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La Révolte des vignerons de Champagne de 1911 désigne de vastes mouvements de manifestation des vignerons Champenois ayant commencé en 1908 mais dont le paroxysme est atteint en 1911. Cette révolte est le fruit d'un déséquilibre entre les négociants, profitant de l'envol des ventes de Champagne pour élargir géographiquement leurs zones d'approvisionnement en raisins, et les vignerons, victimes des effets conjugués de mauvaises récoltes, de l'attaque du Phylloxéra, de la misère et de la mutation du marché des vins champenois. En effet, les vins du Sud de la France et d'Algérie, alors supérieurs aux vins champenois et plus facilement transportables grâce à l'arrivée du chemin de fer, inondent progressivement la partie nord de la France provoquant alors des méventes chez les vignerons champenois. De plus, les maison de champagne, ayant besoin de plus grosses quantités de vin pour produire leur Champagne, vont s'approvisionner dans d'autres régions viticoles telle que la Touraine entraînant également une mévente chez les vignerons champenois. Témoins de cette "fraude", les vignerons réclament alors une délimitation de la Champagne viticole destinée à réguler le marché de la matière première en assurant une provenance champenoise aux vins utilisés pour l'élaboration du Champagne. Cette démarche provoque alors une période de débats, de manifestations, d'agitation et de mécontentement aggravée par une incompréhension mutuelle entre les vignerons marnais et les vignerons aubois. Après plusieurs tentatives plus ou moins fructueuses, et notamment l'intervention de l'armée, la sortie de crise n'intervient qu'avec la loi de 1927 fixant définitivement l'air géographique de l'appellation Champagne.

Cette révolte a profondément marquée les esprits des populations locales compte tenu des destructions engendrées. Elle a permis la construction d'une inter-profession efficace existant toujours de nos jours ainsi qu'une modernisation progressive de la viticulture champenoise.

Contexte[modifier | modifier le code]

Un essor des maisons de Champagne[modifier | modifier le code]

Dès le milieu du XIXe siècles, les négociants champenois profitent de l'essor industriel mondial en réalisant la majorité des ventes de Champagne à l'export. En effet, elles passent de 4,5 millions en 1840 à 16,5 millions en 1880[1]. Cette hausse de production spectaculaire est permise grâce à un savoir-faire pratique accumulé progressivement depuis des années et des avancés scientifiques et techniques. Ainsi, l'assemblage devient un principe de base, la liqueur de tirage incontournable, le remuage et le dégorgement des opérations indispensables. Des découvertes scientifiques telles que les travaux de Louis Pasteur sur le rôle des levures ou ceux de Jean-Baptiste François qui invente un appareil permettant de mesurer la teneur en sucre du vin avant la seconde fermentation [2] permettent d'améliorer les qualités générales des vins. Enfin, des améliorations techniques permettent de limiter les volumes de casses des bouteilles en raison de la pression et d'augmenter fortement la capacité de production grâce à la mécanisation, l’électrification et l'agrandissement des lieux d'élaboration et de stockage. Les Maisons de Champagne deviennent alors de véritable établissements industriels. Enfin, le chemin de fer permet de faciliter le transport des bouteilles tout en diminuant les temps de voyage. Progressivement, le rayonnement international du Champagne s'améliore en devenant le vin de l'aristocratie et des élites qui sont alors moins nombreux en France.

À la fin des années 1880, le libre-échange est remis en cause et des politiques protectionnistes sont mises en place (barrières douanières dissuasives par exemple) entraînant un affaiblissement des exportations d'une part et une hausse des ventes en France d'autres part. Cette hausse de la consommation française est permise grâce à la bonne santé économique française et au désir des classes aisées françaises d'imiter leurs voisins. Puis, progressivement, la consommation s'étend à une clientèle moins fortunée en raison de la notoriété qu'a accumulée le Champagne. Ainsi, les ventes en France passent de 2,8 millions de cols en 1880 à 15 millions en 1910 représentant dès lors 40% tandis qu'elles stagnent autour des 20 millions entre 1899 et 1913 à l'étranger [3]. Cette demande nationale croissante de la part d'une clientèle plus modeste entraine l'apparition de négociants de taille plus réduite produisant du Champagne à la porté de cette nouvelle clientèle. Cela implique donc une fabrication moins couteuse permise par des récoltes achetées moins cher auprès des vignerons champenois.

