Sengwer (peuple)

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Le peuple Sengwer (ou Cherang'any et anciennement Sekker, Siger, Sigerai, Segelai, Senguer, Senguel et Jangwel[1] ) est une communauté autochtone qui vit principalement dans la forêt Embobut des hauts plateaux de l'ouest du Kenya[2] et dans des zones dispersées des régions de Trans Nzoia, West Pokot et Elgeyo-Marakwet[3]. Parfois décrits comme une composante du peuple Marakwet, les Sengwer constituent en fait un groupe ethnique autonome et distinct[4],[5].

Le peuple Sengwer est aux débuts du XXIe siècle une communauté marginalisée qui fait face à d’importantes menaces pour son identité et ses terres ancestrales[6]. D'importantes organisations internationales de défense des droits de l'homme, telles que les Nations Unies[7], Amnesty International[8] et la Commission des droits de l'homme du Kenya, reconnaissent les Sengwer comme un peuple autochtone dont les revendications sur la région remontent à plusieurs siècles, et ont exprimé à plusieurs reprises leurs inquiétudes quant aux violations des droits de l'homme auxquelles ils sont soumis.[9] :31–33[10] :3,32–33,60–61[11]

Histoire[modifier | modifier le code]

Avant le XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Étymologie[modifier | modifier le code]

À la suite de son expédition à Juba, MacDonald (1899) a relevé l'existence du peuple « Senguer » qui « habitait auparavant sur le plateau d'Uasin Gishu », assumant que que les phonèmes « l » et « r » sont interchangeables, le « Senguer » de l'expédition de Juba serait identique à "Jangwel", un terme qui, selon MC Hobley, était appliqué par les Nandi pour désigner leur tribu"[12].

Dans les récits répertoriés de l’ère coloniale au Kenya, le peuple aujourd’hui connu sous le nom de Sengwer se désignait déjà ainsi.

« ...Jadis les Cherangany était un peuple puissant appellé Sengwer... »

— Chef Sengwer Arap Kamussein à la ferme d'A.C.Hoey le 2 octobre 1932

Dans sa plus grande portion, le territoire Sengwer englobait les parties nord d'Uasin Gishu, ainsi que des parties d'Elgeyo-Marakwet, du comté de Trans Nzoia et une partie sud de West Pokot ;

« ...Commences from Kiporoom River in Uasin Gishu District. It extends along the Kapsumbeywet River through Ziwa (Sirikwa) centre, Moiben Posta and Kose hills in Uasin Gishu. From Kose Hills, it goes down to join Moiben River. The boundary goes up river Moiben to the confluence of Ko’ngipsebe and Kimowo streams. It turns eastwards to cover areas of Maron sub-location in the Emboput location in Marakwet District. Turning to the west it then goes to Kamolokon along Marakwet/West Pokot and Marakwet boundary. From here it drops to Sebit, Somor, then to Kongelai and up along Swom River. From Swom River to the confluence of Swom and Cheptenden River. From Cheptenden River to the confluence of Cheptenden River and Moiben River where these two rivers confluence with Kiboorom. »

— Sengwer chief Arap Kamussein before the Kenya Land Commission on 2nd October 1932

Mode de vie[modifier | modifier le code]

Avant le XIXe siècle, les Sengwer élevaient un type particulier de bovins noirs à longues cornes, que Lamphear (1994) pensait être un croisement issu du rameau Sanga.

Dans cette période, l'organisation sociale des Sengwer semble avoir reposé sur des clans. L'un de ces « clans » était connu sous le nom de Kacepkai; ces derniers, exilés lors de l'invasion Turkana de Moru Assiger, aurait pris le rôle social de devins dans les communautés de certains peuples de la région du Mont Elgon.[13]:96[14]

Il est attribué aux Sengwer de grandes capacités mystiques, la divination a joué un rôle important dans leur culturedont sont issues des lignées de devins Meturona parmi les Turkana, les devins Kachepkai des Pokot et les devins Talai des Uas Nkishu Maasai, les Nandi et les Kipsigis .[13] :96[14]

Un élément remarquable et distinctif de la culture Sengwer est une parure d'un seul cauri attaché aux tresses frontales des femmes Sengwer, une coiffure que l'on retrouve également chez les Oropom, leurs voisins à l'ouest et au nord-ouest. Cette coquille de cauri pendante était appelée "esigirait", au pluriel "ngisigira" et il est supposé que la dénomination de Sengwer puisse découler de ce terme[réf. nécessaire].

XIXe siècle[modifier | modifier le code]

Vers la fin du XVIIIe siècle, la zone de vie des Sengwr fut affectée par une sécheresse que le folklore a désigné sous le nom d'Aoyate - la longue période de sécheresse. Il semble que les facteurs qui ont abouti à la famine se sont combinés pour décimer l’identité Sengwer.

