« Haine de soi juive » : différence entre les versions

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
Vache-crapaud (discuter | contributions)
m →‎Bibliographie : correction date essai lessing
Vache-crapaud (discuter | contributions)
développement goldberg et doppelbauer, et plan
Ligne 3 : Ligne 3 :
La '''haine de soi juive''' ou '''haine du soi juif''' ([[allemand]] : ''jüdischer Selbsthaß'') est le terme utilisé pour décrire une [[Juifs|personne juive]] honteuse de son identité jusqu’à l’[[antisémitisme]] en paroles, en idées ou en actes. Le concept est popularisé par le livre éponyme de [[Theodor Lessing]], ''Der jüdische Selbsthaß''<ref>Paru en 1930, trois ans avant son assassinat par la [[Gestapo]] à [[Marienbad]].</ref> (traduit en français sous le titre « La Haine de soi : ou le refus d'être juif »), où l’auteur entreprend d’analyser les propos d’intellectuels juifs qui, produits en réaction à l’antisémitisme ambiant, tendent à l’attiser plutôt qu’à le combattre. Le terme a été particulièrement utilisé pour dénigrer les opposants au [[sionisme]]{{Référence souhaitée}} mais le concept se rencontre auparavant où divers groupes juifs s’accusent mutuellement de trahir les [[Juifs]] ou le [[judaïsme]].
La '''haine de soi juive''' ou '''haine du soi juif''' ([[allemand]] : ''jüdischer Selbsthaß'') est le terme utilisé pour décrire une [[Juifs|personne juive]] honteuse de son identité jusqu’à l’[[antisémitisme]] en paroles, en idées ou en actes. Le concept est popularisé par le livre éponyme de [[Theodor Lessing]], ''Der jüdische Selbsthaß''<ref>Paru en 1930, trois ans avant son assassinat par la [[Gestapo]] à [[Marienbad]].</ref> (traduit en français sous le titre « La Haine de soi : ou le refus d'être juif »), où l’auteur entreprend d’analyser les propos d’intellectuels juifs qui, produits en réaction à l’antisémitisme ambiant, tendent à l’attiser plutôt qu’à le combattre. Le terme a été particulièrement utilisé pour dénigrer les opposants au [[sionisme]]{{Référence souhaitée}} mais le concept se rencontre auparavant où divers groupes juifs s’accusent mutuellement de trahir les [[Juifs]] ou le [[judaïsme]].


== Description ==
== Histoire intellectuelle ==
En 1930 [[Theodor Lessing]] identifie une « haine de soi » chez certains Juifs, qu'il décrit comme une « souffrance de minorité », et que d'autres décrivent comme un « antisémitisme juif », parfois avec moquerie ou pour faire polémique<ref name="Reitter">{{Ouvrage|titre=On the Origins of Jewish Self-hatred|auteur= Paul Reitter|date=2012}}</ref>{{,}}<ref>{{Ouvrage|titre=La haine de soi: Difficiles identités|auteur=Esther Benbassa, Jean-Christophe Attias|date=2000}}</ref>. Bernard Wasserstein décrit le phénomène comme avant tout relevant d'un antisémitisme juif, qui serait le résultat d'une {{Lien|langue=en|trad=Internalization (sociology)|fr=Internalisation|texte=internalisation}} d'éléments du discours antisémite<ref>{{Ouvrage|titre= "On the Eve," Simon and Schuster|auteur=Bernard Wasserstein|date=2012|passage= 211}}</ref>. [[Peter Gay]], affirme que les Juifs, comme toute minorité, incorpore au moins certains préjugés et stéréotypes de la majorité<ref name="Reitter"/>.
La haine de soi juive a été conceptualisée par des intellectuels juifs au début du {{s|XX}} afin d'expliquer des phénomènes historiques et contemporains{{sfn|Doppelbauer|2011}}. En 1930 [[Theodor Lessing]] identifie une « haine de soi » chez certains Juifs, qu'il décrit comme une « souffrance de minorité », et que d'autres décrivent comme un « antisémitisme juif », parfois avec moquerie ou pour faire polémique<ref name="Reitter">{{Ouvrage|titre=On the Origins of Jewish Self-hatred|auteur= Paul Reitter|date=2012}}</ref>{{,}}<ref>{{Ouvrage|titre=La haine de soi: Difficiles identités|auteur=Esther Benbassa, Jean-Christophe Attias|date=2000}}</ref>.


