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Statue du Juif errant

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Statue du Juif errant
Présentation
Type
Destination actuelle
détruite
Fondation
Matériau
Démolition
Localisation
Adresse
Square DelaunayVoir et modifier les données sur Wikidata
Flers, Orne
 France

La statue du Juif errant est une œuvre d'art disparue qui était située à Flers, dans le département de l'Orne, région Normandie, en France. Elle est l'œuvre du sculpteur français Victor-Edmond Leharivel-Durocher, originaire de Chanu, où il est tout à la fois né et mort.

Dernière sculpture notable de son auteur mort en , l’œuvre en plâtre est exposée en 1877 et un modèle en bronze attribué à la ville de Flers qui avait demandé à l'État une sculpture de l'artiste originaire du Bocage normand, même si son choix initial ne se portait pas sur la statue attribuée au final. L’œuvre est adoptée par les habitants et, même si des incidents mineurs sont signalés par la presse locale, aucun mouvement mû par l'antisémitisme n'est signalé y compris lors de l'affaire Dreyfus.

La statue, à l'instar de nombreuses autres, change de lieu d'installation au cours de son histoire, avant son déboulonnage puis sa destruction lors de la mobilisation des métaux non ferreux pendant la seconde guerre mondiale.

La statue de Victor-Edmond Leharivel-Durocher, dont aucune trace ne semble exister y compris dans sa version en plâtre au XXIe siècle est, avec le Monument à Eugène Süe d'Annecy, disparu en 1960, la seule sculpture représentant le thème du « Juif errant » dans les œuvres sculptées du XIXe siècle, dont le thème a été utilisé à de nombreuses reprises dans diverses formes artistiques au cours de ce siècle.

Localisation

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La statue est située à Flers, au jardin public du Champ de Foire[A 1] puis square Delaunay, avant de retrouver le Champ de Foire à partir du début des années 1920 jusqu'à son enlèvement dans les années 1940.

Le thème du Juif errant au XIXe siècle

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Le thème du Juif errant est du Moyen-Age à la première moitié du XIXe siècle une « partie vivante et dynamique de l'imaginaire chrétien en Occident »[A 2].

La personne, nommée Cartaphilus ou Ahashverus, aurait défié Jésus lors du chemin de croix, et aurait été condamnée à errer jusqu'au jugement dernier[A 3].

Le thème est très populaire au XIXe siècle en particulier sous la monarchie de Juillet. Il représente « l'humanité souffrante, l'espérance dans la liberté et le progrès »[A 4]. Le roman d'Eugène Sue parait en 1845[A 3]. Entre 1810 et 1850 les représentations du juif errant ne sont pas une manifestation d'antisémitisme, c'est « l'expression d'une morale sur le temps qui passe ». Même les positions liées à l'affaire Dreyfus n'ont que peu utilisé l'image du juif errant[A 5].


Histoire de la statue

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Intégration dans une ville en pleine croissance à la fin du XIXe siècle

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Peinture représentant un homme mûr barbu vu de côté
Portrait de Victor-Edmond Leharivel-Durocher par Amédée Hédin au musée du château de Flers.

La ville de Flers connaît une forte croissance au XIXe siècle du fait de l'industrie textile, et dépasse 10 000 habitants[A 1]. Le parc du château est fortement réduit sous le mandat d'Antoine Schnetz, le chemin de Flers arrive dans la ville en 1866 ce qui permet l'industrialisation[1]. Le coton arrive dans la ville où il est filé et tissé[2].

Statue représentant une femme aux yeux recouverts dans une ville avec des personnes à l'arrière-plan
Colin-maillard, statue de Leharivel-Durocher à Bellême, 1863.

De nombreuses œuvres de Victor-Edmond Leharivel-Durocher ornent des villes normandes, sous l'impulsion du directeur de l'administration des Beaux-Arts, Charles-Philippe de Chennevières-Pointel[A 1].

Le maire de Flers Louis Toussaint demande au ministre de l'Instruction publique, à la suite d'un conseil municipal en , une copie d'une œuvre du sculpteur originaire de Chanu, non loin de la ville car située à 9 km de Flers. Il propose Être et paraître[A 6], statue placée au musée du Luxembourg en 1861[A 1].

Le ministre de l'Instruction publique accède partiellement à la demande sur proposition du directeur des Beaux-Arts[B 1].

La commande du bronze du Juif-Errant est passée le pour une somme de 5 500 francs[A 7]. La ville de Flers accepte le don mais nous ne disposons d'aucun élément pour connaître les réactions à la suite de cette attribution ; l'année suivante le conseil municipal fait le vœu que le musée de la ville dispose d'un moulage d'une autre œuvre du sculpteur[A 1].

