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Ford c. Québec (Procureur général)

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Ford c. Québec (Procureur général)

Informations
Titre complet Ford c. Québec (Procureur général)
Références [1988] 2 R.C.S. 712; 54 DLR (4th) 577; 90 NR 84;
Date

Décision

Le droit de s'exprimer dans la langue de son choix est protégé par la liberté d'expression. L'importance de la survie de la langue française ne justifient pas d'obliger l'affichage unilingue français. La mesure est de plus discriminatoire envers un groupe linguistique.

Juges et motifs
Opinion per curiam Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Lamer et Wilson.

Jugement complet

décision sur lexum.org

Ford c. Québec (Procureur général) est un jugement de la Cour suprême du Canada portant sur la constitutionnalité de la Charte de la langue française et sur l'usage de la disposition de dérogation de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour suprême déclare que l'obligation d'affichage en français ne respecte pas la protection de la liberté d'expression prévue à la Charte des droits et libertés de la personne et à la Charte canadienne des droits et libertés.

Résumé

Valerie Ford fait de l’affichage bilingue. Elle allègue une violation de la liberté d’expression en raison des art. 58 et 69 de la loi 101. En raison de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982, la loi 101 déroge alors à la Charte canadienne, la clause dérogatoire (art. 33) dure 5 ans. Mais la loi 101 ne déroge pas de l’art. 3 de la Charte québécoise. Le Québec prétend que les articles 16 à 23 de la Charte canadienne et 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 couvrent déjà les dispositions linguistiques. Mais Ford réclame la liberté dans un contexte non gouvernemental. La Cour suprême dit que l’expression commerciale est protégée. La Cour utilise l’art. 9.1 de la Charte québécoise comme équivalent de l’art. 1 de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour reconnait que le français est vulnérable, donc l’objectif du gouvernement est raisonnable. Il y a un lien rationnel. Mais il n’y a pas d’atteinte minimale, le Québec aurait pu prendre d’autres moyens moins attentatoires pour protéger le français. Donc les art. 58 et 69 de la loi 101 échouent le test Oakes.

Reconnaissance de la liberté d'expression commerciale

Au paragraphe 59 de la décision, la Cour suprême reconnaît pour la première fois la liberté d'expression commerciale [1] , [2]:

« Étant donné que cette Cour a déjà affirmé à plusieurs reprises que les droits et libertés garantis par la Charte canadienne doivent recevoir une interprétation large et libérale, il n'y a aucune raison valable d'exclure l'expression commerciale de la protection de l'al. 2b) de la Charte. Notons que les tribunaux d'instance inférieure ont eu recours au même genre d'interprétation large et généreuse pour faire bénéficier l'expression commerciale de la protection accordée à la liberté d'expression par l'art. 3 de la Charte québécoise. »

Exigences de forme seulement pour la disposition de dérogation

Au paragraphe 32 de la décision, la Cour suprême énonce que l'article 33 de la Charte canadienne a des exigences de forme seulement et qu'il n'y a aucune raison qui justifie un examen au fond de la politique législative qui a donné lieu à l'exercice du pourvoir dérogatoire. [3]

« L'article 33 établit des exigences de forme seulement et il n'y a aucune raison d'y voir la justification d'un examen au fond de la politique législative qui a donné lieu à l'exercice du pouvoir dérogatoire dans un cas donné. L'exigence d'un lien ou d'un rapport apparent entre la loi dérogatoire et les droits ou libertés garantis auxquels on veut déroger semble ouvrir la voie à un examen au fond car il semble exiger que le législateur précise les dispositions de la loi en question qui pourraient par ailleurs porter atteinte à des droits ou à des libertés garantis spécifiés. Ce serait exiger dans ce contexte une justification prima facie suffisante de la décision d'exercer le pouvoir dérogatoire et non pas simplement une certaine expression formelle de cette décision. Rien dans les termes de l'art. 33 ne permet d'y voir une telle exigence »

Théories relatives à la connexité avec l'objectif du législateur

Cette conclusion de l'arrêt Ford selon laquelle l'article 33 de la Charte canadienne en lui-même n'impose que des limites de forme au législateur n'a jamais véritablement été remise en cause. Cependant, dans l'arrêt Hak c. Procureur général du Québec[4], le juge qui a rendu la décision se demande si, face à une utilisation de plus en plus intensive de la clause nonobstant par le législateur québécois au fil des ans, la Cour suprême ne devrait pas éventuellement ajouter un critère de connexité avec l'objectif du législateur lorsque celui-ci décide de suspendre les droits, notamment lorsque les droits suspendus ont un lien très faible avec la loi en question. Ce critère de connexité avec le but de la législation provient du test Oakes de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés et cet article 1 de la Charte n'est pas concerné par la clause nonobstant[5]. Cependant, le juge reconnaît qu'il s'agit d'une question de droit futur (lex ferenda) plutôt que de droit actuel (lex lata)

« [778] À titre d’exemple, le Tribunal ne peut voir comment la suspension du droit au secret professionnel ou à celui du droit à l’avocat, pour ne citer que ceux-là, participe à la réalisation de l’objectif législatif d’affirmation de la laïcité. Avec égard, cette suspension apparaît à la fois exorbitante et inutile. On peut donc raisonnablement soutenir qu’un justiciable devrait pouvoir contester cet usage du législateur de la clause de dérogation dans une loi qui porte sur la laïcité.

[779] Cependant, il n’existe aucune telle demande spécifique en l’instance et, évidemment, dans l’état actuel du droit, cette question relève d’une juridiction supérieure et pourra possiblement faire partie de ce que certains auteurs qualifient de dialogue entre les tribunaux et les législateurs. Pour l’instant, à ce niveau, elle relève de lege ferenda. »

Notes et références

  1. par. 59 de la décision
  2. Beaudoin, Gérald A.. "Affaire Ford (1988)". l'Encyclopédie Canadienne, 13 février 2015, Historica Canada. www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/affaire-ford-1988. Date consulté: 03 janvier 2022.
  3. par. 32 de la décsion
  4. 2021 QCCS 1466
  5. Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art 1, <https://canlii.ca/t/19cq#art1>, consulté le 2021-12-19