Abysse

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La fosse des Mariannes est l'abysse le plus profond connu (11 km).
Une source hydrothermale dans les abysses.

Le terme abysse désigne l'ensemble des zones d'un océan situées en dessous de la thermocline, à partir de 200 mètres ou plus. Comme les caractéristiques environnementales sont partout les mêmes, on parle toujours des abysses au pluriel, du grec ancien ἄϐυσσος (ábyssos) signifiant « sans fond, d'une profondeur immense » (dans les temps anciens, on croyait que l'océan était sans fond). Aussi appelés grands fonds océaniques ou grandes profondeurs, les abysses occupent les deux tiers de la planète terre et représentent le plus grand habitat de la planète.

À 150 mètres de profondeur dans les océans, 99 % de la lumière solaire a été absorbée, puis, au-delà de mille mètres, la nuit est complète, le froid intense et les pressions colossales : ce sont les abysses. Longtemps on y pensa toute vie impossible, pourtant les premiers bathyscaphes y découvrirent, dans les années 1970, un foisonnement de vie au sein d'écosystèmes inconnus, à proximité d'importantes ressources minérales. Aujourd'hui, certaines sources hydrothermales profondes (fumeurs noirs) sont associées à une des principales hypothèses quant à l'origine de la vie sur Terre. Les abysses restent néanmoins très mal connus ; à l’heure actuelle, 95 % des abysses restent inexplorés, les grands fonds sont cartographiés avec bien moins de précision que la Lune et davantage d’hommes sont allés dans l’espace qu'au plus profond des océans[1],[2].

Caractéristiques environnementales

Température

Graphique montrant la thermocline d'un océan tropical. Notez le brusque changement entre 100 et 200 mètres.

Les deux zones de changement le plus brutal de température sont la zone de transition entre les eaux de surface et les eaux profondes (la thermocline ou l'entre deux eaux) et la transition entre les grands fonds marins et l'eau chaude des sources hydrothermales. La thermocline a une épaisseur variant de quelques centaines de mètres à près de mille mètres. En dessous de la thermocline, la masse d'eau des abysses est froide et beaucoup plus homogène. Les thermoclines sont plus fortes dans les régions tropicales, où la température de la zone épipélagique est généralement supérieure à 20 ° C. De la base de la zone épipélagique, la température descend sur plusieurs centaines de mètres à 5 ou 6 ° C à 1 000 mètres. Elle continue ensuite à diminuer, mais à un taux beaucoup plus faible. En dessous de 3000 à 4 000 m, l'eau est isotherme : quelle que soit la profondeur, la température est pratiquement stable pendant de longues périodes. Il n'y a pas de variations saisonnières de température, ni de changement annuel. Aucun autre habitat sur la terre ne possède une température aussi constante. Les cheminées hydrothermales sont le contraste direct avec une température constante. Dans ces systèmes, la température de l'eau en bordure des cheminées peut atteindre 400 ° C (l'ébullition est empêchée par la pression hydrostatique immense), tandis que quelques mètres plus loin, elle peut être de 2 à 4 ° C seulement[3].

Lumière

La lumière est inexistante dans les abysses, à l'exception de la partie supérieure de la zone mésopélagique. La photosynthèse y est donc impossible, excluant toute production primaire d'oxygène. Ainsi, la bioluminescence, produite par les organismes vivants, est la seule source de lumière dans les profondeurs. Face à ce manque de lumière, les organismes doivent compter sur les autres sens plutôt que la vision. Elle peut aussi avoir un effet sélectif sur les habitudes de locomotion des animaux et sur leurs systèmes de propulsion.

Pression

La pression est le plus grand facteur environnemental qui agit sur les organismes des abysses. Tous les 10 mètres de profondeur, la pression de l'eau augmente d'autant que la pression exercée par une colonne d'air (atm) sur la surface de l'océan. Dans la mer profonde, la gamme de pression est de 20 à 1000 atm. L'exposition à la pression joue un grand rôle dans la distribution des organismes d'eau profonde. Jusqu'à récemment, on manquait d'informations détaillées sur les effets directs de la pression sur la plupart des organismes des abysses, parce que presque tous les organismes des grands fonds marins étaient remontés à la surface par chalutage, morts ou mourants. Avec l'avènement des pièges qui intègrent une chambre spéciale de maintien de pression, des animaux métazoaires de plus grande taille ont été remontés de la mer profonde en bon état. Certains d'entre eux ont ainsi pu être maintenus vivants à des fins expérimentales, permettant une meilleure connaissance des effets biologiques de la pression.