Les difficultés structurelles du vignoble champenois[modifier | modifier le code]

Une viticulture très traditionnelle[modifier | modifier le code]

Depuis la Révolution, le vignoble Champenois s'est fragmenté en plusieurs milliers d'exploitations. Elle a en effet permis le démantèlement des grands domaines religieux ou nobiliaires et a ainsi fortement accru le morcellement parcellaire. Pendant des siècles, la conduite de la vigne et les façons culturales évoluent très peu. La vigne est cultivée en foule par les vignerons avec une densité de ceps très élevées (50 000 à 60 000 par hectare) poussant en ordre dispersé. La durée de vie d'un plant dépasse très souvent les 50 ans grâce au marcottage. Ainsi, les couts sont limités car le renouvellement total est quasiment absent. Les vignes en coteaux, le morcellement des parcelles et la plantation en foule empêchent toute mécanisation par un cheval et exigent que tous les travaux soient réalisés à la main. La viticulture demande donc une main-d'œuvre très importante représentant un coût d'exploitation très élevé.

Un vignoble fragilisé[modifier | modifier le code]

Compte tenu de sa localisation septentrionale, le vignoble champenois reste très sensible aux aléas climatiques comme le gel de printemps ou la grêle. L'arrivée de l'oïdium puis du mildiou à partir de 1890 provoque des ravages dans les vignes et entraine de fortes destructions de récoltes certaines années. Enfin, l'apparition du phylloxéra en Champagne dès 1887 ébranle durablement le vignoble. Ainsi, en 1911 plus de la moitié du vignoble marnais est détruit[4]. De même, dès 1895 le département de l'Aube est déclaré phylloxéré : il passe de 20 000 ha de vigne en 1890 à 6 500 ha en 1912[5]. Le seul remède efficace contre ce puceron consiste à arracher et à replanter en utilisant des porte-greffes d'origine américaine et résistant à l'insecte. Mais cette reconstitution est lente et couteuse. Pour faire face à l'apparition de ces nouvelles maladies, les dépenses d'exploitation s'envolent. Il faut acheter des produits phytosanitaires ainsi que des outillages spécialisés ceci conjugué aux frais d'arrachage, de greffage et de replantation. Ainsi, l'effet combiné du phylloxéra, des maladies et des aléas climatiques, provoquent des mauvaises récoltent qui s'accumulent pendant la première décennie du XXe siècle. Dans la Marne, les rendements chutent et passent de 20 hl/ha en 1907 à 10 hl/ha en 1908, puis de 20 hl/ha en 1909 à quasi-rien en 1910. Il en est de même dans l'Aube où les volumes récoltés sont divisés par 6 entre 1901 et 1910[6]. Déterminés par les volumes récoltés, les revenus des vignerons deviennent très instables : l'abondante vendange de 1900 provoque une chute des cours alors que la raréfaction des raisins en 1901 et 1902 n'entraine pas de hausse de prix. Les vignerons champenois s'enfoncent donc dans la misère en ce début de XXe siècle et conjuguée à la dureté du travail beaucoup abandonnent leurs vignes et migrent en ville dans l'espoir d'une vie meilleure.

La concurrence des vins du sud[modifier | modifier le code]

À la fin du XIXe siècle, le vignoble Champenois produit encore deux types de vins : l'un rouge et tranquille et l'autre blanc et effervescent. Malgré l'essor économique des maisons de Champagne, la production de vin rouge reste encore majoritaire jusqu'au dernier tiers du XIXe siècle. Ce vin rouge, très ordinaire, consommé par les classes populaires, est vendu en tonneaux et est envoyé dans les grands centres de consommation notamment la région Parisienne. À partir de 1850, la quantité de vin rouge vendue d'origine champenoise décline. Tout d'abord, une perte de prestige des vins rouges champenois se produit depuis quelques décennies en partie due aux choix douteux faits par les vignerons : les cépages à gros rendement sont privilégiés et de moindre qualité. De plus, la concurrence des vins du sud de la France et de l'Algérie se fait de plus en plus forte. Ils sont vendus moins cher grâce aux rendements plus élevés, à leur position méridionale et donc plus adaptée à l'élaboration de vin rouge de consommation courante, à leurs couts de production moindres et surtout à la baisse des tarifs du transport grâce au chemin de fer. Cette concurrence amorce la chute fatale des vins rouges champenois.

