de la Beqæ‘, l’inscription du tombeau de Zénodôros fils du tétrarque Lysanias montre que les Ituréens font graver des textes en grec à Baalbek (cf. infra). Les deux premières émissions de Ptolémaios fils de Mennaios présentent des types où l’on reconnaît des dieux jumeaux arabes, mais sous un aspect hellénisé : H. Seyrig présume ainsi que le prince ituréen a chargé quelque sculpteur d’une cité phénicienne de représenter les dieux qu’il adorait et « de les helléniser comme il l’était lui-même. De là le groupe quasi héraldique, heureusement balancé, qui décore ses monnaies et celles de son fils Lysanias »183. Toutefois, le recours à la langue ou à des modèles iconographiques grecs n’implique pas le renoncement à des croyances traditionnelles : ainsi Ptolémaios fait-il cuirasser ses dieux ancestraux, alors que les Dioscures de la tradition gréco-romaine figurent habituellement nus sous leurs chlamydes.

Ces réserves faites, il reste que les comportements des tétrarques ituréens rappellent ceux des souverains hellénistiques. Ils célèbrent leur indépendance par la frappe de monnaies portant le nom du souverain, son portrait et les emblèmes de la dynastie. Depuis l’époque de Pompée, rien ne les distingue des autres princes clients de Rome, avec lesquels ils nouent des alliances diplomatiques et matrimoniales (cf. infra). Dès lors que les Ituréens ont perdu le pouvoir, comme le souligne H. Seyrig, « il est d’ailleurs intéressant de voir que certains descendants de la dynastie continuaient apparemment de vivre à Baalbek dans la colonie romaine, en riches pérégrins, usant de la langue grecque184 ». Un trait remarquable des Hérodiens, qui imitent en cela les souverains de l’époque hellénistique, réside dans leur acharnement à soigner leur réputation d’évergètes, notamment auprès des cités phéniciennes et des colons de Berytus185 L’analyse de cette politique par L. Robert rappelle le schéma du don et du contre-don : d’une part « les cités grecques cultivaient leurs relations avec les riches roitelets de l’Orient et allaient leur mendier des cadeaux et des fondations. Les dynastes, d’autre part, ne lésinaient pas dans leurs générosités, pour avoir la réputation de Philhellènes et faire oublier leur barbarie originelle186. »

Ce qui est vrai des Hérodiens et des dynastes d’Émèse, honorés comme patrons de la colonie romaine à Baalbek au premier siècle de notre ère187, se vérifie avec les dynastes ituréens, si l’on examine les relations des princes de Chalcis avec le grand sanctuaire de la Beqæ‘.

3.1.3. Les princes de Chalcis, Baalbek et la triade héliopolitaine[modifier | modifier le code]

Deux hypothèses se fondent sur le fait que les dynastes ituréens de Chalcis parviennent à s’imposer dans la Beqæ‘ au Ier siècle a.C. et qu’ils intègrent à leur titulature les titres de tétrarque et de grand-prêtre : premièrement, le grand pontificat dériverait d’une institution séleucide ; deuxièmement, les tétrarques de Chalcis ne peuvent être grands-prêtres qu’à Baalbek.

Bien que le culte royal séleucide ne laisse aucune trace dans le Liban, I. Lévy suggère que la titulature des dynastes de Chalcis du Liban serait un calque de celle d’un fonctionnaire séleucide, « stratège et grand-prêtre de Syrie Creuse et de Phénicie », à la différence près que le grand pontificat « ne devait plus indiquer qu’une dignité nominale » pour les Ituréens188. Certes, le culte officiel des souverains séleucides a été institué dans chaque capitale satrapique et dans les subdivisions administratives des satrapies. La titulature du « stratège et grand-prêtre de Syrie Creuse et de Phénicie », l’ancien haut fonctionnaire lagide Ptolémaios fils de Thraséas connu pour avoir honoré Antiochos III (mort en -187) sur une inscription de Soloi (OGIS 230) et identifié au personnage homonyme dont les biens sont constitués de vastes domaines en Galilée d’après l’inscription d’Hefzibah189, montre bien que le très politique culte d’État a été pris en charge par l’administration royale. Mais, quelle que soit la valeur du titre de grand-prêtre pour les dynastes ituréens, il semble actuellement impossible de prendre parti sur l’éventuelle intégration à la titulature des princes ituréens d’un titre religieux remontant au début de l’époque hellénistique et leur donnant la haute main sur le sanctuaire de Baalbek. Comme le souligne H. Seyrig, l’analogie entre la titulature des princes de Chalcis et celle des autres dynastes de l’Orient hellénisé de la fin de l’époque hellénistique permet plutôt de supposer que la mention du grand pontificat ne peut renvoyer qu’à une fonction sacerdotale majeure de Baalbek190. Aucune source n’atteste formellement que les tétrarques de Chalcis ont été les grands-prêtres de Baalbek plutôt que ceux d’un autre sanctuaire. Mais, dans la Beqæ‘ et dans ses montagnes bordières, dont Strabon indique qu’elles constituent le domaine de ces dynastes avant l’implantation de vétérans romains, les attestations de grands-prêtres attachés au service des sanctuaires ruraux du Liban, de l’Anti-Liban et de l’Hermon datent de l’époque romaine impériale191 ; en d’autres termes, elles sont postérieures à l’extension du territoire de la colonie romaine de Berytus jusqu’à Baalbek et, au-delà, jusqu’aux sources de l’Oronte. Par ailleurs, les liens des Ituréens avec le grand sanctuaire sont bien attestés. Ptolémaios fils de Mennaios domine toute la Beqæ‘192. La présence à Baalbek au Ier siècle p.C. du tombeau familial de « Zénodôros fils du tétrarque Lysanias » corrobore l’idée que les tétrarques de Chalcis dominent Héliopolis au cours du siècle précédent. Dans la titulature des dynastes de Chalcis, la fonction de grand-prêtre renvoie donc probablement à l’exercice du grand pontificat à Baalbek au Ier siècle a.C. En ce qui concerne la question délicate des rapports entre les divinités qui figurent sur les monnaies ituréennes et la triade de Baalbek, constituée de Jupiter, de Vénus et de Mercure héliopolitains, l’attestation d’Hermès sur les émissions monétaires du premier tétrarque de Chalcis serait susceptible de relancer la discussion et de la poursuivre au-delà des hypothèses formulées il y a une cinquantaine d’années par H. Seyrig. Du point de vue de l’histoire des religions, la question principale que pose la déduction de la colonie de Berytus puis d’Héliopolis en Phénicie et au Liban concerne la part de permanence et d’innovation dans les cultes traditionnels pratiqués dans la cité et dans les sanctuaires de son territoire, notamment à Baalbek. Il n’est pas inutile de replacer cette « question héliopolitaine » dans la problématique récemment remise à l’ordre du jour de l’identification des dyades et des triades divines, car la théorie d’H. Seyrig attribue aux cultes de Baalbek un rôle archétypique dans l’étude des panthéons civiques de la Syrie romaine. Depuis W.W. Baudissin, non sans quelques réserves de la part de l’auteur d’Adonis und Esmun (1911), les Modernes ont traditionnellement conçu l’organisation des panthéons phéniciens à l’époque hellénistique et romaine selon un schéma trinitaire. Dans le prolongement de ces réflexions, H. Seyrig considère ainsi la triade héliopolitaine comme l’aboutissement d’un système religieux d’inspiration phénicienne, dans lequel interviennent Baal, Astarté et un jeune dieu champêtre dénommés respectivement Jupiter, Vénus et Mercure193. « Création théologique tardive, remontant peut-être seulement à l’intervention des Romains vers 16 avant notre ère, note encore H. Seyrig, cette triade semble transplanter au-delà du Liban une institution proprement phénicienne, et représente sans doute l’état où le panthéon phénicien était parvenu en ce temps194. » Le même auteur en vient à mettre en relation l’évolution générale des panthéons civiques de la Syrie romaine avec les cultes phéniciens de l’époque hellénistique195 :

« Il n’en reste pas moins remarquable que des groupes [trinitaires] analogues apparaissent de plus en plus fréquemment dans les monuments religieux de la Syrie à l’époque romaine : à côté de l’exemple si clair de Baalbek, on en distingue d’autres, assez évidents, à Byblos, à Béryte, à Sidon, à Scythopolis, et maintenant à Tyr. Le rapport de ces groupes avec les cultes les plus anciens de la Phénicie reste enveloppé d’obscurité. Mais il semble bien que ces témoignages concordants permettent de conclure à l’existence d’une théologie commune aux cultes phéniciens de l’âge hellénistique. »

Il est établi actuellement que l’apparition des triades dans les panthéons phéniciens est tardive. Par ailleurs, leur constitution ne se ramènerait pas à un schéma de type familial, même dans le cas de la triade héliopolitaine. Les recherches ont été orientées dans cette direction à la fois par l’étude des mythes ougaritiques et par celle des auteurs classiques, en particulier par l’Histoire phénicienne de Philon de Byblos. D’un point de vue chronologique, les triades dont l’existence est assurée dans certaines villes de la côte phénicienne témoigneraient d’une évolution propre à l’époque hellénistique et romaine marquée par le passage de la dyade au groupement trinitaire196.

En ce qui concerne les cultes de Baalbek, les travaux de Y. Hajjar se situent dans la perspective de la théorie d’H. Seyrig197. D’après Y. Hajjar, on adorerait à Baalbek, comme à Damas et à Hiérapolis, une dyade syrienne indigène formée de Baal-Hadad et d’Atargatis, et ce jusqu’au début de l’époque impériale. À la suite de la déduction sous Auguste de la colonia Iulia Augusta Felix Berytus, colonie sur le territoire de laquelle se trouve désormais Héliopolis, le panthéon local se transformerait pour devenir un groupement trinitaire hiérarchisé, constitué d’anciennes divinités indigènes que les colons romains ont renommées Iuppiter, Venus et Mercurius. C’est l’interprétation romaine des divinités indigènes traditionnellement honorées d’un culte local qui expliquerait l’originalité de la triade héliopolitaine — qui la distingue notamment de la triade capitoline composée de Jupiter, de Junon et de Minerve —, et non l’imposition de divinités, d’ailleurs peu conforme aux habitudes romaines, à l’occasion de la déduction de la colonie de Berytus. La reconstitution de Y. Hajjar se démarque de celle d’H. Seyrig sur la question des origines phéniciennes de la triade héliopolitaine, pour y revenir de manière indirecte en rapprochant l’évolution présumée des cultes de Baalbek de celle des triades qui auraient été vénérées dans les cités phéniciennes à l’époque hellénistique.

Dans le scénario qu’impose la théorie d’H. Seyrig, la contradiction qui semble résider entre les monnaies de Chalcis connues de cet auteur et les monuments du culte de Baalbek laisse subsister un doute sur l’hypothèse relative aux origines de la triade héliopolitaine. En effet, l’exercice du grand pontificat à Baalbek aurait dû s’accompagner de l’apparition des trois divinités qui auraient constitué la triade héliopolitaine à l’époque romaine. Or, avant les années 1990, le dieu jeune semblait absent du répertoire figuré des monnaies ituréennes, ce qui amenait H. Seyrig à supposer la réorganisation et la « phénicisation » des cultes locaux par les colons romains de Berytus. Non seulement l’attestation d’Hermès et de l’emblème de ce dieu, le caducée, sur les monnaies frappées en 73/2 et en 63/2 a.C. par Ptolémaios fils de Mennaios confirme l’exercice du grand pontificat ituréen à Baalbek, mais elle semble également rendre caduque la théorie classique de l’influence phénicienne dans la genèse de la triade héliopolitaine. À la suite de D. Herman, il est tentant de considérer que les divinités qui apparaissent au droit des monnaies frappées par le premier dynaste de Chalcis — Zeus, Artémis et Hermès — constituent les prototypes de celles qui sont vénérées à Baalbek à l’époque romaine198. Il est plus prudent peut-être d’affirmer simplement que les Ituréens auraient adopté les cultes traditionnellement pratiqués au Liban lors de leur implantation dans cette région, comme les Éméséniens qui se sédentarisent aux alentours d’Aréthuse et d’Émèse au cours du IIe siècle a.C.199 : selon cette hypothèse alternative, les autres divinités qui figurent sur les monnaies des princes de Chalcis — à savoir les Dioscures et Athéna — seraient plus spécifiquement arabes, tandis que Zeus, Artémis et Hermès pourraient représenter les homologues grecs de divinités indigènes vénérées par les populations locales de la Beqæ‘.

L’importation ou l’adoption par les Ituréens des trois divinités interprétées sous la forme de Jupiter, de Vénus et de Mercure à l’occasion de la fondation coloniale s’accorde avec la popularité en milieu rural du culte de Mercure au Liban à l’époque impériale, popularité aussi manifeste dans la Beqæ‘ sur le territoire de la colonie romaine que sur le versant oriental de l’Anti-Liban en Abilène. Plus généralement, cette théorie s’accorde également avec les pratiques religieuses des Romains lors de la déduction d’une colonie. Comme il est d’usage à cette occasion dans les colonies romaines, le panthéon, le calendrier liturgique et les traditions rituelles sont mis en place par les magistrats locaux et par les décurions200. À Baalbek, sur le territoire de Berytus, l’adoption des règles de fonctionnement municipal implique comme dans les autres colonies romaines la promulgation d’une liste officielle des cultes célébrés au nom de la cité (publice). L’architecture et l’épigraphie du grand sanctuaire héliopolitain attestent la dimension collective conférée aux actes religieux répertoriés lors de la déduction coloniale, en référence aux communautés intégrées à la cité de manière officielle, telles celles du pagus Augustus de Nîha et du uicus anonyme mentionné dans une inscription latine de Hosn Nîha201. Mais la soumission de principe des institutions religieuses d’une colonie romaine à l’autorité de la métropole, difficilement applicable dans les faits, n’annihile pas les cultes locaux sur l’ensemble du territoire colonial et ne s’accompagne aucunement de l’imposition d’un panthéon romain importé. En effet, loin d’entrer en contradiction avec les monuments du culte héliopolitain, les monnaies ituréennes apportent des arguments à la théorie d’une continuité longue du culte pratiqué à Baalbek jusqu’à son adaptation par les colons romains, apparemment sans influence phénicienne déterminante. Il est intéressant de constater que ce type d’adaptation des cultes locaux trouve une contrepartie plus tardive à Arca, dont les monnaies de bronze frappées sous Sévère Alexandre (222-235) suggèrent que l’adhésion officielle au culte héliopolitain de Césarée des Ituréens, la patrie de l’empereur, s’accompagne de l’assimilation d’une divinité locale au grand dieu de Baalbek : le Jupiter héliopolitain y figure à droite de la Venus lugens, faisant ainsi pendant au jeune dieu ressemblant à l’Harpocrate égyptien qui se trouve à gauche de la divinité tutélaire d’Arca202.

J’ai insisté à plusieurs reprises sur l’analogie entre les Ituréens et les Éméséniens, dont la sédentarisation s’accompagne soit de l’importation de divinités qu’ils adorent de manière traditionnelle soit de l’adoption de divinités locales vénérées par les populations indigènes des régions sur lesquelles ils établissent leur domination à la fin du IIe siècle a.C. et au début du I er siècle a.C. L’analogie entre les Ituréens et les Éméséniens paraît s’arrêter là : en dehors du cas particulier et relativement éphémère des princes de Chalcis (ca 84-23 a.C.), les dynastes voisins des Ituréens ne paraissent pas avoir exercé de fonctions sacerdotales semblables à celles des tétrarques grands-prêtres de Baalbek, même à Émèse, où les témoignages attestant l’existence de liens entre la famille princière dépossédée du titre royal au Ier siècle p.C. et les prêtres des époques postérieures font défaut203. À l’époque hellénistique, seule la tétrarchie libanaise de Chalcis s’apparenterait donc aux principautés sacerdotales de l’Anatolie hellénistique et romaine et de la Syrie du Nord, dont P. Debord montre la diversité et les évolutions, depuis le sanctuaire théocratique jusqu’au sanctuaire civique204.

Les liens entre les princes clients ituréens et le sacerdoce posent en outre la question du caractère sacral de ces souverains et celui du rôle effectif qu’ils jouent dans le culte, mais l’information est déficiente. La mention du grand pontificat sur les monnaies frappées par les princes ituréens permet seulement de supposer le caractère viager de leur prêtrise, ce qui les rapprocherait des princes anatoliens investis eux aussi d’un sacerdoce à vie à l’époque hellénistique205. Cette situation ne semble pas inédite en milieu ituréen puisqu’en Abilène, au second siècle de notre ère, la consécration d’un autel au seigneur Kronos, la divinité tutélaire du haut-lieu de Nebi Abel, est datée en l’an 166/7 p.C. « durant le sacerdoce à vie de Sohaimos fils de Diodotos206 ». À cette date néanmoins, aucun dynaste ituréen ne domine plus guère de territoire et il n’est plus jamais fait mention d’un grand-prêtre à la tête du clergé de Baalbek : les sacerdotes connus du Jupiter héliopolitain sont tous des citoyens romains et l’exercice du pontificat s’insère dans le cursus municipal de la colonie romaine207.

3.2. Principautés et capitales ituréennes[modifier | modifier le code]

L’urbanisation des principautés ituréennes n’a jamais fait l’objet d’une étude spécifique. Malgré le titre de son article paru en 1931 — « The Urbanisation of the Ituraean Principality » —, A.H.M. Jones ne traite pas cette question, puisqu’il évoque la vie des communautés hauranaises sous l’angle institutionnel. En adoptant la même perspective, M. Sartre suggère que Rome aurait délibérément développé l’autonomie villageoise en Syrie méridionale, cette étape étant conçue comme un préalable indispensable à la poliadisation dans une région où l’urbanisation demeurait défaillante avant les deuxième et troisième siècles de notre ère ; un réseau de « bourgades-mères » aurait même été créé pour se substituer aux cités dans le cadre des domaines impériaux, en Batanée de façon certaine, et en Trachônitide de façon vraisemblable208. La question ituréenne s’inscrit indéniablement dans la problématique de la poliadisation progressive de la Syrie méridionale, puisque l’on suspecte la présence des Ituréens dans certaines régions du Haurân. C’est pourtant au cœur de leur domaine, au Liban, où des cités existent avant même l’époque hellénistique, que les Ituréens participent de manière irréfutable au développement du réseau urbain de la Syrie intérieure. Jusqu’à présent, la recherche s’est concentrée de manière légitime sur l’histoire complexe des principautés ituréennes, car les problèmes qu’elle pose sont loin d’être tous résolus. En revanche, il n’existe aucune synthèse sur les agglomérations ituréennes, ce qui contribue certainement à fausser l’analyse des États et des groupes ituréens, trop souvent réduits à des entités politiques et sociales peu organisées car censées avoir été livrées à des nomades turbulents. Or, des traditions anciennes inscrivent les Ituréens dans un cadre urbain dès le début de leur histoire et les présentent comme les fondateurs ou les refondateurs de trois agglomérations de Syrie, ce qui contredit l’opposition tenace entre nomades et sédentaires : ils auraient fondé Chalcis du Liban et Abila de Lysanias, et refondé Arca du Liban, les deux dernières capitales s’étant développées avec plus ou moins de succès dans le cadre de l’Empire romain. Si les travaux archéologiques en cours ne permettent pas encore de dresser un bilan complet sur les capitales ituréennes, ils encouragent néanmoins à poursuivre la recherche dans cette voie dépassionnée, sans la dissocier de l’approche historique traditionnelle.

Après avoir présenté l’état de nos connaissances sur chacune des trois capitales ituréennes, j’évoquerai le devenir des principautés ituréennes et leur possible transformation en domaines impériaux.

3.2.1. Chalcis du Liban[modifier | modifier le code]

L’histoire de l’ancienne capitale des souverains ituréens du Ier siècle a.C. passée aux mains des Hérodiens au Ier siècle p.C. est des plus mal connues, ce qui tient en particulier au fait que le problème de la localisation de cette agglomération antique n’est toujours pas considéré comme résolu209. Sur ce point, je suis la récente mise au point de P.-L. Gatier210, que je complète et que j’intègre à l’histoire générale de la tétrarchie ituréenne.

L’hypothèse d’une fondation précoce, peut-être dès le IIIe siècle a.C., de la future capitale des tétrarques ituréens se fonde principalement sur le nom même de Chalcis, « qui trahit si nettement son origine macédonienne211 ». Les conditions de cette fondation restent inconnues. À ce propos, une courte notice tirée des Ethnica d’Étienne de Byzance (fl ca 528-535) suscite plusieurs théories contradictoires : « Chalcis : 4, cité de Syrie, fondée par l’Arabe Monikos. Son ethnique est Chalcidênos » (Calki" : v dV povli" ejn Suriva/, ktisqei`sa uJpo; Monikou'tou' Arabo". To [ ; tauvth" ejqniko;n Calkidhno"v )212.

La première question que pose la notice concerne l’identification de cette Chalcis, la seule que mentionne Étienne de Byzance pour toute la Syrie, alors que l’on en connaît au moins deux : Chalcis ad Libanum et Chalcis ad Belum, cette dernière étant identifiée de manière certaine à l’actuelle Qinnesrîn, en Syrie du Nord. Pour leur part, G. Schmitt et E. Frézouls hésitent entre les deux possibilités213. Mais si l’on admet que la fondation de Chalcis du Bêlos est le fait de Séleucos Ier, comme le rapporte Appien dans sa Syriakè (57), il n’y a aucune raison de douter de l’identification de Chalcis du Liban à la localité mentionnée par Étienne de Byzance214. Selon J.-P. Rey-Coquais, le nom dynastique de Chalcis s’expliquerait de la façon suivante : « Antiochos III le Grand avait épousé une jeune fille de Chalcis de l’Eubée. Un prince arabe aurait donné à sa “fondation” le nom de la ville natale de la nouvelle épouse royale. Voilà donc qui pourrait expliquer le choix du toponyme grec et indiquer l’époque de la fondation. Et voici qui situerait dans l’espace la Chalcis de Monikos. C’est Antiochos III qui assura au royaume séleucide la possession de toute la Syrie du Sud, la Coelésyrie […]. La fondation d’une Chalcis, aux confins de la Beqâ et de l’Antiliban, aurait été une manifestation de loyalisme, sans doute particulièrement nécessaire envers le nouveau maître du pays. On voudra bien prendre cum grano salis cette hypothèse romanesque (…)215. » L’aspect aventureux de cette proposition, reconnu par l’auteur lui-même, joue en sa défaveur. De même, il est impossible de vérifier l’hypothèse de Ch. Ghadban, selon laquelle la notice d’Étienne de Byzance pourrait constituer « un indice révélant que les Ituréens se seraient installés dans l’Anti-Liban sur une terre royale, avec l’accord du souverain216 ».

L’identité du fondateur de la capitale ituréenne pose également un problème. A.H.M. Jones et P.-L. Gatier identifient l’Arabe Monikos à Mennaios, le père du premier dynaste de Chalcis attesté, Ptolémaios217. Par ailleurs, en accord avec J. Dillon218, P.-L. Gatier corrige le nom du fondateur, Monikos, par celui d’un ancêtre du philosophe païen Jamblique de Chalcis, Monimos219. Cette conjecture est séduisante car l’anthroponyme Monikos ne semble pas connu par ailleurs, contrairement à celui de Monimos, porté par de nombreux Syriens, et notamment par un soldat de la première cohorte ituréenne inhumé à Mayence, en Germanie supérieure220.

La datation de la fondation de Chalcis est liée à la localisation de l’agglomération antique, qu’il convient donc d’examiner en détail. Longtemps, la capitale des tétrarques ituréens du I er siècle a.C. a été identifiée à Aanjar221. Comme l’ont rappelé J.-P. Rey-Coquais et Er. Will, il convient de rejeter cette identification, car les fouilles menées sur le site d’Aanjar permettent d’identifier une fondation nouvelle de l’époque ommeyade, qui ne recouvre aucune agglomération antique; par ailleurs, le toponyme Aanjar signifie « la source de Gerrha », et Gerrha (Gevrra) est une place forte de la Beqæ‘ mentionnée par Polybe222. Le problème demeure entier, même si l’on peut proposer quelques hypothèses à partir des sources littéraires qui évoquent Chalcis.

Dans sa Géographie, Strabon désigne Chalcis comme un point élevé des montagnes du Liban et la qualifie d’« acropole du Massyas », ce dernier toponyme dénommant la Beqæ‘223. Dans la Guerre juive, Flavius Josèphe évoque l’agglomération alors aux mains de Ptolémaios fils de Mennaios « qui exerçait son pouvoir sur Chalcis au pied du Liban224 ». Cependant, les informations les plus importantes sont tirées du récit de Flavius Josèphe sur la marche de Pompée. Parti d’Antioche, l’imperator romain passe dans la Beqæ‘ par Héliopolis et par Chalcis, avant de gagner Damas « après avoir franchi la montagne qui barre la Syrie dite Creuse », c’est-à-dire après avoir franchi l’Anti-Liban225. Le nom de Chalcis aurait survécu jusqu’au XVIe siècle, si l’on en croit la relation de voyage de P. Belon, naturaliste du Mans : suivant un itinéraire qui le mène de Damas au Mont Liban, ce voyageur fait étape à Calcous, localité dont le nom pourrait correspondre au toponyme grec Chalcis; P. Belon y signale un khan et des habitations troglodytes226. Pour autant que l’on puisse se fier à ces indications, il paraît toujours justifié, à la suite de J.-P. Rey-Coquais227, de chercher Chalcis dans les localités du sud de la Beqæ‘ et de l’Anti-Liban, où sont connues des habitations rupestres. Néanmoins, l’itinéraire de P. Belon demeure malheureusement indéterminé et le témoignage du naturaliste est inexploitable.

Les Modernes qui ont tenu compte à la fois de l’ensemble de ces données et de l’impossibilité d’assimiler Chalcis ad Libanum à Aanjar ont logiquement proposé d’autres localisations. On peut immédiatement écarter celle de Ch. Ghadban — Chadoura, sur la route qui mène de Baalbek à Zébédæni —, car cet auteur ne développe aucune argumentation228. Par ailleurs, certains auteurs sont tentés de localiser Chalcis « au pied du Liban », en se fondant sur le texte de Flavius Josèphe ; divers villages ou bourgades sont ainsi candidats : el-Karak et Zahlé notamment, au pied du Jabal el-Knîssé. Mais el-Karak est un village qui n’a livré que des inscriptions latines229, tandis que Zahlé n’a rien livré qui soit datable de l’époque hellénistique ou romaine. Rien n’indique par ailleurs que l’idée que Flavius Josèphe s’est faite du Liban corresponde à celle que nous en avons actuellement. Au contraire, comme le souligne P.-L. Gatier230, la conception du Liban comme un ensemble montagneux comprenant non seulement le Mont Liban lui-même mais aussi le massif parallèle antilibanais, prévaut chez cet historien qui ne mentionne jamais nommément ni l’Anti-Liban ni l’Hermon.