== Histoire d’un terme ==
== Antisémitisme internalisé ==


Bernard Wasserstein décrit le phénomène comme avant tout relevant d'un antisémitisme juif, qui serait le résultat d'une {{Lien|langue=en|trad=Internalization (sociology)|fr=Internalisation|texte=internalisation}} d'éléments du discours antisémite<ref>{{Ouvrage|titre= "On the Eve," Simon and Schuster|auteur=Bernard Wasserstein|date=2012|passage= 211}}</ref>. [[Peter Gay]], affirme que les Juifs, comme toute minorité, incorpore au moins certains préjugés et stéréotypes de la majorité<ref name="Reitter"/>. Ainsi, selon Sol Goldberg, il n'est pas tout à fait exact de présenter la haine de soi juive comme un {{citation|antisémitisme juif}}, puisqu'il s'agit plutôt de l'écho de représentations extérieures de l'antisémitisme chrétien, l'antisémitisme de gauche ou l'antisémitisme nazi par exemple{{sfn|Goldberg|2021}}.
Le concept ainsi que le terme de ''jüdischer Selbsthaß'' trouvent leurs racines en Allemagne, où elle est l’un des corollaires fréquents de l’[[Juif assimilé|assimilation culturelle des Juifs]] dans cette nation : leur [[Émancipation des Juifs|émancipation]] formelle est complète mais non leur intégration dans une société qui, souvent, les rejette et tire parti des plus infimes détails pour leur rappeler leur différence et les maintenir dans leur infériorité antérieure. Il semblerait que certains Juifs aient voulu lutter contre ces barrières et légitimer leur [[judéité]] en poussant à outrance leur auto-critique entreprise dès les prémices de l’émancipation jusqu’à adopter les codes de l’[[antisémitisme]]<ref>{{Lien web|langue=en |auteur=Paul Ritter |titre=On the Origins of Jewish Self-Hatred (présentation) |site=Princeton University Press |url=http://press.princeton.edu/titles/9682.html |consulté le=17 septembre 2015}}</ref>.

== Fonction rédemptrice ==

Selon Paul Reitter tel que discuté par Sol Goldberg, la haine de soi juive ne s'explique pas uniquement par une internalisation de l'antisémitisme de manière passive, mais correspond aussi à des aspirations par rapport auxquelles la haine de soi joue un rôle positif{{sfn|Goldberg|2021}}. Ainsi, selon Reitter, le concept ainsi que le terme de ''jüdischer Selbsthaß'' trouvent leurs racines en Allemagne, où ils étaient des corollaires fréquents de l’[[Juif assimilé|assimilation culturelle des Juifs]] dans cette nation : leur [[Émancipation des Juifs|émancipation]] formelle était complète mais non leur intégration dans une société qui, souvent, les rejette et tire parti des plus infimes détails pour leur rappeler leur différence et les maintenir dans leur infériorité antérieure. Il semblerait que certains Juifs aient alors voulu lutter contre ces barrières et légitimer leur [[judéité]] en poussant à outrance leur auto-critique entreprise dès les prémices de l’émancipation jusqu’à adopter les codes de l’[[antisémitisme]]<ref>{{Lien web|langue=en |auteur=Paul Reitter |titre=On the Origins of Jewish Self-Hatred (présentation) |site=Princeton University Press |url=http://press.princeton.edu/titles/9682.html |consulté le=17 septembre 2015}}</ref>.

== Comme reproche de trahison ==

Le concept de la haine de soi juive est généralement déconsidéré par les intellectuels du {{s|XXI}} à cause de son utilisation au sein des communautés juives comme une invective servant à dénigrer toute personne juive perçue comme déviante, et notamment les [[Antisionisme juif|gens juifs qui s'opposent au sionisme]] comme [[Judith Butler]], [[Noam Chomsky]] et [[Jacqueline Rose]]{{sfn|Goldberg|2021}}. Cette utilisation du concept revient généralement à accuser les antisionistes juifs d'être eux-mêmes antisémites{{sfn|Doppelbauer|2011}}.


