Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou 1985

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FESPACO 1985
Image liée à la cérémonie
14e Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou
Détails
Dates Du 23 février au
Lieu Ouagadougou, Burkina Faso
Site web fespaco.bf
Résumé
Histoire d'une rencontre Brahim Tsaki
Chronologie

Le FESPACO 1985 est la 8e édition du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou. Il se déroule du 23 février au 2 mars 1985 à Ouagadougou au Burkina Faso.

Le thème de cette édition est « Cinéma et libération des peuples et le colloque est intitulé Littérature et cinéma africain »[1].

Le film Histoire d'une rencontre de Brahim Tsaki décroche l'Étalon de Yennenga[2],[3].

Contexte[modifier | modifier le code]

Alimata Salambéré devant suivre son mari Emmanuel Salambéré, nommé en 1983 ambassadeur de la Haute-Volta, elle propose à Thomas Sankara de nommer Filippe Savadogo à sa place comme secrétaire général du Fespaco. Elle raconte que le conseil des ministres hésite devant son jeune âge (29 ans) mais qu'elle rappelle à Sankara qu'il n'a lui-même que 35 ans. Filippe Savadogo est donc nommé au poste pour l'édition 1985, et y restera 12 ans[4]. Il est vite persuadé que la survie du festival passe par « une promotion vigoureuse le hissant comme un vecteur essentiel de la diplomatie culturelle », ce qui implique de renforcer sa dimension continentale[5].

Selon Gaston Kaboré, Thomas Sankara « a insufflé un extraordinaire dynamisme au développement des médias d'information, au cinéma et à la culture »[6]. Le nombre de salles passe de 15 à 50. Une Semaine nationale de la Culture (SNC) est instituée et la première radio privée du pays, Horizon FM, peut voir le jour. « Il a su utiliser la vitrine du Fespaco pour promouvoir ses propres idées politiques et enraciner davantage cette manifestation dans la pan-africanité dont elle se réclamait »[6]. Il soutient par ailleurs l'Union nationale des cinéastes voltaïques (UNCV) devenue l'Union nationale des cinéastes du Burkina (UNCB), et aide à obtenir une appui financier de l'Union européenne pour organiser le 3ème congrès de la FEPACI durant le festival[7]. A l'issue de ses travaux, le congrès élit Gaston Kaboré comme secrétaire général et décide le transfert du siège de la fédération de Dakar à Ouagadougou[8]. Le Burkina Faso fournit des locaux sur l’avenue Kwamé Nkrumah[9].

Le thème « Cinéma et libération des peuples » est illustré dans les rues par des banderoles comme « Libérez les écrans africains », « Fespaco 1985, arme de la libération des peuples » ou « Fespaco 1985, hommage aux peuples en lutte »[10].

On note cependant une résistance des cinéastes qui souhaitent conserver la maîtrise de leurs films. « Nous ne voulons pas être enrôlés par un dirigisme politique, même pour la bonne cause », déclare Ousmane Sembène à Catherine Ruelle sur RFI[11]. Alors que pour Kwesi Owusu (en), « on a tendance à un peu trop idéaliser cette période », John Akomfrah (en) pense que « le projet de Sankara reposait sur une éthique prométhéenne qui supposait qu'en tant que dirigeant national, vous pouviez contrôler la culture nationale »[12].

Au niveau de l'organisation panafricaine de la distribution et de la production, 1984 est l'année de la faillite du CIDC (Consortium interafricain de distribution cinématographique) et de CIPROFILM (Centre interafricain de production de films) qui avaient commencé à fonctionner en 1979[13],[14]. La question de la production et diffusion des films en Afrique est posée de plus belle.

Déroulement[modifier | modifier le code]

Cette édition marque « la politisation sans précédent du Fespaco »[15]. Lors de son discours lors de l'inauguration de la place des cinéastes le 24 février 1985, Ousmane Sembène reprend la célèbre phrase de Sankara : « Notre cinéma ne sera pas de 24 images par seconde, mais de 24 vérités par seconde ! »[16]. Il participe le 28 février, lors d'une journée largement médiatisée, à « la Bataille du rail », en compagnie des autres cinéastes africains présents, pour « exprimer notre solidarité avec le peuple burkinabè dans sa lutte pour le développement »[17]. Le prolongement de la voie ferrée en provenance d'Abidjan vers Kaya puis vers le manganèse de Tambao et enfin le Niger devait permettre de transporter les minerais et contribuer au désenclavement du Burkina Faso[18], mais la dissolution en 1989 de la Régie des chemins de fer Abidjan-Niger à la suite de désaccords entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso mit un terme à ce chantier[19]. Le 24 février, la Révolution Démocratique Populaire (RDP) organise une marche de soutien aux cinéastes[20]. Dans cette optique, le cinéma est un cinéma pour le peuple. L'éveil d'une conscience de civilisation africaine lui incombe. Il s'agit donc de mettre le cinéma à la portée de la plus grande masse, ce que permettent les projections populaires et la décentralisation qui ne concerne plus seulement Bobo-Dioulasso mais dont l'extension restera limitée à cette édition « par manque d'implication des autorités locales »[21].