De façon plus crédible, Er. Will suggère de rechercher Chalcis dans l’Anti-Liban, « quelque part entre Serfiæya et Ba‘lbek231 », c’est-à-dire entre la localité qui se trouve à la tête de la haute vallée du Nahr Baradæ et la partie centrale de la Beqæ‘. Plus récemment, J.-P. Rey-Coquais suit Er. Will lorsqu’il localise Chalcis dans la vallée du Baradæ elle-même232. Cependant, cet auteur néglige la présence d’une autre tétrarchie ituréenne dans cette vallée : la tétrarchie de Lysanias, centrée autour d’Abila, agglomération probablement fondée par le tétrarque lui-même et identifiable à Souq Wædî Baradæ ; cette importante réserve avait d’ailleurs déjà été formulée par Er. Will233. L’argumentation la plus solide reste à l’heure actuelle celle d’Er. Will, même si elle comporte des fragilités qui amènent à proposer une solution alternative.

Premièrement, rien n’indique dans le texte de Flavius Josèphe relatif à l’itinéraire de Pompée dans la Beqæ‘ que Chalcis se trouve sur la voie la plus courte entre Baalbek et Damas, voie qui passe par la haute vallée du Baradæ. Er. Will remarque lui-même que « sans doute, le général romain n’était […] pas obligé d’emprunter la voie la plus directe ; il pouvait, pour des raisons de circonstance, au lieu de franchir l’Antiliban par le col le plus proche de Ba‘lbek, faire un crochet par ‘Anfiarr […]234 » ou, plutôt, pour rester cohérent si l’on refuse l’identification d’Aanjar avec Chalcis ad Libanum, par Chalcis. En deuxième lieu, il est difficile de se fonder sur l’édit du roi Agrippa II conservé à Yabroud sur le versant oriental de l’Anti-Liban, étant donné l’état de ce texte. Même si, comme le suggère Er. Will, l’édit peut être daté de l’époque où Agrippa II est seulement roi de Chalcis de 48 à 53 p.C., on en déduit simplement que la principauté de Chalcis confinait au Qalamoun à l’époque de sa plus grande extension, sans que l’on puisse localiser la localité antique de façon certaine dans l’Anti-Liban septentrional. Il n’est pas nécessaire de supposer que le royaume de Chalcis ait alors perdu sa capitale. On peut se contenter d’objecter à Er. Will que les remaniements survenus entre le démembrement de la principauté ituréenne de Ptolémaios fils de Mennaios et l’avènement d’Agrippa II ont pu entretenir la discontinuité territoriale du royaume de Chalcis.

Enfin, la prospection de l’Anti-Liban menée par P.-L. Gatier en 2001 et en 2002 invalide l’hypothèse d’une localisation de la capitale ituréenne dans la région de Zébédæni et de Serghaya, où il ne se trouve « aucun site suffisamment important pour qu’on puisse y placer Chalcis235 ».

En conséquence, il paraît légitime de proposer une solution alternative à celle d’Er. Will et de continuer à situer Chalcis du Liban dans le sud de la Beqæ‘, mais désormais à Majdel Aanjar236. Au début de son article, Er. Will rejette en quelques notes une solution ancienne, qui consiste à considérer Majdel Aanjar comme l’acropole de Chalcis et Aanjar comme sa partie basse. Cette proposition était celle qu’avait retenue J.-P. Rey-Coquais237, avant d’opter plus récemment pour une localisation dans la haute vallée du Nahr Baradæ. Les réserves formulées à propos de l’identification d’Aanjar et de Chalcis du Liban sont toujours valables et l’éloignement de ces deux sites, distants de 2,5 km à vol d’oiseau, ne conforte pas non plus l’hypothèse d’un couple acropole-ville basse. Cependant, il reste tout à fait envisageable d’identifier le site de Majdel Aanjar à la fois à la Gerrha de Polybe, comme le propose déjà Er. Will238, et à Chalcis du Liban. Si aucun texte antique n’atteste cette double identification, rien non plus ne permet de l’écarter définitivement et, pour citer à nouveau Er. Will, « naturellement le site a pu donner lieu ultérieurement à la fondation d’une ville et changer de nom239 ». Par ailleurs, le site répond à la définition de Strabon — « acropole du Massyas » — et sa situation immédiatement au sud de la route menant de Beyrouth à Damas correspond bien à la localisation approximative que suggère le récit de la marche de Pompée par Flavius Josèphe. L’importance stratégique de Chalcis du Liban est encore soulignée par l’identification de Majdel Aanjar à la forteresse hellénistique de Gerrha.

Au sommet d’une hauteur qui attire le regard sur Majdel Aanjar s’élèvent actuellement les ruines d’un temple romain périptère, attestant l’occupation du site à l’époque impériale. Les archéologues allemands datent l’édification de cet édifice des IIe et IIIe siècles p.C.240, mais P.-L. Gatier indique que le temple « remploie des blocs décorés d’allure hellénistique tardive241 ». La présence à l’époque hellénistique d’une forteresse lagide sur le site, de même que la preuve de son occupation ultérieure par un sanctuaire d’époque impériale, amènent à considérer le choix de Majdel Aanjar par un prince ituréen, au cours du IIe siècle a.C., comme une hypothèse tout à fait envisageable. Certes, aucun vestige n’y atteste formellement l’existence d’une ville hellénistique ou romaine, mais la « fortune éphémère » de Chalcis, pour reprendre une expression d’Er. Will242, et la possible réutilisation des monuments de cette agglomération depuis la fin du I er siècle p.C. ont pu se conjuguer pour qu’il ne reste rien de la capitale des princes ituréens du I er siècle a.C.

La localisation de Chalcis du Liban à Majdel Aanjar s’accorde par ailleurs avec les données relatives à l’extension de la principauté ituréenne de Ptolémaios fils de Mennaios. Depuis 84 a.C. environ, date à partir de laquelle la tradition littéraire commence à mentionner ses exactions, Ptolémaios fils de Mennaios a pu gouverner la principauté ituréenne, constituée dans la Beqæ‘ autour de Chalcis du Liban et allant du Liban septentrional aux portes de la Damascène. En 40 a.C., ce dynaste allié de Pompée et marié à une Hasmonéenne décède et son fils Lysanias lui succède. L’annexion de la principauté ituréenne, qui se justifie du point de vue romain par les relations étroites entre Ptolémaios puis Lysanias d’une part, et les Parthes d’autre part, apparaît ainsi comme une des étapes de la réorganisation de l’Orient par Antoine.

En 37/6 a.C., à l’occasion des remaniements territoriaux décidés à Antioche, Chypre, une partie de la Cilicie Trachée, la Cyrénaïque et une partie de la Crète reviennent à l’Égypte, en plus des territoires syriens243. Dion Cassius met bien en relation ce contexte général avec la décision prise par Antoine d’offrir les territoires enlevés à Lysanias, le « roi » des Ituréens qui a soutenu les Parthes, aux enfants de Cléopâtre VII (51-31), la reine lagide maîtresse du triumvir depuis 41 a.C.244. Dans la seconde moitié du IIIe siècle p.C., le philosophe Porphyre de Tyr (transmis par Eusèbe) reste fidèle à la tradition selon laquelle Chalcis aurait été attribuée à la reine lagide[12] :

« La seizième année [du règne de Cléopâtre] fut appelée aussi la première, car après la mort de Lysanias, roi de Chalcis en Syrie, l’imperator Marcus Antonius donna Chalcis et le pays environnant à Cléopâtre. »

Selon H. Seyrig, qui rappelle que les années régnales de Cléopâtre VII débutent en 52/1 a.C., la seconde ère de la reine lagide commémore l’attribution de territoires par Antoine à la fin de l’an 37 ou en 36 a.C.246. Le même auteur attribue quatre monnaies portant le nom de Cléopâtre à Chalcis du Liban en se fondant sur leur ressemblance avec celles que frappe ultérieurement un autre tétrarque de Chalcis, Zénodôros. Sur les monnaies de Cléopâtre, l’absence de toute indication d’origine s’expliquerait par le fait qu’à Chalcis, la reine « ne se contente pas d’une souveraineté mitigée comme dans les villes de la côte » et notamment à Tripolis, qui adopte en 36 a.C. l’ère syrienne de Cléopâtre avant de revenir définitivement à l’ère des Séleucides après Actium ; à Damas non plus, le règne syrien de la dernière reine lagide n’occasionne aucune interruption dans l’usage de l’ère des Séleucides sur les monnaies de la ville comme sur ses inscriptions et celles de sa région environnante247. À Chalcis en revanche, Cléopâtre « est vraiment reine, et frappe en son propre nom, suivant l’usage royal, sans mention de lieu248 ». La domination lagide sur Chalcis perdure jusqu’à la défaite d’Antoine et de Cléopâtre à Actium au mois de septembre 31 a.C.

Dès 31/30 a.C., l’Ituréen Zénodôros bénéficie de la faveur d’Octave et il célèbre immédiatement son avènement par une émission monétaire datée selon l’ère des Séleucides, toujours en usage en 26/5 a.C.249. Selon Flavius Josèphe, Zénodôros a pu louer les biens de Lysanias fils de Ptolémaios, le tétrarque et grand-prêtre ituréen implanté dans la plaine de la Beqæ‘250. On en déduit que la principauté ituréenne a été un temps administrée directement par Rome après la mort de Cléopâtre, mais les légendes des monnaies frappées au nom de Zénodôros prouvent que le prince client conserve les titres de tétrarque et de grand-prêtre, habituels dans la dynastie de Chalcis ; je souligne au passage que les légendes monétaires corroborent le témoignage de Dion Cassius, qui emploie l’expression Zhnodwrou tino v " tetrarci ; anv « la tétrarchie d’un certain Zénodôros » pour désigner le territoire du prince ituréen passé aux mains d’Hérode le Grand251.

Rapidement, Zénodôros en serait venu lui-même à exercer des activités de pillage pour son compte. Auguste le destitue donc, à une date qu’il est difficile de préciser, même si Flavius Josèphe, relativement concis sur ce point dans la Guerre juive, développe longuement cet aspect des activités du nouveau prince client dans les Antiquités juives252. L’historien situe l’événement « après la première actiade253 », c’est-à-dire après 27 a.C., au temps du gouverneur Varro ; ces deux indications permettraient de dater l’attribution à Hérode le Grand des territoires de Zénodôros entre 27 et 23, à l’automne 24 a.C. si l’on suit E. Dabrowa254.' Zénodôros ne meurt qu’en 20 a.C., à l’époque du voyage d’Auguste en Syrie et au cours de la dix-septième année du règne d’Hérode le Grand. À cette occasion, écrit encore Flavius Josèphe, « César attribua à Hérode sa succession assez considérable, qui comprenait les territoires situés entre la Trachônitide et la Galilée, Oulatha [c’est-à-dire la région du lac Houlé], le canton de Paneas et toute la région environnante255. » Si les territoires d’Hérode le Grand passent de main en main au cours du Ier siècle p.C., tous les domaines issus de l’éclatement de la principauté ituréenne de Ptolémaios fils de Mennaios n’ont pas connu l’annexion au royaume de l’Iduméen. Le Liban Nord et l’Abilène s’individualisent territorialement et restent autonomes au cours du Ier siècle p.C. Inversement, la richesse et l’importance stratégique de la Beqæ‘ amènent Auguste, puis Tibère à la suite de ce dernier, à assurer l’administration directe d’une partie de la haute plaine : après que le royaume de Chalcis a été démembré dans les années 20 a.C., une partie de ses terres revient à la colonie romaine de Berytus, dont le territoire est étendu jusqu’aux sources de l’Oronte en 15/4 a.C.[13]. Au sud de la route qui mène de Beyrouth à Damas, les cités de Sidon et de Damas peuvent se disputer d’autres territoires situés dans la Beqæ‘ méridionale, sous le règne de Tibère[14]. Nous ignorons le sort de Chalcis au début du Haut-Empire, car la tradition littéraire ne donne aucun renseignement sur l’histoire de l’agglomération entre le milieu des années 20 a.C. et le début du règne de Claude en 41 p.C. Tout au plus présume-t-on sans argument que soit l’Hérodien Philippe soit l’Ituréen Lysanias d’Abila, soit peut-être un autre prince client, aient pu tenir une partie de l’ancien royaume de Chalcis du Liban dans le sud de la Beqæ‘258. Il me semble néanmoins que l’épigraphie autorise quelques hypothèses à ce sujet. Premièrement, j’observe que la localisation de la capitale ituréenne dans le Liban correspond à celle de la formule employée dans l’épitaphe latine de Quintus Aemilius Secundus, qui se prévaut d’avoir enlevé aux Ituréens leur citadelle « dans le Mont Liban » sous le gouvernement de Publius Sulpicius Quirinius en Syrie, en 6-7 p.C.259. Dans cette inscription, il est probable que le terme castellum ne désigne pas l’un des petits fortins du Liban Nord mentionnés par Strabon, mais plutôt une place forte importante dans le domaine des Ituréens, dont la capture précède le démembrement de la principauté constituée par Ptolémaios fils de Mennaios. On pourrait proposer d’identifier le castellum ituréen à Arca du Liban, ce qui s’accorderait avec l’hypothèse d’une refondation de la ville sous le nom de Caesarea ad Libanum dès le début de l’époque impériale260. Mais le substantif latin castellum, généralement utilisé pour dénommer un village fortifié d’une communauté non urbanisée ou peu urbanisée, rappelle aussi la position forte de Majdel Aanjar, ainsi que l’existence de la forteresse lagide de Gerrha. Il est donc tentant de considérer qu’à l’époque augustéenne, la lutte contre le brigandage au Liban s’est soldée par la prise de l’ancienne capitale ituréenne, dont les autorités romaines n’auraient reconnu ni le statut civique ni même le caractère urbain. (D'autres critiques supposent que les Ituréens s'étaient joints à la révolte de Judas de Gamala au moment du recensement)

Deuxièmement, si le statut de Chalcis du Liban dans la seconde moitié du Ier siècle p.C. reste discuté à l’heure actuelle (cf. infra), la découverte d’une inscription grecque datée selon une ère civique ou royale sur le site de l’ancienne capitale ituréenne, Majdel Aanjar, laisse penser que ce qui restait de la tétrarchie a fini par être intégré, à la fin du premier siècle de notre ère, au territoire d’une cité et non à un domaine impérial, contrairement à ce que propose A.H.M. Jones sans argument convaincant261. Le texte grec, lacunaire, est publié par Ch. Ghadban262. Il est gravé sur le tambour d’une colonne en grès local de 115 cm de diamètre repérée dans les fondations de l’escalier qui conduisait à la cella du grand temple de Majdel Aanjar :

ªEtouº" dª.º"V, mhno [ ;" Duvstrou gV, ∆Apollofªavnh" < < < º
ª< < < º Lª.ºOU Seidwvnio" uJpe;r swtªhriva" < < < ºP≥ ª< < < º
·< <<<<<<<<<<<<<<ajnevqhken (Ù) < <<<<<<<<‚

On peut traduire ce texte de la façon suivante : « L’an 2[.]4, le 3 du mois de Dystros, Apollophanès [fils de…], Sidonien, pour le salut de [… a consacré (?)…]. » La date est comprise entre l’an 204 et l’an 294, si l’on se fonde sur la copie qu’en donne Ch. Ghadban (Dª.ºS) et non sur la transcription qu’impose cet auteur sans discussion et sans photographie (dm"V « 244 »). Pour calculer cette date, il est possible d’hésiter entre l’emploi de trois ères, l’ère des Séleucides, qui commence en 312 a.C., l’ère hellénistique de Sidon, qui débute en 111 ou en 110 a.C., et l’ère hellénistique de Bérytos, qui commence en 81 a.C. L’ère des Séleucides est utilisée dans le monnayage de Chalcis du Liban puis sur le territoire de la colonie romaine de Berytus dans la Beqæ‘. Son emploi donnerait une date comprise entre 109/8 a.C. et 19/8 a.C., ce qui semble relativement inattendu car la Beqæ‘ n’a quasiment livré aucune inscription d’époque hellénistique. Par ailleurs, l’extension du territoire de Berytus dans la Beqæ‘ n’a lieu qu’en 15/4 a.C. à l’instigation du gendre d’Auguste, Marcus Vispanius Agrippa : le terminus ante quem de 19/8 a.C. exclut ainsi l’appartenance de Chalcis du Liban au territoire civique de la colonie romaine avant cette date. En revanche, il n’y a pas de raison d’exclure a priori l’usage de l’ère des Séleucides si l’on considère que le texte de Majdel Aanjar remonte soit à l’époque des princes clients ituréens — Ptolémaios, Lysanias et Zénodôros — soit à l’époque de Cléopâtre. Selon cette conjecture, le document ne pourrait être allégué dans la discussion sur le statut de Chalcis à la suite du démembrement de la principauté ituréenne, et il demeure envisageable de considérer qu’a été inclus dans le territoire de la colonie romaine de Berytus ce qui restait du domaine des Mennaïdes. Cependant, la rareté des inscriptions grecques dans la Beqæ‘ hellénistique et l’absence d’argument décisif permettant d’écarter l’usage de l’ère bérytaine invitent à proposer une autre solution. Il serait également possible d’utiliser l’ère hellénistique de Sidon pour dater l’inscription de Majdel Aanjar entre 93/4 et 193/4 p.C. Si l’on retient cette hypothèse, Chalcis du Liban serait donc incluse à la fin du premier siècle de notre ère dans le vaste territoire de la cité côtière phénicienne, tout comme sa région environnante, entre Bâb Mâréaa au pied du Liban à l’ouest et Rakhlé sur l’Hermon à l’est, où de nombreuses inscriptions sont datées selon l’ère hellénistique de Sidon au cours des trois premiers siècles de notre ère. Dans l’inscription de Majdel Aanjar, la mention de l’ethnique de Sidon n’est pourtant pas nécessaire sur le territoire de cette cité, ce qui laisse planer un doute sur l’hypothèse. La solution la plus probable est donc de dater l’inscription entre 123/4 et 213/4 p.C., en postulant l’usage de l’ère bérytaine à Majdel Aanjar et l’appartenance de ce site au territoire de la colonie romaine de Berytus au second siècle de notre ère. Il demeure difficile d’être entièrement affirmatif sur ce point dans l’état actuel de notre documentation, mais je souligne que toutes les solutions envisagées pourraient s’accorder avec la thèse controversée du maintien de la principauté de Chalcis sous la domination hérodienne dans la seconde moitié du Ier siècle p.C. À l’avènement de Claude, en 41 p.C., Hérode, frère d’Agrippa Ier et fils d’Aristobule, donc le petit-fils d’Hérode le Grand bénéficie de la faveur impériale et reçoit le royaume de Chalcis. La principauté passerait donc désormais aux mains des souverains hérodiens. Flavius Josèphe décrit toujours Hérode de Chalcis comme un roi, ce que confirme le témoignage des monnaies frappées par ce prince client en 43/4 p.C. Hérode de Chalcis meurt au cours de la huitième année du règne de Claude, c’est-à-dire en 48 p.C., et le royaume de Chalcis revient alors à Agrippa II le Jeune. Comme Flavius Josèphe précise qu’en 53 p.C. l’agglomération est enlevée à Agrippa II après que le roi l’a gouvernée pendant quatre ans, on en déduit que la donation du royaume a eu lieu soit en 48/9 soit en 49/50 p.C. Dans le contexte de la reconstitution du royaume d’Hérode en faveur d’Agrippa II, Chalcis n’aurait pas été annexée par Rome en 53 p.C., mais confiée à un fils d’Hérode de Chalcis, Aristobule, nommé roi d’Arménie Mineure par Néron en 54 p.C. (Il semble toutefois très peu probable qu'au même moment aient été donné 2 territoires aussi distant l'un de l'autre à un même roi) Aristobule aurait régné à la fois en Arménie et au Liban, si toutefois on accepte de l’identifier à l’Aristobule « roi de la région [syrienne] nommée Chalcidique » sous le règne de Vespasien. D’une part, cette situation serait comparable à celle des dynastes d’Émèse et la discontinuité territoriale entre les deux domaines (sauf que la distance entre les 2 est sans commune mesure) ne serait pas un phénomène inédit. D’autre part, il paraît vraisemblable que le pouvoir d’Aristobule s’exerce sur la région de Chalcis du Liban plutôt que sur celle de Chalcis du Bêlos (Qinnesrîn) : on ne dispose en effet d’aucune attestation d’une principauté indigène autour de la seconde agglomération, à moins de considérer que la ville attribuée aux Hérodiens depuis le règne de Claude ne soit autre que Chalcis du Bêlos-Qinnesrîn, comme le suppose G. Schmitt263.

Quoi qu’il en soit, en 92 p.C., une localité nommée Chalcis inaugure une ère de la liberté : il s’ensuit qu’à cette date au plus tard disparaîtrait la principauté qui se serait maintenue autour de Chalcis du Liban, si l’on suit M. Sartre. Selon l’hypothèse de cet auteur, l’annexion de Chalcis du Liban à l’Empire romain ne serait intervenue qu’à la fin du règne d’Agrippa II, en 92 p.C.264. Si l’on accepte cette reconstitution, la frappe des monnaies de Chalcis commémore l’intégration de l’agglomération à la province syrienne à la fin du premier siècle de notre ère. Les doutes déjà émis à ce propos par divers auteurs — W.W. Wroth, B.V. Head, A.H.M. Jones — et repris dans la réédition de l’ouvrage d’E. Schürer, me paraissent toujours justifiés265. Le terme Calkidikhv, hérité de la taxinomie administrative des Séleucides, semble toujours dénommer la région de Chalcis du Bêlos en Syrie du Nord266, mais cet argument n’est pas décisif car on ne peut exclure que les régions des deux Chalcis de la Syrie aient été dénommées de la même manière. L’objection majeure à la thèse défendue par M. Sartre est d’ordre numismatique267. En conclusion, il n’est pas impossible de faire remonter l’annexion de Chalcis du Liban à l’Empire romain à une époque plus ancienne que ne l’indique M. Sartre, en 53 p.C. par exemple.

3.2.2. Arca du Liban et Abila de Lysanias : de la principauté à la cité[modifier | modifier le code]

Si la localisation de Chalcis du Liban reste problématique, celle des deux autres capitales ituréennes, Arca du Liban dans la plaine du Akkar et Abila de Lysanias dans l’Anti-Liban, est assurée. Les publications archéologiques ne livrent jusqu’à présent que peu de renseignements sur la première, et les progrès de l’urbanisation dans la vallée du Nahr Baradæ ont fait disparaître la seconde. Néanmoins, les caractéristiques essentielles de ces deux agglomérations sont connues. Elles posent la question de l’urbanisation des principautés ituréennes du Liban Nord et de l’Abilène, et celle, étroitement liée à la précédente, de la poliadisation[15] des capitales qui dominent ces ensembles territoriaux.

Les résultats de la mission française de Tell Arqa268 confirment la tradition littéraire sur l’importance de ce site de la plaine du Akkar (Gouvernorat de l'Akkar) au Bronze Ancien et au Bronze Moyen, entre le milieu du IIIe millénaire et le milieu du IIe millénaire. Après la phase de retrait de l’occupation humaine qui a suivi la conquête assyrienne de 743-738, l’agglomération connaît une renaissance éphémère à l’époque du Fer II, mais elle serait réduite à l’état d’un village à l’époque perse et au début de l’époque hellénistique. Arca est alors toute proche de la frontière qui sépare les domaines respectifs des souverains séleucides et lagides. La réoccupation plus intensive du tell d’Arqa pourrait être une conséquence de la reconquête séleucide de la Syrie méridionale en l’an 200 a.C. Les fouilles des niveaux hellénistiques menées sur le tell montrent en effet que cette réoccupation n’intervient que vers la fin du IIIe siècle a.C. et qu’elle se poursuit jusqu’au dernier quart du I er siècle a.C. Dans le courant du IIe siècle a.C., la construction de bâtiments dont la fonction reste indéterminée à ce jour témoignerait d’une intensification de l’occupation humaine. Mais, lors de la phase hellénistique de l’histoire d’Arca, seul un village se trouverait sur la colline. Ce n’est qu’à partir de la fin du Ier siècle a.C. qu’une ville se développerait à nouveau en contre-bas du tell. L’époque romaine et protobyzantine correspondrait à la phase d’extension maximale d’Arca, qui a pu profiter pleinement de sa situation favorable au cœur de la riche plaine du Akkar : l’habitat abandonne alors le tell pour gagner la terrasse supérieure, puis pour s’étendre vers le nord ; dans la zone basse, la ville se dote d’un stade et d’un centre monumental au nord-est du tell, à proximité du croisement des deux grands axes urbains. La chronologie de ces aménagements n’est pas établie avec certitude. Tout au plus J. Starcky et J.-P. Thalmann présument-ils, non sans une certaine vraisemblance étant donné les liens de la dynastie sévérienne avec Arca, dont Sévère Alexandre était natif, que l’époque des Sévères correspondrait à un moment où la ville a pu s’attirer les faveurs impériales269. Quoi qu’il en soit, avant les travaux de défense du site à la fin de l’époque protobyzantine, le tell n’aurait conservé sous l’Empire que la fonction d’une acropole religieuse ; les colonnes de granit qui ont roulé sur le versant sud-est de la colline artificielle proviendraient du temple de la déesse tutélaire de la ville — la Venus Architis connue de Macrobe270 — qui figure sur les monnaies d’Arca.

