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Utilisateur:TCY/La Tondue de Chartres

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La Tondue de Chartres est une photo de Robert Capa prise le 16 août 1944 dans une rue de Chartres (Eure-et-Loir) au moment de la libération de la ville[1]. On y voit une jeune femme rasée et marquée au fer rouge sur le front qui serre contre elle un nourrisson. Elle est conspuée par une foule qui l’entoure[1]. Publiée dans le magazine américain Life puis reprise dans de nombreux journaux, cette photo mondialement connue[2] est devenue emblématique de l'épuration sauvage en France à la Libération[1].

Contexte[modifier | modifier le code]

À la Libération de la France et avant que les cours de justice et chambres civiques ne soient créées et installées, Résistants et populations, à la faveur des mouvements de foules où la joie, le désir de vengeance et les règlements de comptes se mêlent, s’en prennent aux Collaborateurs ou ceux considérés comme tels. C'est le début de l'épuration. Les femmes ayant collaboré ou couché avec des Allemands sont arrêtées, tondues et exposées dans la ville.

Robert Capa et Ralph Morse couvrent, comme photographes de presse embarqués au sein de la 7e division blindée américaine, l'avance des troupes alliées en France[1]. C'est cette division qui libère Chartres à partir du 15 août avec des combats se poursuivant jusqu'au 19 août[3].

La scène[modifier | modifier le code]

Alors que la libération de la ville est encore en cours, Capa repère cette jeune femme retenue isolée et que l'on doit regrouper avec d'autres coupables de collaboration[1] dans la cour de la préfecture. Le coiffeur de la prison est appelé pour tondre les onze femmes, dont deux prostituées, regroupées ce jour là[4], accusées d'avoir collaboré ou couché avec des Allemands. La femme remarquée par Capa est la seule à être marquée au fer rouge. Le photographe décide alors de la suivre lorsqu'elle est amenée chez elle dans une marche honteuse à travers les rues de la ville pour qu'elle confie son enfant à sa sœur avant d'être internée à la prison des Lisses[4]. Le cliché est pris rue Collin-d'Harleville[1], non loin de la préfecture (aujourd'hui cette partie de la rue a été renommée place Jean-Moulin, le cliché est pris à hauteur de l'actuel n° 24 (48° 26′ 48,9″ N, 1° 29′ 08,4″ E))[Note 1].

La femme tondue de la photo[modifier | modifier le code]

La femme tondue sur la photo est Simone Touseau, une jeune Chartraine de 23 ans et le bébé qu'elle tient dans les bras est sa fille Catherine, née quelques mois plus tôt de sa relation avec un soldat allemand.

Jeunesse[modifier | modifier le code]

La jeune femme est née en 1921 à Chartres de parents qui tenaient une crèmerie-poissonnerie[5] . Elle reçoit une éducation catholique conservatrice. Ses parents ne sont pas politisés mais antisémites et anti-anglais[5]. Elle fait ses études dans une école catholique, brillante élève, elle réussit son baccalauréat en 1941 à une époque où seulement 5% des filles le passaient[5]. Elle se fait remarquer dès les années 1930 par ses idées fascistes, dessinant des croix gammées sur ses cahiers et disant à ses camarades que « la France avait elle aussi besoin d'un Hitler »[5].

Collaboration[modifier | modifier le code]

Ayant appris l'allemand, elle postule juste après son bac pour un poste de secrétaire-traductrice à la Kommandantur de Chartres où elle est engagée et affectée à la caserne Marceau. Elle y fait rapidement connaissance d'un soldat allemand, Erich Göz, âgé alors de 32 ans[5]. Issu de la bourgeoisie protestante de Künzelsau, une petite ville du Bade-Wurtemberg dans le sud-ouest de l'Allemagne, il a travaillé comme bibliothécaire avant-guerre après des études de sciences humaines[5]. À Chartres, il est en charge de la librairie de l'armée allemande[5]. Selon Gérard Leray[Note 2] qui a enquêté sur la Tondue de Chartres et auprès de la famille d'Erich Göz, celui garde ses distances vis a vis du national-socialisme[5]. Les deux tombent amoureux et entament une relation qu'ils affichent dans les rues de la ville.