La question de la délimitation[modifier | modifier le code]

Déjà fortement touchés par le phylloxéra et les mauvaises récoltes, les vignerons champenois doivent faire face aux difficultés d'écoulement de leurs vins. Ainsi, les vignes ardennaises et haut-marnaises sont abandonnées, le vignoble aubois et marnais diminue fortement mais les vignerons assurent la vente de leur vendange auprès des maisons de champagne toujours à la recherche de vin nécessaire à la hausse des ventes de Champagne. L'élaboration du champagne exige un cout et des infrastructures hors de portée des vignerons. Cette pratique modifie ainsi le métier du vigneron qui délaisse la vinification pour ne maintenir que l'exploitation des vignes. Devenus livreurs de raisins, les vignerons sont alors totalement dépendants des négociants en situation de monopole, qui fixent le prix de la récolte à leur bon vouloir. Le prix du raisin est au plus bas, attisant le mécontentement des vignerons. Toujours en quête de plus de matière première et à bas prix, les négociants n'hésitent pas à aller s'approvisionner en Touraine ou dans le Midi où les vins sont achetés peu chers. Alors que la grogne monte, l'idée d'une délimitation d'une Champagne viticole destinée à réguler le marché de la matière première et à empêcher la "fraude" émerge. Défendant le fait qu'ils approvisionnent depuis longtemps les maisons de champagne, les vignerons aubois revendiquent l'appartenance à cette Champagne viticole tandis que les vignerons marnais perçoivent l'afflux des vins étranger, notamment de l'Aube, comme une concurrence déloyale et un manque à gagner important.

Déroulement des révoltes[modifier | modifier le code]

L'application du décret de 1908[modifier | modifier le code]

Dès 1903, le Conseil général de la Marne soutenu par différents syndicats viticoles, demande une délimitation. La loi sur la répression des fraudes votée en 1905 donne à la revendication des zones d'appellation un fondements légal et engage le travail de délimitation proprement dit. Cela donne lieu à de nombreux débats juridiques et parlementaires entrecoupés de polémiques et de controverses : les avis divergent et s'opposent sur ce que doit être les limites géographiques de la Champagne viticole. Les négociants, considérant les perspectives économique du marché, sont favorables à une délimitation élargie. En revanche, les vignerons marnais veulent une aire restreinte qui permettrait de revaloriser leurs raisins. La zone axonaise de la Vallée de la Marne invoque la continuité géographique et géologique avec sa voisine marnaise. Quant aux vignerons aubois, ils revendiquent pour leur part leur appartenance historique à l'ancienne province de Champagne, délimitation administrative de l'Ancien Régime ainsi que l'ancienneté de leurs relations avec les maisons de Champagne. Au fond, chacun cherche à défendre ses intérêts et à assurer la vente de ses récoltes.

En juin 1907, une proposition émanant des syndicats viticoles marnais propose une délimitation au département de la Marne tout entier ainsi qu'une extension au canton de Condé-en-Brie dans l'Aisne mais exclue l'Aube. Cette proposition, transmise au Conseil d’État en juin 1907, provoque la colère des vignerons aubois. En mai 1908, une nouvelle proposition émanant de la Commission d'enquête, dont se sont retirés les aubois en signe de protestation, est soumise au Conseil d’État. Le département de la Marne tout entier ainsi que 44 communes de l'arrondissement de Château-Thierry sont inclus dans la délimitation. En revanche, l'Aube, la Haute-Marne et quelques arrondissement autour de Laon et Soissons y sont formellement exclus. Peu de temps après, la loi d'août 1908 officialise les zones d'appellation dont la délimitation exacte de la Champagne est déterminée par le décret du 17 décembre 1908. Il définit les limites de la Champagne viticole à tout le département de la Marne sauf l'arrondissement de Saint-Menehould, les 2/3 de l'arrondissement de Vitry le François, 46 communes de l'arrondissement de Château-Thierry et 36 de l'arrondissement de Soissons. L'appellation s'étend alors sur 15 631 hectares situés à 88% dans la Marne et à 12% dans l'Aisne[7].