À s’en tenir aux données publiées, le développement d’Arca à l’époque hellénistique et romaine reproduirait donc un schéma d’urbanisation classique : à la suite d’une période d’occupation de type villageois sur le sommet d’un tell, l’habitat se déplace vers la plaine ; la ville s’étend en superficie en contrebas de la colline artificielle où subsiste le sanctuaire le plus important de la communauté urbaine271. Il subsiste néanmoins plusieurs incertitudes, à commencer par la localisation du temple de Vénus sous les vestiges du château médiéval, qui demeure hypothétique. Plus généralement, il n’est pas sûr que les travaux archéologiques effectués sur le site, qui se sont surtout concentrés sur le tell et sur les niveaux de l’âge du Bronze, garantissent la validité du schéma proposé. Comme E. Honigmann l’a montré, les conquérants gréco-macédoniens ont renommé l’agglomération Héracleia au début de l’époque hellénistique, si l’on se fonde sur les archives de Zénon, qui attestent l’existence d’une Héraclée de Phénicie au milieu du IIIe siècle a.C., ainsi que sur les listes épiscopales du synode d’Antioche, qui confirment l’identification de cette cité à Arca en 445 p.C.272. On sait également qu’un fonctionnaire lagide, le contrôleur ou comptable (antigrapheus) Démétrios, y est présent vers 258 a.C.273, même si l’on en ignore la raison précise. Ces deux témoignages permettent de supposer que l’agglomération investie par les Ituréens au Ier siècle a.C. n’était peut-être pas aussi réduite que l’avancement des travaux archéologiques le laisse supposer jusqu’à présent et qu’elle avait une certaine importance au sein du domaine lagide au début de l’époque hellénistique. Le fait qu’Arca a été dénommée Césarée des Ituréens (Caesarea Ituraeorum) invite à définir le rôle que ce peuple a joué dans le développement de la ville sous le Haut-Empire. La présence ituréenne dans le nord du Liban remonte peut-être aux premiers temps de la dynastie mennaïde. Du moins le témoignage de Strabon implique-t-il qu’à l’époque de Pompée, les Ituréens dominent la majeure partie de la montagne libanaise274. Dans ce contexte, le sort d’Arca est inconnu. Deux passages parallèles de la Guerre juive et des Antiquités juives laissent néanmoins supposer qu’une principauté ituréenne indépendante de celle des Mennaïdes s’est constituée autour d’Arca, et ce dès le milieu du Ier siècle a.C.275. Flavius Josèphe évoque en effet l’aide que César aurait obtenue d’un certain Ptolémaios fils de Sohaimos du Liban (Ptolemai`o" oJ Soaivmou Livbanon o[ro" oijkw`n) au moment où il était enfermé à Alexandrie, en 47 a.C. Le patronyme du dynaste libanais n’est pas assuré mais la tradition manuscrite laisse le choix entre diverses possibilités qui excluent toutes l’identification de ce Ptolémaios au prince homonyme de Chalcis du Liban. En outre, l’engagement de Ptolémaios du Liban dans le parti césarien et le soutien que ce dynaste apporte aux adversaires des derniers Hasmonéens invitent à nouveau à distinguer Ptolémaios du Liban du Mennaïde, car ce dernier reste un allié fidèle des Hasmonéens même après la mort de César le 15 mars 44 a.C.276. L’option procésarienne du dynaste libanais Ptolémaios me paraît donc renforcer l’hypothèse d’H. Seyrig selon laquelle Arca, la capitale du domaine des Ituréens dans le Liban septentrional, a été refondée sous le nom de Caesarea ad Libanum dès le début du Haut-Empire277. Il est vrai que les premières attestations datées du nouveau nom de la ville apparaissent sur des monnaies dont la frappe remonte au règne d’Antonin le Pieux (138-161) ; de même, il est vrai qu’avant cette époque, la tradition littéraire conserve le nom sémitique ancien d’Arca, comme le montrent Pline l’Ancien et Flavius Josèphe278. Cependant, il est tout à fait envisageable que la ville ait porté un nom double dès l’époque augustéenne avant de s’appeler Césarée des Ituréens à l’époque sévérienne. D’une part, Aurélius Victor atteste l’usage d’un nom double en 360 p.C.279. D’autre part, le nom Caesarea indiquerait plutôt une fondation intervenue sous les premiers Césars, si l’on rappelle que Césarée de Palestine, Césarée de Philippe (Paneas), Césarée de Mauritanie (Cherchel) et Césarée-Tralles sont toutes refondées en l’honneur d’Auguste et que plusieurs Césarées anatoliennes (Mazaca en Cappadoce, Sardes, Hyrcanis) ont été refondées en l’honneur de Tibère après le tremblement de terre de 17 p.C. Le fait que des princes clients soient à l’origine de ces fondations en Syrie, les options politiques procésariennes du prince libanais Ptolémaios, ainsi que le nom dont se prévaut la ville sous la dynastie des Sévères — Caesarea Ituraeorum —, semblent confirmer que la refondation de Césarée du Liban ne résulterait pas de l’émancipation de la ville de la tutelle princière à l’issue du Ier siècle p.C. mais plutôt qu’elle serait l’œuvre des Ituréens du Liban septentrional au début du Haut-Empire.

Le statut civique de la ville est attesté à partir du deuxième siècle de notre ère. Vers le milieu du IIe siècle p.C., Claude Ptolémée classe Arca parmi les cités de l’intérieur phénicien telles Gabala et Césarée-Paneas280. Dion Cassius mentionne également Arca comme une cité281. La tradition littéraire ultérieure confirme la poliadisation de la ville, dont le nom est fréquemment attesté sous la forme plurielle A[rkai; une notice du dictionnaire géographique d’Étienne de Byzance garantit l’équivalence entre A[rkh et A[rkai282. C’est sous ce nom au pluriel qu’elle apparaît dans les anciens itinéraires comme dans les écrits de Jérôme, de Socrate, de Hiéroklès, de Georges de Chypre et de Georges le Syncelle283. Enfin, à une date indéterminée mais au plus tard sous le règne d’Élagabal, Arca reçoit le statut colonial, ce dont témoignent les monnaies frappées au nom de la colonia Caesaria Lib(ani) en 218/9 p.C. L’obtention de ce privilège semble s’inscrire dans la politique active de promotions civiques menée par la dynastie des Sévères. Il est possible que la promotion d’Arca au rang de colonie romaine soit liée au fait qu’un procurateur romain, parent d’Élagabal et père du futur empereur Sévère Alexandre, Gessius Marcianus, est originaire de la cité284. Selon E. Dabrowa, il n’est pas exclu que l’obtention de cet honneur se soit accompagnée de l’installation de vétérans romains, car une enseigne (uexillum) apparaît au revers des monnaies frappées à Arca sous le règne de Sévère Alexandre : comme cet auteur le conclut également de l’examen du monnayage civique de Tyr et de Sidon, les deux autres cités de la Phénicie à qui les Sévères attribuent le titre colonial respectivement en 198 p.C. et sous Élagabal, l’enseigne signalerait de manière symbolique l’implantation de vétérans sur le territoire de la colonie nouvellement promue ; sur les monnaies d’Arca cependant, les légendes monétaires ne mentionnent pas le nom de la légion d’où les colons lotis dans la plaine du Akkar seraient issus285.

La fondation ou la refondation d’Arca par les Ituréens, qui précède sa promotion au rang de colonie romaine, serait contemporaine du nouveau développement urbain de la ville dans la plaine du Akkar, en contrebas du tell. On pourrait opposer le cas de cette ville probablement favorisée par le loyalisme de ses dynastes envers les nouveaux maîtres de la Syrie à celui d’une autre fondation ituréenne, Chalcis du Liban, dont l’infortune apparente après le milieu du premier siècle de notre ère semble partiellement liée aux options politiques des princes de la dynastie mennaïde, malheureuses a posteriori. De même, la réussite urbaine de Césarée du Liban contraste avec le devenir médiocre d’Abila de Lysanias.


Abila de Lysanias[modifier | modifier le code]

L’ancienne Abilène, où s’est développée la capitale ituréenne d’Abila de Lysanias, recouvre l’ensemble de la haute vallée du Baradæ. La rivière qui s’écoule jusqu’en Damascène et dont l’une des premières sources se trouve près du village de ‘Ayn el-Haour est identifiée au Abana biblique, que les Grecs ont rebaptisé Crusorroa" v ; son autre nom hellénique, Bardinh" potamo v "v , attesté dans les sources de l’Antiquité tardive tels les Ethnica d’Étienne de Byzance, transcrit le nom sémitique Nahr Baradæ286. Immédiatement après Zébédæni, la vallée de l’antique Chrysorrhoas forme un ombilic où se trouvent plusieurs bourgades dont la principale est Souq Wædî Baradæ.

L’identification de Souq Wædî Baradæ avec l’antique Abila, la capitale éphémère des tétrarques d’Abilène, que l’Itinéraire Antonin et la Table de Peutinger situent sur la route qui mène de Baalbek au nord à Damas au sud-est, ne fait aucun doute287. Deux inscriptions latines gravées dans le roc qui surplombe le Baradæ d’une trentaine de mètres, à l’endroit où la vallée se referme sur un verrou, montrent que, sous le règne de Marc Aurèle et de Lucius Verus, vers 163-165 p.C., le légat propréteur de la province de Syrie, Iulius Verus, fait rétablir la route qui avait été coupée par un débordement du fleuve ; cette opération entreprise par un détachement de la légion XVI Flavia Firma sous la direction du centurion Marcus Volusius Maximus reste inpendiis Abilenorum « aux frais des Abiléniens288 ». Abila se situe ainsi à la sortie d’un étranglement de la vallée, à la fois sur la route qui suit la rivière et sur celle qui mène d’Aanjar à Damas. Eusèbe de Césarée, dans son Onomasticon (32, 18-19), situe Abila, qu’il caractérise comme une localité de Phénicie, entre Damas et Paneas289 : cette présentation s’explique par le fait que, depuis Damas et en passant par Abila, il est possible de gagner Paneas par le Ouâdi et-Taïm et le Nahr elHasbânî, c’est-à-dire par la seule voie de passage presque toujours libre de neige entre la haute plaine de la Beqæ‘ et la côte phénicienne.

Eusèbe de Césarée nomme l’agglomération ∆Abela;th'" Foinivkh". Néanmoins, la tradition littéraire conserve généralement l’appellation Abila de Lysanias, qu’il s’agisse des historiens tel Flavius Josèphe ? ou des géographes tel Claude Ptolémée290 (mort en 168). En d’autres termes, tout comme plusieurs localités homonymes de la Syrie telle Abila de la Décapole, l’actuelle Qweilbeh en Jordanie, et Abila de Pérée, le moderne Tell el-Kuffrein à l’ouest d’Amman, l’agglomération ituréenne porte un nom dérivé de la racine sémitique ’bl, dont le sens serait « prairie » ou « ruisseau »291. Mais l’ancienne capitale ituréenne se distingue de celles-ci en ce que son nom demeure lié à celui du tétrarque connu de Luc, de la même manière que le nom de l’Hérodien Philippe reste attaché à celui de Césarée-Paneas qu’il avait fondée en l’an 2/1 a.C. pour honorer Auguste292. Il est donc tout à fait probable que Lysanias d’Abilène soit le fondateur de l’agglomération, comme on l’admet à la suite d’E. Schürer293. S’il est actuellement impossible de dater précisément la fondation d’Abila par Lysanias entre la fin du Ier siècle a.C. et le premier tiers du Ier siècle p.C., il n’en reste pas moins que le tétrarque ituréen s’apparente ainsi à la fois à Mennaios, probable fondateur de Chalcis, et à ses homologues contemporains tel l’Hérodien Philippe ?.

L’identification d’Abila de Lysanias à Souq Wædî Baradæ (Suq Wadi Barada) est assurée, mais la capitale fondée par le tétrarque ituréen recouvrait dans l’Antiquité une plus grande partie de la petite vallée. P.-L. Gatier rappelle que les vestiges d’Abila ont été repérés dans trois secteurs294. Il s’agit, premièrement, dans la région même de Souq Wædî Baradæ, de part et d’autre de la rivière, des tronçons de la route romaine et de l’aqueduc, et des tombes rupestres de la nécropole. Deuxièmement, sur la rive nord en aval de ce bourg, dans les parages des deux villages actuels de Brahlia et de Kafr el-Awamid, les deux divinités tutélaires d’Abila, Zeus et Apis, font l’objet d’un culte commun dans un grand sanctuaire dès le premier siècle de notre ère. En témoigne notamment la dédicace grecque d’un autel découverte à Brahlia, adressée à Zeus très-grand d’Héliopolis et datée de l’an 69/70 p.C., dont l’auteur est un prêtre du culte impérial qui cumule cette dignité avec les fonctions sacerdotales attachées au culte de Zeus et d’Apis295. Troisièmement, le haut-lieu de Nebi Abel dédié à Kronos surplombe la rive méridionale du Baradæ. L’acte de fondation du sanctuaire, dont les voyageurs modernes ont pu relever deux copies anciennes in situ, indique que le temple dédié « à Kronos et à la patrie », la route qui y mène et le bois sacré qui en agrémente les abords ont été construits et aménagés aux frais d’un affranchi du tétrarque Lysanias, pour le salut de l’empereur Tibère et de sa mère Livie[16]. Ce texte permet de dater la consécration du haut-lieu abilénien entre 14 et 29 p.C. Il rappelle également le rôle traditionnellement reconnu dans l’Orient hellénisé aux affranchis des dynastes, dont l’activité édilitaire mise au service de la petite patrie locale s’inscrit dans l’économie de l’évergétisme et seconde celle de leur ancien maître. L’accomplissement de l’acte de piété pour le salut des Augustes se combine avec la philotimia de l’affranchi et implique enfin la fidélité et la reconnaissance affichées des notables locaux au pouvoir impérial. En 166/7 p.C., la dédicace collective d’un autel par onze personnages au seigneur Kronos illustre encore le loyalisme des Abiléniens, qui affirment agir sur l’ordre de Zeus et d’Apis pour le salut de Marc Aurèle et de Lucius Verus297. Longtemps après l’annexion de la tétrarchie abilénienne à la province syrienne, la consécration à la divinité tutélaire du haut-lieu demeure un moyen d’honorer les maîtres du pays, dont on sait par ailleurs qu’ils ont œuvré à la reconstruction de la route d’Abila. L’histoire de la capitale ituréenne et l’étendue exacte de la tétrarchie abilénienne dans l’Anti-Liban demeurent mal connues. Les sources littéraires et l’épigraphie permettent toutefois de replacer la tétrarchie de Lysanias dans l’histoire complexe des principautés indigènes qui subsistent, par la volonté de Rome, autour et au cœur de la province syrienne, entre la marche de Pompée et la fin du I er siècle p.C. L’existence de cette principauté cliente paraît résulter de l’éclatement du domaine ituréen centré autour de Chalcis du Liban. À la mort de Zénodôros de Chalcis en 20 a.C., la partie méridionale des terres de ce prince client est concédée à Hérode le Grand, tandis qu’une autre partie est sans doute intégrée dans le territoire attribué à la colonie romaine de Berytus. Il faut dater de cette époque l’apparition d’une tétrarchie abilénienne. Le petit territoire revient au tétrarque Lysanias. Comme le domaine que Claude attribue en 53 p.C. à Agrippa II dans l’Anti-Liban sur les reliquats du domaine ituréen comprend Halboun298 et s’étend au nord jusqu’à Yabroud, où les fragments d’une inscription donnent la copie d’un édit du souverain hérodien299, il est probable que la tétrarchie de Lysanias comprenait les hauts plateaux du Qalamoun au début du premier siècle de notre ère.

Contrairement aux tétrarques de Chalcis, Lysanias d’Abila n’a pas battu monnaie à notre connaissance. Aussi la chronologie de son règne demeure-t-elle conjecturale. Deux inscriptions de Nebi Abel datées entre 14 et 29 p.C. le mentionnent. La tétrarchie abilénienne de Lysanias disparaît entre 28/9 p.C.300 et 37 p.C., quand Caligula attribue sa tétrarchie à l’Hérodien Agrippa Ier. À la mort de ce dernier, entre la fin de 43 et le début de l’année 44 p.C., ses royaumes sont administrés un temps par les procurateurs romains. Abila connaît sans doute le même sort, jusqu’à ce que l’empereur Claude concède à Agrippa II la tétrarchie abilénienne en 53 p.C. Dans les années 70 de notre ère, Pline l’Ancien évoque successivement les tétrarchies de la Trachônitide, de Césarée-Paneas, d’Abila et d’Arca, dont il précise que, « chacune semblable à un royaume, elles s’incorporent dans des royaumes301 » : cette région et ces agglomérations se trouvent alors aux mains du même prince client hérodien. Lorsqu'Agrippa II meurt à la fin du Ier siècle p.C., Abila et la haute vallée du Baradæ sont probablement annexées à la province romaine de Syrie.

Le statut politique d’Abila sous le Haut-Empire est incertain, que ce soit avant ou après l’annexion de l’Abilène à la province syrienne. Au IIe siècle p.C., le géographe Claude Ptolémée mentionne Abila de Lysanias parmi les cités de la Syrie Creuse et de la Décapole302, mais il classe sous la même entrée des localités qui ne semblent pas toutes jouir du statut civique, de sorte que l’on ne peut rien conclure de son témoignage. De même, le texte latin qui rappelle que la route a été taillée aux frais des Abiléniens n’implique pas nécessairement, comme on peut en convenir à la suite de R. Mouterde et d’A.H.M. Jones, qu’Abila ait été une cité dans la seconde moitié du IIe siècle p.C., mais cette indication atteste au moins l’existence d’une communauté abilénienne constituée sous le Haut-Empire303. D’autres données publiées, de longue date pour certaines, autorisent d’autres hypothèses sur les structures politiques de l’Abilène.

Premièrement, je constate qu’Étienne de Byzance (VI° siècle) cite explicitement Abila comme une « cité de Phénicie » au VIe siècle p.C.304, ce qui atteste la poliadisation de cette agglomération sans que l’on puisse dater cet événement survenu sous le Haut-Empire ou à l’époque protobyzantine.

Deuxièmement, l’épigraphie funéraire d’Abila, où les tombes portent des épitaphes, grecques pour la plupart, fournit un riche matériel onomastique. L’étude récente de J.-P. Rey-Coquais, fondée sur ces données, invite à replacer l’Abilène dans le contexte plus général de l’annexion de l’Anti-Liban à l’Empire romain. Dans cette région, Antoine puis les premiers empereurs romains auraient utilisé les structures sociales indigènes de façon pragmatique : la présence d’Antonii, de Iulii et de Claudii suggère en effet que la domination romaine aurait pris appui sur quelques familles importantes, entrées dans la clientèle d’Antoine, puis des Julio-Claudiens ; les Flaviens ont pu continuer l’action de Claude305. Il semble néanmoins que l’analyse de J.-P. Rey-Coquais surinterprète les données onomastiques en les mettant systématiquement en rapport avec l’établissement de la domination romaine sur l’Anti-Liban306. Or, bien que cet auteur n’envisage pas cette possibilité, il est probable que les souverains hérodiens aient joué un rôle aussi important que les empereurs romains dans la distribution de la citoyenneté romaine en Abilène en particulier et dans l’Anti-Liban en général : rien n’indique que les Iulii de Saïdnaya doivent leur gentilice à un empereur plutôt qu’à un prince client de Rome qui serait lui-même entré dans la clientèle des premiers Césars. De manière pertinente, J.-P. Rey-Coquais remarque que les attestations épigraphiques de noms dynastiques courants dans les familles ituréennes et émésénienne ne garantissent pas l’identification de leurs porteurs aux descendants éventuels des princes clients ; par conséquent, il est impossible de le suivre lorsqu’il conclut paradoxalement de l’examen des données onomastiques qu’aucun descendant des tétrarques de Chalcis ou d’Abilène n’a été reconnu par Rome comme un notable méritant l’octroi de la citoyenneté romaine. Par ailleurs, s’il est vrai que les porteurs de gentilices impériaux dont les noms sont connus à la fin du IIe siècle p.C. peuvent être identifiés à des notables de l’Anti-Liban, rien n’exclut qu’il en soit de même pour les personnages, beaucoup plus nombreux, dont les épitaphes non datées ne donnent que des formules onomastiques sans gentilice. En outre, il est certain que les notables abiléniens du premier siècle de notre ère ne sont pas tous des citoyens romains et qu’ils continuent d’être dénommés par des formules onomastiques grecques traditionnelles associant un nom à un patronyme au génitif : ainsi l’affranchi du tétrarque Lysanias se nomme-t-il Nymphaios fils d’Abimmès307 ; en 69/70 p.C. à Brahlia, un prêtre du culte impérial et des grands dieux d’Abila, Séleukos fils d’Abgar, se joint à son frère Alexandros pour consacrer un autel à Zeus héliopolitain308. Cette onomastique mixte des élites sociales d’Abila, hellénique et indigène, rappelle notamment celle de Gérasa, où la prédominance des anthroponymes gréco-macédoniens n’exclut pas les attestations ponctuelles de noms sémitiques, y compris dans le milieu des grands notables tels les gymnasiarques, un prêtre du culte impérial sous Trajan et les ambassadeurs envoyés par la cité à Pergame au début du second siècle de notre ère309.

Les remarques qui précèdent amènent donc à nuancer l’analyse de J.-P. Rey-Coquais, selon qui la promotion de certaines familles de l’Anti-Liban et du Qalamoun aurait constitué le moyen pour le pouvoir impérial de s’assurer la soumission de populations indigènes rétives et se serait accompagnée de l’éviction des descendants ituréens. Il me semble que l’onomastique locale conserve le souvenir des maîtres successifs de l’Abilène et du Qalamoun, depuis les princes clients ituréens et hérodiens jusqu’aux empereurs, plus qu’elle ne révèle la soumission par Rome des pays ituréens autrefois dominés par les seigneurs de la montagne. J.-P. Rey-Coquais signale enfin une inscription inédite de Brahlia qui mentionnerait les membres d’une tribu (oiJth" fulh ' "') en l’an 162/3 p.C. En l’absence de preuve concluante sur le statut d’Abila sous le Haut-Empire, cet auteur refuse de considérer la phylè anonyme comme une tribu civique310. Il s’agirait encore d’un des groupes sociaux sur lesquels le pouvoir romain s’est appuyé pour s’assurer la domination de la vallée du Nahr Baradæ. Cependant, il est à nouveau permis de mettre en doute une interprétation qui privilégie l’opposition entre le pouvoir dominant de Rome et celui de chefferies locales : le loyalisme affiché de l’affranchi de Lysanias envers le pouvoir impérial ne le cède en rien à celui des notables du IIe siècle p.C., ce qui permet d’insister sur la continuité entre l’époque de l’éphémère tétrarchie abilénienne et celle de l’annexion à l’Empire romain.

À l’époque protobyzantine, tout comme Arca-Césarée du Liban depuis au moins 363 p.C., Abila devient un siège épiscopal du patriarcat d’Antioche. Il est certain qu’Abila est le siège d’un évêché au milieu du Ve siècle p.C. au plus tard, puisque les Actes du concile œcuménique de Chalcédoine attestent la présence d’un certain Iordanès d’Abila au synode d’Antioche de 445 et au concile œcuménique de 451 p.C., aux côtés d’autres dignitaires phéniciens relevant du patriarche d’Antioche311. D’après Étienne de Byzance, la cité d’Abila aurait été la patrie d’origine du sophiste Diogénès, dont on ignore tout par ailleurs, y compris l’époque à laquelle il a exercé ses talents312. Enfin, une inscription grecque provenant de Souq Wædî Baradæ et datant de 563/4 p.C., le Synekdèmos de Hiéroklès et l’opuscule géographique de George de Chypre attestent également qu’au VIe et au VIIe siècle p.C. Abila est une cité de la Phénicie libanaise où siège un évêque suffragant du métropolitain de Damas313.

3.2.3. Le devenir des principautés ituréennes et la question des domaines impériaux[modifier | modifier le code]

Dans la mesure où l’épigraphie grecque et latine des régions de la Syrie où l’on s’attend à trouver les Ituréens n’a fait l’objet d’aucune publication systématique, il demeure difficile de se prononcer sur le sort réservé aux territoires ituréens après leur attribution aux souverains hérodiens et leur annexion à l’Empire. Plusieurs auteurs — A.H.M. Jones, puis J.-P. Rey-Coquais avec de nouveaux arguments rectifiant notamment les théories de Ch. Ghadban — proposent des hypothèses de travail sur ce point en mettant en relation le devenir de ces territoires avec l’existence de domaines impériaux dans le Liban septentrional et dans la Syrie méridionale.

A.H.M. Jones supposait que la tétrarchie de Chalcis du Liban avait été transformée en domaine impérial au moment où Claude l’avait enlevée à Agrippa II en échange de plusieurs districts de la Syrie méridionale314.

Jusqu’à présent, cette hypothèse restait incertaine car elle ne reposait que sur un argument a silentio douteux, à savoir l’absence de toute mention explicite de Chalcis du Liban après 53 p.C., et sur l’identification et la localisation conjecturales d’un domaine impérial appelé tantôt Gonasitoisavlton tantôt savlton Gonaitikovn dans deux notices tardives de la Descriptio orbis Romani composée par Georges de Chypre vers l’an 600 p.C. à partir de listes établies par Hiéroklès315. Une telle proposition est discutable en ce qu’elle suppose l’identité des deux districts que Georges de Chypre situe dans deux provinces différentes bien que limitrophes. Selon A.H.M. Jones, le redoublement des mentions du même saltus se justifierait par le fait que l’hypothétique domaine impérial s’étendrait sur une région confinant aux deux provinces phéniciennes316. Il est vrai que la Beqæ‘ méridionale, où se trouvait Chalcis du Liban, pourrait correspondre à une telle région, mais l’identification des deux saltus ne repose que sur le raisonnement circulaire suivant : l’appellation d’un saltus dont la tradition manuscrite a altéré le nom se déduit de la dénomination d’un autre saltus parce que les deux domaines sont supposés n’en faire qu’un ; par suite, l’identité présumée des deux saltus justifierait l’apparition de leurs noms dans deux sections différentes de la même liste géographique ; l’identité et l’homonymie conjecturales des deux domaines sont donc fondées sur leur situation frontalière présumée, mais cette situation frontalière hypothétique est elle-même justifiée par l’homonymie supposée des deux domaines.

Pour ma part, il me semble préférable de considérer que les différentes dénominations des deux saltus et leurs localisations respectives dans deux ensembles territoriaux permet de distinguer deux domaines dont les noms seraient proches317. Le nom du saltus Gonaiticus se retrouve dans d’autres documents qui ne permettent pas de préciser sa localisation en Phénicie libanaise. Ainsi une constitution de l’empereur Zénon au préfet du prétoire Sebastianus, à dater entre 476-480 ou en 484 p.C., rappelle qu’il existe alors, dans le dernier quart du Ve siècle p.C., une ancienne constitution impériale permettant de vendre les possessiones Gonatici saltus au profit du trésor public318. À la suite d’E. Honigmann, il est par ailleurs tentant de rapprocher le nom du saltus Gona(i)ticus de celui d’une localité syrienne dont l’ethnique serait Gounaitês, si l’on se fonde sur le dictionnaire géographique d’Étienne de Byzance : « Gounas : colonie syrienne, à la terre profonde et féconde ; d’où elle tire son nom, à cause de cette fertilité. Son ethnique est Gounaitês »319. Certes, rien ne garantit la localisation de ce domaine dans la Beqæ‘ méridionale. Néanmoins, il est intéressant de remarquer qu’en deux passages de sa Chronique, Guillaume de Tyr évoque l’existence d’un saltus Libani, qu’il situe dans la région fertile de la Beqæ‘ identifiée à l’Iturée et où se trouve Aanjar320. Peut-être le fait d’invoquer ce témoignage renforce-t-il l’hypothèse autrefois formulée par A.H.M. Jones sans argument décisif. Mais il faut reconnaître que les textes allégués sont tous très tardifs et que l’identification du saltus Gonaiticus au saltus Libani reste elle-même conjecturale.