Salinité

La salinité a une remarquable constance dans les abysses comme en mer (sauf dans les mers fermées ou semi-fermées comme la mer Méditerranée ou la Baltique). Elle peut néanmoins varier par endroit, a priori sans grand effets écologiques, sauf - rarement et très localement - quand il y a accumulations de saumure dense. Dans ce cas, il semble que la plupart des espèces fuient le milieu [4].

Biologie

Faune abyssale

Une espèce de cténophore typiquement mésopélagique : Bathocyroe fosteri.

La faune abyssale inclut des représentants de presque tous les embranchements d'animaux marins, mais de nombreuses espèces se sont adaptées à la vie abyssale. On les distingue en deux catégories : les animaux benthiques, qui vivent près du fond, et les animaux pélagiques, qui vivent dans la colonne d'eau. Cependant, la plupart des espèces passent leur stade planctonique dans le plancton, dans la zone pélagique.

La plupart des organismes abyssaux pélagiques, allant du zooplancton aux poissons en passant par le necton, vivent aux rythmes du soleil. Chaque nuit ils remontent dans les eaux superficielles pour se nourrir, pour ensuite redescendre au lever du soleil. Cette migration verticale leur garantit une relative sécurité.

Les organismes abyssaux benthiques évoluent de manière plus étroite avec la surface, ils dépendent soit d'un écosystème abyssal (sources hydrothermales, suintements froids...), soit de la matière organiques tombant des zones supérieures (neige marine, carcasse de baleine...).

Physiologie animale

La faune abyssale a développé de nombreuses adaptations physiologiques et comportementales, comme la bioluminescence, une croissance très lente et une maturité sexuelle tardive.

Écosystèmes des profondeurs

Monts sous-marins

Carte des principaux monts sous-marins

Les monts sous-marins sont des montagnes ou d'anciens volcans s'élevant depuis le fond de la mer mais sans atteindre la surface de l'océan. Ils constituent des écosystèmes particuliers, qui abritent une biodiversité marine et une biomasse souvent très supérieure à celle des masses d'eau environnantes.

Monts hydrothermaux

Les monts hydrothermaux sont des évents hydrothermaux situés à proximité des dorsales océaniques. Cet écosystème est basé sur une production primaire assurée par des bactéries chimiosynthétiques qui vivent libres ou en symbiose avec les organismes.

Suintements froids

Les suintements froids désignent, par opposition à l'émission de fluide chaud des sources hydrothermales, des lieux sous-marins d'émanation permanente de sulfure d'hydrogène, de méthane et d'autres hydrocarbures. Ces suintements se produisent au niveau du plancher océanique, ou parfois sur les flancs d'un mont sous-marin. Ils constituent un support pour écosystème basé sur la chimiosynthèse qui s’épanouit autour de la sortie des fluides froids.

Lacs de saumure

Cartographie par la NOAA d'un bassin de saumure dans le Golfe du Mexique.

Découverts dans les années 1980, les lacs de saumure forment des étendues de saumure, plus ou moins vastes, situées sur le fond d'une plaine abyssale océanique. Ils n'abritent pas directement la vie, mais quand ils ont aussi des sources de méthane ou d'autres hydrocarbures, ils sont parfois entourés d'une riche ceinture de moules ou d'autres espèces des grands fonds.

Neige marine

La neige marine a une composition qui inclut : plantes et animaux morts ou mourants (plancton), protistes (diatomées), déchets fécaux, sable, suie et autres poussières inorganiques. Les « flocons de neige » sont des agrégations de plus petites particules liées par un mucus sucré, les particules exopolymériques transparentes. Ces agrégats grossissent avec le temps et peuvent atteindre plusieurs centimètres de diamètre, voyageant plusieurs semaines avant d’atteindre le fond de l’océan.

Carcasse de baleine

Communautés chimiotrophes sur la carcasse d'une baleine grise de 35 tonnes à 1 674 m de profondeur dans le bassin de Santa Cruz.

Lorsqu'elles meurent, la plupart des baleines coulent vers le plancher océanique. C'est l’équivalent de 2 000 ans d’apport en carbone organique qui se concentre sur environ 50  de sédiments. Dans les années 1980, l'exploration sous-marine robotisée a pu confirmer que la décomposition de ces énormes charognes sur la plaine abyssale donne lieu à l'apparition d'écosystèmes pouvant durer une centaine d'années.

Géologie

La géologie des abysses est peu connue à l'heure actuelle.

