R. c. Jordan

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L'arrêt Jordan est une décision prononcée par la Cour suprême du Canada le pour fixer le délai maximal qui peut s'écouler entre le dépôt d'une accusation et la tenue d'un procès.

Les faits[modifier | modifier le code]

L'arrêt est nommé d'après Barrett Richard Jordan, inculpé en , déclaré coupable en mais acquitté en raison des délais de 49 mois nécessaires à son jugement.

Jugement de la Cour suprême[modifier | modifier le code]

La plupart des juges de la Cour suprême ont considéré que cet arrêt, outre le respect des droits constitutionnels, devait aussi être vu comme un moyen de forcer l'administration publique à en faire plus pour éradiquer ce qu'ils ont qualifié de « culture des délais » (c'est-à-dire où les procédures inefficaces, les ajournements inutiles et le manque de ressources matérielles et humaines sont considérés comme normaux)[1].

Rendu sur la base de l'article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés, cet arrêt, invocable par une « requête en arrêt des procédures », a pour but de garantir à tout inculpé de subir un procès dans un délai raisonnable. L'arrêt établit que le plafond maximal est de 18 mois en cour provinciale et de 30 mois pour les tribunaux supérieurs, à moins de circonstances exceptionnelles.

Un accusé ne peut toutefois pas ralentir le processus judiciaire à son avantage, car les délais exclusivement attribuables à la défense (report injustifié d'audience, efforts insuffisants de l'avocat pour s'accorder au calendrier de la cour etc.) sont soustraits du calcul de ces délais maximaux. Les circonstances exceptionnelles pouvant également être soustraites des délais maximaux, dont il incombe à la Couronne d'en faire la démonstration, incluent des événements imprévisibles et distincts du procès tel la maladie, ou encore lorsque des preuves ou questions juridiques soulevées sont de nature complexe et demandent plus de temps d'analyse que ce qui est habituel[2].

Jugement dissident[modifier | modifier le code]

Quatre des neuf juges ont rendu un jugement dissident, dont la juge en chef Beverley McLachlin et le futur juge en chef Richard Wagner. Ces juges craignaient de revivre les excès de l'arrêt R. c. Askov[3] en Ontario 1990-1991 lorsque 46 000 dossiers ont connu un arrêt de procédures. Ils estimaient aussi qu'il appartenait au législateur plutôt qu'aux tribunaux d'établir un plafond numérique[4].

Conséquences[modifier | modifier le code]

Cet arrêt a provoqué l'abandon de centaines de procès criminels au Canada et au Québec en raison de délais juridiquement présumés déraisonnables. Un an après qu'il a été prononcé, l'on observe que l'arrêt Jordan a provoqué une accélération des procédures liées aux procès criminels, qui s'est effectué en partie aux dépens des délais en droit familial[5].

Arrêts de la Cour suprême découlant de la décision Jordan[modifier | modifier le code]

R. c. Cody[modifier | modifier le code]

Dans l'arrêt R. c. Cody[6], la Cour suprême a réaffirmé et clarifié la règle de l'arrêt Jordan.

R. c. K.G.K.[modifier | modifier le code]

Dans l'arrêt R. c. K.G.K.[7], la Cour suprême exclut les délais de délibération en vue du verdict du calcul des délais.

R. c. Thanabalasingham[modifier | modifier le code]

L'arrêt Jordan a provoqué l'annulation de cas fortement médiatisés. L'un des cas les plus connus est celui de Sivaloganathan Thanabalasingham, accusé d'avoir égorgé sa femme Anuja Baskaran. Après avoir passé près de 5 ans derrière les barreaux sans être jugé[8], l'accusé est libéré sans procès le [9], avant d'être déporté au Sri Lanka le .

Autres arrêts de procédures médiatisés découlant de la décision Jordan[modifier | modifier le code]

Affaire Nathalie Normandeau[modifier | modifier le code]

Les procédures contre la ministre Nathalie Normandeau et de ses coaccusés ont été suspendues en raison de l'arrêt Jordan[10].