On retrouve la même incertitude chronologique à propos des anciennes possessions ituréennes et hérodiennes sur le versant oriental de l’Anti-Liban, au nord de l’Abilène antique : les notices reportées dans la Descriptio orbis Romani de Georges de Chypre mentionnent des districts (klimata) et autorisent A.H.M. Jones et M. Sartre à supposer l’existence de domaines impériaux en Phénicie libanaise à Yabroud et à Maaloula, localités antiques situées sur les plateaux du Qalamoun321. On sait seulement que la première est devenue le siège d’un évêché dans la première moitié du Ve siècle p.C. au plus tard, puisqu’à la fin de la sixième session du concile œcuménique de Chalcédoine en 451 p.C., Théodôros de Damas signe au nom de son suffragant Eusébios de Yabroud322. En ce qui concerne Yabroud, je constate que Claude Ptolémée cite ∆Iavbrouda parmi les localités de la Laodicène antique, ce qui implique peut-être l’extension du territoire de Laodicée du Liban (Tell Nebi Mend) sur le versant oriental de l’Anti-Liban au milieu du IIe siècle p.C.323. Comme la création des districts de Yabroud et de Maaloula n’est pas datée, il subsiste un doute sur la transformation en domaines impériaux des territoires qalamouniens autrefois placés sous l’autorité ituréenne. La prudence recommande donc de laisser la question ouverte.

En ce qui concerne le Liban, où les souverains hérodiens ont hérité de nombreuses possessions autrefois aux mains des dynastes ituréens, J.-P. Rey-Coquais et Ch. Ghadban considèrent légitimement qu’une partie au moins des principautés indigènes ont pu être transformées en domaines impériaux à l’occasion de leur annexion, tandis que le reste des territoires revient aux cités324. En combinant les sources littéraires et épigraphiques, ces deux auteurs ont cherché à déceler la trace d’autres domaines impériaux que les réserves forestières bien connues du Mont Liban.

Le versant maritime du Liban, entre le Nahr al-Kabîr au nord et le territoire de Sidon au sud, offrirait ainsi un exemple caractéristique de la transformation des territoires ituréens en domaines impériaux. Les terres de cette région seraient passées de main en main entre les différents maîtres de l’époque achéménide à la fin de l’époque impériale. Si l’on s’en tient à l’époque hellénistique et romaine, les indices d’une telle continuité sont les suivants. Premièrement, la mention de « Phéniciens » à Délos au milieu du IIIe siècle a.C. laisse supposer que les individus ainsi dénommés et qui ne relèvent d’aucune cité particulière sont originaires de territoires directement administrés par les souverains lagides. Après la bataille de Panion en 200 a.C., l’exploitation de la forêt libanaise a pu passer sous le monopole royal séleucide, comme on est fondé à le déduire d’une lettre d’Antiochos III à Ptolémaios fils de Thraséas, stratège de Phénicie et de Syrie Creuse, connue par Flavius Josèphe, mais dont il n’est pas certain qu’il transcrive avec exactitude le texte de la chancellerie royale : selon ce document, le Séleucide décharge de toute taxe les bois nécessaires aux travaux du temple de Jérusalem, qu’ils proviennent de la Judée elle-même ou du Liban ; Antiochos III possèderait ainsi des droits particuliers hérités des paradis achéménides sur les ressources forestières du Liban, qu’il fait exploiter à son profit325. On remarquera cependant que l’on ne sait rien de l’état de ces domaines royaux à la veille de la marche de Pompée, même si l’on suppose que les difficultés rencontrées par la dynastie séleucide depuis le milieu du IIe siècle a.C. ont permis aux particuliers d’en accaparer une partie. Deuxièmement, les sources littéraires attestent l’implantation des Ituréens au Liban Nord, de même que l’attribution ultérieure de leurs domaines aux Hérodiens : ces princes clients de Rome auraient succédé aux Séleucides. Troisièmement, l’existence des domaines impériaux est bien attestée sur le versant maritime de la montagne libanaise par une importante série d’inscriptions où l’empereur se réserve les profits tirés de l’exploitation de la forêt326. Ces textes montrent que, sous le règne d’Hadrien (117-138), deux procurateurs sont chargés de mener à bien une opération de bornage ; l’entreprise de definitio siluarum correspond à une réorganisation plutôt qu’à une acquisition nouvelle pour l’empereur, compte tenu des antécédents achéménides et hellénistiques d’appropriation par les souverains des ressources forestières du Liban. Enfin, sur le versant maritime du Mont Liban — et en Syrie méridionale —, une autre donnée alimente la discussion, puisque l’usage d’ères régnales permet elle aussi d’émettre des hypothèses sur la transformation des territoires ituréens en domaines impériaux.

L’usage d’une ère revêt indéniablement une signification politique, mais il convient de l’interpréter : J.-P. Rey-Coquais pose que « la datation par année de règne de l’empereur dans certaines régions de Syrie ou du Liban indique que ces régions étaient des possessions personnelles des empereurs, qu’elles relevaient de leur patrimoine et non pas des “cités” voisines, villes ou communautés rurales traditionnelles qui usent d’une autre ère327 ».

L’analyse de l’épigraphie libanaise aboutit à délimiter deux régions qui se distinguent par l’emploi de deux systèmes de comput différents328. Plusieurs sites du versant maritime du Liban connaissent la datation par année régnale de l’empereur, mais ils se trouvent tous dans l’arrière-pays de Byblos : Fatqa, Aabeïdat, Blât, el-Machnaqa ; à Maad, une inscription est datée sur l’ère d’Actium. En revanche, dans un second groupe de textes repérés au nord de la région précédente, le système de datation se fonde sur l’ère des Séleucides (Doûma, Kfar Haï, Qasr Nâous, Smar Jbayl, Yanouh, Ouadi Abou Moussa, ainsi que el-Yammoûné, au sud de la première zone). J.-P. Rey-Coquais remarque que les sites des deux régions du Liban septentrional distinguées par l’emploi de systèmes de datation différents sont tous susceptibles d’avoir fait partie des domaines ituréens. Mais la région méridionale où l’usage de l’ère par année régnale s’impose sous le Haut-Empire correspondrait au domaine personnel d’un prince ituréen et ce ou ces territoires seraient devenus les possessions personnelles de l’empereur. Inversement, les régions où l’on date selon l’ère des Séleucides seraient passées sous l’administration provinciale et, comme telles, elles seraient soumises à la juridiction du prince en tant que chef de l’État romain. À propos de la chronologie des inscriptions du premier groupe, J.-P. Rey-Coquais constate qu’« aucune des inscriptions datées par année de règne de l’empereur n’est antérieure au règne de Trajan329. » C’est donc un argument a silentio qui fonde l’idée d’une remise en ordre, après la mort d’Agrippa II, sous Hadrien et peut-être déjà sous Trajan, « d’une délimitation de ce qui revenait en propre à l’empereur et de ce qui relèverait des cités ou des communautés indigènes traditionnelles ». S’expliquerait de la sorte le fait que le territoire d’Arca-Césarée du Liban, un temps annexé au royaume d’Agrippa II dans la seconde moitié du I er siècle p.C.330 et très étendu vers le sud sur le versant maritime du Mont Liban sous le Haut-Empire, soit entrecoupé de domaines impériaux qui auraient anciennement fait partie des terres attribuées au souverain hérodien.

Si ce raisonnement est logique, il convient de reconnaître que, dans le détail, les arguments avancés par J.-P. Rey-Coquais ne sont pas toujours probants pour l’ensemble des sites qui appartiendraient, selon cet auteur, à un domaine impérial331. On notera par exemple qu’aucune inscription n’atteste formellement l’usage du système de datation par année régnale d’un empereur à Qalaat Faqra : le texte allégué est lacunaire et autorise deux restitutions différentes332. Il est donc hasardeux de s’appuyer sur ce témoignage équivoque pour en conclure quoi que ce soit sur le statut administratif de Qalaat Faqra. À moins de supposer que la région de ce site montagnard aurait à nouveau changé de statut administratif entre le début du IIe siècle et la première moitié du IIIe siècle p.C., l’emploi de l’ère des Séleucides dans une inscription du grand sanctuaire de Qalaat Faqra datée de 240/1 p.C. prouve que l’on n’y date pas les actes publics par les années régnales des empereurs romains333. Dans ces conditions, je préfère à la restitution d’une datation par année régnale celle d’une formule courante du type « pour le salut de » dans l’inscription lacunaire sur laquelle s’appuie J.-P. Rey-Coquais pour montrer qu’à la mort d’Agrippa II, Qalaat Faqra aurait été inclus dans un domaine impérial334.

Au-delà de la discussion de détail, l’analyse de J.-P. Rey-Coquais met en évidence la discontinuité territoriale qui caractérise le Liban et la Syrie du Sud autrefois aux mains des Ituréens à la suite de l’attribution de leurs domaines aux souverains hérodiens. Néanmoins, la continuité entre l’époque achéménide et le Haut-Empire reste hypothétique puisque les seules informations permettant de distinguer différents territoires datent de l’époque romaine et que même pour cette époque, il demeure difficile de déterminer clairement les limites des terres attribuées aux cités et celles des domaines impériaux. Ce problème ne concerne pas seulement le Liban septentrional, mais aussi le versant oriental de l’Anti-Liban et les hauts plateaux du Qalamoun, où les Hérodiens ont succédé aux tétrarques ituréens d’Abilène : ici également, on peut supposer l’existence de domaines impériaux. Cependant, comme la création des districts de la Phénicie libanaise n’est pas datée, il est à nouveau permis de douter de la continuité présumée entre l’époque hellénistique et le Haut-Empire. Dans le Haurân, où les souverains hérodiens ont hérité de nombreuses possessions et où le système de datation par les années de règne des empereurs se maintient jusqu’au IIIe siècle p.C., l’existence de domaines impériaux n’est attestée à l’heure actuelle que pour la partie la plus riche des anciens États hauranais d’Agrippa II, à savoir la Batanée ; à ce propos, M. Sartre indique également le manque de preuve décisive pour établir une continuité entre l’époque hérodienne et l’époque impériale335.

Pour résumer, on ignore les modalités de la transformation en domaines impériaux d’une partie des territoires ituréens après leur attribution progressive aux souverains hérodiens. En revanche, il est assuré que les anciennes capitales ituréennes sont annexées à la province syrienne, et que deux d’entre elles, Arca et Abila de Lysanias, sont des cités, la première sous le Haut-Empire et la seconde à partir d’une époque indéterminée entre le I er et le VIe siècle p.C.

3.3. Familles et pouvoir[modifier | modifier le code]

3.3.1. Le tombeau de Zénodôros à Baalbek : une question héliopolitaine en suspens[modifier | modifier le code]

Une « question héliopolitaine » reste en attente depuis l’article déjà ancien d’H. Seyrig sur « L’inscription du tétrarque Lysanias à Baalbek ». Or la reconstitution de la dynastie mennaïde repose en partie sur l’interprétation de ce texte. Comme le notait H. Seyrig lui-même, il y a un hiatus chronologique problématique entre la date présumée de ce texte et celle, apparemment plus tardive, du décor qui orne l’entablement du monument funéraire où il aurait été gravé336.

Je résume ici l’interprétation d’H. Seyrig, qui est généralement acceptée. Tel qu’il a été restitué par E. Renan, le texte grec, lacunaire, commémore l’élévation par son épouse d’un monument funéraire « à Zénodôros fils du tétrarque Lysanias » et à sa descendance337. Zénodôros n’est pas désigné lui-même comme tétrarque. Cette omission permet de rejeter son identification au troisième prince de Chalcis. Logiquement, H. Seyrig identifie donc le père de Zénodôros, le « tétrarque Lysanias », au prince client d’Abilène. Ce dernier est connu pour n’avoir pas battu monnaie, pour être mentionné par l’évangéliste Luc et par des inscriptions de la haute vallée du Baradæ dont il était le tétrarque, et pour avoir disparu au plus tard en 37 p.C., à moins d’avoir été simplement dépossédé de ses États, qui reviennent, écrit Flavius Josèphe dans les Antiquités juives, à l’Hérodien Agrippa Ier par la faveur de Caligula. Zénodôros, inhumé à Baalbek, ne serait ainsi qu’un descendant sans aucun pouvoir du tétrarque abilénien. H. Seyrig poursuit en précisant qu’il n’est possible de dater l’inscription et le monument de Zénodôros que de manière approximative. Lysanias est mort ou a été dépossédé de sa tétrarchie entre 28/9 et 37 p.C., date à laquelle l’Hérodien Agrippa Ier reçoit simultanément les États de son oncle Philippe et l’Abilène. La tétrarchie abilénienne a pu être un temps annexée à la Syrie, comme celle de l’Hérodien Philippe. Ainsi une datation du texte grec et du monument funéraire vers le milieu du Ier siècle p.C. paraîtrait-elle acceptable s’il ne subsistait le problème suivant : selon H. Seyrig, la présence d’une file de godrons sur la frise au-dessus de laquelle l’inscription est gravée renvoie plutôt au second siècle de notre ère, quand ce type de décor pratiquement inconnu de l’architecture romaine d’Occident devient fréquent en Asie Mineure ; c’est également à cette époque que cet élément décoratif apparaît en Syrie sur les propylées du temple d’Artémis à Gérasa et dans l’ordre intérieur du temple de Mercure-Bacchus à Baalbek, constructions toutes deux datées du milieu du IIe siècle p.C. On ne pourrait donc trancher entre les deux solutions suivantes : soit le constructeur du tombeau de Zénodôros devance les architectes des monuments précédemment cités dans l’utilisation de la file de godrons sur la frise, soit le texte copié par les Modernes a été regravé par les Anciens à l’occasion d’une réfection du sépulcre. Comme celui-ci a disparu et que les indications paléographiques n’apparaissent d’aucun secours, la question reste entière. Autant que je puisse en juger d’après E. Renan (1869), l’établissement du texte me semble correct ou, du moins, il ne me semble pas possible de l’améliorer au moyen de l’unique copie publiée depuis la fin du XIXe siècle, celle de W.J. Bankes, qui n’entre pas en contradiction avec les autres lectures proposées338. Dans l’état actuel de notre documentation, la discussion ne saurait donc porter que sur l’analyse du décor architectural du tombeau de Zénodôros. Sur ce point, il convient tout d’abord d’écarter une solution que n’avait pas envisagée H. Seyrig. Le hiatus entre la date présumée de sa consécration et la réalisation d’une file de godrons sur sa frise ne témoigne sans doute pas de l’achèvement par étapes du monument funéraire élevé à la mémoire d’un descendant du tétrarque abilénien. Non que l’architecture funéraire échappe au phénomène de la finition progressive des monuments, dont les manifestations les plus remarquables consistent en la coexistence de divers répertoires ornementaux sur les mausolées, voire en l’inachèvement du décor architectural de nombreux tombeaux ; il est très courant en effet que la construction et l’aménagement des édifices antiques, publics ou privés, s’étalent sur plusieurs décennies ou sur plusieurs siècles, ce qui se traduit souvent par un décalage chronologique entre le moment où un ensemble monumental est officiellement inauguré — ce que commémore parfois une inscription — et la date à laquelle les éléments de son décor architectural sont réalisés, si toutefois les moyens financiers des commanditaires le permettent. Mais il est possible d’exclure la possibilité que le décor architectural qui orne l’entablement du tombeau de Zénodôros n’ait été réalisé qu’un siècle après l’élévation de ce sépulcre car le respect attaché aux monuments funéraires inachevés est habituellement la règle.

Il me semble que l’on peut ensuite discuter la valeur des parallèles architecturaux syriens allégués par H. Seyrig, sans remettre en cause son analyse. Mes recherches sur le motif de la file de godrons ne me permettent pas de résoudre le problème que pose H. Seyrig. Plusieurs édifices cultuels du Liban comportent des entablements ornés de files de godrons, mais les archéologues de la mission allemande les classent dans la catégorie des temples les plus récents339. Dans l’architecture funéraire du Haurân, le motif de la file de godrons semble caractéristique du décor architectural du IIIe siècle p.C., comme le souligne J. Dentzer-Feydy340. La documentation hauranaise récemment cataloguée et étudiée par A. Sartre-Fauriat ne dément pas ce constat341. La conclusion à tirer de l’ensemble de ces exemples est double : au Liban, le motif de la file de godrons sur une frise concerne, dans l’état actuel de la documentation, des édifices cultuels publics que leur ampleur n’invite pas à rapprocher d’un tombeau privé ; la datation tardive des monuments funéraires du Haurân où apparaissent des files de godrons n’implique aucunement que d’autres régions syriennes aient connu un emploi plus précoce de ce motif ornemental pour décorer des frises.

Si l’on observe enfin les données relatives au décor architectural des monuments du monde romain, il apparaît que le motif de la file de godrons est déjà très courant au premier siècle de notre ère. Dans son étude classique du décor architectural des temples de Baalbek que citait H. Seyrig, E. Weigand avait déjà réuni de nombreuses attestations de files de godrons ornant la partie supérieure de l’entablement de monuments romains occidentaux et orientaux depuis l’époque augustéenne342. De même, dans la publication du nymphée de Laodicée du Lycos, R. Ginouvès indique que ce motif est fréquemment utilisé dans la décoration des monuments romains de l’Orient hellénisé au cours du Ier siècle p.C., même si la file de godrons figure alors généralement sur la sima ou sur la corona de la corniche et non sur la frise de ces édifices343, comme c’est le cas pour le tombeau de Zénodôros à Baalbek.

Dès le premier siècle de notre ère, la file de godrons appartient donc au répertoire ornemental commun à de nombreuses régions du monde romain, même si ce motif n’est alors attesté que sur la partie supérieure de l’entablement et non sur l’architrave ou sur la frise des monuments. Par conséquent, je me demande si l’apparition d’une file de godrons sur l’architrave du sépulcre privé de Zénodôros à Baalbek constitue un obstacle à la datation de cet édifice dans la seconde moitié du I er siècle p.C. Si l’on refuse cette analyse, il reste possible de considérer, comme le suggère H. Seyrig, que le tombeau familial ait été réparé au cours du IIe ou du IIIe siècle p.C. par un des descendants de Zénodôros auxquels l’inscription fait allusion, et que la file de godrons n’ait été employée qu’à cette date. Quoi qu’il en soit, les doutes qui subsistent ne portent pas sur les liens de parenté entre la dynastie d’Abila et celle de Chalcis du Liban.

Rien n’interdit donc d’affirmer qu’à Baalbek, Zénodôros, loin d’être un prince régnant, ne serait qu’« un obscur rejeton » du tétrarque abilénien, selon l’expression d’H. Seyrig. Le fait que Lysanias d’Abilène donne à son fils le nom de Zénôdoros confirmerait l’hypothèse selon laquelle le tétrarque d’Abila descend lui-même des princes de Chalcis ; l’inhumation de Zénodôros à Baalbek, dont les princes de Chalcis auraient été les grands-prêtres, vient à l’appui de cette proposition. La transmission papponymique des noms au sein de cette ancienne lignée de princes clients est remarquable : elle invite à reconstituer la dynastie ituréenne des Mennaïdes.

3.3.2. La dynastie mennaïde[modifier | modifier le code]

P.-L. Gatier est le premier auteur à appeler la famille régnante de Chalcis du Liban dynastie mennaïde344. Même si cette expression n’est jamais employée par les Anciens, elle est toutefois pertinente, puisque Mennaios est le nom du père de Ptolémaios, le premier prince de Chalcis connu, par l’intermédiaire de Strabon et de Flavius Josèphe. J’ai précisé plus haut les raisons qui laissent supposer que Mennaios n’est autre que le fondateur de la capitale ituréenne de Chalcis du Liban. L’importance que prend la dynastie mennaïde dans le groupe des familles princières qui se disputent les dépouilles du domaine séleucide au début du I er siècle a.C. explique probablement que l’on soit mieux renseigné sur les activités de Ptolémaios fils de Mennaios que sur celles de ses successeurs, entre le moment où les Damascains préfèrent se livrer au souverain nabatéen Arétas III plutôt qu’à lui, soit 84 a.C. selon Flavius Josèphe345, et sa mort, survenue en 40 a.C. Les données relatives à la stratégie d’alliances politiques et matrimoniales mise en œuvre par le Mennaïde lors de son long règne semblent refléter les ambitions d’un prince soucieux de conforter sa position dans le cercle des potentats syriens. Entre 84 et 63 a.C., le prince ituréen de Chalcis s’affirmerait aux dépens des Nabatéens et des Hasmonéens, en particulier en direction de la Damascène : Arétas III se maintient à Damas jusqu’en 72 a.C., date à laquelle il est chassé de la ville par Tigrane d’Arménie ; après le départ des Nabatéens, les Hasmonéens peuvent reprendre leurs entreprises en direction de la Damascène et de l’Anti-Liban, où les armées d’Aristobule II se heurtent sans succès aux troupes de Ptolémaios fils de Mennaios en 70 a.C.346. Cette époque correspond à celle de l’occupation arménienne de la Syrie (83-69), ce qui laisse supposer l’existence d’un accord entre Tigrane d’Arménie et le Mennaïde, gage d’un soutien mutuel contre leur ennemi commun nabatéen. Jusqu’en 63 a.C. cependant, la seule alliance matrimoniale attestée entre la dynastie mennaïde et les pouvoirs locaux qui s’affirment en Syrie concerne Ptolémaios fils de Mennaios et un certain Dionysios, le tyran de Tripolis que Pompée aurait fait décapiter lors de sa marche triomphale347.

Après la date de 63 a.C., la tradition historique donne une image à la fois plus complète et plus cohérente des alliances mennaïdes, même s’il pourrait paraître surprenant a priori de ne trouver dans la Guerre juive aucune mention ni de l’accord passé entre le prince de Chalcis du Liban et Pompée ni de l’engagement de Ptolémaios fils de Mennaios dans le parti pompéien. Sans doute cette lacune, que pallient les Antiquités juives, s’explique-t-elle par le fait que Flavius Josèphe ou les auteurs des chroniques juives locales qu’il utilise ne réalisent pas la portée du tournant de 63 a.C. pour le prince de Chalcis. Flavius Josèphe ne semble avoir pris conscience du rôle joué par Pompée dans la promotion des Mennaïdes qu’après la lecture des sources romaines utilisées lors de la rédaction des Antiquités juives. Reconnu par Pompée, Ptolémaios fils de Mennaios entre officiellement dans la clientèle de Rome. Lors des guerres civiles de la fin de la République, les Mennaïdes sont les partenaires loyaux du parti pompéien puis des opposants à César soutenus également par les derniers représentants de la dynastie hasmonéenne, devenus leurs parents par alliance matrimoniale : en 46-44 a.C., soit plus de deux ans après la mort de Pompée lui-même, Ptolémaios fils de Mennaios soutient encore le pompéien Quintus Caecilius Bassus, tout comme d’autres dynastes locaux de la Syrie intérieure que Strabon mentionne lorsqu’il évoque le maître de la forteresse de Lysias en Apamène, les Samsigéramides d’Aréthuse et le roi des Rhambéens sur les rives de l’Euphrate348. Dans le même temps, l’hostilité entre les Ituréens et les Hasmonéens, continue depuis le milieu du IIe siècle a.C., se transforme après la marche de Pompée en une alliance matrimoniale de type exogamique, à laquelle Ptolémaios de Chalcis et son fils Lysanias restent fidèles jusqu’à la mort du dernier représentant de la dynastie hasmonéenne, Antigone-Mattathias, en 37 a.C. Ce revirement constitue vraisemblablement une conséquence de la réorganisation politique du Proche-Orient sous l’autorité romaine. Dans le contexte des guerres civiles, les écrits de Flavius Josèphe attestent les contacts entre la dynastie ituréenne de Chalcis et la dynastie hasmonéenne, puisqu’en 49 a.C. Ptolémaios fils de Mennaios aurait recueilli tous les enfants d’Aristobule II, à l’exception de son fils, Alexandre, décapité à Antioche sur l’ordre de Pompée349. Le fils du Mennaïde, Philippiôn, épouse Alexandra, une fille d’Aristobule II ; puis Ptolémaios épouse lui-même Alexandra après avoir assassiné Philippiôn. Ce crime, sur lequel Flavius Josèphe ne s’étend pas, rappelle les querelles internes aux dynasties syriennes clientes de Rome dont la famille d’Hérode le Grand donne de nombreux exemples tout aussi sanglants. Peut-être le mariage de Philippiôn et d’Alexandra compromettait-il les ambitions de Ptolémaios, menaçant de diviser un patrimoine potentiellement réuni dans les seules mains du prince de Chalcis devenu le tuteur des derniers représentants de la famille hasmonéenne. Cette interprétation politique de l’assassinat du jeune prince mennaïde ne peut être étayée, mais elle demeure une hypothèse plausible compte tenu de l’acharnement des Mennaïdes à soutenir la cause de l’Hasmonéen. Il est remarquable en effet qu’après la défaite des derniers anti-Césariens en 42 a.C., Ptolémaios fils de Mennaios soutienne encore les entreprises en Galilée d’Antigone-Mattathias, dont il avait épousé la sœur350 : le dynaste de Chalcis a pu espérer faire main basse à terme sur ce qui restait de l’héritage hasmonéen en prenant le parti du descendant le plus faible des derniers souverains juifs pour mieux s’imposer ensuite au détriment de son oncle le grand-prêtre Hyrcan II (mort en 30 a.C.), que Pompée avait privé du titre royal en 63 a.C., et surtout aux dépens de l’homme de confiance du parti césarien en Palestine, l’Iduméen Antipater. La tradition dont Strabon et Flavius Josèphe se font l’écho permet donc d’opposer deux périodes dans la stratégie diplomatique et matrimoniale des Mennaïdes : avant la marche de Pompée, l’unique alliance matrimoniale de Ptolémaios fils de Mennaios qui soit connue, avec la famille de Dionysios de Tripolis, semble surtout illustrer la médiocrité de la dynastie ituréenne par rapport aux autres familles princières du Proche-Orient ; ce n’est qu’après 63 a.C. que la situation des princes de Chalcis s’améliore au point qu’ils deviennent non seulement des partenaires privilégiés du parti pompéien au cours de la guerre civile, mais aussi les tuteurs de la famille hasmonéenne et les intercesseurs privilégiés du dernier Hasmonéen auprès des Parthes. Les succès initiaux de la stratégie mennaïde paraissent ainsi fortement conditionnés par l’organisation de la province romaine de Syrie sous la direction de Pompée.