Le plâtre est traduit en bronze en 1878 afin de rejoindre Flers[A 8]. La statue est l'avant-dernière du sculpteur, qui meurt en 1878[A 9]. Le sculpteur réalise à la fois des œuvres religieuses et des œuvres profanes, cette diversité lui étant parfois reprochée[A 9].

« Amour et désamours du Juif errant » : histoire d'une œuvre

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La statue arrive à Flers le [A 7].

Le conseil municipal décide de financer un piédestal le [B 1].

La statue est placée dans le jardin public du Champ de Foire puis sur un piédestal square Delaunay en [A 10] sur l'emplacement d'un cèdre[B 1]. Des propriétaires protestent sur le déménagement au square Delaunay pour des raisons esthétiques, que la statue ne décorerait pas convenablement selon eux[B 1], et il est l'objet d'un libelle aux relents antisémites et subit des dégradations en 1884[A 11]. Le Courrier de Flers évoque des dégradations qualifiées d'« espiègleries » dans son édition du  : l’œuvre est déplacée sur son piédestal, après avoir à un autre moment reçu des « boules de terres boueuses » ou également avoir reçu comme attribut une vieille blaude[B 1].

Au début du XXe siècle l’œuvre est l'objet de sarcasmes mais sans « caractère antisémite avéré », y compris pendant l'affaire Dreyfus[A 12]. Le monument suscite parfois « l'affection et l'étonnement »[A 13]. Un article dans un journal local en 1895 évoque un transfert de la statue au musée et son remplacement par un monument du Souvenir français[A 14].

Photographie en noir et blanc représentant une statue en bronze au milieu d'un square avec des arbres en arrière-plan
La statue du Juif-Errant au Champ de Foire.

Le monument est évoqué dans un guide touristique en 1919[A 15]. Décision est prise en de transférer la statue au Champ de Foire et de placer square Delaunay le monument aux morts, le déplacement de statues dans la période d'après Première Guerre mondiale étant assez fréquent[A 16]. Le monument aux morts est installé en et le Juif-Errant retrouve son emplacement originel, ne faisant plus l'objet de problèmes relatés dans les sources[A 17]. L'article de presse de 2011 évoque un déplacement dans la cour d'honneur du château. Un article de presse locale du [B 1].

Carte postale ancienne représentant une statue de femme au pied d'un piédestal orné d'un buste d'homme
Buste de Jules Gevelot devant le château de Flers sur une carte postale ancienne.

L'occupant nazi exige en la mobilisation des métaux non ferreux, et en octobre de la même année un Commissariat relié au Secrétaire d'État à la Production industrielle est créé par l'État français. Une loi est votée dès le pour appliquer ces directives[C 1]. Huet-Pouthas évoque une loi du [A 17]. Cette loi prend en compte la « notion d'intérêt artistique ou historique » et la rigueur est requise pour le choix des œuvres à retirer[C 2]. Une bureaucratie complexe est mise en place, avec des comités départementaux et un Comité supérieur des Beaux-Arts[C 3].

Enlevée sur « un tombereau municipal »[B 1], l'œuvre est envoyée en Allemagne et « probablement fondue » en 1941[A 8]. La ville de Flers perd, outre le Juif-Errant, le buste de Jules Gévelot, mais l'allégorie de la Reconnaissance liée à ce buste est cachée pendant la guerre[A 18]. L'enlèvement des œuvres est signalé dans la presse en et est évoquée la prise de moulages[A 18]. La municipalité ne semble pas avoir demandé de remplacement des statues par des œuvres en pierre[A 18].

Un article de presse de évoque la perte des statues et signale qu'aucun moulage n'existe[A 18]. Le plâtre est perdu et les seuls témoignages qui subsistent sont des cartes postales[A 8],[A 19]. Ces cartes postales de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle témoignent que la statue est alors « un élément de la richesse artistique de la ville » et servent parfois de correspondance[A 20]. Une statue de d'Amand Honoré Désiré Barré, le Réveil est placée sur le socle du Juif-Errant en 1949[A 18]. Le buste de Jules Gévelot est remplacé par un buste représentant le même mais en fonte, à partir d'un moulage réalisé par un plâtrier[3]. L’œuvre est évoquée dans un article de presse au début des années 1950 et un autre de 1964 évoquant l'envoi à la fonte ne parle plus du Juif-Errant[A 21]. Un dernier article de témoignages sur la statue est publié en dans L'Orne combattante[A 22].