Le bétail à longues cornes que possédaient les Sengwer a été dévasté par la sécheresse d'Aoyate, entraînant la désintégration de la communauté. De nombreux réfugiés de famine qui tentaient de se déplacer vers l'est ont péri d'inanition près de Moru Eris, certains ont trouvé refuge chez les Dassanetch, les Pokot et les Karimojong .[13]:91

La tradition maasaï rapporterait que les Chemngal auraient été attaqués par une alliance des communautés Uasin Gishu et Siria Loikop[15].

À l'est, une rivalité se développait également avec les Loikop (également connus sous le nom de « Kor »), une alliance de langue maa qui vivait en étroite association avec divers peuples de langue couchitique. Comme les Turkana, les Kor élevaient des zébus plus robustes, ce qui leur permettait de bien mieux résister aux sécheresses que les Sengwer.

Au sud, d'autres réfugiés fuyaient les raids des Turkana vers le sud dans l'Uasin Gishu où ils étaient connus sous le nom de Kakesira, peut-être les Massaï Losegelai (Siger = Sigerai = Segelai) de la fin du XIXe et du début du XXe siècle[13]:91.

Un petit nombre de Sengwer se sont réfugiés dans les forêts et dans de petites enclaves, au sein de la société Marakwet émergente, où ils ont pu conserver des éléments de leur identité.

« ...Nous fûmes dépouillés de notre bétail par les Karamojong and ensuite les Maasai se moquaient de nous parceque nous n'avions pas de bétail, et nous appelaient Cherangany... »

— District Commissioner Elgeiyo/Marakwet, Tambach, rapport daté du 11 octobre 1927

XXe siècle[modifier | modifier le code]

Au début du XXe siècle,

« ...the Sengwer (Cherangany) [were] a minority, unrecognized, marginalised, oppressed and discriminated against hunter-gatherer indigenous group... »

— Assistant District Commissioner, Marakwet, letter to the Provincial Commissioner, Naivasha on 1st October 1918[3]

Histoire récente[modifier | modifier le code]

Les Sengwer sont une communauté encore marginalisée aujourd’hui, confrontée à des menaces distinctes et importantes à la fois pour son identité et pour ses terres ancestrales[6].

En 1980, la pression de la croissance démographique des communautés forestières du Kenya, dont les Sengwer, s'est confrontée aux efforts du gouvernement de contrôler les forêts. Depuis, des tentatives d’expulsion répétées ont été menées[16],[17].

Le 16 janvier 2018, deux éleveur Sengwer, non armés, Robert Kirotich et David Kipkosgei Kiptilkesi, subirent les coups de feu d'agents du Service forestier du Kenya, le premier tomba sous leurs balles et le second en sortit blessé. Les hommes Sengwer gardaient leur bétail et n’étaient pas armés. Le 17 janvier 2018, l'Union européenne a suspendu son soutien financier au programme de protection des châteaux d'eau et d'atténuation et d'adaptation au changement climatique (WATER) du gouvernement kenyan, en raison des violations continues des droits humains des peuples autochtones dans les zones de conservation[18],[19],[20],[21].

Un tribunal d'Eldoret a enjoint le gouvernement Kenyan, le 22 janvier 2018, à mettre fin aux expulsions jusqu'à l'audience de la communauté Sengwer le 27 février 2018[2].

En octobre 2018, les Sengwar préparaient une pétition internationale pour la soumettre à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples à Arusha, en Tanzanie[22].

Milka Chepkorir, anthropologue membre du peuple Sengwer, a documenté de nombreux témoignages sur les effets de l'expulsion du peuple Sengwer, elle l'explique dans une interview [23]:

Les expulsions affectent les enfants dès leur plus jeune âge, notamment pour les filles qui peinent à obtenir l'éducation qui les aiderait à s'émanciper et reconnaître leurs droits légaux et à développer des moyens économiques alternatifs pour subvenir aux besoins de leur famille. Les expulsions des Sengwer affectent non seulement les femmes, mais aussi les jeunes filles, les rendant plus suceptibles d'être victimes de violences et abus et les exposant à des situations où elles sont plus vulnérables, comme contracter un mariage précoce, le plus souvent avec des hommes plus âgés, compromettant ainsi leur enfance, et leurs droits comme l'éducation, le jeu, la santé reproductive

Les expulsions se sont prolongées jusqu’en 2020, y compris durant pandémie de COVID-19. Le Service forestier du Kenya a, pour justifier ces expulsions, invoqué la protection et la conservation des forêts pour procéder aux expulsions[24]. Le peuple Sengwer en revanche maintient que sa tradition est de conserver la forêt depuis longtemps[25].