A posteriori, il apparaît que la seule « erreur » qu’aient commise les Mennaïdes en tant que tuteurs de la famille hasmonéenne soit d’avoir pris une fois de plus le parti des vaincus dans des circonstances qu’il s’agit de préciser. En 42 a.C., Antoine est maître de l’Orient, et l’Iduméen Hérode fils d’Antipater, qui le soutient, parvient à éliminer une première fois Antigone-Mattathias351. Ce dernier parvient à se rétablir un temps en se ralliant aux Parthes, qui envahissent la Syrie en 41/0 a.C. Selon Flavius Josèphe, très favorable à Hérode sur ce point, Antigone-Mattathias aurait promis de l’argent et des femmes aux Parthes, non seulement pour qu’ils enlèvent le pouvoir à Hyrcan à Jérusalem, mais aussi pour qu’ils tuent Hérode. Dans ce marchandage, les dynastes de Chalcis, Ptolémaios fils de Mennaios et son propre fils et successeur Lysanias, joueraient un rôle central d’intercesseurs352. L’évacuation de la Syrie par les Parthes en 38 a.C. entraîne la défaite de leurs partisans hasmonéens. C’est le soutien qu’Antigone apporte aux Parthes qui semble motiver la promotion d’Hérode par les Romains : en conséquence, dès 41 a.C., Antoine décide, avec l’accord d’Octave, de reconstituer le royaume de Judée au profit d’Hérode et aux dépens du dernier Hasmonéen. Il faut cependant attendre les remaniements territoriaux de l’Orient en 37/6 a.C. pour qu’Antoine remette à Cléopâtre les territoires enlevés au Mennaïde Lysanias. Le fait que le triumvir a reconnu auparavant le pouvoir de Lysanias, comme le prouvent les monnaies frappées de manière officielle par ce dynaste et le témoignage de Dion Cassius353, indique que les intelligences de la dynastie mennaïde avec les Parthes ne constituent qu’un prétexte aux yeux du nouveau maître de l’Orient pour attribuer la principauté ituréenne à Cléopâtre. La tradition manuscrite n’établit aucun lien direct entre Lysanias fils de Ptolémaios et le tétrarque de Chalcis Zénodôros. Un faisceau d’indices convergents autorise cependant à supposer la parenté des deux personnages, ainsi que l’appartenance du second au lignage des Mennaïdes. E. Renan le remarque déjà, soucieux d’expliquer à quel titre le prince client avait obtenu de recouvrer le domaine de ses ancêtres présumés: « La similitude de ces monnaies [de Chalcis] et l’identité des titres portés par Lysanias et Zénodore prouvent aussi, ce que Josèphe permettait de soupçonner, que Zénodore continua bien réellement la ligne dynastique de Lysanias354. » À ces deux arguments s’ajoute l’alternance significative des noms Lysanias et Zénodôros, que l’on retrouverait au premier siècle de notre ère dans la famille des princes ituréens d’Abilène, elle-même probablement apparentée aux Mennaïdes.

En revanche, je doute qu’on puisse tirer du témoignage de Flavius Josèphe la preuve d’« une adoption, en vertu de laquelle Zénodore, misqwth"v [« fermier »] des apanages de Lysanias, aurait été autorisé à s’appeler son fils », comme l’affirme E. Renan355. Par deux fois, Flavius Josèphe emploie effectivement le verbe misqoun` « donner en location », dont le sens littéral au moyen misqou`sqai est « prendre en location », pour qualifier le procédé par lequel Zénodôros récupère la principauté ituréenne de Chalcis du Liban en 31 a.C.356. Vis-à-vis d’Octave-Auguste en 31 a.C., Zénodôros de Chalcis se trouve ainsi dans une situation analogue à celle que connaît Hérode le Grand vis-à-vis d’Antoine avant d’embrasser la cause du fondateur de l’Empire romain, ce qu’implique le vocabulaire employé par Flavius Josèphe dans deux passages parallèles de son œuvre historique357. Il s’agit néanmoins d’interpréter correctement ces expressions, dont seule celle qui concerne Zénodôros de Chalcis a piqué la curiosité d’E. Renan. L’emploi du terme oi\ko" pour dénommer l’ancien domaine de Lysanias réfère banalement à la gestion domestique des principautés. Quant à l’usage de misqou`sqai, il n’implique en lui-même aucune relation de parenté, réelle ou fictive, entre le locataire du domaine patrimonial des Mennaïdes et les précédents dynastes de Chalcis. Il implique en revanche une relation de type contractuel entre Zénodôros et Octave-Auguste, différente du rapport qui lie les premiers Hérodiens au fondateur de l’Empire, bien que tous ces dynastes soient les tributaires et les obligés de l’empereur. Le champ sémantique de misqov" — au sens de « loyer » — se distingue de celui de dwron ` « don », et la manière dont Zénodôros obtient sa principauté s’oppose, aux yeux de Flavius Josèphe, à l’attribution par Caligula à Agrippa Ier du titre royal, de l’ancienne tétrarchie de Philippe et de celle de Lysanias d’Abilène en 37 p.C.358. Ces remarques n’enlèvent rien au fait que seul le rapport de parenté entre Zénodôros et Lysanias fils de Ptolémaios justifie que le premier soit accepté par Octave-Auguste.

L’hypothèse selon laquelle la famille du tétrarque abilénien Lysanias est apparentée par cognation aux premiers Mennaïdes ne repose à l’heure actuelle que sur les deux constats suivants : premièrement, l’alternance des noms Lysanias et Zénodôros d’une génération à l’autre dans l’inscription du tombeau familial de Zénodôros à Baalbek semble prolonger la succession des deux derniers tétrarques de Chalcis du Liban, Lysanias et Zénodôros ; deuxièmement, la descendance de Lysanias d’Abilène est inhumée à Baalbek à proximité du sanctuaire héliopolitain, dont les princes de Chalcis étaient les grands-prêtres au cours du Ier siècle a.C. En marge de l’analyse des sources historiques antiques proposée ci-dessus, il convient d’examiner les prolongements tardifs de la tradition relative aux alliances matrimoniales de la dynastie mennaïde. Je reconnais d’emblée me trouver dans l’incapacité de répondre à toutes les questions que posent ces témoignages dus aux auteurs grecs et latins de l’Antiquité tardive et de l’Occident médiéval. Je peux néanmoins proposer de façon vraisemblable une analyse de ces sources sur deux points, à savoir sur l’identité de la mère de Lysanias d’Abilène et sur les liens douteux entre Mennaïdes et Hérodiens. Les écrits de Flavius Josèphe permettent d’établir l’existence d’une alliance matrimoniale entre les Mennaïdes et les derniers Hasmonéens par la voie d’une union entre Ptolémaios fils de Mennaios et Alexandra fille d’Aristobule II. Par ailleurs, on sait également que le tétrarque et grand-prêtre de Chalcis a eu deux fils, Philippiôn, qu’il aurait fait exécuter, et Lysanias, son successeur immédiat. On suppose enfin que Lysanias d’Abilène est un descendant des Mennaïdes. Cependant, Flavius Josèphe lui-même ne donne aucune indication sur l’identité de la mère de ce dernier. Or il circule dans l’Occident médiéval des XIIe et XIIIe siècles une tradition selon laquelle cette dernière ne serait autre que l’Hasmonéenne Alexandra : ainsi le théologien et chancelier de Paris Pierre le Mangeur (ca 1100-1179) et à sa suite l’archevêque de Tolède Rodrigo Ximénez de Rada (mort en 1247) affirment dans des termes similaires — ut quidam tradunt, ut dicitur — que Lysanias d’Abilène est né de l’union de Ptolémaios et d’Alexandra359. Certes, ces auteurs confondent tous deux Lysanias d’Abilène avec Lysanias de Chalcis dans le récit des événements qu’ils relatent, où l’on reconnaît le texte de Flavius Josèphe. Mais cette confusion n’exclut pas a priori la possibilité que Lysanias d’Abilène soit issu de l’Hasmonéenne Alexandra. En revanche, le fait que celle-ci épouse le tétrarque et grand-prêtre mennaïde vers 49 a.C. autorise à écarter l’hypothèse selon laquelle le successeur immédiat de Ptolémaios à la tête de la principauté ituréenne serait Lysanias de Chalcis, car ce dernier, n’ayant qu’une dizaine d’années, aurait été trop jeune pour intriguer auprès des Parthes vers 41-38 a.C. Mais comme on ne dispose pas encore d’édition critique de Pierre le Mangeur, qui puise à des sources aussi nombreuses que diverses — parmi lesquelles figurent notamment Augustin, Jérôme, Rhaban Maur, Isidore de Séville, Flavius Josèphe et d’autres auteurs juifs non identifiés —, l’origine de la tradition qui fait de Lysanias d’Abilène le fruit de l’union entre les Mennaïdes et les Hasmonéens reste à déterminer.

Une autre tradition tardive, incompatible avec les données tirées des sources historiques du Haut-Empire, met en relation un membre de la dynastie mennaïde avec la nombreuse descendance d’Hérode le Grand. Dans les tables synchroniques établies en 303 p.C. qui constituent la seconde partie de sa Chronique (Chronichon) et que la traduction latine de Jérôme nous a conservées, Eusèbe de Césarée fait de Lysanias d’Abilène l’un des fils d’Hérode le Grand : à la mort de ce dernier, au cours de la cent quatre-vingt seizième olympiade, « Auguste fit d’Archélaos fils d’Hérode l’ethnarque des juifs ; et il éleva au rang de tétrarques les quatre autres frères de celui-ci, Hérode, Antipater, Lysanias et Philippe. » Selon E. Renan, cette erreur « mérite à peine d’être relevée. C’est sur cette unique preuve que quelques modernes ont présenté la dynastie des Lysanias comme une branche latérale de la maison d’Hérode360 ». J’observe que, loin d’être isolé, le témoignage d’Eusèbe de Césarée a connu une postérité remarquable dans la chronographie byzantine361. Il reste que cette tradition est inconciliable avec la tradition antique relative aux alliances matrimoniales des Mennaïdes, des Hasmonéens et des Hérodiens.

3.3.3. La dynastie ituréenne du Liban Nord et les liens des Ituréens et des Samsigéramides[modifier | modifier le code]

L’existence d’une dynastie ituréenne implantée dans le nord du Liban et indépendante des Mennaïdes paraît remonter au plus tôt au milieu du Ier siècle a.C. Flavius Josèphe évoque en effet l’aide que César aurait reçue en 47 a.C. de la part d’un certain Ptolémaios du Liban, probablement implanté à Arca362. Contrairement aux Mennaïdes, qui soutiennent la cause des derniers Hasmonéens, le dynaste ituréen du Liban septentrional s’engage dans le parti césarien (? il soutient Aristobule qui se trouvera du côté de César contre Pompée, donc pas de vrai opposition) aux côtés de l’Iduméen Antipater et de l’Émésénien Iamblichos. Après cette mention fugace et isolée des activités du dynaste libanais Ptolémaios, on perd toute trace de la famille princière du Liban Nord jusqu’au rétablissement d’un certain Sohaimos à la tête des Ituréens en 38 p.C.363. On ignore tout des activités de celui-ci. À la mort de Sohaimos, son territoire passe sous l’administration directe de Rome, comme l’indique Tacite dans les Annales: « les Ituréens et les juifs, après la mort de leurs rois Sohaimos et Agrippa [Ier], furent ajoutés à la province de Syrie364. » L’historien latin rapporte cet événement parmi les faits remarquables de l’année 49 p.C., sous le consulat de Gaius Pompeius et de Quintus Veranius, mais il est établi par ailleurs que la mort du souverain hérodien Agrippa Ier est intervenue plus tôt, entre la fin de l’année 43 et le début de 44 p.C., de sorte que l’on peut douter de la fiabilité de Tacite pour dater précisément la mort de l’Ituréen : sur ce point, il est peut-être préférable de considérer la date de 49 p.C. plutôt comme un terminus ante quem que comme une date absolue.

L’annexion de la principauté ituréenne du Liban Nord au milieu du Ier siècle p.C. ne marque pas pour autant la disparition de la dynastie qui y a régné auparavant, puisque le fils de Sohaimos en conserve un secteur jusqu’en 53 p.C. Le nom de ce tétrarque est sans doute Ou[aro"365. On ignore où se trouvait le secteur résiduel de la principauté ituréenne dans le Liban septentrional avant l’annexion de la tétrarchie de Ouaros au royaume d’Agrippa II. En 53 p.C., la tétrarchie passe aux mains de l’Hérodien Agrippa II et Ouaros entre pour un temps à son service. Flavius Josèphe peut donc considérer Arca comme une ville du royaume d’Agrippa II366. Dans la seconde moitié du Ier siècle p.C., les Ituréens ont ainsi définitivement passé la main aux souverains hérodiens pour la domination du Liban. Il n’est plus question par la suite d’aucun prince régnant de la dynastie ituréenne du Liban Nord. Au premier siècle de notre ère, la dynastie des princes ituréens du Liban Nord est liée à celle des Samsigéramides d’Émèse, même si les témoignages de cette parenté entre les deux familles sont peu nombreux et d’interprétation délicate. Il convient tout d’abord d’écarter de la discussion un témoignage épigraphique qui s’avère sans rapport avec les alliances entre Ituréens et Éméséniens avant d’examiner ensuite les données onomastiques et historiques. À l’époque de Néron, une inscription latine de Baalbek est adressée « au grand roi Caius Iulius Sohaimos fils du grand roi Samsigéramos [II], ami de César, ami des Romains, honoré des insignes consulaires […] » en tant que patron et duumvir quinquennal de la colonie romaine de Berytus367 : tout comme on peut également le déduire de l’inscription qui commémore l’érection d’une statue aux frais de la colonie en l’honneur d’un des deux Agrippas368, les honneurs reçus à Baalbek par le prince client émésénien du premier siècle de notre ère ne sont pas nécessairement en rapport avec la domination des Ituréens sur le grand sanctuaire de la Beqæ‘ au siècle précédent.

En revanche, la proximité remarquable entre l’onomastique des dynastes d’Émèse et celle des Ituréens du Liban Nord connus par la tradition autorise à formuler l’hypothèse d’une parenté entre ces deux familles : le nom Sohaimos est en effet porté par des dynastes d’Émèse et des Ituréens, si l’on se fonde sur Flavius Josèphe lorsqu’il évoque les tétrarques du Liban Nord, dont il a déjà été question, et un Ituréen nommé Sohaimos dans l’entourage d’Hérode le Grand vers 30 a.C.369 ; mais cet anthroponyme est assez fréquent en Syrie, notamment dans la haute vallée du Nahr Baradæ, où rien ne permet d’identifier ses porteurs à des descendants de dynastes éméséniens ou ituréens370. Il s’agit donc d’étayer la discussion au moyen d’arguments supplémentaires qui permettraient d’établir les relations de parenté supposées entre la dynastie ituréenne du Liban Nord et la famille royale d’Émèse. Sur ce point, le témoignage de Flavius Josèphe est important, bien que relativement équivoque si l’on s’en tient à un examen superficiel : d’une part, l’historien juif fait de Ouaros « un parent du roi Sohaimos par la naissance » ; d’autre part, dans un passage de l’Autobiographie, Flavius Josèphe précise la raison pour laquelle Agrippa II épargne finalement ce personnage entré à son service, en dépit de ses exactions, « car Ouaros, de l’aveu de tous, était de race royale, descendant de Sohaimos, tétrarque dans le Liban371 ». La question que soulèvent ces deux passages porte sur l’identification du (ou des) personnage(s) dénommé(s) par l’anthroponyme Sohaimos et désigné(s) tantôt comme roi(s) tantôt comme tétrarque(s) au Liban. Je crois pouvoir lever les doutes qui subsistent à ce propos dans la réédition de l’ouvrage d’E. Schürer372. Chez Flavius Josèphe, la confusion entre le titre de roi et celui de tétrarque est assez courante (?) pour que l’on ne puisse arguer uniquement de l’appartenance de Ouaros à une lignée royale afin d’identifier le roi Sohaimos, son parent, au souverain d’Émèse homonyme plutôt qu’au dynaste du Liban Nord. Il semble néanmoins nécessaire de distinguer les deux personnages cités par l’historien juif en évitant d’interpréter le premier passage cité à la lumière du second : en d’autres termes, dans la Guerre juive, il serait question du roi d’Émèse Sohaimos, auquel Ouaros serait apparenté d’une manière qui reste indéterminée, tandis que l’Autobiographie ferait allusion au père de Ouaros lui-même, à savoir l’ancien tétrarque du Liban homonyme. Cette interprétation du texte de Flavius Josèphe concorde avec celle de l’amnistie de Ouaros par l’historien juif : Agrippa II, mis au courant des exactions de Ouaros, « se retint de le tuer, par considération pour Sohaimos, mais le destitua de sa charge373 ». Or, dans les années 60 de notre ère, Agrippa II n’aurait aucune raison d’être redevable à un tétrarque mort dans les années 40 dont la principauté libanaise lui est revenue dans sa totalité ; en revanche, la communauté d’intérêts entre l’Hérodien et l’Émésénien est bien attestée374, ce qui justifie les égards du premier pour un parent de son allié. L’analyse des écrits de Flavius Josèphe permet de conclure à l’existence de liens de parenté entre la famille de Sohaimos du Liban et de son fils Ouaros et les Samsigéramides d’Émèse, même si la nature précise de cette parenté entre les deux dynasties demeure indéterminée à l’heure actuelle. Les liens que J. Starcky pense pouvoir établir entre la dynastie des Sévères et les descendants des princes ituréens d’Arca du Liban ne reposent sur aucun argument solide375. Selon Dion Cassius, le père du futur empereur Sévère Alexandre, le chevalier Gessius Marcianus, est un Syrien originaire de la cité d’Arca, ce qui n’implique en soi aucune parenté avec les Ituréens376. Par ailleurs, il est également acquis que le successeur d’Élagabal est né à Césarée du Liban377, où il semble avoir passé une partie de sa petite enfance, entre sa naissance, le 1er octobre 210, et son arrivée à Rome, à une date incertaine située au début du règne de Caracalla. Néanmoins, on ne peut s’appuyer sur le fait que l’auteur de l’Histoire Auguste378 affirme par erreur l’appartenance de Sévère Alexandre à la gens Varia pour en déduire quoi que ce soit sur la parenté entre les prétendus Varii d’Arca et Ouaros, l’Ituréen du Ier siècle p.C. dont Flavius Josèphe évoque les activités : d’une part, il est hasardeux de faire dériver le nom latin des prétendus Varii d’Arca de celui du prince ituréen connu au premier siècle de notre ère ; d’autre part, comme le remarque A. Chastagnol, il est certain que Varius est « le nom de famille (gentilice) du père d’Élagabal [Sextus Varius Avitus Marcellus, originaire d’Apamée] et, au début, d’Élagabal lui-même, et non pas du père d’Alexandre Sévère, qu’il s’agisse de son vrai père, Gessius Marcianus, ou de Caracalla. La grand-mère d’Alexandre, Julia Maesa, ne s’appelait pas davantage Varia379. » Rien ne prouve par conséquent l’origine ituréenne de Sévère Alexandre, que laissent toutefois supposer les liens entre la famille des dynastes d’Émèse et celle des princes d’Arca.

La littérature de l’Antiquité tardive conserve peut-être le souvenir d’une parenté entre les Éméséniens et les Mennaïdes — et non les dynastes du Liban Nord dans ce cas précis. Les données sont les suivantes. Le codex 181 de la Bibliothèque du patriarche constantinopolitain Photius (ca 820-891) résume le Sur la vie du philosophe Isidore de Damascius, ouvrage dédié à une certaine Théodôra, païenne instruite par les soins de Damascius et d’Isidore eux-mêmes à la fin du Ve siècle ou au début du VIe siècle p.C. Or « 'celle-ci, rapporte Photius, était la fille de Kyrina et de Diogénês fils d’Eusébios fils de Flavianos, qui descendait de Sampsigéramos et de Monimos, dont Jamblique [de Chalcis] est aussi un descendant ; tous ont été au premier rang de l’impiété des idolâtres. » En d’autres termes, le philosophe néoplatonicien Jamblique de Chalcis (ca 245-320), d’illustre ascendance selon son biographe Eunape de Sardes380, a pu se prévaloir de compter parmi ses ancêtres des personnages célèbres dont les noms évoquent ceux des souverains éméséniens et ituréens : le personnage que Photius nomme Monimos ne serait autre que le fondateur de Chalcis du Liban381. Cette hypothèse s’accorderait avec celle qui fait du philosophe Jamblique un personnage natif de Chalcis du Liban et non de Chalcis du Bêlos382. J’insiste sur l’aspect conjectural de chacune de ces deux propositions, qui ne sauraient se renforcer l’une l’autre dans l’état actuel de notre documentation. Cependant, rien ne permet par ailleurs de privilégier l’hypothèse de J. Dillon, qui considère que Jamblique est nécessairement originaire de Chalcis du Bêlos383. Certes, Eunape de Sardes (349-après 414) affirme que « sa patrie était Chalcis, cité située dans cette région que l’on appelle Coele384. » Mais il n’est pas certain que le biographe du philosophe utilise cette dénomination dans son sens administratif exact, qui réfère depuis la fin du IIe siècle p.C. à la partition de la province de Syrie entre une Syrie Creuse (Coele-Syria) septentrionale, où se trouve Chalcis du Bêlos-Qinnesrîn, et une Syrie-Phénicie (Syria-Phoenice) méridionale, où se trouve le site de Chalcis du Liban385.

Il convient enfin de reconnaître que les données onomastiques ne permettent pas de confirmer l’origine libanaise du philosophe néoplatonicien. Les diverses graphies du nom ∆Iamblico" v sont surtout attestées en Émésène — où elles rappellent le nom de plusieurs princes de la dynastie samsigéramide —, dans le Haurân et en Abilène. Cet anthroponyme est aussi attesté en Occident dans le milieu « ituréen » de la cohors I Augusta Ituraeorum386. Mais il est également fréquent dans toute la Syrie hellénisée. Pour ne prendre qu’un exemple relatif à la prosopographie des habitants de Chalcis du Bêlos, je note que les Actes du concile œcuménique de Chalcédoine attestent la participation au synode d’Antioche en 445 p.C. d’un évêque de cette cité nommé ∆Iamblico" v.

Pour conclure sur ce point, on peut donc retenir que la parenté éventuelle entre les deux dynasties émésénienne et mennaïde s’accorde avec l’origine libanaise conjecturale de Jamblique de Chalcis, sans que l’une ou l’autre hypothèse soit assurée.

3.4. Bilan[modifier | modifier le code]

Dans le contexte de la rivalité et de l’émulation entre les différentes dynasties proche-orientales entrées dans la clientèle de Rome au I er siècle a.C., les Mennaïdes ne le cèdent en rien aux grandes familles princières de l’Orient hellénisé. Tout comme les Hasmonéens, les Hérodiens et les Éméséniens, les princes de Chalcis déploient une politique de recherche d’alliances stratégiques avec les membres des familles qui règnent sur les territoires situés à la périphérie de leur principauté. La compétition entre dynasties n’exclut pas les rapprochements avec ces familles de princes par les liens du sang, eux-mêmes facteurs d’hostilité. Au cours des guerres civiles de la fin de la République romaine, une dynastie ituréenne s’affirme dans le nord du Liban ; ses options procésariennes la distinguent de la dynastie mennaïde, restée favorable aux partisans de Pompée et aux Hasmonéens. (?)

Au-delà des divergences de vue politiques entre les deux familles régnantes ituréennes, les principautés sur lesquelles s’exerce leur pouvoir présentent les caractéristiques essentielles des États dynastiques de l’Orient hellénisé qui se partagent les restes du royaume des Séleucides avant d’entrer dans la clientèle de Rome à la suite de la marche de Pompée. Le seul caractère original de l’État mennaïde réside dans le fait que les princes de Chalcis du Liban cumulent les titres de tétrarque et de grand-prêtre : cette titulature les rapproche des dynastes placés à la tête des principautés sacerdotales de l’Asie Mineure hellénistique. Mais cette expérience, limitée au Ier siècle a.C. dans notre documentation, s’interrompt dès le début du Haut-Empire avec la fondation de la colonie romaine de Berytus.

Le cœur des territoires ituréens correspond au Liban, où le système d’organisation politique et social prédominant est celui de la cité dès avant l’époque hellénistique. Dans cette région, les Ituréens ont pu contribuer au développement du réseau urbain de la Syrie intérieure, au moins dans le cas d’Arca du Liban, tout comme les Hérodiens et les Éméséniens, auxquels leurs dynasties sont liées. Les trois capitales ituréennes dominent un territoire plus ou moins étendu — toute la Beqæ‘ pour Chalcis à l’époque hellénistique, la plaine du Akkar entre le Nahr al-Kabir (Eleutherus) au nord et le Nahr el-Bared au sud pour Arca, la haute vallée du Nahr Baradæ pour Abila — dont la fertilité a pu soutenir leur développement à des époques diverses. L’évolution « de la principauté à la cité » se vérifie sur le long terme pour Arca du Liban et pour Abila de Lysanias. Dans ces conditions, l’infortune apparente de Chalcis, le succès mitigé d’Abila et la réussite d’Arca semblent liés à l’histoire générale des principautés ituréennes. La disparition de toute mention explicite de l’agglomération de Chalcis après le Ier siècle p.C. serait consécutive aux remaniements territoriaux intervenus dans la Beqæ‘ au début du Haut-Empire. Inversement, Césarée du Liban et Abila, dont les débuts datent indubitablement du temps des tétrarques ituréens, survivent aux dynasties de leurs fondateurs, évincées dans les années 30-40 p.C., et ces deux agglomérations connaissent un développement qui se traduit en termes politiques par leur poliadisation et par leur transformation en sièges épiscopaux à l’époque protobyzantine.

En comparant Chalcis du Liban, Arca du Liban et Abila de Lysanias, il serait possible de déceler un modèle commun à ces fondations ou refondations ituréennes. Ces agglomérations du Liban pourraient toutes trois répondre au schéma classique qui associe une partie basse à une acropole à vocation religieuse et que l’on retrouverait à Homs par exemple. Selon une hypothèse de P.-L. Gatier, l’implantation des Éméséniens sur le site de Homs au cours du I er siècle a.C. succèderait à un développement déjà ancien de la ville387. Mais le tell de Homs n’est pas fouillé et il est possible qu’il n’ait accueilli qu’une agglomération modeste à la haute époque hellénistique. À proximité de la plaine du Akkar mais en dehors du domaine ituréen, le développement urbain de Homs sous l’impulsion des Éméséniens est contemporain de celui d’une agglomération ituréenne, Arca du Liban. Ce synchronisme remarquable suggère que la présence arabe dans la Syrie intérieure accompagne le développement urbain de cette région du Proche-Orient plus qu’elle ne s’y oppose.

4. CONCLUSION[modifier | modifier le code]

L’histoire des Ituréens s’écrit à partir de données éparses, qu’il faut le plus souvent chercher dans les interstices de la tradition manuscrite ou dans de rares sources épigraphiques et numismatiques. Il est donc nécessaire de synthétiser les acquis de l’étude fondée sur ces témoignages et les problèmes qui subsistent au terme de l’enquête.