Description

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Photographie représentant les bâtiments du Centre Jean-Chaudeurge en arrière-plan
Le Centre Jean-Chaudeurge de Flers, qui abrite la statue du Réveil.

Le personnage est musclé et porte une longue barbe, il est en situation de marche. Il est vêtu d'un pagne et d'un bonnet[A 8]. Il prend appui sur un bâton et porte une bourse au côté[A 23].

L'article paru au début des années 2010 évoque un « personnage insolite au physique amaigri, chichement vêtu et arborant une longue barbe »[B 1].

Le socle est utilisé pour le Réveil placé dans le parc du château, statue déplacée par la suite dans le Centre Jean Chaudeurge[A 24]. Ce socle, au début du XXIe siècle, a disparu mais subsiste au Champ de Foire un double hexagone[A 25].

Interprétation

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L'image n'est pas utilisée dans la statuaire publique avant la statue de Victor-Edmond Leharivel-Durocher, présentée en plâtre au salon de 1877[A 5]. Aucune archive de l'artiste mentionnant l’œuvre n'est conservée, il a peut-être représenté « une figure mythique issue de la tradition chrétienne »[A 26].

La statue aurait été « fidèle aux représentations catholiques et conservatrices »[A 23]. Dans l’œuvre de Victor-Edmond Leharivel-Durocher, le Juif errant est inspiré non seulement par la religion chrétienne mais aussi par la vieillesse[A 27].

Notes et références

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  • Viviane Huet-Pouthas, « La statue du Juif errant de Victor-Edmond Leharivel-Durocher à Flers (Orne), 1877-1941 », Annales de Normandie, nos 67-2,‎ , p. 119-142 (lire en ligne).
  1. a b c d et e Huet-Pouthas 2017, p. 130.
  2. Huet-Pouthas 2017, p. 119.
  3. a et b Huet-Pouthas 2017, p. 120.
  4. Huet-Pouthas 2017, p. 120-121.
  5. a et b Huet-Pouthas 2017, p. 122.
  6. Huet-Pouthas 2017, p. 128-129.
  7. a et b Huet-Pouthas 2017, p. 129.
  8. a b c et d Huet-Pouthas 2017, p. 123.
  9. a et b Huet-Pouthas 2017, p. 125-126.
  10. Huet-Pouthas 2017, p. 130-131.
  11. Huet-Pouthas 2017, p. 131-132.
  12. Huet-Pouthas 2017, p. 132-133.
  13. Huet-Pouthas 2017, p. 133.
  14. Huet-Pouthas 2017, p. 133-134.
  15. Huet-Pouthas 2017, p. 137-138.
  16. Huet-Pouthas 2017, p. 134.
  17. a et b Huet-Pouthas 2017, p. 135.
  18. a b c d et e Huet-Pouthas 2017, p. 136.
  19. Huet-Pouthas 2017, p. 138-139.
  20. Huet-Pouthas 2017, p. 139-140.
  21. Huet-Pouthas 2017, p. 136-137.
  22. Huet-Pouthas 2017, p. 141.
  23. a et b Huet-Pouthas 2017, p. 124.
  24. Huet-Pouthas 2017, p. 140.
  25. Huet-Pouthas 2017, p. 140-141.
  26. Huet-Pouthas 2017, p. 126.
  27. Huet-Pouthas 2017, p. 128.
  • Collectif, « Amour et désamours du Juif errant », L'Orne combattante,‎ .
  1. a b c d e f g et h Collectif 2011.
  • Emmanuel Luis, « Entre envois à la fonte et souci de sauvegarde, la statuaire publique sous le régime de Vichy dans le Calvados », Bulletin de la société des antiquaires de Normandie, vol. LXXV (2016),‎ , p. 9-48
  1. Luis 2018, p. 10.
  2. Luis 2018, p. 11.
  3. Luis 2018, p. 12-13.

Articles connexes

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Bibliographie

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Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Viviane Huet-Pouthas, « La statue du Juif errant de Victor-Edmond Leharivel-Durocher à Flers (Orne), 1877-1941 », Annales de Normandie, nos 67-2,‎ , p. 119-142 (lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • Emmanuel Luis, « Entre envois à la fonte et souci de sauvegarde, la statuaire publique sous le régime de Vichy dans le Calvados », Bulletin de la société des antiquaires de Normandie, vol. LXXV,‎ , p. 9-48. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • Collectif, « Amour et désamours du Juif errant », L'Orne combattante,‎ . Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.

Liens externes

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