Ribozyme en tête de marteau
Un ribozyme en tête de marteau (hammerhead ribozyme en anglais) est un segment d'ARN qui catalyse le clivage et la jonction réversibles d'un site spécifique sur une molécule d'ARN. Ces ribozymes sont utilisés comme modèles pour la recherche sur les structures et les propriétés de l'ARN ainsi que dans les expériences de clivage ciblé de l'ARN, certaines en vue d'applications thérapeutiques. Ils tirent leur nom de la ressemblance des premières représentations de leur structure secondaire avec le requin marteau[2]. Ils ont d'abord été identifiés parmi des ARN satellites et des viroïdes puis se sont révélés être très largement distribués à travers de nombreuses formes de vie.
Les réactions d'auto-clivage, publiées pour la première fois en 1986[3],[4], font partie d'un mécanisme de réplication circulaire. La séquence de ces ribozymes est suffisante pour l'auto-clivage[5] et agit en formant une structure tertiaire tridimensionnelle conservée.
Occurrence naturelle
[modifier | modifier le code]Les premiers ribozymes en tête de marteau ont été découverts en 1986 dans certains agents infectieux de plantes à ARN tels que les viroïdes et des satellites[3],[4]. Puis un autre a été identifié l'année suivante dans l'ADN satellite de génomes de tritons[6]. Puis d'autres exemples de ce ribozymes ont été trouvés dans le génome de différents organismes tels que des schistosomes[7], des grillons des cavernes[8], l'arabette des dames[9] et quelques mammifères tels que des rongeurs et l'ornithorynque[10]. En 2010, il est devenu évident que le ribozyme en tête de marteau est en réalité répandu dans le génome des bactéries jusqu'aux eucaryotes[11], y compris chez l'homme[12]. Des publications du même ordre ont par la suite confirmé et étendu ces observations[13],[14],[15], révélant la nature ubiquitaire du ribozyme en tête de marteau dans tous les règnes du vivant[16].
Dans les génomes d'eucaryotes, de nombreux ribozymes en tête de marteau semblent liés à des rétrotransposons (SINE)[11], hormis une famille étonnamment conservée trouvée dans le génome de tous les amniotes[12] ; ces derniers, appelés HH9 et HH10, se trouvent dans les introns de quelques gènes spécifiques et renvoient à une fonction biologique préservée au cours de la biosynthèse de l'ARN prémessager[17].
Structure primaire et secondaire
[modifier | modifier le code]Ribozyme minimal
[modifier | modifier le code]La séquence minimale requise pour la réaction d'auto-clivage comprend environ 13 nucléotides formant un « noyau », ou « cœur », conservé, la plupart de ces bases nucléiques n'étant pas impliquée dans des paires de bases canoniques de type Watson-Crick. Cette région est bordée par trois régions en tige-boucle constituées essentiellement de paires de bases canoniques de type Watson-Crick mais sans autre contrainte du point de vue de la séquence. La constante catalytique du ribozyme en tête de marteau minimal est d'environ 1 min−1 — un intervalle de valeurs de 0,1 min−1 à 10 min−1 est couramment observé selon les séquences non conservées et la longueur des trois tiges hélicoïdales — dans les conditions standard de réaction : concentration en Mg2+ d'environ 10 mmol l−1, pH de 7,5 et tepérature de 25 °C. La plupart des recherches sur les ribozymes en tête de marteau ont été réalisées sur le ribozyme minimal.
Type I, type II et type III
[modifier | modifier le code]Le ribozyme en tête de marteau est structuré en trois hélices constituées de bases appariées, ces hélices étant liées entre elles par de courts segments aux séquences conservées. Ces hélices sont appelées I, II et III. Les ribozymes en tête de marteau peuvent être rangés en trois types en fonction du numéro de l'hélice dans laquelle se trouvent les extrémités 5' et 3' : on trouve le type I dans le génome de procaryotes, d'eucaryotes et d'agents infectieux à ARN de plantes, tandis que le type II n'a été décrit que chez des procaryotes[14],[15] et le type III est trouvé essentiellement chez les plantes, les agents infectieux de plantes et les procaryotes[16],[17].
Ribozyme complet
[modifier | modifier le code]Le ribozyme en tête de marteau complet contient des séquences supplémentaires dans les tiges I et II qui permettent la formation de contacts intramoléculaires supplémentaires stabilisant la structure tertiaire active de la molécule et permettant d'atteindre des vitesses de clivage mille fois plus élevées que celles des séquences minimales[18],[19].
Structure tertiaire
[modifier | modifier le code]Le ribozyme en tête de marteau minimal a été intensivement étudié par les biochimistes ainsi que par cristallographie aux rayons X, spectroscopie RMN et d'autres techniques d'investigation biophysiques. La première structure tridimensionnelle détaillée d'un ribozyme minimal a été obtenue en 1994 à partir d'une diffraction par rayons X d'un ribozyme en tête de marteau lié à un analogue ADN de substrat[20], une structure entièrement en ARN étant publiée l'année suivante[21]. Cette dernière a mis en évidence trois hélices de ribonucléotides appariés, appelées I, II et III, séparées par de courtes séquences conservées : le connecteur entre les hélices I et II contient généralement la séquence CUGA tandis que celui situé entre les hélices II et III contient la séquence GAAA ; le site actif de la réaction de clivage se trouve entre les hélices I et III, où se trouve généralement un résidu de cytosine.