La cible première de ces Juifs critiquant d’autres Juifs aurait été les ''[[Ostjuden]]'', « Juifs de l’Est » (ou ''Pollacks''), porteurs d’une culture radicalement différente et nullement enclins à adopter les mœurs des Gentils<ref>{{Harvsp|Jackson|2001|p=121-122}}</ref> (un affrontement similaire quoiqu’inversé opposait, au sein des ''Westjuden'', juifs réformés et orthodoxes qui voyaient dans les premiers des « Juifs inauthentiques »).
La cible première de ces Juifs critiquant d’autres Juifs aurait été les ''[[Ostjuden]]'', « Juifs de l’Est » (ou ''Pollacks''), porteurs d’une culture radicalement différente et nullement enclins à adopter les mœurs des Gentils<ref>{{Harvsp|Jackson|2001|p=121-122}}</ref> (un affrontement similaire quoiqu’inversé opposait, au sein des ''Westjuden'', juifs réformés et orthodoxes qui voyaient dans les premiers des « Juifs inauthentiques »).
Ligne 25 : Ligne 33 :
* {{ouvrage|langue=en |nom1=Jackson |prénom1=John P, Jr |titre=Social Scientists for Social Justice |sous-titre=Making the Case Against Segregation |éditeur=NYU Press |année=2001 |isbn= 978-0-8147-4266-2 |consulté le=20 septembre 2015}}
* {{ouvrage|langue=en |nom1=Jackson |prénom1=John P, Jr |titre=Social Scientists for Social Justice |sous-titre=Making the Case Against Segregation |éditeur=NYU Press |année=2001 |isbn= 978-0-8147-4266-2 |consulté le=20 septembre 2015}}
* Théodore Lessing, ''La haine de soi. Le refus d'être juif'', essai, [[1930]].
* Théodore Lessing, ''La haine de soi. Le refus d'être juif'', essai, [[1930]].
* {{chapitre| lang=en|publisher = Springer International Publishing| isbn = 978-3-030-51658-1| pages = 147–160| editors = Sol Goldberg, Scott Ury, Kalman Weiser (eds.)| last = Goldberg| first = Sol| titre ouvrage = Key Concepts in the Study of Antisemitism| titre chapitre = Jewish Self-Hatred| location = Cham| series = Palgrave Critical Studies of Antisemitism and Racism| access-date = 2024-01-06| date = 2021| doi = 10.1007/978-3-030-51658-1_12}}
* {{Cite book|lang=en| publisher = Princeton University Press| isbn = 978-0-691-11922-9| last = Reitter| first = Paul| title = On the Origins of Jewish Self-Hatred| access-date = 2024-01-02| date = 2012| url = https://www.jstor.org/stable/j.ctt7t1kg| jstor = j.ctt7t1kg}}
*{{Cite journal|lang=de| doi = 10.24989/0014-2492-2011-34-106| volume = 68| pages = 106–114| last = Doppelbauer| first = Max| title = Selbsthass – eine jüdische Begriffsgeschichte| journal = europa ethnica| date = 2011-01-01}}


{{Portail|judaïsme|littérature|philosophie|politique}}
{{Portail|judaïsme|littérature|philosophie|politique}}

Version du 11 janvier 2024 à 01:26

Couverture de l'édition de 1930 du livre de Theodor Lessing.

La haine de soi juive ou haine du soi juif (allemand : jüdischer Selbsthaß) est le terme utilisé pour décrire une personne juive honteuse de son identité jusqu’à l’antisémitisme en paroles, en idées ou en actes. Le concept est popularisé par le livre éponyme de Theodor Lessing, Der jüdische Selbsthaß[1] (traduit en français sous le titre « La Haine de soi : ou le refus d'être juif »), où l’auteur entreprend d’analyser les propos d’intellectuels juifs qui, produits en réaction à l’antisémitisme ambiant, tendent à l’attiser plutôt qu’à le combattre. Le terme a été particulièrement utilisé pour dénigrer les opposants au sionisme[réf. souhaitée] mais le concept se rencontre auparavant où divers groupes juifs s’accusent mutuellement de trahir les Juifs ou le judaïsme.

Histoire intellectuelle

La haine de soi juive a été conceptualisée par des intellectuels juifs au début du XXe siècle afin d'expliquer des phénomènes historiques et contemporains[2]. En 1930 Theodor Lessing identifie une « haine de soi » chez certains Juifs, qu'il décrit comme une « souffrance de minorité », et que d'autres décrivent comme un « antisémitisme juif », parfois avec moquerie ou pour faire polémique[3],[4].