Cette première délimitation issue du décret de 1908 qui confirme l'exclusion de l'Aube suscite aigreur et désaccord chez les vignerons Aubois. Pourtant, la colère auboise reste contenue car le décret interdit seulement la fabrication de champagne en dehors de l'appellation définie et n'ayant pas de négociants dans le département, les vignerons restent convaincus qu'ils continueront à vendre leurs vins aux négociants marnais. Néanmoins, les vins étrangers continuent d'arriver dans les gares marnaises. Les vignerons marnais, soutenus par leurs représentants politiques, exigent la mise en place de mesures complémentaires au décret interdisant les approvisionnements non autorisés. Ainsi, un rassemblement, organisé en décembre 1909 à Aÿ, contre les décisions jugées trop lentes, regroupe plus de 1 000 vignerons. Suivi en octobre 1910 par une importante manifestation de 15 000 vignerons à Épernay exaspérés par les récoltes catastrophiques de 1910. Dès lors, une grève de l'impôt est proclamée dans de nombreux villages marnais. Face à la fraude persistante, les premières explosions de colère surviennent contre des négociants frondeurs. Le 8 novembre 1910, une centaine de vignerons de Damery empêchent la livraison de 41 demi-muids de vin provenant de Touraine devant être livrés à une maison de champagne. Les débordements sont contenus de justesse mais dans la nuit, plusieurs fûts sont percés et vidés. Devant l'insistance des vignerons, le sous-préfet ordonne que le vin soit réexpédié[8]. Le 26 décembre 1910, des celliers sont détruits à Hautvillers. Le 17 janvier 1911, les caves d'un négociant frondeur sont mis à sac à Damery. D'autres incidents du même type éclatent encore[9], entrainant à chaque fois tocsin, clairon et tirs de fusées paragrêles. Le 31e régiments de Dragons d’Épernay est alors déployé fin janvier 1911 pour maintenir l'ordre. Ils interdisent l'accès à Épernay et montent la garde devant la gare et différents négociants. Dans l'Aube, une manifestations de 1 500 vignerons à lieu à Bar-sur-Aube le 29 janvier 1911[10]. Elle entérine la création de la Fédération des vignerons de l'Aube sous la houlette de Paul Meunier, et défend l'intégration de l'Aube dans l'air de délimitation. Cédant à la pression des vignerons marnais, le gouvernement adopte le 11 février 1911[11] des mesures complémentaires. Le mot Champagne doit être apposé obligatoirement sur les étiquettes, les bouchons, les emballages et surtout la mention "vin déclaré originaire de la Champagne viticole" doit être apposée sur les titres de circulation. C'est l'exclusion définitive de l'Aube dans l'air de délimitation.

Les révoltes d'avril 1911[modifier | modifier le code]

La riposte auboise[modifier | modifier le code]

Ces mesures complémentaires de 1911, si elles réjouissent les vignerons marnais, signifient pour l'Aube l'interdiction absolue de livrer ses vins aux maisons de champagne marnaises. La riposte des vignerons aubois s'organise : nombreuses manifestations (Fontaine, Polisot, Essoyes, Mussy-sur-Seine, Les Riceys), destructions de feuilles d'impôts et grève de l'impôt, démissions de pas moins de 125 conseils municipaux[12], notamment ceux de Bar-sur-Seine et de Troyes. Les vignerons se battent alors sur deux fronts : d'une part contre les Marnais qui défendent résolument la zone délimitée et d'autre part contre le gouvernement qui entent faire appliquer la loi. Reprochant à Paul Meunier et à la Fédération des vignerons de l'Aube leurs hésitations, Gaston Checq, partisan de la gauche radicale, crée en février 1911 la Ligue de défense des vignerons de l'Aube en fédérant les différents comités locaux. Elle est organisée autour de deux comités centraux basés à Bar-sur-Aube et à Bar-sur Seine. Son combat est consacré à l'inclusion du département de l'Aube dans la Champagne viticole en tirant avantage de la cohésion des différents comités locaux et des vignerons. Gaston Checq donne une dimension politique à cette lutte en opposant le socialisme guesdiste aubois contre le radicalisme de centre droit de la Marne.

