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Haruki Murakami – Réalité et apparence

Une fois sorti de l'école, Tengo leva la tête et observa de nouveau le ciel clair du point du jour puis il se hâta vers Ia gare de Yoyogi. pendant ce temps les paroles d'Ushikawa se répétaient dans sa tête comme une cassette qui se rembobinait automatiquement.

Ce que je veux vous dire, voyez-vous, c'est que, rester dans l'ignorance, dans ce monde, ça a du bon. Cela vaut, je crois, pour ce qui concerne votre mère, par exemple. connaître la vérité vous blesserait. Dès que vous sauriez la vérité, inévitablement, vous vous sentiriez responsable.

Et quelque part les Little people hurlaient. Sans doute avaient-ils un lien avec les phénomènes anormaux qui allaient advenir. Le ciel est maintenant clair et beau mais les choses ne se comprennent pas avec la seule apparence. Il est possible que gronde le tonnerre, que tombe la pluie, que les trains s’arrêtent. Il faut que ie rentre chez moi très vite. La voix de Fukaéri était étrangement convaincante.

« Nous devons unir nos forces », avait-elle dit.

Un long bras allait s'allonger vers nous.Nous devons unir nos forces. Et nous serons le duo le plus puissant du monde.

The beat goes on.

Haruki Murakami1Q84 Livre 2  p. 238 (Japon, 2009 – trad. fr. éd. Belfond, 2011)

s:décembre 2012 Invitation 1

Georges Feydeau – Dans le grand monde

Étienne (le valet de chambre) : « Oh ! mais je bâille à me décrocher la mâchoire ; ça vient peut-être de l’estomac… Je demanderai cela à monsieur. Ah ! voilà l’agrément d’être au service d’un médecin !… on a toujours un médecin à son service… et pour moi qui suis d’un tempérament maladif… nervoso-lymphatique, comme dit monsieur. Oui, je suis très bien ici. J’y étais encore mieux autrefois, il y a six mois… avant le mariage de monsieur. Mais il ne faut pas me plaindre, madame est charmante !… et étant donné qu’il en fallait une, c’était bien la femme qui nous convenait… à monsieur et à moi !… Allons, il est temps de réveiller monsieur. Quelle drôle de chose encore que celle-là !… la chambre de monsieur est ici et celle de madame, là. On se demande vraiment pourquoi on se marie ?… Enfin il paraît que ça se fait dans le grand monde. »

Georges Feydeau (8/12/1862-5/06/1921) - Tailleur pour dames (1886) (acte I, scène 1)

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s:décembre 2012 Invitation 2


Louis Aragon - Strophes pour se souvenir (1955)

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.
Louis Aragon ( 03/10/1897-24/12/1982) - Le Roman inachevé (éd. Gallimard 1956)

s:décembre 2012 Invitation 3

Peter Handke – Réglements

J’ai appris qu’il y avait des règlements pour la conduite et pour la pensée. J’ai appris qu’il y avait des règlements pour l’intérieur et pour le dehors. Des règlements pour les choses et pour les hommes. Des règlements généraux et particuliers. Des règlements pour ici-bas et pour la vie éternelle. Des règlements pour l’air, l’eau, le feu, la terre. J’ai appris les règlements et les dérogations. Les règles fondamentales et les règles dérivées. J’ai appris a me plier aux règlements. Je suis devenu un animal social.

Je suis marqué par tous les règlements.
Par ma naissance, je suis condamné à l’action.
Par mon âme, je suis souillé de la faute originelle.
Par mon étoile, je suis sur la liste des vivants.
Par mes maladies, je suis consigné sur des fiches.
Par mon métier, je figure au registre du commerce.
Par mes signes particuliers, je fais l’objet d’un signalement.
J’ai atteint ma majorité, et la capacité d’agir, de conclure un contrat, de dicter mes dernières volontés.
J’étais mûr pour le péché.
Peter Handke (né le 06/12/1942) - Outrage au public et autres pièces parlées (éd. de L'Arche, 1968)

s:décembre 2012 Invitation 4

Haruki Murakami – Réalité et apparence

Une fois sorti de l'école, Tengo leva la tête et observa de nouveau le ciel clair du point du jour puis il se hâta vers Ia gare de Yoyogi. pendant ce temps les paroles d'Ushikawa se répétaient dans sa tête comme une cassette qui se rembobinait automatiquement.

Ce que je veux vous dire, voyez-vous, c'est que, rester dans l'ignorance, dans ce monde, ça a du bon. Cela vaut, je crois, pour ce qui concerne votre mère, par exemple. connaître la vérité vous blesserait. Dès que vous sauriez la vérité, inévitablement, vous vous sentiriez responsable.

Et quelque part les Little people hurlaient. Sans doute avaient-ils un lien avec les phénomènes anormaux qui allaient advenir. Le ciel est maintenant clair et beau mais les choses ne se comprennent pas avec la seule apparence. Il est possible que gronde le tonnerre, que tombe la pluie, que les trains s’arrêtent. Il faut que ie rentre chez moi très vite. La voix de Fukaéri était étrangement convaincante.

« Nous devons unir nos forces », avait-elle dit.

Un long bras allait s'allonger vers nous.Nous devons unir nos forces. Et nous serons le duo le plus puissant du monde.

The beat goes on.

Haruki Murakami1Q84 Livre 2  p. 238 (Japon, 2009 – trad. fr. éd. Belfond, 2011)

s:décembre 2012 Invitation 5

Jérôme Ferrari – La succession des mondes

Mais nous savons ceci : pour qu'un monde nouveau surgisse, il faut d'abord que meure un monde ancien. Et nous savons aussi que l'intervalle qui les sépare peut être infiniment court ou au contraire si long que les hommes doivent apprendre pendant des dizaines d'années à vivre dans la désolation pour découvrir immanquablement qu'ils en sont incapables et qu'au bout du compte, ils n'ont pas vécu. Peut-être pouvons-nous même reconnaître les signes presque imperceptibles qui annoncent qu'un monde vient de disparaître, non pas le sifflement des obus par-dessus les plaines éventrées du Nord, mais le déclenchement d'un obturateur, qui trouble à peine la lumière vibrante de l'été, la main fine et abîmée d'une jeune femme qui referme tout doucement, au milieu de la nuit, une porte sur ce qui n'aurait pas dû être sa vie, ou la voile carrée d'un navire croisant sur les eaux bleues de la Méditerranée, au large d'Hippone, portant depuis Rome la nouvelle inconcevable que des hommes existent encore, mais que leur monde n'est plus. 

Jérôme Ferrari - Le Sermon sur la chute de Rome (éd. Actes Sud août 2012)