Un programme de films latino-américains est proposé, en liaison avec le Festival du film de la Havane, fondé en 1979. Selon Lindiwe Dovey, cela tient au fait que Thomas Sankara « était largement inspiré par son admiration pour la révolution cubaine »[22].

Les organisations de libération sont également invitées, telles que l'ANC, représentée par le cinéaste Lionel Ngakane, sachant que le Fespaco a boycotté les films officiellement sud-africains jusqu'en 1995 et n'a présenté que les films issus de l'ANC[23]. Sont également invitées, la SWAPO[24]et l'OLP[25]. Une rétrospective sur les épopées de la guerre d'Algérie est organisée[10]. Une quarantaine de réalisateurs sont invités[26].

L'artisanat fait son apparition au festival avec la création de la « rue marchande » pour « réhabiliter les autres aspects de notre culture nationale, jusqu'alors simple toile de fond »[27]. Il s'agissait de montrer concrètement les bijoux, instruments et tissus que l'on voit dans les films et pouvoir les acheter en souvenir[28]. L'idée en avait été lancée par Moustapha Laabli Thiombiano, homme de médias ami de Sankara[29], qui l'a organisée sur l'avenue de l'Indépendance[30].

Le colloque Littérature et cinéma africain réunit notamment des écrivains comme Mongo Beti ou Kitia Touré, des cinéastes comme Ousmane Sembène ou Haïlé Gerima. Il aborde surtout les notions de représentation, de vraisemblance et de fidélité au texte original dans les adaptations. Haïlé Gerima y suggère que la littérature orale est une source d'inspiration plus riche et authentique [10].

Des projections spéciales de films de la diaspora ont lieu et un séminaire réunissant les cinéastes et historiens afro-américains est organisé à l'Institut africain d'éducation cinématographique (INAFEC) sur les questions de distribution, coproduction et échanges entre étudiants et chercheurs. Manthia Diawara indique que la question de la participation future des cinéastes de la diaspora à la compétition officielle est posée mais qu'« à défaut de donner leur accord, les cinéastes ont décidé d'étudier la question »[31].

Créé en 1983, le Marché international du film africain (MIFA) regroupe 22 longs métrages et 23 courts et moyens dans les stands de visionnage réservés aux acheteurs[32].

Selon Hamidou Ouédraogo, les films sont issus de 33 pays africains et de 22 pays non-africains, neuf organisations internationales et mouvements de libération ainsi que 500 participants étrangers sont invités, le nombre de spectateurs est estimé à 300 000[33].

Palmarès[modifier | modifier le code]

Prix Lauréat Film Pays
Grand prix Étalon de Yennenga Brahim Tsaki Histoire d'une rencontre Drapeau de l'Algérie Algérie
Prix du 7 art Ruy Duarte Nelisita Drapeau de l'Angola Angola
Prix Oumarou Ganda Paul Zoumbara Jours de tourments Drapeau du Burkina Faso Burkina Faso
Prix du meilleur court métrage Nangaoma Ngoge, Ron Mulvihill Mariaamu's Wedding Drapeau de la Tanzanie Tanzanie, Drapeau des États-Unis États-Unis
Prix de la meilleure musique Pierre Akendengué Les Coopérants Drapeau du Cameroun Cameroun
Prix de la meilleure image Nacer Khémir Les Baliseurs du désert Drapeau de la Tunisie Tunisie
Prix de la critique internationale King Ampaw (en) Kukurantumi, Road to Accra Drapeau du Nigeria Nigeria
Prix de la ville de Ouagadougou Séverin Akando Histoire d'une vie Drapeau du Bénin Bénin
Prix de la meilleure interprétation féminine Clarion Churuwah (rôle de Yemi) Money Power d'Ola Balogun Drapeau du Nigeria Nigeria
Prix de la caméra d'or Chris Hesse pour son cadrage Solidarity in Struggle Drapeau du Ghana Ghana
Prix de la perche d'or Fawzi Thabet (preneur de son) Les Baliseurs du désert de Nacer Khemir Drapeau de la Tunisie Tunisie
Prix du meilleur scénario Roger Kwami Mambu Zinga N'Gambo Drapeau du Zaïre Zaïre
Prix du meilleur spectateur[34] Adama Dioup Drapeau du Burkina Faso Burkina Faso
Prix du public[35],[36] Euzhan Palcy Rue Cases-Nègres Drapeau de la France France

La création du prix de l'Organisation de l'Unité africaine marque la reconnaissance du Fespaco de la part des instances continentales[37].