Exploration des abysses

Alvin (DSV-2), en 1978

Les abysses sont un environnement totalement hostile à l'homme, et représentent l'un des milieux les moins explorés de la planète. À partir de la zone mésopélagique, les pressions sont trop grandes pour les méthodes traditionnelles d'exploration, exigeant des approches alternatives pour la recherche. Les stations caméra, de petits submersibles habités et des ROV (véhicules actionnés à distance) sont trois méthodes utilisées pour explorer les profondeurs de l'océan. En raison de la difficulté et le coût de l'exploration de cette zone, les connaissances actuelles sont très limitées. La pression augmente d'environ une atmosphère tous les 10 mètres, ce qui signifie que certaines zones peuvent atteindre des pressions de plus de 1000 atmosphères. La pression rend non seulement les grandes profondeurs très difficiles à atteindre sans aide mécanique, mais elle rend aussi l'étude des organismes adaptés à ces pressions énormes difficile. En effet, les organismes ramenés à la surface pour y être étudiés sont rapidement tués par la faible pression atmosphérique.

Exploitation

À peine inventoriés, notamment pour la biodiversité qui y est encore presque inconnue, ils font déjà l'objet de nombreux projets et tests d'exploitation de ressources profondes (métallurgiques notamment), ce qui inquiète les experts en biologie marine qui craignent des impacts très négatifs pour la vie fragile qui s'est développée à ces profondeurs. Face aux risques de conflits pour l'exploitation de ces fonds, l'ONU a déclaré les fonds marins patrimoine mondial de l'humanité. Les litiges doivent être réglés par le tribunal international du droit de la mer, basé à Hambourg. En France, le Grenelle de la mer, en juin 2009, a suggéré que parmi les questions émergentes, les grands fonds fassent l'objet d'une étude plus approfondie[2].

Protection

Il n'existe pas d'outils spécifique de protection de l'environnement marin profond (de type aires marines protégées) ni d'outils juridiques ayant été spécifiquement adaptées à la biodiversité marine des grands fonds, encore mal connue. Mais le 15 octobre 2007 a eu lieu, par le gouvernement néozélandais, une première désignation d'« aire benthique protégée » [5] en Nouvelle-Zélande, pour 17 zones “benthic protection areas” (BPAs) qui couvrent au total environ 1,2 million de km2[6] couvrant près d'1/3 de la zone économique exclusive du pays. Cette zone est presque en totalité située à plus de 1 000 m de fond, et a donc été peu chalutée.

Annexes

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Articles connexes

Bibliographie

  • J.R. Vanney, Le mystère des abysses, Paris, Fayard, coll. « Le temps des sciences », , 522 p.
  • Daniel Desbruyères, Les trésors des abysses, Éditions Quae, , 184 p. (ISBN 978-2-7592-0605-6, présentation en ligne)
  • Lucien Laubier, Ténèbres océanes : Le triomphe de la vie dans les abysses, Paris, Buchet/Chastel, , 296 p. (ISBN 9782283022719)
  • Roger Hekinian, Le feu des abysses, , 176 p. (ISBN 978-2-7592-0075-7, présentation en ligne)
  • Daniel R., Dans la nuit des abysses : Au fond des océans, Paris, Gallimard, (ISBN 2-07-053100-7)
  • Sogin M. L, Morrison H. G, Huber J. A, Welch D. M, Huse S. M, et al. (2006) Microbial diversity in the deep sea and the underexplored “rare biosphere”. Proc Natl Acad Sci U S A 103: 12115–12120.
  • (en) Vierros M, Cresswell I, Escobar Briones E, Rice J, Ardron J (2009) Global open oceans and deep seabed (GOODS) biogeographic classification. Paris: UNESCO-IOC. 77 p
  • (en) Clark M. R, Tittensor D, Rogers A. D, Brewin P, Schlacher T, et al. (2006) Seamounts, deep-sea corals and fisheries: vulnerability of deep-sea corals to fishing on seamounts beyond areas of national juridiction. Cambridge, UK: UNEP-WCMC. 80 p.

Liens externes

Notes et références

  1. Claire Nouvian, Abysses, Fayard, (ISBN 978-2-213-62573-7, lire en ligne), p. 122
  2. a et b (en) « Rapport : From sea to shining sea report to the united states senate ; priorities for ocean policy reform », sur jointoceancommission.org, , p. 30-52 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « Rapport » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  3. (en) Marine Biology: An Ecological Approach, Benjamin Cummings, , 136-141 p.
  4. « Extrait du compte rendu Grand-public de l'expédition Lophelia II 2010 (NOAA-OER/BOEMRE) », sur oceanexplorer.noaa.gov, NOAA (consulté le )
  5. Anon (2008) First international deep-sea marine protected area proposed. Oceanography 21: 10.
  6. New Zealand Designates Network of Deep Sea Protected Areas Covering More than One Million Square Kilometers ; International News and Analysis on Marine Protected Areas ; Vol. 9, No. 5 ; November 2007