Cette structure cristallisée obtenue par diffraction aux rayons X s'est cependant révélée difficilement conciliable avec les contraintes géométriques déduites d'analyses par résonance magnétique nucléaire et d'expériences biochimiques destinées à étudier la cinétique et le mécanisme catalytique du ribozyme. Ainsi, les résidus invariants C3, G5, G8 et G12 du ribozyme minimal sont critiques au point que la moindre substitution d'un groupe fonctionnel exocyclique sur l'un de ces résidus conduit à une disparition quasi complète voire complète de toute activité catalytique, et ceci bien qu'ils ne semblent pas former de liaison hydrogène dans le cadre d'une paire Watson-Crick dans aucune des structures cristallisées de ribozyme en tête de marteau minimal — hormis pour le résidu G5. D'autres difficultés ont été mises en évidence, par exemple le rôle des résidus G8 et G12 dans la catalyse acide/basique du ribozyme que les structures cristallisées ne rendent pas évident, ou encore l'effet Overhauser nucléaire observé par résonance magnétique nucléaire entre les résidus U4 et U7, que la structure cristallisée ne permet pas d'expliquer car cet effet requiert une distance maximale de 6 Å difficilement compatible avec la structure obtenue par cristallographie aux rayons X.
Ces difficultés — et quelques autres, rendant difficilement conciliables les structures obtenues par cristallographie avec les contraintes géométriques déduites par d'autres approches — affectant la structure tertiaire des ribozymes en tête de marteau minimaux ont été largement résolues avec la structure cristallisée de ribozymes complets. Cette dernière montre de nombreuses interactions entre les boucles des tiges I et II, y compris à distance du site actif[1].
Site actif
[modifier | modifier le code]La configuration tridimensionnelle du site actif du ribozyme en tête de marteau est stabilisée par de nombreuses interactions intramoléculaires du ribozyme complet, alignant l'oxygène 2' du résidu C17, qui constitue le nucléophile du site catalytique, presque parfaitement pour une substitution nucléophile bimoléculaire (SN2). Le résidu G12 est suffisamment proche de ce nucléophile pour établir une liaison hydrogène avec lui et permettre de soustraire un proton de l'oxygène 2' si le résidu G12 est lui-même déprotoné. L'hydroxyle 2' du résidu G8 établit une liaison hydrogène avec l'oxygène du groupe situé en 5' et est par conséquent susceptible de fournir un proton lorsque les charges négatives s'accumulent sur l'oxygène 5' du ribose du résidu A1.1.
Le remplacement du résidu G8 par un résidu C8 (mutation G8C) fait disparaître toute activité catalytique au ribozyme en tête de marteau, tandis qu'une double mutation C3G + G8C en conserve l'essentiel ; le remplacement du résidu G8 par un résidu désoxyG8 en réduit très sensiblement l'activité catalytique, ce qui suggère que l'hydroxyle 2' de ce résidu est bel et bien critique pour son mécanisme réactionnel.
Le rapprochement du résidu A9 et des phosphates scissiles (en) requiert une concentration élevée en charges positives, d'où l'observation que les ions métalliques bivalents tels que Mg2+ sont nécessaires à faible concentration ionique, mais peuvent être dispersés à plus forte concentration de cations monovalents. La réaction fait ainsi probablement intervenir l'extraction du proton 2' du résidu C17 puis l'attaque nucléophile du phosphate adjacent. Le ribose du résidu G8 fournit alors un proton à la rupture de la liaison entre le phosphore scissile et l'oxygène 5' du groupe partant puis est reprotoné à partir d'une molécule d'eau.
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Mécanisme réactionnel proposé pour le site actif du ribozyme en tête de marteau. Une base (B) retire un proton de l'oxygène 2' tandis qu'un acide (A) fournit un proton au groupe partant 5' ce qui donne un phosphate cyclique 2',3'. Les liaisons rompues (en rouge) et formées (en pointillés) doivent être en position axiale à environ 180° de part et d'autre. Le mouvement des électrons est représenté par des flèches.
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Interactions possible de l'état de transition telles qu'extrapolées à partir de la structure du ribozyme cristallisé.
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Site actif d'un ribozyme en tête de marteau complet. Le résidu G12 est positionné de façon cohérente avec son rôle de base dans la réaction de clivage tandis que l'hydroxyle 2' du résidu G8 est positionné conformément à son rôle d'acide pour une catalyse acide/basique. Les liaisons hydrogène potentiellement « actives » sont soulignées en pointillés orange. L'oxygène 2' du résidu C17 apparaît aligné pour une attaque nucléophile le long de la trajectoire matérialisée par une ligne pointillée bleue.
Notes et références
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- (en) Anthony C. Forster et Robert H. Symons, « Self-cleavage of plus and minus RNAs of a virusoid and a structural model for the active sites », Cell, vol. 49, no 2, , p. 211-220 (PMID 2436805, DOI 10.1016/0092-8674(87)90562-9, lire en ligne)
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