Entendant l'appel des vignerons aubois, une commission d'enquête est créée le 9 mars 1911 afin d'étudier les "usages locaux et constants" des ventes de vins aubois à la Marne, les caractéristiques géomorphologiques du terroir aubois et ses modes de cultures. Le 15 mars 1911, le Président du Conseil Ernest Monis assure que "la délimitation est faite et bien faite [et que] il n'y a pas lieux d'apporter un changement quelconque à l'œuvre du Conseil d'État"[13]. Cette déclaration renforce l'ire des aubois et, le 19 mars, Gaston Checq organise une manifestation devant la sous-préfecture de Bar-sur-Aube pendant laquelle des feuilles d’impôt et les effigies du Président du Conseil et de Léon Bourgeois, alors sénateur de la Marne, sont brulées. Les drapeaux rouges sont sortis, des hymnes chantés et le droit à l'insurrection proclamé par la Déclaration des Droits de l'Homme de 1793 est revendiqué. Le 6 avril 1911, la commission de l'Agriculture de la Chambre des députés, suivant le rapport de la commission d'enquête, vote une motion demandant l'intégration de l'Aube dans la délimitation. Malgré tout, le 9 avril, entre 5 000 et 7 000 vignerons venus de tout le département et regroupés en "bataillons de fer" convergent de tous les villages viticoles vers Troyes et manifestent devant la préfecture. Les vignerons portent leur fousseux (binette) redressées en fer de lance, leur musette, et leur baril. On a distribué à chacun un macaron rose avec ces mots : "champenois nous fûmes, champenois nous resterons, et ce sera comme ça !"[14] Au total, près de 20 000 manifestants défilent à Troyes ce jour là[15]. Face à cette agitation, les autorités font déployer plus de 5 000 soldats dans le département pour maintenant l'ordre. Néanmoins, des manifestations plus ou moins calmes se déroulent encore jusqu'au mois de juin.

La colère des vignerons marnais[modifier | modifier le code]

Devant la montée des tensions et la pression auboise, le Sénat et le gouvernement tentent de faire machine arrière. Ainsi, Le gouvernement saisi le Conseil d'Etat "pour examiner le Délimitation de la Champagne"[16]. Puis, le 11 avril 1911, par un vote, le Sénat demande au Gouvernement [de] soumettre le plus tôt possible au Parlement un projet de loi qui assure la répression des fraudes, sans maintenir des délimitations territoriales qui peuvent provoquer des divisions entre Français[17]. Cette décision provoque l'insurrection des vignerons marnais qui voient toutes leurs démarches entreprises depuis 1903 réduites à néant. Le soir même, l'exaspération et le désespoir s'expriment dans la violence notamment à Damery et à Dizy où quelques 1 500 vignerons saccagent la maison De Castellane en détruisant plus de 250 000 bouteilles et tentent de la dynamiter et de l'incendier[18]. Dès le lendemain, à Aÿ, plus de 6 000 vignerons[19] se retrouvent face aux dragons qui montent la garde devant plusieurs maison de champagne. Attaqués de toutes parts, les cavaliers doivent se retirer et ne peuvent empêcher la saccage de plusieurs maisons de négoce et de leurs vignes. Dans le même temps, une colonne de vignerons se dirige vers Épernay, détruisant au passage un établissement à Pierry. Le préfet de la Marne réplique en envoyant l'infanterie, qui, soutenant les Dragons, reprennent la situation en main dans l'après-midi en effectuant des charges sur les manifestants. Les jours suivants, de nombreux pillages, sabotages et incendies de maison de champagne sont encore à déplorer dans les villages aux alentours d’Épernay malgré les quelques 15 000 à 18 000 hommes de troupe qui occupent la région[20].

Conséquences[modifier | modifier le code]

La répression[modifier | modifier le code]

Après les troubles, la répression est ferme. De nombreuses arrestations sont décidées notamment grâce aux films tournés par le directeur du cinéma d’Épernay qui apportent des preuves irréfutables. Finalement, ce sont 121 condamnations prononcées par le tribunal de Reims et 20 par le tribunal d’Épernay. Mais, celles qui ont le plus de retentissement sont les 8 condamnations et les 36 acquittements prononcés par la Cours d'Assises de Douai en octobre 1911. Au bilan, parmi ces cent-quarante-neuf condamnés, il y a soixante-dix vignerons et une quarantaine de personnes de professions différentes[21].

