Citoyenneté dans l'Égypte antique
La citoyenneté est une notion grecque de l'organisation de la cité qui cadre mal avec la conception des Égyptiens de leur place dans l'univers. On pourrait éventuellement analyser l'évolution de cette conception lors des derniers temps de l'Égypte antique spécialement sous les Ptolémées ou sous la domination romaine bien qu'il s'agisse là d'une notion importée et donc étrangère à l'esprit des natifs du pays des pharaons.
Sous les Lagides, avec la création de grandes cités telles Alexandrie ou Ptolémaïs, la notion de citoyenneté était réservée à l'élite macédonienne, puis avec le temps s'élargit alors aux habitants de ces cités, bien que les Égyptiens du quartier de Rakhotis dans l'Alexandrie antique n'eurent jamais vraiment accès à ce statut, et la ville était constituée de quartiers bien délimités qui souvent entrèrent en conflit, démontrant ainsi l'aspect quelque peu relatif de la citoyenneté antique.
En remontant dans le temps on peut citer la création de Naucratis sous les pharaons de la XXVIe dynastie dont le destin était de rassembler les différentes communautés grecques dans une cité-comptoir afin de mieux contrôler le commerce, cité qui était régie par des lois que l'administration égyptienne promulgua spécifiquement pour ses habitants. Là encore on peut facilement se rendre compte qu'il s'agit davantage d'une nécessité de différenciation des peuples liée à une xénophobie qui s'était développée sur les rives du Nil avec les récentes invasions qu'eut à subir le pays pendant la Basse époque.
Ce repli communautaire en réaction aux aspects les plus délétères du contact avec leurs voisins et concurrents ne peut donc être considéré comme le reflet d'un esprit d'appartenance citoyenne mais bien comme celui d'une société qui face aux changements inéluctables de son environnement, changements qu'elle ne peut plus maîtriser, ne peut faire d'autres choix que de se recentrer sur ses spécificités culturelles et sociales dans un état d'esprit quelque peu conservateur. C'est particulièrement visible dans le choix du retour vers des canons anciens dans l'art (on parle alors de Renaissance Saïte) ou dans le développement accru et qui ne cessera plus jusqu'à la fin de l'histoire de leur religion, du culte des hypostases de leurs dieux (Apis, Bastet, Thot, etc.). Hérodote qui visita le pays à cette époque nous a laissé un témoignage précieux sur ce point.
En remontant encore davantage, on en vient aux périodes où l'Égypte était une des puissances sur laquelle il fallait compter et dont la richesse et la stabilité attiraient beaucoup de peuples étrangers qui finissaient par être absorbés complètement par la culture, la religion et la science des anciens Égyptiens. On peut citer par exemple les peuplades libyennes, nubiennes ou même les hyksôs qui par ailleurs donneront toutes leur dynastie de rois à un moment ou à un autre de l'histoire du pays. C'est cette conception d'une terre immuable, bénie des dieux, sorte de paradis initial à la base de toute la création, puis garante de l'équilibre universel qui est profondément enracinée dans l'esprit national des Égyptiens antiques.
Ils se concevaient en effet comme appartenant à cette terre considérée comme sacrée manifestant par là encore et toujours cet attachement religieux qui les caractérise en tant que peuple. Selon leur mythologie ils sont le troupeau de Dieu, et le simple fait d'habiter cette terre est en soi un signe d'appartenance sociale.
Si nous ne possédons pas de traité égyptien sur cette notion d'appartenance quelque peu théologique au lieu de philosophique comme en Grèce antique, nous avons un aperçu de cette mentalité au travers des textes narratifs sur papyrus qui nous sont parvenus comme notamment le Conte de Sinouhé ou le récit du voyage rocambolesque à Byblos d'Ounamon. Tout Égyptien expatrié pour quelque raison que ce soit ne souhaitait qu'une seule chose : revenir sur les rives du Nil et si tel ne pouvait être le cas être inhumé en Égypte qui restait pour eux en quelque sorte la terre sainte qui un jour fut la résidence des dieux.
Autre trait particulier des Égyptiens antiques : leur fidélité à la personne de Pharaon, conception là encore théologique, puisque Pharaon était l'incarnation vivante d'Horus sur terre. Cette fidélité peut s'apparenter à notre conception moderne de citoyenneté liée à l'appartenance nationale. Dans le cas des Égyptiens antiques, la nation est Pharaon. C'est d'ailleurs par son existence sur terre que l'équilibre du monde est garanti puisqu'il est le lien sacré qui unit cette terre et son peuple au monde divin.
Il semble donc que la notion moderne de citoyenneté était étrangère aux Égyptiens antiques, même si l'on peut faire des rapprochements acrobatiques. C'est encore plus vrai si l'on prend cette notion de citoyenneté de la Grèce antique ou de la citoyenneté romaine qui sont des notions d'appartenance à une société apparue assez tardivement dans l'histoire de l'antiquité et qui n'aura véritablement droit de cité en Égypte qu'à dater de l'édit de Caracalla, de 212 (Constitutio Antoniniana), garantissant la citoyenneté romaine aux hommes libres de tout l'Empire.