Premièrement, le fait de séparer l’histoire de la tribu biblique de Ye†ºr de l’histoire des Ituréens amène à mettre en cause la thèse classique d’une migration des seconds depuis le nord de la péninsule Arabique ou depuis la Transjordanie. Comme on ne sait rien des Ituréens avant le IIe siècle a.C., les preuves de l’autochtonie ou de l’extranéité de ce groupe ethnique font défaut. La question de l’origine géographique des Ituréens reste donc ouverte à l’heure actuelle. Néanmoins, rien n’interdit de considérer le peuple ituréen autrement que comme une population indigène des régions de la Syrie où leur présence est signalée sous le Haut-Empire.

Deuxièmement, en ce qui concerne l’identification ethnique des Ituréens, il est possible de caractériser ce groupe social comme un peuple dont l’onomastique et les cultes laissent supposer une origine arabe et que son aramaïsation linguistique et culturelle rapproche des autres populations indigènes de la Phénicie et du Liban. La prudence dont témoigne cette conclusion me paraît préférable à toute extrapolation. S’il est douteux que les recherches menées dans cette direction permettent à elles seules de formuler une définition des identités arabes qui serait valable dans le cadre de l’histoire ancienne388, on peut toutefois penser que l’examen de la question ituréenne y contribue dans les limites que j’ai indiquées.

Entre le milieu du second siècle avant notre ère, où ils sortent de l’ombre, et l’époque d’Eusèbe de Césarée, où l’on perd leurs traces, les Ituréens occupent un domaine qui correspond essentiellement au Liban. Leur présence n’exclut sans doute pas celle d’autres groupes dans la Beqæ‘ et dans les montagnes du Mont Liban, de l’Anti-Liban et de l’Hermon.

L’évolution des acceptions anciennes du toponyme Iturée rappelle les avatars du domaine ituréen, progressivement annexé à l’Empire romain. L’oubli relatif dans lequel ce toponyme tombe à partir de l’Antiquité tardive pourrait illustrer l’intégration des Ituréens au fonds commun des populations indigènes du Liban dès lors que les territoires autrefois réunis sous la tutelle des princes de Chalcis ont été annexés à l’Empire romain.

L’examen des sources relatives aux activités des Ituréens invite à nuancer fortement leur identification à des nomades brigands. Probablement forgée dans les cités de la côte phénicienne, cette image révèle la prégnance des lieux communs sur les populations montagnardes et pastorales dans le discours ethnographique ancien et dans l’historiographie moderne plus qu’elle ne donne d’information fiable sur leur mode de vie. La pratique du brigandage, qui n’est pas uniquement le fait de ce groupe ethnique, révèlerait l’instabilité sociale des populations du Liban et de la Syrie méridionale entre la fin de l’époque hellénistique et le début de l’époque romaine impériale. Par conséquent, il convient peut-être d’opérer une distinction entre cette population rurale, ituréenne ou non, restée anonyme, et les élites sociales ituréennes dont le nom et les activités sont connus à titre individuel, afin de rendre compte du fait que ces dernières apparaissent avant tout comme de fidèles garants de l’ordre établi, à partir du moment où Rome organise les territoires récemment conquis au Proche-Orient.

Tout comme les Hasmonéens et les Éméséniens, les princes ituréens s’affirment au détriment du pouvoir gréco-macédonien avant de collaborer activement avec les maîtres successifs de la Syrie et d’entrer dans la clientèle de Rome après la marche de Pompée. S’ils appartiennent ainsi au cercle des fossoyeurs de la monarchie séleucide, les princes ituréens n’en apparaissent pas moins, au même titre que leurs homologues hasmonéens et éméséniens, auxquels ils sont liés par des alliances diplomatiques et matrimoniales, comme des dynastes hellénisés. Dans leurs principautés, les princes ituréens — les Mennaïdes et les dynastes du Liban Nord — sont à l’origine de la fondation ou de la refondation de trois agglomérations, dont l’une, Arca-Césarée du Liban, peut être considérée comme une ville. Cette contribution au développement urbain de la Syrie intérieure contredit à nouveau l’image des brigands nomades ; dans le cas d’Arca-Césarée du Liban, elle suggère en outre que la présence ituréenne au Liban ne constitue pas un obstacle à l’urbanisation et à la poliadisation de cette région du Proche-Orient hellénisé.

5. ANNEXES[modifier | modifier le code]

5.1. Chronologie[modifier | modifier le code]

  • 200 Bataille de Panion ; Antiochos III conquiert la Syrie lagide.
  • ca 150 Premières attestations de l’ethnique ituréen.
  • 143 Incursion du grand-prêtre Jonathan dans la Beqæ‘; l’Hasmonéen combat les Zabadéens dans l’Anti-Liban.
  • 104-103 Règne d’Aristobule Ier ; les Hasmonéens annexent une partie du territoire des Ituréens.
  • ca 84 Les Damascains se livrent au Nabatéen Arétas III.
  • 83-69 Occupation de la Syrie par Tigrane d’Arménie.
  • 73/2 Première émission monétaire de Ptolémaios fils de Mennaios.
  • ca 70 Expédition militaire d’Aristobule II à Damas.
  • 63 Pompée reconnaît l’autorité de Ptolémaios fils de Mennaios sur la principauté de Chalcis du Liban.
  • 63/2 Ptolémaios fils de Mennaios fait frapper des monnaies à son nom.
  • 49 Ptolémaios fils de Mennaios recueille les enfants d’Aristobule II.
  • 47 Ptolémaios du Liban se porte au secours de César à Alexandrie.
  • 41/0 Invasion de la Syrie par les Parthes, que soutiennent les Mennaïdes.
  • 40 Mort de Ptolémaios fils de Mennaios ; son fils Lysanias lui succède.
  • 38 Évacuation de la Syrie par les Parthes.
  • 37/6 Antoine attribue la principauté de Chalcis aux Lagides.
  • 36 Antoine ordonne l’exécution de Lysanias de Chalcis.
  • 31 Bataille d’Actium : victoire d’Octave sur Antoine et sur Cléopâtre.
  • 31/0 Octave attribue à Zénodôros la principauté de Chalcis et lui confie la garde de la Trachônitide.
  • 27-23 Auguste destitue Zénodôros de Chalcis [et donne la Trachonitide et l'Auran à Hérode (Batanée ?)].
  • 27-15 Fondation de la colonie romaine de Berytus.
  • 20 Mort de Zénodôros à Antioche [Panéas et Oulatha sont donnés à Hérode (Batanée?)].
  • 5/4 Mort d’Hérode le Grand. Son royaume est partagé entre ses trois fils ; Philippe reçoit l’Iturée (???).
  • 6-7 p.C. Le préfet Quintus Aemilius Secundus combat les Ituréens et s’empare de leur castellum (Chalcis du Liban ?).
  • 37 p.C. Donation de l’ancienne tétrarchie de Philippe et de l’Abilène à Agrippa Ier.
  • 38 p.C. Sohaimos est placé à la tête des Ituréens du Liban Nord.
  • 41 p.C. Donation du royaume de Chalcis à Hérode, frère d’Agrippa Ier.
  • 43/4 p.C. Mort d’Agrippa Ier.
  • 48 p.C. Mort d’Hérode de Chalcis.
  • 48-50 p.C. Donation du royaume de Chalcis à Agrippa II.
  • 49 p.C. À cette date au plus tard décède Sohaimos du Liban Nord ; seul un secteur résiduel de l’ancienne principauté libanaise revient à son fils Ouaros (?).
  • 53 p.C. Agrippa II restitue le royaume de Chalcis et reçoit en échange l’Abilène et le secteur résiduel de l’ancienne principauté du Liban Nord ; le tétrarque Ouaros entre à son service.
  • 210 p.C. Naissance du futur empereur Sévère Alexandre à Arca du Liban.

Terres en Syrie données aux enfants de Cléopâtre[modifier | modifier le code]

Il reste à lire et récolter les passages de Pline l'Anien et Dion Cassius

Flavius Josèphe[modifier | modifier le code]

Guerre I, IV, 8[modifier | modifier le code]

Peu avant la mort d'Alexandre Jannée

81[63]. [103] Sur ces entrefaites, les habitants de Damas, par haine de Ptolémée, fils de Mennéos ((Πτολεμαῖον τὸν Μενναίου μῖσος ; μῖσος = demi ?), Ptolémée était dynaste de Chalcis, roi d'Iturée), appelèrent Arétas[64] et l'établirent roi de Cœlé-Syrie. Celui-ci fit une expédition en Judée, remporta une victoire sur Alexandre (Jannée) et s'éloigna après avoir conclu un traité. De son côté, Alexandre s'empara de Pella et marcha contre Gerasa, convoitant de nouveau les trésors de Théodore. Il cerna les défenseurs par un triple retranchement et, sans combat, s'empara de la place. Il conquit encore Gaulana, Séleucie et le lieu dit « Ravin d'Antiochus » ; puis il s'empara de la forte citadelle de Gamala, dont il chassa3[65] le gouverneur, Démétrius, objet de nombreuses accusations. [Gaulana, Séleucie le « Ravin d'Antiochus » , la citadelle de Gamala, sont en Gaulanitide. Pella, Gerasa, sont des villes de ce que sera la Décapole.]

Guerre I, V, 3[modifier | modifier le code]

3. [113] C'est ainsi qu[e les Pharisiens] firent mourir un homme de marque, Diogène, qui avait été l'ami d'Alexandre (Jannée) ; ils l'accusaient d'avoir conseillé au roi la mise en croix des huit cents Juifs'. Ils pressaient aussi Alexandra de frapper d'autres notables qui avaient excité le prince contre ces rebelles. Et comme elle cédait toujours, par crainte religieuse, ils tuaient ceux qu'ils voulaient. Les plus éminents des citoyens, ainsi menacés, cherchèrent un refuge auprès d'Aristobule. Celui-ci conseilla à sa mère d'épargner leur vie en considération de leur rang, mais de les bannir de la cité, si elle les croyait fautifs. Les suspects obtinrent ainsi la vie sauve et se dispersèrent dans le pays1[68]. Cependant Alexandra envoya une armée à Damas, sous prétexte que Ptolémée (Ptolémée Mennaos ou Ptolémée fils de Mennaos était dynaste de Chalcis, roi d'Iturée) continuait à pressurer la ville ; l’expédition revint sans avoir rien accompli de remarquable. D'autre part, elle gagna par une convention et des présents Tigrane, roi d'Arménie, qui campait avec ses troupes devant Ptolémaïs et y assiégeait Cléopâtre (Cléopâtre Séléné, fille du Ptolémée Physcon, et veuve de plusieurs rois Séleucides(70 av. J.-C.))2[69]. Il se hâta de partir,

Guerre I, IX[modifier | modifier le code]

1. [...] Empoisonné par les amis de Pompée, Aristobule resta, pendant longtemps, privé de la sépulture dans la terre natale. Son cadavre fut conservé dans du miel, jusqu'au jour où Antoine l'envoya aux Juifs pour être enseveli dans le monument de ses pères.

Guerre I, IX, 2

2. [185] Son fils Alexandre périt aussi à cette époque : Scipion1[101] le fit décapiter à Antioche, sur l'ordre de Pompée, après l'avoir fait accuser devant son tribunal pour les torts qu'il avait causés aux Romains. Le frère et les sœurs d'Alexandre reçurent l'hospitalité de Ptolémée, fils de Mennæos (Πτολεμαῖος ὁ Μενναίου), prince de Chalcis dans le Liban. Ptolémée leur avait envoyé à Ascalon son fils Philippion, ci celui-ci réussit à enlever à la femme d'Aristobule, Antigone et les princesses, qu'il ramena auprès de son père. Épris de la cadette, Philippion l'épousa, mais ensuite son père le tua pour cette même princesse Alexandra, qu'il épousa à son tour. Depuis ce mariage il témoigna au frère et à la sœur beaucoup de sollicitude.

Guerre I, IX, 3

3. [102]. [187] Antipater, après la mort de Pompée2[103], changea de parti et fit la cour à César. Quand Mithridate de Pergame, conduisant une armée en Égypte, se vit barrer le passage de Péluse et dut s'arrêter à Ascalon, Antipater persuada aux Arabes dont il était l'hôte de lui prêter assistance ; lui-même rejoignit Mithridate avec trois mille fantassins juifs armés. Il persuada aussi les personnages les plus puissants de Syrie de seconder Mithridate, à savoir3[104] Ptolémée du Liban (il s'agit de Ptolémée, fils de Sohémos, non de Ptolémée, fils de Mennæos NDT) et Jamblique. Par leur influence les villes de la région contribuèrent avec ardeur a cette guerre. Mithridate, puisant une nouvelle confiance dans les forces amenées par Antipater, marcha sur Péluse et, comme on refusait de le laisser passer, assiégea la ville. A l'assaut, Antipater s'acquit une gloire éclatante ; car il fit une brèche dans la partie de la muraille en face de lui et, suivi de ses soldats, s'élança le premier dans la place.

Selon sa technique habituelle, Josèphe semble tout faire pour que l'on confonde deux Ptolémée. Pour Ptolémée [fils de] Mennæos il précise bien « prince de Chalcis dans le Liban » probablement pour qu'on me confonde avec Ptolémée du Liban dont il indiquera 20 ans plus tazrd dans ses Aj qu'il est « fils de Sohémos ».

Guerre I, XVIII[modifier | modifier le code]

4. [...] Cependant même à ce prix [Hérode] ne s'assura pas encore contre tout dommage : car déjà Antoine, corrompu par l'amour de Cléopâtre, commençait à se laisser dominer en toute occasion par sa passion, et cette reine, après avoir persécuté son propre sang au point de ne laisser survivre aucun membre de sa famille, s'en prenait désormais au sang des étrangers. Calomniant les grands de Syrie auprès d'Antoine, elle lui conseillait de les détruire, dans l'espoir de devenir facilement maîtresse de leurs biens. Son ambition s'étendait jusqu'aux Juifs et aux Arabes, et elle machinait sournoisement la perte de leurs rois respectifs, Hérode et Malichos.

5. [361] Antoine n'accorda qu'une partie de ses désirs [164a] : il jugeait sacrilège de tuer des hommes innocents, des rois aussi considérables ; mais il laissa se relâcher l'étroite amitié qui les unissait à lui [164b] et leur enleva de grandes étendues de territoire, notamment le bois de palmiers de Jéricho d'où provient le baume, pour en faire cadeau a Cléopâtre ; il lui donna aussi toutes les villes situées en-deçà du fleuve Eleuthéros, excepté Tyr et Sidon[165](36 av. J.-C.)[càd obligatoirement Chalcis et Abila, Alexandre Helios est-il devenu un dynaste de ces villes ?). Une fois mise en possession de toutes ces contrées, elle escorta jusqu'à l'Euphrate Antoine, qui allait faire la guerre aux Parthes, et se rendit elle-même en Judée par Apamée et Damas. Là, par de grands présents, Hérode adoucit son inimitié et reprit à bail pour une somme annuelle de deux cents talents les terres détachées de son royaume : puis il l'accompagna jusqu'à Péluse, en lui faisant la cour de mille manières. Peu de temps après, Antoine revint de chez les Parthes, menant prisonnier Artabaze, fils de Tigrane, destiné à Cléopâtre, car il s'empressa de lui donner ce Parthe avec l'argent et tout le butin conquis2[166].

Guerre I, XX, 3-4[modifier | modifier le code]

3. [...] Aussi, lorsque César (Octave) parvint en Égypte après la mort de Cléopâtre et d'Antoine, non seulement il augmenta tous les honneurs d'Hérode, mais il agrandit encore son royaume en lui rendant le territoire que Cléopâtre s'était approprié ; il y ajouta Gadara, Hippos et Samarie ; en outre, sur le littoral, Gaza, Anthédon, Joppé et la Tour de Straton. Il lui donna, enfin, pour la garde de sa personne, quatre cents Gaulois qui avaient d'abord été les satellites de Cléopâtre. Rien n'excita d'ailleurs cette générosité comme la fierté de celui qui en était l'objet.


4[177]. [398] Après la première période Actiaque[178] (28-24 av. J.-C.), l’empereur ajouta au royaume d'Hérode la contrée appelée Trachonitide et ses voisines, la Batanée et l'Auranitide. En voici l'occasion, Zénodore, qui avait loué le domaine de Lysanias, ne cessait d'envoyer les brigands de la Trachonitide contre les habitants de Damas. Ceux-ci vinrent se plaindre auprès de Varron, gouverneur de Syrie, et le prièrent d’exposer à César leurs souffrances quand l'empereur les apprit, il répondit par l'ordre d'exterminer ce nid de brigands. Varron se mit donc en campagne, nettoya le territoire de ces bandits et en déposséda Zénodore : c'est ce territoire que César donna ensuite à Hérode, pour empêcher que les brigands n'en fissent de nouveau leur place d'armes contre Damas. Il le nomma aussi procurateur de toute la Syrie, quand, dix ans après son premier voyage, il revint dans cette province[179] (20 av. J. C.) ; car il défendit que les procurateurs pussent prendre aucune décision sans son conseil. Quand enfin mourut Zénodore, il donna encore à Hérode tout le territoire situé entre la Trachonitide et la Galilée (càd Banyas et Oulatha).

AJ XV, IV[modifier | modifier le code]

[88] 1[24]. Cependant la Syrie était en proie aux troubles, car Cléopâtre ne cessait d'exciter Antoine à entreprendre sur tous les souverains. Elle voulait, en effet, le persuader de les déposséder tous pour lui donner leurs territoires : or, elle pouvait beaucoup sur lui, grâce à la passion qu'elle lui inspirait. [89] Elle était, d'ailleurs, par nature, âpre au gain, et il n'était violations de droits qu'elle n'eût commises. Elle avait empoisonné son frère, âgé de quinze ans, à qui elle savait que reviendrait la royauté elle avait fait tuer par Antoine sa soeur Arsinoé, réfugiée, suppliante, dans le temple d'Artémis, à Ephèse. [90] Insatiable de richesses, sur le moindre soupçon de trésors, elle avait profané temples et tombeaux ; pas de sanctuaire qui lui parût si inviolable, qu'elle n'en ravit tous les ornements ; pas de lieu profane qui ne souffrit d'elle tous les excès, si le pillage devait contribuer à contenter l'avidité de cette reine injuste[25]. [91] En somme, rien ne pouvait satisfaire cette femme, prodigue et esclave de ses désirs, et qui souffrait comme d'une privation si le moindre de ses souhaits ne se réalisait pas. Aussi poussait-elle toujours Antoine à enlever quelque chose aux autres pour le lui donner, et comme elle avait passé avec lui en Syrie, elle méditait de s'approprier cette province. [92] Elle fut cause de la mort de Lysanias, fils de Ptolémée, en l'accusant d'avoir appelé les Parthes[26], et elle demanda à Antoine la Judée et l'Arabie, qu'elle voulait qu'il enlevât à leurs rois. [93] Antoine se laissait toujours dominer par cette femme au point qu'elle semblait l'avoir assujetti non seulement par le commerce de ses charmes, mais encore par des philtres, à toutes ses volontés ; cependant ici l'injustice eût été si flagrante qu'il n'osa pas, en poussant la soumission jusqu'à ce point, s'exposer aux dernières fautes. [94] En conséquence, ne voulant ni opposer un refus absolu à Cléopâtre, ni se déconsidérer publiquement en accomplissant tous ses ordres, il se contenta d'enlever aux deux rois quelques parcelles de leur territoire et lui en fit présent. [95] Il lui donna également les villes situées en deçà du fleuve Eleuthère jusqu'à l'Egypte, à l'exception cependant de Tyr et de Sidon, qu'il savait libres de toute antiquité, et bien qu'elle insistât pour les obtenir[27].

[96] 2[28]. Cléopâtre ainsi pourvue, après avoir accompagné jusqu'à l'Euphrate Antoine, qui allait faire une expédition contre l'Arménie[29], revint sur ses pas et s'arrêta à Apamée et à Damas ; puis elle passa en Judée, où Hérode vint à sa rencontre ; il lui prit à ferme[30] les districts d'Arabie qu'elle tenait d'Antoine ainsi que les revenus du territoire de Jéricho

AJ XV, X[modifier | modifier le code]

1. Les fils d'Hérode à Rome. Il reçoit la province affermée à Zénodore et réduit les brigands de la Trachonitide. - 2. Sa visite à Agrippa. Intrigues des Arabes. - 3. Auguste en Syrie. Plaintes des Gadaréniens. Hérode reçoit la tétrarchie de Zénodore. Temple de Panion. - 4. Système de gouvernement d'Hérode. Les Pharisiens refusent le serment. - 5. Son attitude envers les Esséniens ; prédiction de Manahem.

[342] 1. A ce moment, alors que Sébaste était déjà bâtie, Hérode résolut d'envoyer à Rome ses fils Alexandre et Aristobule, pour être présentés à César (24 ou 23 av. J-C)[99]. [343] A leur arrivée ils descendirent chez Pollion, l'un de ceux qui témoignaient le plus d'empressement pour l'amitié d'Hérode, et ils reçurent la permission de demeurer même chez César. Celui-ci, en effet, reçut avec beaucoup de bonté les jeunes gens ; il autorisa Hérode à transmettre la royauté à celui de ses fils qu'il choisirait et lui fit don de nouveaux territoires, la Trachonitide, la Batanée et l'Auranitide ; voici quelle fut l'occasion de ces largesses (La donation eut lieu (Guerre, I, xx, 4) après la « première période actiaque » (période de célébration des jeux actiaques) c'est-à-dire après septembre 24 av. J.-C.)[100]. [344] Un certain Zénodore avait affermé les biens de Lysanias (Lysanias, fils de Ptolémée le Mennaios, prince de Chalcis qui avait été mis à mort par Antoine en -34 (supra, iv, 1). Ce sont ses états, devenus vacants, que le gouvernement romain avait baillés à ferme à Zénodore. L'origine de ce dernier est inconnue. Sur une inscription mutilée d'Héliopolis (Renan, Mission de Phénicie, 317) il est désigné comme fils de Lysanias)[101]. Trouvant ses revenus insuffisants, il les augmenta par des nids de brigands qu'il entretint dans la Trachonitide. Ce pays était, en effet, habité par des hommes sans aveu, qui mettaient au pillage le territoire des habitants de Damas ; et Zénodore, loin de les en empêcher, prenait sa part de leur butin. [345] Les populations voisines, maltraitées, se plaignirent à Varron, qui était alors gouverneur [de Syrie] et lui demandèrent d'écrire à César les méfaits de Zénodore. César, au reçu de ces plaintes, lui manda d'exterminer les nids de brigands et de donner le territoire à Hérode, dont la surveillance empêcherait les habitants de la Trachonitide d'importuner leurs voisins. Il n'était pas facile d'y parvenir, le brigandage étant entré dans leurs mœurs et devenu leur seul moyen d'existence ; ils n'avaient, en effet, ni villes ni champs, mais simplement des retraites souterraines et des cavernes qu'ils habitaient avec leurs troupeaux. [346] Ils avaient su amasser des approvisionnements d'eau et de vivres qui leur permettaient de résister longtemps en se cachant. [347] Les entrées de leurs retraites étaient étroites et ne livraient passage qu'à un homme à la fois, mais l'intérieur était de dimensions incroyables et aménagé en proportion de sa largeur. Le sol au-dessus de ces habitations n'était nullement surélevé, mais se trouvait au niveau de la plaine : cependant il était parsemé de rochers d'accès rude et difficile, pour quiconque n'avait pas un guide capable de lui montrer le chemin ; car les sentiers n'étaient pas directs et faisaient de nombreux détours. [348] Quand ces brigands se trouvaient dans l'impossibilité de nuire aux populations voisines, ils s'attaquaient les uns les autres, si bien qu'il n'était sorte de méfait qu'ils n'eussent commis. Hérode accepta de César le don qu'il lui faisait ; il partit pour cette région et, conduit par des guides expérimentés, il obligea les brigands à cesser leurs déprédations et rendit aux habitants d'alentour la tranquillité et la paix. [349]

AJ XV, X, 2[modifier | modifier le code]

2. Zénodore, irrité en premier lieu de se voir enlever son gouvernement (En effet, le don de César comprenait les 3 provinces de Lysanias (supra, x, 1 « il autorisa Hérode à transmettre la royauté à celui de ses fils qu'il choisirait et lui fit don de nouveaux territoires, la Trachonitide, la Batanée et l'Auranitide »; Guerre, I, xx, 4) et non pas simplement la Trachonitide)[102], et plus encore jaloux de le voir passer aux mains d'Hérode, vint à Rome pour porter plainte contre celui-ci. Il dut revenir sans avoir obtenu satisfaction. [350] A cette époque Agrippa fut envoyé comme lieutenant de César dans les provinces situées au delà de la mer Ionienne (23 av. J.-C. La visite d'Hérode à Mytilène se place probablement en -22)[103]. Hérode, qui était son ami intime et son familier, alla le voir à Mytilène, où il passait l'hiver (hiver -23 ; -22?), puis revint en Judée. [351] Quelques habitants de Gadara vinrent l'accuser devant Agrippa, qui, sans même leur donner de réponse, les envoya enchaînés au roi. En même temps les Arabes, depuis longtemps mal disposés pour la domination d'Hérode, s’agitèrent et essayèrent de se soulever contre lui, avec d'assez bonnes raisons, semble-t-il : [352] car Zénodore, qui désespérait déjà de ses propres affaires, leur avait antérieurement vendu pour cinquante talents une partie de ses états, l'Auranitide. Ce territoire étant compris dans le don fait par César à Hérode, les Arabes prétendaient en être injustement dépossédés et créaient à ce dernier des difficultés, tantôt faisant des incursions et voulant employer la force, tantôt faisant mine d’aller en justice. [353] Ils cherchaient à gagner les soldats pauvres et mécontents, nourrissant des espérances et des rêves de révolution, auxquels se complaisent toujours les malheureux[104]. Hérode, qui depuis longtemps connaissait ces menées, ne voulut cependant pas user de violence ; il essaya de calmer les mécontents par le raisonnement, désireux de ne pas fournir un prétexte à des troubles.