L'Appellation seconde zone[modifier | modifier le code]

Pour ramener le calme, le Conseil d’État promulgue le 7 juin 1911 un décret qui confirme l'interdiction des vignerons aubois de vendre leur vin aux négociants marnais mais qui confère "l'appellation seconde zone" au département de l'Aube (arrondissements de Bar-sur-Seine et Bar-sur-Aube, cantons de Chavanges et de Villenauxe), à l'arrondissement de Wassy en Haute-Marne, à Nanteuil et à Citry dans la Seine-et-Marne et à Sainte-Menehould et à l'arrondissement de Vitry-le-François dans la Marne[22]. Cette appellation péjorative autorise les vignerons de cette zone qui produisent eux-même du Champagne de le vendre mais ils doivent l'étiqueter "Champagne deuxième zone". Humiliés, les vignerons Aubois repartent en campagne avec à leur tête Gaston Checq. Sous la pression, le Sénat demande le 15 juin 1911 au gouvernement de préparer un loi visant à remplacer le principe d'appellation. Le dossier est confié à une commission qui doit étudier les données matérielles, géographiques et historiques de toutes les régions viticoles françaises. L'objectif est de légiférer en concertation pour toutes les régions viticoles et non plus au coup par coup afin que les règles de délimitations soient les mêmes partout. En effet, la révolte champenoise à également mis fin à la délimitation Bordelaise et Bourguignonne. Le processus est lent et les vignerons commencent à s'agiter devant cette lenteur lorsque la Chambre des députés approuve la loi le 27 novembre 1913.[23]. Elle doit recevoir l'aval du Sénat mais l'entrée de la France dans La Première Guerre Mondiale en août 1914 suspend alors les débats.

La fixation définitive de la délimitation[modifier | modifier le code]

Dès la fin de la Guerre, les discussions sur les délimitations reprennent. Tout est remis à plat et la loi votée juste avant la Guerre est supprimée. Le 6 mai 1919, est votée une loi à portée nationale : elle précise les règles des appellations en instaurant le principe de la délimitation judiciaire. Une appellation est donnée par une vigneron ou un syndicat et les éventuels opposants doivent engager des poursuites en montrant qu'il y a tromperie sur l'origine d'un produit. Si aucun recours judiciaire n'a été déposé, l'appellation est acquise au bout d'un an. La loi est régie par l'obligation de déclarer les volumes des récoltes ainsi que les stocks, obligation obtenue dès 1907 par les vignerons languedociens. Ces déclarations nominatives et datées sont publiées au Journal Officiel. Toutefois, si aucune décision judiciaire définitive n'est rendue, le Gouvernement peut, par décret en Conseil d’État, sur la base d'usages locaux, loyaux et constants, délimiter l'aire géographique de production et déterminer les qualités ou caractères d'un produit portant une appellation d'origine[24]. En confiant la mission de délimiter les zones d'appellation aux tribunaux et non plus à l'administration, les pouvoirs publiques tirent les leçons des échecs d'avant Guerre. En Champagne, les vignerons aubois revendiquent leur appartenance à l'appellation en l'inscrivant dans leur déclaration de récolte[25]. Simultanément, les marnais, par l'intermédiaire du Syndicat Général des Vignerons (SGV), ont engagé des poursuites judiciaires contre les vignerons aubois en invoquant les possibles crises de surproductions. La question des qualités substantielles revient à la charge. En effet, la loi se base avant tout sur l'appartenance géographique mais ne fait pas référence aux cépages ou aux procédés d'élaboration comme critères de reconnaissance. Effectivement, nombre de vignerons aubois avaient replanté du Gamay (pour produire du vin rouge) suite aux destructions causées par le phylloxéra, ce que les vignerons marnais désapprouvent. Finalement, sous la pression des négociants et de la Fédération des associations viticoles de France et d'Algérie, qui soulignent la nature dérisoire des débats, un arbitrage est décidé. C'est Édouard Barthe alors député de l’Hérault et président de la Commission des boissons à la Chambre des députés qui est nommé.

Après une analyse approfondie, un compromis est trouvé. Les communes revendiquant l'appellation doivent respecter certaines mesures réclamés par les vignerons Marnais et le SGV : remplacement des Gamays par des Pinots ou Chardonnay suite à une rigoureuse sélection des plants, normes de taille de la vigne et interdiction de la production de mousseux[26]. Sous cette condition, le SGV accepte de se rallier à l'arbitrage. Ainsi, le 3 février 1927, la décision arbitrale tombe en faveur du classements des communes excluent de l'appellation Champagne. Cette décision ouvre la voie à la loi du 22 juillet 1927 permettant la délimitation de tous les vignobles de France en renforçant la notion d'origine géographique et en introduisant des critères de qualité. En outre, elle supprime la loi de 1919 sur l'appellation seconde zone et donne aux syndicats de défense des appellations la possibilité de recours en justice pour défendre leurs droits à cette dénomination contre toute personne soupçonnée d'usurpation. Finalement, ce sont 407 communes qui sont classées dont 272 dans la Marne, 71 dans l'Aube, 58 dans l'Aisne, 5 en Seine et Marne et 2 en Haute-Marne[27]. Puis, dans chaque village est nommée une commission communale chargée d'établir la liste des parcelles aptes à revendiquer l'appellation Champagne selon la loi, en fonction notamment d'un critère d'antériorité (parcelles plantées avant l'invasion du Phylloxéra). Enfin, une commission interdépartementale chargée de statuer sur les différentes réclamations ou corrections pouvant faire suite à des classements abusifs ou oubliés, rend ses travaux d'arbitrage en 1936. Cette décision met donc fin à de nombreuses années de discorde et statue définitivement sur la fixation de l'Appellation Champagne.