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) MacDonald, « Notes on the Ethnology of Tribes Met with During Progress of the Juba Expedition of 1897-99 », The Journal of the Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, vol. 29, nos 3/4,‎ , p. 240 (DOI 10.2307/2843005, JSTOR 2843005, lire en ligne)
  2. a et b (en) Lang, « Threats of eviction against indigenous Sengwer people continue in Kenya », REDD-Monitor, (consulté le )
  3. a et b (en) « Who are we? », SENGWER ETHNIC MINORITY INDIGENOUS PEOPLES (consulté le )
  4. (en) FAMILIES TORN APART FORCED EVICTION OF INDIGENOUS PEOPLE IN EMBOBUT FOREST, KENYA, London, Amnesty International, (lire en ligne)
  5. (en) Lynch, « What's in a name? The politics of naming ethnic groups in Kenya's Cherangany Hills », Journal of Eastern African Studies, vol. 10, no 1,‎ , p. 208–227 (DOI 10.1080/17531055.2016.1141564)
  6. a et b (en) Muraya, Joseph, « Forest is our ancestral land, Sengwer community say resisting eviction », Capital News,‎ (Muraya, Joseph (January 4, 2018). "Forest is our ancestral land, Sengwer community say resisting eviction". Capital News. Retrieved 21 January 2019. Accès libre)
  7. « Kenya / Embobut Forest: UN rights expert calls for the protection of indigenous people facing eviction GENEVA », United Nations Human Rights Office of the High Commissioner, (consulté le )
  8. (en) « Kenya: Sengwer evictions from Embobut Forest flawed and illegal », Amnesty International,‎ (lire en ligne)
  9. DAYS IN THE COLD: KHRC's Report into the Embobut Forest Evictions, Nairobi, Kenya, Kenya Human Rights Commission, (lire en ligne)
  10. Kenya National Commission on Human Rights, A N INTERIM REPORT OF THE HIGH - LEVEL INDEPENDENT FACT - FINDING MISSION TO EMBOBUT FOREST IN ELGEYO MARAKWET COUNTY A KNCHR REPORT, Nairobi, KENYA NATIONAL COMMISSION ON HUMAN RIGHT S (KNCHR), (lire en ligne)
  11. (en) John Vidal, « Kenyan families flee Embobut forest to avoid forced evictions by police », The Guardian,‎ (lire en ligne)
  12. MacDonald, « Notes on the Ethnology of Tribes Met with During Progress of the Juba Expedition of 1897-99 », The Journal of the Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, vol. 29, nos 3/4,‎ , p. 240 (DOI 10.2307/2843005, JSTOR 2843005, lire en ligne)
  13. a b c et d T. Spear et R. Waller, Being Maasai : ethnicity & identity in East Africa, London, James Currey, (ISBN 0852552165)
  14. a et b Lamphear, « The People of the Grey Bull: The Origin and Expansion of the Turkana », The Journal of African History, vol. 29, no 1,‎ , p. 34 (DOI 10.1017/S0021853700035970, JSTOR 182237, S2CID 162844531)
  15. Christian Jennings, Scatterlings of East Africa: Revisions of Parakuyo Identity and History, c. 1830-1926 (thèse), The University of Texas at Austin, , « 1 », p. 98
  16. Tom Mwiraria, « Embobut Forest: The only home the Sengwer know », Daily Nation,‎ (lire en ligne)
  17. Michael W. Hudson, « 08:00 am ET In A Kenyan Forest, A World Bank-Backed Project Threatens A Way Of Life », Huffington Post,‎ (lire en ligne)
  18. « EU suspends its support for Water Towers in view of reported human rights abuses », Delegation of the European Union to Kenya,‎ (lire en ligne)
  19. Nancy Agutu, « EU suspends Sh3.6 billion water project over Sengwer rights abuses », Just Conservation,‎ (lire en ligne)
  20. Stephen Ruto, « Outrage after KFS wardens kill Sengwer herder in Embobut forest », The Star Kenya,‎ (lire en ligne)
  21. Jakub Mejer, « Kenya is Violently Evicting an Indigenous Tribe in the Name of Water Conservation », Earth Island Journal,‎ (lire en ligne)
  22. Anthony Langat, « The Sengwer have a plan to protect the Embobut Forest—and their way of life », Intercontinental Cry!,‎ (lire en ligne)
  23. (en-GB) Masudi, « Kenya: 'There has been no life for us since we were moved out of the forest.' », Minority Rights Group, (consulté le )
  24. (en) Nita Bhalla, « Kenya's forest communities face eviction from ancestral lands - even during pandemic », Reuters,‎ (lire en ligne, consulté le )
  25. (en) Langat, « The traditions that could save a nation's forests », www.bbc.com, (consulté le )