AJ XV, X, 3[modifier | modifier le code]

[354] 3[105]. Il y avait déjà dix-sept ans qu’Hérode régnait lorsque César (Octave - Auguste) vint en Syrie (20 av. J.-C. (Dion, LIV, 7))[106]. A cette occasion la plupart des habitants de Gadara firent de grandes plaintes contre Hérode, dont ils trouvaient l'autorité dure et tyrannique. [355] Ils étaient enhardis dans cette attitude par Zénodore, qui les excitait, calomniait Hérode et jurait qu'il n'aurait de cesse qu'il ne les eût soustraits à sa domination pour les placer sous les ordres directs de César. [356] Convaincus par ces propos, les habitants de Gadara firent entendre de vives récriminations, enhardis par ce fait que leurs envoyés, livrés par Agrippa, n'avaient même pas été châtiés : Hérode les avait relâchés sans leur faire de mal, car, si nul ne fut plus inflexible pour les fautes des siens, il savait généreusement pardonner celles des étrangers. [357] Accusé de violence, de pillage, de destruction de temples, Hérode, sans se laisser émouvoir, était prêt à se justifier ; César lui fit, d'ailleurs, le meilleur accueil et ne lui enleva rien de sa bienveillance, malgré l'agitation de la foule. [358] Le premier jour il fut question de ces griefs, mais les jours suivants l'enquête ne fut pas poussée plus loin : les envoyés de Gadara, en effet, voyant de quel côté inclinaient César lui-même et le tribunal et prévoyant qu’ils allaient être, selon toute vraisemblance, livrés au roi, se suicidèrent, dans la crainte des mauvais traitements ; les uns s'égorgèrent pendant la nuit, d'autres se précipitèrent d'une hauteur, d'autres enfin se jetèrent dans le fleuve. [359] On vit là un aveu de leur impudence et de leur culpabilité, et César acquitta Hérode sans plus ample informé. Une nouvelle et importante aubaine vint mettre le comble à tous ces succès : Zénodore, à la suite d'une déchirure de l'intestin et d'hémorragies abondantes qui en résultèrent, mourut à Antioche de Syrie. [360] César attribua a Hérode sa succession assez considérable, qui comprenait les territoires situés entre la Trachonitide et la Galilée, Oulatha (Οὐλάθαν), le canton de Panion et toute la région environnante[107].

[Oulatha était près du lac Houleb, la Panias est sur le haut Jourdain. Ces territoires constituaient le domaine héréditaire de Zénodore (Ζηνοδώρου τετραχίαν, Dion, LIV, 9), qui sur ses monnaies prend le titre de Ζηνοδώρου τετράρχου καὶ ἀρχιερέως (Tétrarque et archiéréos). Ils sont distincts, malgré les doutes de Schürer (I3, 715), des territoires de Lysanias, pris à ferme par Zénodore. La date 87 inscrite sur les monnaies (Wroth, Galatia, etc., p. 281) indique une ère commençant vers 115 av. J.-C. : c'est l'époque où ces territoires auront secoué le joug des Séleucides'.]

Il décida, en outre, de l'associer à l'autorité des procurateurs de Syrie[108], auxquels il enjoignît de ne rien faire sans prendre l'avis d'Hérode. [361] En un mot, le bonheur d'Hérode en vint à ce point que des deux hommes qui gouvernaient l'empire si considérable des Romains, César, et, après lui, fort de son affection, Agrippa, l'un, César, n'eut pour personne, sauf Agrippa, autant d'attention que pour Hérode, l'autre, Agrippa, donna à Hérode la première place dans son amitié, après César[109]. [362] Profitant de la confiance dont il jouissait, Hérode demanda à César une tétrarchie pour son frère Phéroras, auquel il attribua sur les revenus de son propre royaume une somme de cent talents ; il désirait, s'il venait lui-même à disparaître, que Phéroras pût jouir paisiblement de son bien, sans se trouver à la merci de ses neveux ((Guerre, I, xxiv, 5) ; la tétrarchie de Phéroras comprenait la Pérée ou une partie de cette région (ibid., xxx, 3))[110]. [363] Après avoir accompagné César jusqu'à la mer, Hérode, à son retour, lui éleva sur les terres de Zénodore un temple magnifique en marbre blanc, près du lieu qu'on appelle Panion. [364] Il y a en cet endroit de la montagne une grotte charmante, au-dessous de laquelle s'ouvrent un précipice et un gouffre inaccessible, plein d'eau dormante ; au-dessus se dresse une haute montagne (le Mont Hermon, 2 860 mètres) : c'est dans cette grotte que le Jourdain prend sa source. Hérode voulut ajouter à cet admirable site l'ornement d'un temple, qu'il dédia à César (temple figuré sur les monnaies du tétrarque Philippe, fils d'Hérode)

Plutarque[modifier | modifier le code]

Vie d'Antoine XXXVII

[Antoine] envoya Fontéius Capito à Alexandrie, pour lui amener Cléopâtre en Syrie. A son arrivée, il lui témoigna la joie qu'il avait de la revoir, non par des présents modiques, mais par le don qu'il lui fit de la Phénicie, de la Coelésyrie, de l'île de Cypre, et d'une grande partie de la Cilicie. II y ajouta le canton de la Judée qui porte le baume, et l'Arabie des Nabathéens, qui touche à la mer extérieure (vers -38) 3. La peine que causaient aux Romains ces dons excessifs ne l'empêcha pas de donner à de simples particuliers des tétrarchies et de vastes royaumes; il dépouilla aussi plusieurs rois de leurs États, et entre autres Antigonus (Antigone, l'Asmonéen), roi des Juifs, qu'il fit même décapiter publiquement, supplice dont jusqu'alors aucun roi n'avait été puni. Mais rien ne paraissait plus honteux et plus humiliant aux Romains que les honneurs dont il comblait Cléopâtre; et ce qui en augmenta l'infamie, c'est qu'il fit élever deux enfants jumeaux qu'il avait eus d'elle, un fils qu'il appela Alexandre, et une fille qu'il nomma Cléopâtre : il donna aussi au premier le surnom de Soleil, et à l'autre celui de Lune.

XXXVIII. La mort d'Orodes, tué par son fils Phraate, qui s'empara du royaume, éloigna de sa cour plusieurs grands d'entre les Parthes, et en particulier Monesès (R. Grousset l'appelle Monaesès p. 102 (d'après Th. Mommsen), Monaïsès cf. « Champs de bataille »), l'un des seigneurs les plus illustres et les plus puissants; il se réfugia auprès d'Antoine, qui, pour assimiler la fortune de Monesès à celle de Thémistocle, et disputer de magnificence et de générosité avec le roi de Perse, lui donna trois villes pour son entretien, Larisse, Aréthuse et Hiérapolis, appelée autrefois Bambycé.

[...]

LIX. Il se rendit encore plus odieux par le partage qu'il fit, à Alexandrie, aux enfants de Cléopâtre; partage dicté par l'orgueil digne d'un roi de théâtre, et qui parut fait en haine des Romains. Après avoir rempli le gymnase d'une multitude immense, et fait dresser sur un tribunal d'argent deux trônes d'or, l'un pour lui-même et l'autre pour Cléopâtre; il la déclara reine d'Égypte, de Cypre, d'Afrique et de la Coëlésyrie, et lui associa Cesarion, qui passait pour fils du premier César, qui avait laissé Cléopâtre enceinte. Il conféra ensuite le titre de rois des rois aux enfants qu'il avait eu de cette reine, et donna à Alexandre l'Arménie, la Médie, et le royaume des Parthes, quand il en aurait fait la conquête : Ptolémée, son second fils, eut la Phénicie, la Syrie et la Cilicie.

Dion Cassius, livre 49[modifier | modifier le code]

Tels furent les actes d'Antoine, et, de plus, il donna à Amyntas, un ancien secrétaire de Déjotarus, la souveraineté de la Galatie, à laquelle il joignit une portion de la Lycaonie et de la Pamphylie; et à Archélaüs celle d'une partie de la Cappadoce, d'où il avait chassé Ariarathe. Cet Archélaüs, du côté paternel, descendait de ces Archélaüs qui avaient fait la guerre contre les Romains, et, du côté maternel, de la courtisane Glaphyra. Ce fut là cependant (sa munificence s'exerçait aux dépens des étrangers) ce qui contribua le moins à la mauvaise réputation d'Antoine près de ses concitoyens; mais Cléopâtre lui attira une haine violente, parce qu'il élevait des enfants qu'il avait d'elle, les deux aînés, Alexandre et Cléopâtre (ils étaient jumeaux), et le plus jeune, Ptolémée, qui fut surnommé Philadelphe; et aussi parce qu' il leur concéda une grande partie de l'Arabie, tant de celle qui appartenait à Malchus que de celle qui appartenait aux lturéens (il fit périr, comme ayant favorisé Pacorus, Lysanias, qu'il avait lui-même établi roi de ce pays), une grande partie de la Phénicie et de la Palestine, et une portion de la Crète, Cyrène et Chypre. Voilà ce que fit alors Antoine.

Barzapharnès - Pharnabaze (Redshouni)[modifier | modifier le code]

Barzapharnès (aussi appelé Parzaphrane Reschdoum par Moïse de Khorène) est un général parthe, « chef de la satrapie des Reschdouni (Rechtouni) », de la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C.[17].

Ptolémée Mennaios (mort en -40) est-il le même que le "Ptolémée, fils de Soaimos, qui habitait le Liban (AJ, XIV, VIII, 1)" qui était venu préter main forte avec ses troupes à Jules César en Égypte sept ans auparavant ? Comme "le dynaste Jamblique" — très probablement Jamblique Ier — est aussi cité pour faire la même chose, le "fils de Soaimos", n'est-il pas un dynaste d'Émèse.

Antiquités judaiques XIV

3. Deux ans après[247], Pacoros, fils du roi, et Barzapharnès, satrape des Parthes, occupèrent la Syrie. Ptolémée, fils de Mennaios, mourut, et son fils Lysanias, qui hérita de son pouvoir, fit amitié avec Antigone, fils d'Aristobule, grâce aux bons offices du satrape qui avait sur lui beaucoup d'influence.

Guerre des Juifs I, XIII, 1

1[128]. [248] Deux ans après[129], Barzapharnès, satrape des Parthes, occupa la Syrie avec Pacoros, fils du roi. Lysanias, qui avait hérité du royaume de son père Ptolémée, fils de Mennaios (Πτολεμαῖος δ' ἦν οὗτος ὁ Μενναίου), persuada le satrape, en lui promettant mille talents et cinq cents femmes, de ramener sur le trône Antigone et de déposer Hyrcan. (BJ, I, XIII, 1)

Guerre des Juifs I, XXII, 1

On a vu que Barzapharnès, lorsqu'il envahit la Syrie, avait emmené Hyrcan prisonnier ; mais les Juifs qui habitaient au delà de l'Euphrate obtinrent, à force de larmes, sa mise en liberté. S'il avait suivi leur conseil de ne pas rentrer auprès d'Hérode, il aurait évité sa fin tragique ; le mariage de sa petite-fille fut l'appât mortel qui le perdit. Il vint, confiant dans cette alliance et poussé par un ardent désir de revoir sa patrie. Hérode fut exaspéré, non pas que le vieillard aspirât à la royauté, mais parce qu'elle lui revenait de droit.

Schwentzel[modifier | modifier le code]

« Entre 27 et 23 av. J.-C., Auguste avait retiré au tétrarque ituréen Zénodoros de Chalcis, un certain nombre de ses domaines pour le punir, car il avait pris part à des actes de banditisme en Trachonitide. Hérode reçut alors ces territoires de la part de l'empereur (AJ XV, 343-345 et BJ I, 398-399)[18]. »

Zénodore[modifier | modifier le code]

Strabon[modifier | modifier le code]

  • La Géographie de Strabon est écrite entre 20 av. J.-C. et 23 apr. J.-C

« « En arrière de Damas on voit s’élever deux crêtes (λόφοι), dites les deux Trachônes[19] ; puis, en se portant du côté de l’Arabie et de l’Iturée, on s’engage dans un pêle-mêle de montagnes inaccessibles, remplies d’immenses cavernes qui servent de places d’armes et de refuges aux brigands dans leurs incursions et qui menacent de toute part le territoire des Damascènes : une de ces cavernes est assez spacieuse, paraît-il, pour contenir jusqu’à quatre mille hommes. Il faut dire pourtant que ce sont les caravanes venant de l’Arabie Heureuse qui ont le plus à souffrir des déprédations de ces barbares. Encore les attaques dirigées contre les caravanes deviennent-elles chaque jour plus rares, depuis que la bande de Zénodôros tout entière, grâce aux sages dispositions des gouverneurs romains et à la protection permanente les légions cantonnées en Syrie, a pu être exterminée[20]. » »

Strabon livre XVI, 10[modifier | modifier le code]

Caecilius Bassus, à son tour, à la tête de deux légions, entraîna Apamée dans son insurrection (en -46), et soutint dans ses murs un siège opiniâtre contre deux puissantes armées romaines, qui ne réussirent à le prendre que quand lui-même se fut livré volontairement (encore avait-il au préalable obtenu les conditions qu'il désirait). C'est qu'il avait trouvé abondamment de quoi nourrir son armée dans tout le territoire d'Apamée, et qu'il avait pu recruter aisément de nombreux auxiliaires en s'adressant aux phylarques des environs, tous maîtres d'inexpugnables positions, au phylarque de Lysias, par exemple (Lysias est ce château qui domine le lac d'Apamée), à Sampsicéram aussi et à Iamblique, son fils, chefs émisènes cantonnés dans Aréthuse, enfin à ses autres voisins, le phylarque d'Héliopolis, et le phylarque de Chalcis Ptolémée, fils de Mennmus (Πτολεμαίῳ τῷ Μενναίου τῷ τὸν Μασσύαν), qui, de cette forteresse, commande tout le Massyas a et le massif montagneux de l'Iturée. Au nombre des alliés de Bassus avait figuré également Alchaedamnus, roi des Rhambaei, l'un des peuples nomades de la rive citérieure de l'Euphrate. Autrefois ami des Romains, Alchaedamnus s'était cru lésé dans ses intérêts du fait de leurs préfets; il avait alors repassé l'Euphrate pour se jeter en Mésopotamie, et c'était là que Bassus l'avait trouvé et pris à sa solde. Disons, pour finir, qu'Apamée a vu naître le stoïcien Posidonius, de tous les philosophes de notre temps assurément le plus érudit.

Ptolémée Mennaios (mort en -40) est-il le même que le "Ptolémée, fils de Soaimos, qui habitait le Liban (AJ, XIV, VIII, 1[21])" qui était venu préter main forte avec ses troupes à Jules César en Égypte en -47 ? Comme "le dynaste Jamblique" — très probablement Jamblique Ier, fils de Sampsicéram — est aussi cité pour faire la même chose, le "fils de Soaimos", n'est-il pas un dynaste d'Émèse. Rappelons que les Monobaze sont décrit par Josèphe comme ayant un sceptre qui est appelé "Sampser", même racine que les rois émésiens nommés Sampsceramus. De même Monobaze se décompose vraisemblablement en "Ma'nu bazu", le nom Ma'nu (ou Maanu) étant un nom très fréquent dans la dynastie arabe d'Oshroène, soeur de la dynastie des Monobaze d'Adiabène est qui probablement la forme sémitique de Mennaios accolé au nom du roi ituréen Ptolémée de Chalcis.

Strabon livre XVI, 11[modifier | modifier le code]

11. Le canton d'Apamée est borné à l'est par ce vaste territoire dépendant des phylarques arabes que l'on nomme la Parapotamie, et par la Chalcidique, laquelle commence à partir du Massyas. Quant au territoire situé au sud d'Apamée, il est peuplé surtout de Scénites, dont les mœurs rappellent tout à fait celles des populations nomades de la Mésopotamie. En général, à mesure qu'elles se rapprochent de la Syrie, les populations nomades se civilisent davantage, elles ont moins l'air d'Arabes et de Scénites, et le pouvoir de leurs chefs, le pouvoir d'un Sampsicéram dans Aréthuse, d'un Gambar à Thémellas, etc., etc., prend de plus en plus le caractère d'un gouvernement régulier.

Flavius Josèphe[modifier | modifier le code]

« « Un certain Zénodôros avait affermé les biens de Lysanias[22]. Trouvant ses revenus insuffisants, il les augmenta par des nids de brigands qu’il entretint dans la Trachonitide. Ce pays était, en effet, habité par des hommes sans aveu, qui mettaient au pillage le territoire des habitants de Damas ; et Zénodôros, loin de les en empêcher, prenait sa part de leur butin. Les populations voisines, maltraitées, se plaignirent à Varron, qui était alors gouverneur [de Syrie] et lui demandèrent d’écrire à César les méfaits de Zénodôros. César, au reçu de ces plaintes, lui manda d’exterminer les nids de brigands et de donner le territoire à Hérode, dont la surveillance empêchait les habitants de la Trachônitide d’importuner leurs voisins. Il n’était pas facile d’y parvenir, le brigandage étant entré dans leurs mœurs et devenu leur seul moyen d’existence ; ils n’avaient, en effet, ni villes ni champs, mais simplement des retraites souterraines et des cavernes qu’ils habitaient avec leurs troupeaux. Ils avaient su amasser des approvisionnements d’eau et de vivres qui leur permettaient de résister longtemps en se cachant. Les entrées de leurs retraites étaient étroites et ne livraient passage qu’à un homme à la fois, mais l’intérieur était de dimensions incroyables et aménagé en proportion de sa largeur. Le sol au-dessus de ces habitations n’était nullement surélevé, mais se trouvait au niveau de la plaine ; cependant il était parsemé de rochers d’accès rude et difficile, pour quiconque n’avait pas un guide capable de lui montrer le chemin ; car les sentiers n’étaient pas directs et faisaient de nombreux détours. Quand ces brigands se trouvaient dans l’impossibilité de nuire aux populations voisines, ils s’attaquaient les uns les autres, si bien qu’il n’était sorte de méfait qu’ils n’eussent commis. Hérode accepta de César le don qu’il lui faisait ; il partit pour cette région et, conduit par des guides expérimentés, il obligea les brigands à cesser leurs déprédations et rendit aux habitants d’alentour la tranquillité et la paix7. » »

Commentaire de Maurice Sartre[modifier | modifier le code]

« À l’exception d’une erreur de Strabon, qui a l’air de placer les cavernes dans le seul « pêle-mêle de montagnes inaccessibles » qui encadre le Trachôn, c’est-à-dire dans le Jebel al-‘Arab (« en direction de l’Arabie ») et dans l’Antiliban (« en direction de l’Iturée »), la description géographique et ethnographique est particulièrement adéquate. Il faut se promener sur le Trachôn avec ces textes en main pour en apprécier l’exactitude. Strabon, qui ne connaît pas les lieux, décrit les Trachônes par un terme particulièrement approprié, λόφοι, ce qui décrit bien cette étendue basaltique qui se distingue des plaines environnantes par un simple bourrelet rocheux, et se situe bien au-dessous du massif qui lui a donné naissance. Pour le reste, il est particulièrement facile d’illustrer par des images la plupart des informations des auteurs anciens, tant elles sont exactes, y compris dans certaines affirmations qui pouvaient paraître excessives : l’impossibilité de circuler dans ce chaos (fig. 1), l’étroitesse de l’entrée des grottes et l’immensité de celles-ci. Une grotte située dans le sud-est du plateau, à ‘Arīqah (Aerita), justifie à elle seule les deux textes et c’est probablement elle qui est ainsi décrite (fig. 2). »

POV d'Étienne Nodet[modifier | modifier le code]

Étienne Nodet retrace l'histoire de la Galilée après l'exil à partir de la page 121 (Gabinius en p=126).

Gabinius

En 57 av. J.-C., le gouverneur de Syrie, Gabinius, matte une révolte juive au moment où Alexandre (le fis d'Aristobule frère d'Hyrcan II) tente de reconquérir le pouvoir (AJ XIV, 82-97)[23]. « [Gabinius] établit ensuite cinq Sanhédrin (συνέδρα)[24] et partagea le peuple en cinq fractions égales ces Conseils siégeaient respectivement à Jérusalem, à Gazara[25], à Amathonte, à Jéricho, et à Sepphoris en Galilée. » Nodet estime qu'à partir de ce moment, il y a une Galilée juive avec Sepphoris pour capitale[23]. Pour lui, « on peut discerner une Galilée juive à partir d'Antiochos III, mais, avant Gabinius le rattachement politique et social à la Judée est très vague, l'affaire des Ituréens cherche peut-être à combler une lacune, mais plus vraisemblablement à dissimuler l'origine réelle des Galiléens[26]. »

Problème de l'Iturée[modifier | modifier le code]

Étienne Nodet et Taylor estiment que Josèphe n'est pas clair au sujet de ce royaume et de ce territoire. Ils en viennent à mettre en doute qu'Alexandre Jannée ait pu conquérir ce territoire loin au nord de la Galilée pour forcer la population à se circoncire. Josèphe indique qu'il s'agissait d'Arabes. Il est clair que Josèphe nous donne — peut-être volontairement — peu d'indication sur ce territoire, alors que l'épigraphie nous renseigne mieux, mais il semble qu'il n'y a aucune raison de remettre en cause sa conquête par Alexandre Jannée. En tout cas, aucun autre historien ne le fait. Il semble clair que la raison pour laquelle ces deux ecclésiastiques chrétiens s'intéressent à l'Iturée, c'est parce qu'elle est citée dans l'Évangile selon Luc. La raison pour laquelle un des auteurs de cet évangile dit que Philippe était Tétrarque de Gaulanitide et d'Iturée est probablement pour éviter de mentionner la Batanée, dont Jules l'Africain, Eusèbe et Épiphane nous disent que la famille de Jésus était originaire. Mais naturellement des ecclésiastiques chrétiens ne peuvent pas poser la question dans cette direction. Ce qui conduit d'ailleurs à une erreur car le territoire de Philippe s'arrêtait à Césarée de Philippe et ne comprenait pas les territoires au nord et n'incluait pas Chalcis, traditionnellement la capitale de l'Iturée. Là où Nodet et Taylor ont tout de même raison c'est que l'imprécision de Josèphe au sujet de l'Iturée est réelle, mais celle-ci est à rattacher au flou que Josèphe a été chargé d'entretenir au sujet de la Batanée, de l'origine de ses monarques et de ses féodaux importants.

Voir à ce sujet : Nodet-Taylor p. 125-127

En revanche, on pourrait se pencher sur une remarque de la même veine, mais qui concerne la date de l'installation de Zamaris et de ses "Babyloniens" en Batanée. Nodet & Taylor font remarquer que Josèphe place cette installation par Hérode le Grand, après que le gouverneur de Syrie appelé Saturninus ait donné à Zamaris et à son clan un territoire près de Daphné d'Antioche. Or, Saturninus est gouverneur de Syrie de -9 à -6. Pour Nodet/Taylor, dans cette période Hérode est déjà tombé dans les ennuis domestiques à répétition qui marquent la fin de son règne. Ils estiment donc qu'il est improbable qu'Hérode ait pu organiser la colonisation/installation de Zamaris et son clan en Batanée dans cette période et que cela a donc probablement eu lieu avant -9. Pour savoir si leur remarque est valide, il faudrait analyser précisément l'enchaînement chronologique des événements qui conduise Hérode à faire exécuter plusieurs de ses fils, la brouille avec son frère Phéroas, mais aussi le meurtre de Nakeb (Joachim ?) et l'intervention de Nicolas de Damas allié avec Arétas IV pour mettre Syllaios sur la touche et en terminer avec la disgrâce qui frappait Hérode auprès d'Octave/auguste après le meurtre de Naked par les forces d'Hérode, qui sont peut-être liés à cette installation de ces "Babyloniens" en Batanée.

Remarquons toutefois qu'une installation avant -9 serait plus en adéquation avec une fuite de ces "Babyloniens" à cause de la persécution des Juifs de Nisibe et de la Mygdonie par Ma'nu Saphul. Puisque Hérode a installé aussi des Iduméens dans cette région avec les mêmes objectifs, il est possible que Zamaris et son clan aient été installés dans la même période ou peu après, ce qui nous emmènerait plutôt vers -20.

Voir à ce sujet : Nodet-Taylor p. 130, note no 1.

En réalité, le déplacement chronologique de Josèphe est immense et a clairement pour but de brouiller les pistes au sujet des "Babyloniens" de Batanée. En effet, ce sont les Bnei Bathyra (Enfants de Bathyra) ou les Anciens de Bathyra qui selon le Talmud ont désigné Hillel comme patriarche et selon la tradition rabbinique cela a eu lieu vers -30. Même en tenant compte de l'habituelle imprécision de ces sources un décalage de 25 ans est difficilement envisageable. Donc il est probable, que l'installation des Babyloniens de Batanée a eu lieu dès qu'Hérode a reçu le territoire de Zénodore, vers -24 et qu'il s'est d'ailleurs immédiatement rendu dans ces territoires pour réduire les brigands Trachonides. Ce qui était aussi la mission assignée par Hérode aux Babyloniens de Bathyra. Il est même possible, que ces "Babyloniens" étaient déjà installé près du lac Oulah. Il est en effet plutôt curieux que le gouverneur de Syrie leur ait attribué un territoire près de Daphné d'Antioche, alors que c'est justement là que se trouvaient les dignitaires romains de la province. Josèphe pour nous égarer parle de Daphné d'Antioche, alors qu'il s'agissait de Daphné près du lac Oulah (Oulatha). La chronologie pourrait donc être la suivante:

  • -30: Le gouverneur de Syrie installe ces Babyloniens près d'Antioche d'Oulatha; (logique, ces gens qui savent se battre forment un écran contre le brigandage et protègent la province).
  • vers -24, Hérode récupère le territoire de Zénodore et installe ces gens qui sont déjà quasiment sur place en Batanée (ils conservent probablement leurs droits sur la région d'Oulatha)

Puisqu'ils semblent venir de la région de Nisibe, il est possible que leur fuite soit motivée par la répression/persécution des Juifs par Ma'nu Saphul à la suite de la libération d'Hyrcan II. On peut alors se demander si cette tribu ou famille n'était pas liée à Barzapharnès qui a fait prisonnier Hyrcan. Ces Babyloniens seraient donc aussi descendants de la dynastie Ituréenne et leur installation sur un territoire Ituréen avant la conquête par Alexandre Jannée est typiquement ce que faisait les Romains. L'imprécision de Josèphe sur l'Iturée trouverait alors son explication, car il est fort possible que la famille de Barzapharnès et celle Ptolémée Mennaeus se soient unis par mariage vu le type d'accords passés. De même le choix de l'auteur de l'évangile de Luc de définir la Tétrarchie de Philippe comme composée de l'Iturée et la Trachonitide s'explique aussi. Il utilise le trou informationnel creusé par Josèphe sur l'Iturée tout en disant quelque chose qui n'est pas absurde. Le but étant de ne surtout pas écrire le nom "Batanée". Comme le montre ce qui a été enlevé au livre XIX des Antiquités judaïques et la suppression de toutes références à la Batanée à la version (épitomée) de la Guerre des Juifs (version connue uniquement en slavon) qu'ont essayé d'imposer un petit groupe de Flaviens chrétiens dans la même période que l’écriture de l'Évangile selon Luc. De même, sans le vouloir Eusèbe de Césarée témoigne qu'un passage de Josèphe concernant l'Iturée et où été cité Lysanias II a été enlevé de nos versions actuelles à moins qu'il s'agisse d'une version chrétienne différente de la version que nous connaissons en slavon[27]. (Selon Eusèbe de Césarée, qui se réfère à un passage disparu de l'œuvre de Flavius Josèphe, Lysanias aurait obtenu sa tétrarchie en , lors de la réorganisation des territoires de Palestine, après la destitution d'Hérode Archélaos[28].) Comme cette même famille s'est unis aux Hasmonéens cela expliquerait la généalogie de "Luc" qui conduit à Héli père légal de Joseph (et probablement le père naturel de Marie) soit déviré des Hasmonéens.