La révolte dans la culture et postérité[modifier | modifier le code]

Gaston Couté, un chansonnier des cabarets parisiens, prit fait et cause pour les Champenois et composa quatre chansons, de juin 1910 à avril 1911, soutenant les viticulteurs marnais. Elles furent publiées dans le journal La Guerre Sociale. La première saluait Le beau geste du sous-préfet, la seconde était un Cantique à l'usage des vignerons champenois, la troisième fut intitulée Ces choses-là. Au Vigneron Champenois, enfin la dernière parue le et fut baptisée Nouveau crédo du paysan[28].

À Bar-sur-Aube, la statue de Gaston Cheq atteste toujours de l'importance de cette révolte dans l’histoire régionale afin que les vignobles aubois conservent l'appellation Champagne. Une coopérative de vignerons vinifie toujours une cuvée en son honneur[29].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Expéditions d’aujourd’hui à 1844, sur le site maisons-champagne.com
  2. Jean-Baptiste François, sur le site maisons-champagne.com/
  3. Expéditions d’aujourd’hui à 1844, sur le site maisons-champagne.com
  4. Le phylloxéra et ses conséquences, sur le site maisons-champagne.com
  5. La Champagne face à son Histoire, la Champagne Viticole, p14
  6. La Champagne face à son Histoire, la Champagne Viticole, p16
  7. La Champagne face à son Histoire, la Champagne Viticole, p20
  8. L'agitation en Champagne, La Champagne Viticole N°22, novembre 1910
  9. 100 ans d'Unité Syndicale, 1904-2004, Yves Chauvé, p58, Editions SGV
  10. La Champagne face à son Histoire, la Champagne Viticole, p20
  11. Déclaration du Conseil Fédéral de la Fédération des syndicats de la Champagne Viticole, La Champagne Viticole N°28, mai 1911
  12. La Révolution Vigneronne, sur le site maisons-champagne.com/
  13. 1911 en Champagne, Chronique d'une Révolution, Dominique Fradet, Editions Fradet
  14. Jean Pierre PROCUREUR, Le Champagne à la Belle Epoque. Bruxelles, 1974.
  15. La révolte des vignerons, sur le site www.ville-troyes.fr
  16. Déclaration du Conseil Fédéral de la Fédération des syndicats de la Champagne Viticole, La Champagne Viticole N°28, mai 1911
  17. Journal officiel de la République Française, compte rendu du Sénat, p424, sur le site gallica.bnf.fr/
  18. Le Petit Journal, numéro du 12/04/1911, sur le site gallica.bnf.fr/
  19. Historique du village d'Aÿ, sur le site de www.ay-champagne.fr/
  20. Le Petit Journal, numéro du 13/04/1911, sur le site gallica.bnf.fr/
  21. Chronique des Tribunaux, La Champagne Viticole N°34, novembre 1911
  22. La Révolution Vigneronne, sur le site maisons-champagne.com/
  23. 100 ans d'Unité Syndicale, 1904-2004, Yves Chauvé, p62, Editions SGV
  24. Loi du 6 mai 1919 relative à la protection des appellations d'origine, Article 7-1 sur le site legifrance.gouv.fr
  25. L'entre-deux-guerres, sur le site maisons-champagne.com
  26. La consécration de l’appellation Champagne, La délimitation, sur le site du CIVC
  27. La définition et la législation de l’appellation, chapitre 3 sur le site maisons-champagne.com
  28. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nommées Vin pol et soc
  29. champagne-gaston-cheq.com/

Articles connexes[modifier | modifier le code]


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