Antisémitisme internalisé

Bernard Wasserstein décrit le phénomène comme avant tout relevant d'un antisémitisme juif, qui serait le résultat d'une internalisation (en) d'éléments du discours antisémite[5]. Peter Gay, affirme que les Juifs, comme toute minorité, incorpore au moins certains préjugés et stéréotypes de la majorité[3]. Ainsi, selon Sol Goldberg, il n'est pas tout à fait exact de présenter la haine de soi juive comme un « antisémitisme juif », puisqu'il s'agit plutôt de l'écho de représentations extérieures de l'antisémitisme chrétien, l'antisémitisme de gauche ou l'antisémitisme nazi par exemple[6].

Fonction rédemptrice

Selon Paul Reitter tel que discuté par Sol Goldberg, la haine de soi juive ne s'explique pas uniquement par une internalisation de l'antisémitisme de manière passive, mais correspond aussi à des aspirations par rapport auxquelles la haine de soi joue un rôle positif[6]. Ainsi, selon Reitter, le concept ainsi que le terme de jüdischer Selbsthaß trouvent leurs racines en Allemagne, où ils étaient des corollaires fréquents de l’assimilation culturelle des Juifs dans cette nation : leur émancipation formelle était complète mais non leur intégration dans une société qui, souvent, les rejette et tire parti des plus infimes détails pour leur rappeler leur différence et les maintenir dans leur infériorité antérieure. Il semblerait que certains Juifs aient alors voulu lutter contre ces barrières et légitimer leur judéité en poussant à outrance leur auto-critique entreprise dès les prémices de l’émancipation jusqu’à adopter les codes de l’antisémitisme[7].

Comme reproche de trahison

Le concept de la haine de soi juive est généralement déconsidéré par les intellectuels du XXIe siècle à cause de son utilisation au sein des communautés juives comme une invective servant à dénigrer toute personne juive perçue comme déviante, et notamment les gens juifs qui s'opposent au sionisme comme Judith Butler, Noam Chomsky et Jacqueline Rose[6]. Cette utilisation du concept revient généralement à accuser les antisionistes juifs d'être eux-mêmes antisémites[2].

La cible première de ces Juifs critiquant d’autres Juifs aurait été les Ostjuden, « Juifs de l’Est » (ou Pollacks), porteurs d’une culture radicalement différente et nullement enclins à adopter les mœurs des Gentils[8] (un affrontement similaire quoiqu’inversé opposait, au sein des Westjuden, juifs réformés et orthodoxes qui voyaient dans les premiers des « Juifs inauthentiques »).

Notes et références

  1. Paru en 1930, trois ans avant son assassinat par la Gestapo à Marienbad.
  2. a et b Doppelbauer 2011.
  3. a et b Paul Reitter, On the Origins of Jewish Self-hatred,
  4. Esther Benbassa, Jean-Christophe Attias, La haine de soi: Difficiles identités,
  5. Bernard Wasserstein, "On the Eve," Simon and Schuster, , p. 211
  6. a b et c Goldberg 2021.
  7. (en) Paul Reitter, « On the Origins of Jewish Self-Hatred (présentation) », sur Princeton University Press (consulté le )
  8. Jackson 2001, p. 121-122

Annexes

Bibliographie

  • (en) John P, Jr Jackson, Social Scientists for Social Justice : Making the Case Against Segregation, NYU Press, (ISBN 978-0-8147-4266-2)
  • Théodore Lessing, La haine de soi. Le refus d'être juif, essai, 1930.
  • (en) Sol Goldberg, « Jewish Self-Hatred », dans Key Concepts in the Study of Antisemitism, Cham, Springer International Publishing, coll. « Palgrave Critical Studies of Antisemitism and Racism », , 147–160 p. (ISBN 978-3-030-51658-1, DOI 10.1007/978-3-030-51658-1_12)
  • (en) Paul Reitter, On the Origins of Jewish Self-Hatred, Princeton University Press, (ISBN 978-0-691-11922-9, JSTOR j.ctt7t1kg, lire en ligne)
  • (de) Max Doppelbauer, « Selbsthass – eine jüdische Begriffsgeschichte », europa ethnica, vol. 68,‎ , p. 106–114 (DOI 10.24989/0014-2492-2011-34-106)