Autres films projetés[modifier | modifier le code]

Ont été remarqués par divers auteurs[26],[38], avec notamment des films de la diaspora :

Cinéaste Film Pays
Ola Balogun Money Power Drapeau du Nigeria Nigeria
Benoît Ramampy Dahalo, Dahalo Drapeau de Madagascar Madagascar
Roger Gnoan M'Bala Ablakon Drapeau de la Côte d'Ivoire Côte d'Ivoire
Mustapha Alassane Kokoa Drapeau du Niger Niger
Menelik Shabazz (en) Burning an Illusion (en) Drapeau de la Barbade Barbade
Larry Clark Passing Through (en) Drapeau des États-Unis États-Unis
Kathleen Collins Losing Ground (en) Drapeau des États-Unis États-Unis

18 courts métrages sont présentés au festival[11].

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Colin Dupré, Le Fespaco, une affaire d'État(s), 1969-2009, L'Harmattan, , 406 p. (ISBN 978-2-336-00163-0)
  • Fespaco, Black Camera et Institut Imagine, Cinéma africain - Manifeste et pratique pour une décolonisation culturelle : Première partie - le FESPACO : création, évolution, défis, Ouagadougou, Auto-édition, , 786 p. (ISBN 978-2-9578579-4-4).
  • Hamidou Ouédraogo, Naissance et évolution du FESPACO de 1969 à 1973, Ouagadougou, Chez l'auteur, , 224 p.
  • Yacouba Traoré, Alimata Salambéré Ouedraogo – Itinéraire et leçons de vie d’une femme debout, Ouagadougou, Ceprodif, , 140 p. (ISBN 978-2-84775-222-9)

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « FESPACO : Les 50 ans sous différents thèmes et visuels » (consulté le )
  2. « Burkina Faso 1985 FESPACO '85 Film Festival - Stamps of the World », sur www.stampsoftheworld.co.uk (consulté le )
  3. Emmanuel K. Sanon, Fespaco 85 : cinéma et libération des peuples, Institut français, Département cinéma [distrib.], (lire en ligne)
  4. Traoré 2019, p. 131-132.
  5. Fespaco 2020, p. 433.
  6. a et b Fespaco 2020, p. 266.
  7. Fespaco 2020, p. 267.
  8. Fespaco 2020, p. 265.
  9. Olivier Barlet, « Histoire du Fespaco : entretien avec Filippe Savadogo », sur Africultures, (consulté le )
  10. a b et c Fespaco 2020, p. 135.
  11. a et b Michel Lachkar, « Festival de cinéma de Ouagadougou : Fespaco 1985, une année particulière », sur France info, (consulté le )
  12. (en) « Fespaco : Past, Present and Future », Sight & Sound, vol. 33, no 9,‎ , p. 30-32 (lire en ligne)
  13. Claude Forest et Olivier Barlet, « Dates-clefs de l’Histoire des cinémas d’Afrique », sur Afrimages, (consulté le )
  14. L’industrie du film en Afrique : tendances, défis et opportunités de croissance,, UNESCO, , 271 p. (ISBN 978-92-3-200239-6, lire en ligne)
  15. Dupré 2012, p. 187.
  16. Dupré 2012, p. 189.
  17. « Les temps forts du Fespaco », Carrefour africain, no 873,‎
  18. Ladji Traoré, « " La Bataille du rail " : Kaya, le terminus d’un rêve d’émancipation », sur Le Faso, (consulté le )
  19. Foussata Dagnogo, Olivier Ninot et Jean-Louis Chaléard, « Le chemin de fer Abidjan-Niger : la vocation d’une infrastructure en question », sur Open Edition Journals / Echo Geo 20 | 2012 (consulté le )
  20. Dupré 2012, p. 191.
  21. Dupré 2012, p. 192.
  22. Fespaco 2020, p. 33.
  23. Dupré 2012, p. 201.
  24. Fespaco 2020, p. 34.
  25. Dupré 2012, p. 197.
  26. a et b Catherine Humblot, « Impasse ou mauvaise passe ? » Accès payant, sur Le Monde, (consulté le )
  27. Dupré 2012, p. 183 - Rapport de la 9ème édition du Fespaco, ministère de l'Information et de la Culture.
  28. entretien avec Alimata Salambéré, « Evolution du Fespaco depuis sa naissance », sur afrik.com, (consulté le )
  29. Olivier Barlet, « Débats-forums Fespaco 2023 / 14 : Youlouka Luc Damiba parle de « Laabli l’insaisissable » », sur Africultures, (consulté le )
  30. Cf. le documentaire Laabli, l'insaisissable, de Youlouka Luc Damiba (2023), 37ème minute
  31. Fespaco 2020, p. 137.
  32. Dupré 2012, p. 181.
  33. Ouédraogo 1995, p. 201.
  34. Un voyage en 1985 au festival d'Amiens jumelé avec Ouagadougou.
  35. hors palmarès officiel, 26 % des suffrages sur 1200 spectateurs.
  36. Ouédraogo 1995, p. 202.
  37. Dupré 2012, p. 184.
  38. Fespaco 2020, p. 137 - Manthia Diawara.