Lettres ramistes

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Les lettres ramistes désignent les lettres J et U de l'alphabet latin. Ce nom dérive de celui de l'humaniste Pierre de La Ramée.

Histoire[modifier | modifier le code]

À l'origine, ces lettres étaient de simples variantes graphiques des lettres I et V, lesquelles avaient en latin classique à la fois valeur de voyelles [i] et [u] et de semi-voyelles [j] et [w], respectivement. La distinction phonétique s'est accentuée en latin vulgaire (au moins à l'initiale) par durcissement des semi-voyelles en fricatives ou affriquées, aboutissant par exemple en français à [ʒ] et [v]. Dans la langue française, la distinction graphique entre les paires de lettres I / J et U / V s'est développée dans les manuscrits, mais l'usage a longtemps dépendu de leur position dans le mot plutôt que de la prononciation.

À partir de la Renaissance, la distinction graphique a progressivement été réemployée pour permettre de noter des différences phonétiques, et les lettres ont été définitivement distinguées, à des dates différentes selon les langues. En français, leur usage distinctif a été recommandé par Pierre de la Ramée dans sa Gramere parue en 1562[1]; un siècle plus tard, en 1663, Pierre Corneille (académicien depuis 1647) défend l'utilisation des lettres J et V dans l'Avis au lecteur de l'édition de ses œuvres, et encourage la diffusion des « lettres ramistes » (entre autres nouveautés qu'il préconise)[2],[3]. Corneille laisse par ailleurs entendre qu'il s'est inspiré de la pratique des imprimeurs hollandais[4]:

« Ces quatre Volumes contiennent trente deux Pièces de Théatre. (...) Vous pourrez trouver quelque chose d’étrange aux innovations en l’orthographe que j’ay hazardées icy, et je veux bien vous en rendre raison. L’usage de nostre Langue est à present si épandu par toute l’Europe, principalement vers le Nord, qu’on y voit peu d’Estats où elle ne soit connuë ; c’est ce qui m’a fait croire qu’il ne seroit pas mal à propos d’en faciliter la prononciation aux Estrangers, qui s’y trouvent souvent embarrassez par les divers sons qu’elle donne quelquefois aux mesmes lettres. Les Hollandois m’ont frayé le chemin, et donné ouverture à y mettre distinction par de différents Caractéres, que jusqu’ icy nos Imprimeurs ont employé indifféremment. Ils ont separé les i et les u consones d’avec les i et les u voyelles, en se servant tousiours de l’j et de l’v, pour les premiéres, et laissant l’i et l’u pour les autres, qui jusqu’à ces derniers temps avoient esté confondus. »

L'alphabet latin et ses vingt-trois lettres, en 1541.

Il faudra cependant attendre 1762 et la quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie française pour voir la distinction I / J et U / V adoptée: J devient la dixième lettre de l'alphabet (à la suite de I), et V la vingt-deuxième (à la suite de U). L'alphabet français passe alors de vingt-trois à vingt-cinq lettres (la vingt-sixième, W, entrant officiellement dans l'alphabet français seulement au cours du XXe siècle)[5].

Éditions modernes[modifier | modifier le code]

Dans les éditions modernes de textes latins, il existe plusieurs styles de typographie prenant plus ou moins en compte les lettres ramistes.

  • La typographie la plus usuelle aujourd'hui en France distingue I et U voyelles de J et V semi-voyelles.
  • Un autre style, courant en Italie et dans les pays anglophones. consiste à distinguer U de V mais à n'utiliser que I.
  • Certaines éditions archaïsantes continuent à utiliser ces lettres comme variantes de position. En particulier, V est typiquement utilisé à l'initiale et comme majuscule, et U dans les autres positions.
  • La typographie imitant l'épigraphie n'utilise que I et V majuscules.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Luce Petitjean, Maurice Tournier. Repères pour une histoire des réformes orthographiques. Dans Mots. Les langages du politique, année 1991, n° 28 pp. 108-112. Accès en ligne sur Persée
  2. Luce Petitjean et Maurice Tournier, « Repères pour une histoire des réformes orthographiques », Mots, no 28 « Orthographe et société »,‎ , p. 108-112 (lire en ligne)
  3. Danièle Sallenave, « L’orthographe : histoire d’une longue querelle (3) », sur www.academie-francaise.fr, (consulté le )
  4. Corneille, Œuvres critiques sur fr.wikisource.org. (voir sous [1663]) [lire en ligne (page consultée le 19 octobre 2023)]
  5. Maurice Grevisse, Le bon usage, Paris, Duculot, (réimpr. Douzième édition refondue par André Goosse), xxxviii-1768 p. (ISBN 978-2-801-10588-7), p. 93-94, § 84