Simone Touzeau se lie aussi à cette période avec Ella Amerzin-Meyer, une Suisse alémanique de 10 ans son ainée et qui s'est installée à Chartres suite à son mariage avec Georges Meyer, un pilote français, héros de la Première Guerre mondiale[4]. Celle-ci avait fréquenté les Allemands dès leur arrivée à Chartres et avait divorcé de son mari[4]. Elle leur sert d'interprète et travaille pour Sipo-SD, la police de sureté et de renseignement allemande (dont fait partie la Gestapo), traduisant des interrogatoires de détenus voire y participant[4]. Tombée enceinte, elle propose à Simone de la remplacer pendant son congé maternité, son poste étant mieux rémunéré que celui que Simone occupe à la caserne Marceau[4].

Fin 1942, Göz est muté sur le front de l'Est. Il débute alors, via un camarade resté à Chartres, une correspondance avec Simone[5]. Blessé en 1943, il est hospitalisé à Munich[5]. Simone postule alors au STO, le Service du travail obligatoire, et réussit à se faire envoyer dans cette ville, pour travailler chez BMW[5]. Elle rend alors régulièrement visite à Göz et rencontre même une fois sa famille[5]. Elle tombe enceinte de lui et Erich Göz souhaite alors reconnaitre l'enfant[6] et épouser Simone mais il va se heurter au refus de l'administration allemande[5]. Lorsque sa grossesse devient visible, Simone Touseau est renvoyée en France où son père manque de la tuer pour avoir sali l'honneur de la famille[5]. Erich Göz est lui renvoyé sur le front de l'Est où il meurt en juillet 1944 près de Minsk en Biélorussie[5],[Note 3].

Procès et après guerre[modifier | modifier le code]

Après avoir été arrêtée, tondue et exposée à la vindicte populaire, Simone Touzeau et sa mère Germaine sont incarcérées à la prison des Lisses à Chartres. On les accuse d'avoir dénoncé cinq habitants de leur quartier de la rue de Beauvais où Simone habite avec ses parents[4]. Dans la nuit du 24 au 25 février 1943, le Sipo-SD avait arrêté cinq chefs de famille et les avaient accusés d'être des « ennemis de l’Allemagne » et d'écouter la BBC. Déportés au camp de Mauthausen en Autriche, deux seulement en reviendront[4].

Les deux femmes échappent aux jugements expéditifs des tribunaux locaux (à Chartres, la cour spéciale et la chambre civique ont condamné 162 personnes, dont 7 à mort mais à partir du 15 janvier 1946, les jugements sont rendus à Paris)[4]. Simone Touzeau se défend en accusant son ancienne amie, Ella Amerzin-Meyer, expliquant qu'elle lui avait dit que « Je suis bien contente car je suis débarrassée de ces gens qui ne m’appelleront plus ni espionne ni boche »[4]. Ella Amerzin-Meyer avait fuit Chartres avec les Allemands dès le 15 août 1944[4]. Après une longue instruction, les deux femmes retenues à la prison de la Roquette à Paris sont libérées le 29 novembre 1946 et en 1947 Simone est condamnée à dix ans d'indignité nationale mais le tribunal la dispense de l'interdiction de séjour[4].

