Démocrite et les Abdéritains

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Démocrite et les Abdéritains
Image illustrative de l’article Démocrite et les Abdéritains
Gravure de Louis-Simon Lempereur d'après Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint & Saillant, 1755-1759

Auteur Jean de La Fontaine
Pays Drapeau de la France France
Genre Fable
Éditeur Claude Barbin
Lieu de parution Paris
Date de parution 1678
Chronologie

Démocrite et les Abdéritains est la vingt-sixième fable du livre VIII de Jean de La Fontaine situé dans le second recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1678.

Texte de la fable[modifier | modifier le code]

Démocrite et les Abdéritains - Ajulejos - Monastère de Saint-Vincent de Fora (Lisbonne).

Que j’ai toujours haï les pensers du vulgaire[N 1] !
Qu’il me semble profane, injuste, et téméraire ;
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Et mesurant par soi ce qu’il voit en autrui !
Le maître d’Épicure[N 2] en fit l’apprentissage.
Son pays le crut fou : Petits esprits ! mais quo ?
Aucun n’est prophète chez soi.
Ces gens étaient les fous, Démocrite le sage.
L’erreur alla si loin, qu’Abdère[N 3] députa
Vers Hippocrate, et l’invita,
Par lettres et par ambassade,
À venir rétablir la raison du malade.
Notre concitoyen, disaient-ils en pleurant,
Perd l’esprit : la lecture a gâté Démocrite.
Nous l’estimerions plus s’il était ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
Peut-être même ils sont remplis
De Démocrites infinis.
Non content de ce songe il y joint les atomes[N 4],
Enfants d’un cerveau creux, invisibles fantômes ;
Et mesurant les Cieux sans bouger d’ici bas
Il connaît l’Univers et ne se connaît pas.
Un temps fut qu’il savait accorder les débats ;
Maintenant il parle à lui-même.
Venez divin mortel ; sa folie est extrême.
Hippocrate n’eut pas trop de foi pour ces gens :
Cependant il partit : Et voyez, je vous prie,
Quelles rencontres dans la vie
Le sort cause ; Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu’on disait n’avoir raison ni sens
Cherchait dans l’homme et dans la bête
Quel siège a la raison, soit le cœur, soit la tête.
Sous un ombrage épais, assis prés d’un ruisseau,
Les labyrinthes[N 5] d’un cerveau
L’occupaient. Il avait à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s’avancer,
Attaché[N 6] selon sa coutume.
Leur compliment fut court, ainsi qu’on peut penser.
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l’homme et sur l’esprit,
Ils tombèrent sur la morale.
Il n’est pas besoin que j’étale
Tout ce que l’un et l’autre dit.
Le récit précédent suffit
Pour montrer que le peuple est juge récusable.
En quel sens est donc véritable
Ce que j’ai lu dans certain lieu,
Que sa voix est la voix de Dieu[N 7]  ?

— Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine, Démocrite et les Abdéritains, texte établi par Jean-Pierre Collinet, Fables, contes et nouvelles, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 338

Notes[modifier | modifier le code]

  1. La Fontaine imite Horace (Odes, livre III, 1, vers 2) mais en le tempérant : c'est moins le vulgaire qu'il hait, que ses préjugés
  2. Démocrite, dont Épicure, un siècle après lui, développa la doctrine
  3. Petite ville de Thrace, patrie de Démocrite
  4. Les épicuriens expliquent la formation du monde par les rencontres de particules matérielles infiniment petites et indivisibles nommées atomes
  5. circonvolutions
  6. absorbé, tout entier à son occupation
  7. reprise du dit-on populaire "Vox populi, vox dei"

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