  • Amos -> Matthatias -> Joseph -> Yannaï -> Melki -> Lévi -> Matthat -> Héli -> Joseph

Mais rappelons nous que grâce à Jules l'Africain et Eusèbe de Césarée nous savons que cette généalogie a été déstructurée et que la version initiale donnait pour la fin de cette généalogie:

  • Melki -> Héli -> Joseph

Sans que l'on puisse savoir ce qu'il faut faire de -> Lévi -> Matthat à moins de considérer exact le fragment qui indique que c'étaient des frères de Melki qui ont été ajouté à cette généalogie, ce qui donnerait:

  • Amos -> Matthatias -> Joseph -> Yannaï -> Melki -> Héli -> Joseph

Mais cela pourrait tout aussi bien être:

  • Amos -> Matthatias -> Joseph -> Yannaï -> Matthat -> Lévi -> Melki -> Héli -> Joseph

ou bien:

  • Amos -> Matthatias -> Joseph -> Yannaï -> Lévi -> Matthat -> Melki -> Héli -> Joseph

ou :

  • Amos -> Matthatias -> Joseph -> Yannaï -> Matthat -> Lévi -> Melki -> Héli -> Joseph

etc...

Lien entre les Hasmonéens et la dynastie Ituréenne[modifier | modifier le code]

Lorsque le prince juif Aristobule II a été empoisonné au printemps 49 av. J.-C. par des partisans de Pompée, alors que Jules César lui avait confié deux légions pour ramener le calme dans la région, Ptolémée Mennaeus a donné asile dans sa principauté à ses trois enfants survivants: Antigone II Mattathiah, une fille nommée Alexandra et une autre fille dont le nom est inconnu[29],[30].

Philippion le fils de Ptolémée, est envoyé par son père à Ascalon, où la veuve d'Aristobule et ses enfants étaient en exil, probablement avec une escorte militaire et a escorté la fratrie jusqu'en Iturée. À cette occasion Philippion est tombé amoureux de la princesse Hasmonéenne Alexandra et l'a épousé. « Plus tard, Philippion fut tué par son père Ptolémée, qui épousa alors Alexandra, et resta le protecteur du frère et de la sœur de celle-ci[31]. »

Ptolémée soutint aussi les efforts d'Antigone II, fils d'Aristobule pour se faire reconnaître comme roi de Judée[32],[33]. Les deux hommes s'allient, Ptolémée achète le concours de Fabius le gouverneur de Damas et de Marion gouverneur à Tyr, mais leur armée se heurte à Hérode le Grand qui reprend le territoire conquis et repousse Antigone hors du pays[34]

Rappelons-nous que pour que le fragment attribué à Jules Africain ait un sens dans le cas d'une transmission de l'hérédité par mariage léviratique, il faut qu'un père ait épousé la femme de son fils sans qu'elle lui ait donné de fils ce qui est le cas avec Alexandrra qui épouse d'abord Philippion puis son père Ptolémée Mennaeus après que celui-ci ait tué son fils.

Rappelons nous aussi que Moïse de Khorène, appelle Pacoros fils d'un roi de Syrie, celui qui propose 500 femmes à Barzapharnès alors que dans les AJ, Josèphe dit qu'il s'agit de Lysanias fils de Ptolémée, fils Mennaeus et que l’échanson appelé Pacoros par Josèphe s'appelle Knel (ou Genel selon J-P. Mahé). Ce qui pourrait être une indication de la direction dans laquelle chercher. A noter que selon Langlois, ce Pacorus ou Bakour était fils d’Orode, roi des Parthes selon Cicéron (Lettres 219, 226, éd. Nisard, t. V, p. 204, 209) et de Justin (l. XLII, § 4.). et qu'un « fils de Lysanias qui avait succédé à Ptolémée son père, fils de Mennéus » (Maanou des Syriens) était aussi appelé Pacorus (Guerre des Juifs (liv. I, ch. 11)). Ce qui favorise la confusion!

Toutefois, dans la Guerre des Juifs, Josèphe avait écrit que celui qui proposait cet échange était Pacoros, fils de Lysanias et pas Lysanias lui-même, ni même Antigone comme il l'écrira par la suite dans les AJ. Ce qui confirmé ce qu'a écrit Moïse de Khorène (voir les texte de Josèphe en note[35])

Remarquons que dans les Ant., § 331, la promesse de "mille talents et cinq cents femmes" fut faite par Antigone lui-même et pas par Pacoros, fils de Lysanas.

Enfin Mennaeus pourrait bien être la même forme que Manu (et peut-être Ma'nu) que l'on trouve dans Manubazu qui est est rendu par Monobaze. Langlois dit que c'est le "Maanou des Syriens" comme Moïses l'écrit pour Ma'nu Saphul.

Selon Josèphe, il y aurait eu 3 Pacoros important dirigeants tous 3 une armée participants à ces événements, ce qui fait beaucoup et et peut-être utilisé pour brouiller les pistes. Peut-être donc que le Pacoros auquel Phasaël et Hyrcan sont livrés est le fils de Lysanias de même nom. Peut-être avait-il le grade d'échasson auprès de Pacoros, fils d'Orodès.

Lysanias I[modifier | modifier le code]

« Il s’agit de Lysanias le tétraque d’Abilène et de Chalcidique, région située dans la vallée du Barada à l’ouest-nord-ouest de Damas et dans la plaine de la Beqā’, exécuté par les Romains en 36 av. J.-C., mais Zénodôros, présenté comme fermier de ses biens selon Josèphe, peut bien avoir été son fils ou du moins un parent proche : J. Aliquot, “Les Ituréens et la présence arabe au Liban du iie siècle a.C. au ive siècle p.C.”, musj 56, 1999-2003, p. 161-290, ici p. 261-262. Des monnaies datées de 31-30 et 26-25 av. J.-C. portent la mention de Zénodôros, tétrarque et grand-prêtre : cf. D. Herman, “The Coins of the Itureans”, Israel Numismatic Research 1, 2006, p. 51-72, notamment p. 69-72, n° 13-19. Malgré la formulation de Josèphe, il est clair que Zénodôros est officiellement tétrarque ; faut-il admettre que sa tétrarchie est réduite et qu’il a, en plus, pris à ferme, une partie des biens de Lysanias, ceux sur lesquels il ne règne pas comme tétrarque ? Sur le sens de μισθωτής, μισθουˆσθαι cf. J. Aliquot, ibid., p. 261-262. Depuis l’article d’H. Seyrig, “L’inscription du tétrarque Lysanias à Baalbek”, dans Kuschke A. & Kutsch E. (éd.), Archäologie und Alten Testament. Festschrift für Kurt Galling zum 8. Januar 1970, Tübingen, 1970, p. 251-254 [id, Scripta varia, 1985, p. 135-138], on considère plutôt le Zénodôros de l’inscription de Baalbek (igls VI, 2851) comme un « obscur descendant » de Lysanias ; voir l’état de la question dans J. Aliquot, ibid., p. 254-257, ainsi que le tableau généalogique p. 274. Une partie au moins de son royaume, l’Abilène, est à nouveau entre les mains d’un tétrarque homonyme, Lysanias II, avant 37 ap. J.-C (c’est celui qui est nommé par Luc 3.1 comme tétrarque d’Abilène la 15e année du règne de Tibère) ; à une date indéterminée entre 28/9 et 37, (cf. J. Aliquot, ibid., p. 244 ; date repoussée à 41 par N. Kokkinos, The Herodian Dynasty, Sheffield, 1998, p. 279-284 ; cf. également A. Kushnir-Stein, sci, 18, 1999, p. 194-198), cette tétrarchie est donnée à Agrippa Ier qui la conserva jusqu’à sa mort en 44. »

Philippe fils de Joachim[modifier | modifier le code]

Philippe semble apparaître « dans un texte safaïtique cité par M. Macdonald, Syria, 1993, p. 343 et n. 259, et discuté par le même, “Herodian Echoes in the Syrian Desert”, dans S. Bourke, J.-P. Descœudres, A. Walmsley éd., Trade, Contact, and the Movement of peoples in the Eastern Mediterranean : Papers in honour of J. Basil Hennessy. Mediterranean Archaeology, Suppl. volume 2, Sydney, 1995, p. 285-290, qui porte la mention : « … et il fit paître les moutons l’année où les gens du Hauran se plaignirent à César au sujet de Philippe (ou « accusèrent Philippe devant César ») ». »

Pour Maurice Sartre, « S’il s’agit de Philippe fils de Iakimos, cela indiquerait que celui-ci entra au service de Rome après l’annexion de l’État d’Agrippa II, puisqu’il n’y a aucune raison que les habitants du Hauran, qu’ils habitent le royaume nabatéen ou celui d’Agrippa II, se plaignent à l’empereur des agissements d’un agent royal. Mais ceci reste largement énigmatique. » Toutefois, il pourrait s'agir de la plainte formulée contre Philippe en 67 et que Sartre néglige.

Appien, Guerres civiles, livre V[modifier | modifier le code]

I - [7] Alors qu'Antoine parcourait les provinces, Lucius Cassius, le frère de Caius, et d'autres, qui craignaient pour leur propre sûreté, entendirent parler du pardon d'Éphèse et se présentèrent à lui en suppliants. Il les libéra tous sauf ceux qui avaient participé au meurtre de César. Avec  ceux-là point de réconciliation possible. Il soulagea les villes qui avaient le plus souffert. Il supprima totalement les impôts des Lyciens, et encouragea la reconstruction de Xanthos. Il donna aux Rhodiens Andros, Tenos, Naxos, et Myndos, mais il les reprit peu après parce que les Rhodiens les traitaient trop durement. Il fit de Laodicée et de Tarse des villes libres, et les exempta complètement d'impôts, et il libéra par un édit les habitants de Tarse qui avaient été vendus comme esclaves. Aux Athéniens qui étaient venus le voir, il donna Égine en échange de Ténos, et également Icos, Céos, Sciathos, et Peparethos. Quand il en arriva à la Phrygie, la Mysie, la Galatie, la Cappadoce, la Cilicie, la Cœle-Syrie, la Palestine, l'Iturie, et les autres provinces de Syrie, il leur imposa de lourdes contributions à toutes, et se comporta en arbitre entre les rois et les villes, en Cappadoce, par exemple, entre Ariarthes et Sisinna, attribuant le royaume à Sisinna à cause de sa mère, Glaphyra, qui lui parut être une belle femme. En Syrie, il chassa les tyrans des villes les uns après les autres.

[8] Cléopâtre vint à sa rencontre en Cilicie, [...]

[9] Aussitôt, l'intérêt d'Antoine pour les affaires publiques commença à diminuer. Tout ce que Cléopâtre demandait, il le faisait, sans se soucier des lois humaines ou divines. Alors que sa sœur Arsinoé était venue le supplier dans le temple d'Artémis Leucophryne à Milet (Milet et Éphèse = ~20 km), Antoine y envoya des assassins et la fit mettre à mort. Sérapion, le préfet de Cléopâtre à Chypre, qui avait aidé Cassius, et qui maintenant était suppliant à Tyr, Antoine ordonna aux Tyriens de le lui livrer. Il ordonna aux Arcadiens de lui livrer un autre suppliant qui, lorsque Ptolémée, frère de Cléopâtre, disparut lors de la bataille contre César sur le Nil, prétendit être Ptolémée, et qui fut reçu par les Arcadiens comme tel. Il ordonna que le prêtre d'Artémis à Éphèse, qu'on appelle Mégabyze, et qui avait par le passé reçu Arsinoé comme reine, lui fût livré, mais en réponse aux supplications des Éphésiens adressées à Cléopâtre elle-même, il le fit libérer. Cette transformation subite d'Antoine, et cette passion furent le commencement et la fin des maux qui lui arrivèrent. Quand Cléopâtre rentra chez elle, Antoine envoya sa cavalerie à Palmyre, située non loin de l'Euphrate, pour la piller, accusant futilement ses habitants au prétexte que leur ville, se trouvant sur la frontière entre les Romains et les Parthes, avait évité de prendre parti. C'étaient des négociants qui importaient des produits de l'Inde et de l'Arabie, et les vendaient dans le territoire romain. En fait, l'intention d'Antoine était d'enrichir ses cavaliers, mais les habitants de Palmyre furent prévenus, et ils transportèrent leurs biens de l'autre côté du fleuve, et, se postant sur le bord, se préparèrent à tirer sur quiconque viendrait les attaquer parce que c'étaient des archers d’élite. La cavalerie ne trouva rien dans la ville. Ils en firent le tour, et revinrent les mains vides sans avoir rencontré un ennemi.

[10] Il semble que cet événement fut pour Antoine le motif de sa guerre contre les Parthes quelque temps plus tard, et aussi le fait que les tyrans expulsés de Syrie s'étaient réfugiés chez les Parthes.

Varus et guerre de Varus[modifier | modifier le code]

GUERRE II, V, 3

Ceux-ci, avant d'en venir aux mains, firent leur soumission, sur le conseil d'Achab : Varus gracia la multitude et envoya à César les chefs pour être jugés. César pardonna à la plupart, mais il ordonna de châtier ceux de sang royal - car dans le nombre il y avait plusieurs parents d'Hérode - pour avoir porté les armes contre un roi qui était de leur famille. Ayant ainsi apaisé les troubles de Jérusalem, Varus y laissa comme garnison la légion qu'il y avait détachée dès le principe, puis retourna lui-même à Antioche[28].

GUERRE II, VI
1. Archélaüs accusé devant Auguste par les ambassadeurs du peuple juif. – 2. Plaidoyers des Juifs et de Nicolas de Damas. – 3. Auguste partage le royaume d’Hérode entre ses trois fils ; diverses dispositions.
Note no 28

[28] La « guerre de Varus », mentionnée (C. Apion, I, § 35), paraît avoir laissé un souvenir dans la tradition rabbinique sous le nom de polemos shel Asveros (lire Varos ?) : cette guerre, d'après Seder Olam, in fine, aurait précédé de 80 ans celle de Vespasien. (67 -80 + 1 = -12, ce qui veut peut-être dire qu'il s'agit d'une autre guerre, voir inscription sur les territoires de Zénodore, à noter la mention dans "Contre Apion")

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Cité par Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, IX. 30.
  2. Cicéron, Philippiques II. 112.
  3. Jules César, Bellum Africanum, 20.
  4. Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XIII, 9.
  5. Julien Aliquot, Les Ituréens et la présence arabe au Liban du IIe siècle a.C. au IVe siècle p.C..
  6. Flavius Josèphe, AJ XIII, 418
  7. Appien, Guerre civile V, 7.
  8. 9 Strabon, Géographie XVI, 2, 10. On trouve encore dans le Liber interpretationis hebraicorum nominumde Jérôme (De Luca 64, 27) le raccourci suivant, qui perpétue la tradition d’une identification de l’Iturée à une région montagneuse de la Syrie entre la seconde moitié du IVe et le début du Ve siècle p.C.: Ituraeae montanae. Syrum est
  9. 4 Flavius Josèphe, AJ XV, 360; BJ I, 400 ; Dion Cassius, Histoire romaine LIV, 9, 3.
  10. Épiphane, Panarion XIX, 1, 2 ; XLIII, 1, 1. Voir CIRILLO L. (1997), « Livre de la révélation d’Elkasaï », in BOVON F. & GEOLTRAIN P. (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, I, (Bibliothèque de la Pléiade) Gallimard, Paris, p. 827-872, et id. (2000), « Courants judéo-chrétiens », in MAYEUR J.-M. et alii (éd.), Histoire du christianisme, 1, Le Nouveau Peuple (des origines à 250), Desclée, Paris, p. 313-315, sur les relations entre le Panarion et le Livre de la révélation d’Elkasaï, texte apocryphe chrétien utilisé par Épiphane de Salamine dans sa réfutation des hérésies osséenne et sampséenne.
  11. Il est exclu d’identifier les Zabadéens aux habitants du village des Kaprozabadaiens, qu’une épitaphe tardive de la nécropole Saint-Mathias de Trêves situe en territoire apaméen. CIG 9893; GAUTHIER N. (1975), Recueil des inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures à la Renaissance carolingienne, 1, Première Belgique, Éditions du CNRS, Paris, n° 10, qui date ce texte du Ve siècle p.C.: ∆Enqavde ki`tai A[zi⁄zo" ∆Agripa, Su v ro", ⁄ kw v (mh") Kaprozabadai v wn ⁄ o v {rwn ∆Apamevwn « Ici repose Azizos fils d’Agripas, Syrien, du village des Kaprozabadaiens du territoire d’Apamée ». En Syrie, la fréquence des toponymes dérivés de la racine zbd « offrir » est telle que reste problématique la localisation des Zabadéens dans l’AntiLiban, où sont attestés deux toponymes modernes qui pourraient conserver le nom de ce groupe ethnique. Il s’agit tout d’abord de Zébédæni, qui a la préférence d’A. Kasher (Jews, Idumeans and Ancient Arabs, p. 39-41, et id., « Zabadaeans », p. 1031, sans argument convaincant) et de M. Sartre (D’Alexandre à Zénobie, p. 382 n. 26, plus réservé) : P.-L. Gatier me confirme l’existence de vestiges antiques et d’inscriptions grecques à proximité de ce bourg de la haute vallée du Nahr Baradæ, en amont d’Abila de Lysanias. Kfar Zabad, sur une crête de l’Anti-Liban en bordure de la Beqæ‘ méridionale, semble un autre candidat possible car l’occupation de ce village et de ses environs est attestée dans l’Antiquité, au moins en ce qui concerne l’époque romaine : en effet, l’échine du Jabal Terbol, qui domine ce village de 350 mètres, conserve les vestiges de deux temples à antes (KRENCKER & ZSCHIETZSCHMANN, Römische Tempel in Syrien, p. 165-167) où des inscriptions grecques et latines ont été relevées (IGLS VI, 2977 et SEG XXXI, 1392). Je reconnais toutefois le caractère hypothétique de ces deux propositions.
  12. 5 Porphyre, FGrHist 260, fr. 2, 17, transmis par Eusèbe de Césarée, Chronique I, 170.
  13. Strabon, Géographie XVI, 2, 19.
  14. « Agrippa Ier vécut alors auprès de Flaccus qui l'avait reçu avec Aristobule son frère, brouillé cependant avec lui. Leurs dissentiments n'allaient pas pourtant, jusqu'à les empêcher de s'honorer mutuellement en apparence, par amitié pour le proconsul. [152] Mais Aristobule n'abandonnait pas sa haine contre Agrippa et il finit par lui aliéner Flaccus pour la raison suivante. [153] Les Damascènes avaient avec les Sidoniens une contestation de frontières et Flaccus allait leur donner audience à ce sujet. Connaissant l'influence très grande d'Agrippa sur lui, ils lui demandèrent d'être de leur parti et lui promirent une grosse somme. [154] Agrippa s'efforça de faire tout pour aider les Damascènes. Mais Aristobule, qui avait découvert le pacte intervenu au sujet de l'argent, l'accusa auprès de Flaccus », Flavius Josèphe, AJ XVIII, 153.
  15. La poliadisation désigne la transformation d'une ville préexistante en cité (polis) ou la fondation d'une colonie selon le modèle grec, c'est-à-dire un système politique reposant sur des assemblées (boulè, ecclésia, conseil des Anciens ou péliganès) et des magistrats (archontes, épistates) issus de la communauté des citoyens (politai) (fr:wiki sourcé).
  16. SAVIGNAC R. (1912), « Texte complet de l’inscription d’Abila relative à Lysanias », RBi 9, p. 533-541.
  17. Selon Moïse de Khorène, Barzapharnès est « chef de la satrapie des Reschdouni (Rechtouni) »; Histoire d'Arménie, livre II, § XIX.
  18. Schwentzel, Juifs et Nabatéens, p. 121.
  19. Sur ce passage et sa traduction, voir G.W. Bowersock, « The Hellenistic Léjà’ », in La Syrie hellénistique, Topoi. Supplément 4, 2003, p. 341-348 ; le terme qu’emploie Strabon désigne en général une crête, un relief qui domine de peu, la bordure d’un plateau, par exemple ; c’est le terme par lequel il décrit le site d’Apamée (XVI, 2, 10). Si l’un des Trachônes est le Léjà, l’autre pourrait être le Qura’ au nord-est du Jebel al-‘Arab, selon Bowersock (p. 343) ; cela ne paraît pas devoir remettre en cause l’identification du Trachôn de Josèphe avec le seul Léjà (dans la plupart des occurences), car le Qura’ est une zone désertique seulement parcourue par les nomades et où l’on ne relève aucune trace de présence ni hérodienne, ni romaine.
  20. Strabon, XVI, 2, 20, trad. A. Tardieu légèrement modifiée par Maurice Sartre.
  21. 1. Après sa victoire sur Pompée et la mort de celui-ci[73], César dans sa guerre d'Égypte eut fort à se louer des bons offices d'Antipater, administrateur de Judée (ἐπιμελητὴς Ἰουδαίων épiméléte de Judée), agissant par ordre d'Hyrcan[74]. Comme Mithridate de Pergame, qui amenait des renforts à César, ne pouvait forcer le passage de Péluse, et s'arrêtait auprès d'Ascalon, Antipater vint à la tête de trois mille hoplites Juifs, et détermina les chefs d'Arabie à fournir également leur concours. Ce fut aussi grâce à lui que de toutes les parties de la Svrie arrivèrent des renforts, personne ne voulant se laisser distancer en empressement à l'égard de César : tels le dynaste Jamblique. Ptolémée (Guerre nomme simplement Ptolémée et Iamlichos), fils de Soaimos (Sohaémos), qui habitait le Liban (AJ, XIV, VIII, 1).
  22. Il s’agit de Lysanias le tétraque d’Abilène et de Chalcidique, région située dans la vallée du Barada à l’ouest-nord-ouest de Damas et dans la plaine de la Beqā’, exécuté par les Romains en 36 av. J.-C., mais Zénodôros, présenté comme fermier de ses biens selon Josèphe, peut bien avoir été son fils ou du moins un parent proche : J. Aliquot, “Les Ituréens et la présence arabe au Liban du iie siècle a.C. au ive siècle p.C.”, musj 56, 1999-2003, p. 161-290, ici p. 261-262. Des monnaies datées de 31-30 et 26-25 av. J.-C. portent la mention de Zénodôros, tétrarque et grand-prêtre : cf. D. Herman, “The Coins of the Itureans”, Israel Numismatic Research 1, 2006, p. 51-72, notamment p. 69-72, n° 13-19. Malgré la formulation de Josèphe, il est clair que Zénodôros est officiellement tétrarque ; faut-il admettre que sa tétrarchie est réduite et qu’il a, en plus, pris à ferme, une partie des biens de Lysanias, ceux sur lesquels il ne règne pas comme tétrarque ? Sur le sens de μισθωτής, μισθουˆσθαι cf. J. Aliquot, ibid., p. 261-262. Depuis l’article d’H. Seyrig, “L’inscription du tétrarque Lysanias à Baalbek”, dans Kuschke A. & Kutsch E. (éd.), Archäologie und Alten Testament. Festschrift für Kurt Galling zum 8. Januar 1970, Tübingen, 1970, p. 251-254 [= id., Scripta varia, 1985, p. 135-138], on considère plutôt le Zénodôros de l’inscription de Baalbek igls VI, 2851 comme un « obscur descendant » de Lysanias ; voir l’état de la question dans J. Aliquot, ibid., p. 254-257, ainsi que le tableau généalogique p. 274. Une partie au moins de son royaume, l’Abilène, est à nouveau entre les mains d’un tétrarque homonyme, Lysanias II, avant 37 ap. J.-C (c’est celui qui est nommé par Luc 3.1 comme tétrarque d’Abilène la 15e année du règne de Tibère) ; à une date indéterminée entre 28/9 et 37, (cf. J. Aliquot, ibid., p. 244 ; date repoussée à 41 par N. Kokkinos, The Herodian Dynasty, Sheffield, 1998, p. 279-284 ; cf. également A. Kushnir-Stein, sci, 18, 1999, p. 194-198), cette tétrarchie est donnée à Agrippa Ier qui la conserva jusqu’à sa mort en 44.
  23. a et b Nodet et Taylor 1998, p. 126.
  24. συνέδρα Sunédra = Sanhédrin ou Synode selon Nodet, alors que Julien Weil le traduit par Conseil.
  25. Les mss. ont Γάδαρα, mais il s'agit sûrement de Gazara (Gezer) au S.-O, de la Judée ; cf. livre XII, vii, 4.
  26. Nodet et Taylor 1998, p. 126-127.
  27. citation d'Eusèbe: « L'historien mentionné plus haut noue apprend aussi, en accord avec l'Évangile, l'avènement d'Archélaüs au pouvoir après Hérode. Il explique comment le testament de son père et le consentement de César Auguste lui donnèrent le trône des Juifs, et comment lors de sa 83 chute du trône, arrivée dix ans plus tard, ses frères, Philippe et Hérode le jeune, ainsi que Lysanias obtinrent chacun leur tétrarchie. »
  28. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, T. I, IX, 1.
  29. « Scipion, sur l'ordre que lui envoya Pompée de mettre à mort Alexandre, fils d'Aristobule, reprocha au jeune homme tous ses anciens torts à l'égard des Romains, et le fit décapiter à Antioche. Les autres enfants d'Aristobule furent recueillis par Ptolémée fils de Mennaios, qui régnait à Chalcis, au pied du mont Liban », Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XIV, VII, § 4.
  30. Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, Livre I, IX, § 2.
  31. Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 14,7,4.
  32. Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, Livre XIV, XII, § 1
  33. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nommées JE_PTOLEMY
  34. Ruth Harari, Hérode le Grand, éd. Cerf, Paris, 1986, (ISBN 2-204-02467-8), pp. 67-68.
  35. 1[128]. [248] Deux ans après[129], Barzapharnès, satrape des Parthes, occupa la Syrie avec Pacoros, fils du roi. Lysanias, qui avait hérité du royaume de son père Ptolémée, fils de Mennaios, persuada le satrape, en lui promettant mille talents et cinq cents femmes, de ramener sur le trône Antigone et de déposer Hyrcan[130]. Gagné par ces promesses, Pacoros lui-même s'avança le long du littoral et enjoignit à Barzapharnès de faire route par l'intérieur des terres. Parmi les populations côtières, Tyr refusa le passage à Pacoros, alors que Ptolémaïs et Sidon lui avaient fait bon accueil. Alors le prince confia une partie de sa cavalerie à un échanson du palais qui portait le même nom que lui, et lui ordonna d'envahir la Judée pour observer l'ennemi et soutenir Antigone au besoin.