La famille Touseau quittent néanmoins Chartres et va s'installer à 40 km de là, à Saint-Arnoult-en-Yvelines. Simone trouve un emploi dans une pharmacie, se marie et a deux autres enfants[5]. Dans les années 50, elle se rend plusieurs fois avec son premier enfant à Künzelsau, voir la famille Göz[5]. Ses visites et son passé finissent par se savoir à Saint-Arnoult. Elle va alors perdre son travail, sa famille se brise et elle sombre dans l'alcool et la dépression[4]. Elle meurt en 1966, à 44 ans[4]. Sa fille Catherine a fait sa vie dans l'ouest de la France, tirant un trait sur ce passé dont elle refusera de parler par la suite. Elle a dit à une rare journaliste à qui elle a accepté de parler avoir détruit les photos et les lettres de correspondance entre sa mère et Erich Göz et avoir tenu ses enfants dans l'ignorance de ce passé[4].

Procès d'Ella Amerzin-Meyer[modifier | modifier le code]

Ella Amerzin-Meyer est elle condamnée à mort par contumace par la Cour de justice de la Seine pour « intelligence avec l’ennemi »[4]. Elle est extradée d'Allemagne et écrouée à la prison de la Roquette à Paris le 27 septembre 1947[4]. Elle est rejugée et condamnée le 29 avril 1950 aux travaux forcés à perpétuité mais le jugement est annulé un mois plus tard[4]. En effet, elle ne pouvait pas être condamnée pour intelligence avec l'ennemi car elle avait pris la nationalité allemande en mai 1944[4]. Elle est relâchée et repart vivre en Allemagne où elle vivra centenaire dans la région de Hanovre[4].

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Philippe Frétigné et Gérard Leray, La Tondue : 1944-1947, Vendémiaire, coll. « Enquêtes », , 3e éd. (1re éd. 2011), 220 p. (ISBN 9782363581204)[Note 4]

Documentaire[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. On reconnait à droite sur la photo le porche caractéristique du 26 de l'actuelle place Jean-Moulin, qui était auparavant partie de la rue Collin-d'Harleville. On aperçoit la préfecture en arrière plan, à droite du drapeau français. Jean Moulin a été préfet d'Eure-et-Loir au début de l'Occupation.
  2. Gérard Leray est un professeur d'histoire-géographie qui va s'intéresser à l'histoire de « la Tondue de Chartres ». Aidé par la suite par un habitant de la ville, Philippe Frétigné, ils réussiront à rassembler de nombreux témoignages et documents d'époque pour retracer la vie de Simone Touseau dont ils feront un livre, La Tondue : 1944-1947, sorti en 2011.
  3. 15 jours après le débarquement de Normandie, les Soviétiques lancent l'opération Bagration sur le front de l'Est pour libérer la Biélorussie et qui va durer jusqu'au 4 août. Cette offensive marque l'effondrement allemand avec la quasi-destruction du groupe d'armées Centre allemand. Erich Göz meurt pendant cette bataille.
  4. Dans le 3e édition de l'ouvrage de Philippe Frétigné et Gérard Leray intègre de nouveaux éléments avec des témoignages de la famille d'Erich Göz qui avait après la première édition contactés les auteurs.

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f et g Philippe-Jean Catinchi, « « La Tondue de Chartres » : une autre histoire derrière l’image », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  2. Marie-Joelle Gros, « “La Tondue de Chartres”, un documentaire réalisé avec des “fausses” archives, et c’est troublant », Télérama,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  3. "La libération de Chartres (Août 1944)." sur le site de la ville de Chartres.
  4. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s et t Guillaume de Morant, « La véritable histoire de la tondue de Chartres », Paris Match,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  5. a b c d e f g h i j k l m n o p et q "Compte-rendu de la conférence « La Tondue 1944-1947 » faite par Gérard Leray à l'Institut franco-allemand (Deutsch-Französisches Institut - DFI)
  6. Chloé Monget, « De nouveaux éléments dans une réédition du livre La Tondue 1944-1946 : l'histoire de Simone Touseau de Chartres », L'Écho républicain,‎ (lire en ligne, consulté le )
  7. La Tondue de Chartres sur film-documentaire.fr

Articles connexes[modifier | modifier le code]