Affaire Tony Accurso[modifier | modifier le code]

L'arrêt Jordan a conduit à l'arrêt des procédures dans l'affaire Tony Accurso[11].

Affaire Paolo Catania[modifier | modifier le code]

Dans l'affaire Paolo Catania, la règle des délais déraisonnables de l'arrêt Jordan a fait tomber 1 000 accusations de fraude fiscale[12].

Affaire Ryan Wolfson[modifier | modifier le code]

Dans l'affaire Ryan Wolfson, un arrêt des procédures a mis fin à un procès pour tentative de meurtre en raison de la règle des délais déraisonnables de l'arrêt Jordan[13].

Possibilité théorique de contournement de l'arrêt Jordan par le Parlement canadien[modifier | modifier le code]

En théorie, le Parlement du Canada peut en principe adopter une loi qui invoque la disposition de dérogation de la Charte canadienne[14] qui lève les effets de l'arrêt Jordan.

Selon le professeur Guillaume Rousseau, « la seule limite qu’a posée la Cour suprême, c’est que cette disposition-là ne peut pas être utilisée de manière rétroactive, mais elle peut tout à fait être utilisée de manière préventive », en faisant référence à l’arrêt Ford c. Québec (1988)[15]. Donc l'arrêt Jordan pourrait être levé pour des dossiers futurs, mais pas des dossiers passés. Cette question est distincte du fait que les lois pénales rétroactives sont en principe possibles aux termes de la souveraineté parlementaire lorsque le législateur s'exprime clairement[16].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Pierre Trudel, « Le droit d’être jugé dans un « délai raisonnable » », sur Le Journal de Montréal, (consulté le )
  2. « La Cour suprême établit un nouveau plafond présumé de 18 mois entre le dépôt des accusations et la conclusion du procès pour les infractions en vertu des lois sur la santé et la sécurité au travail », sur Norton Rose Fulbright (consulté le )
  3. [1990] 2 RCS 1199
  4. Radio-Canada. 25 mars 2022. Alain Gravel. Documentaire Arrêt Jordan : la cicatrice. En ligne. Page consultée le 2022-03-26
  5. Pineda, Améli, « Un an après l'arrêt Jordan: les procès criminels prennent de la vitesse », Montréal, Le Devoir, 5 juillet 2017, p. A1 et A8.
  6. [2017] 1 RCS 659
  7. 2020 CSC 7
  8. Pineda, Améli, « Arrêt Jordan - L'arrêt des procédures était justifié, rétorque l'avocate de Thanabalasingham », Le Devoir, 16 août 2017 - 490 mots, p. A4.
  9. Pineda, Améli, « Arrêt Jordan: un autre accusé de meurtre échappe à son procès », Le Devoir, 22 avril 2017, p. A3
  10. Pas de procès pour Nathalie Normandeau Le Journal de Québec. 26 septembre 2020 . « Pas de procès pour Nathalie Normandeau ». En ligne. Page consultée le 2022-03-26
  11. Arrêt des procédures contre l'ancien magnat de la construction Tony Accurso
  12. La Presse. 2 août 2019. « L’arrêt Jordan fait tomber 1000 accusations de fraude fiscale ». EN ligne. Page consultée le 2022-03-27
  13. « Arrêt Jordan: «Il n'y a pas de justice», dit un ex-hockeyeur victime d'une tentative de meurtre », sur La Presse, (consulté le ).
  14. Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art 33, <https://canlii.ca/t/19cq#art33>, consulté le 2022-03-26
  15. Radio-Canada. 6 juin 2022. « Loi 21 : la Cour d’appel du Québec laissera passer les élections ». En ligne. Page consultée le 2022-06-08
  16. Gagnon c. R, [1971] C.A. 454

Lien externe[modifier | modifier le code]