Ennemi de l'intérieur

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L'ennemi intérieur est une figure de l'imaginaire sécuritaire selon laquelle la société est infestée d'individus dangereux souhaitant porter atteinte à l'ordre établi.

Cette construction rhétorique a été fameusement utilisée dans le contexte de la guerre froide, notamment en désignant les communistes au sein du premier monde comme une « cinquième colonne »[1],[2],[3]. Toutefois, dans le second monde aussi, l'opposition de gauche a été stigmatisée comme le fait d'ennemis intérieurs[4]. Quant au Brésil, il y a aussi une persécution par la droite et les forces de l'ordre de ceux qu'elle perçoit comme des ennemis intérieurs, comme les militants autochtones, afro-brésiliens ou communistes[5],[6].

Selon Vincent Parello, on peut faire remonter la figure de l'ennemi intérieur à l'époque de la Reconquista, après laquelle les pouvoirs catholiques ont systématiquement perçu les Morisques comme des traîtres potentiels[7]. Selon Mathieu Rigouste, l'imaginaire de l'ennemi intérieur est aussi à retracer au colonialisme français[8].

Selon Olivier Cahn, la rhétorique de l'ennemi intérieur constitue la clé de voûte de la radicalisation de l'antiterrorisme en France, au sein duquel il identifie la présente plus ou moins avouée de la théorie du droit pénal de l'ennemi. Selon cette doctrine, les personnes désignées comme ennemies de la société doivent être traitées sans respecter les standards fondamentaux du droit pénal. La logique de la guerre est ainsi appliquée par l'État à des individus[9]. Dans le cas de la colonisation sioniste, Maurice Rajsfus analyse la désignation des Palestiniens par la société israélienne comme ennemis de l'intérieur, stigmatisés comme terroristes[10]. Concernant la France des années 2000, Caroline Guibet Lafaye pointe la transformation du registre policier et militaire de lutte contre l'islam comme reposant sur la figure rhétorique de l'ennemi intérieur, renforcée par un imaginaire dénigrant les jeunes hommes arabes et les quartiers qu'ils habitent[11].

Un poster du FBI stigmatisant la militante Angela Davis.

Par ailleurs, selon François Fecteau, la criminalisation du militantisme dans les États néolibéraux effectue une récupération de la rhétorique de l'ennemi intérieur[12]. Angela Davis a ainsi été constituée en ennemie intérieure par les pouvoirs étasuniens[13].

Enfin, selon Ayse Ceyhan, l'imaginaire de l'ennemi intérieur est aujourd'hui reconfiguré en Californie pour présenter les personnes racisées issues de l'immigration comme mauvaises et dangereuses[14].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Nicolas Texier, « « L’ennemi intérieur » : l’armée et le Parti communiste français de la Libération aux débuts de la guerre froide », Revue historique des armées, no 269,‎ , p. 46–62 (ISSN 0035-3299, lire en ligne, consulté le )
  2. Olivier Büttner et Annie Martin, « Imaginaires de guerre : l’ennemi intérieur en Guerre froide. France années 1950 », dans La Guerre froide vue d'en bas, CNRS Editions, , p. 21 (lire en ligne)
  3. Gabriel Périès, « Du corps au cancer : la construction métaphorique de l'ennemi intérieur dans le discours militaire pendant la Guerre Froide. Partie 1 », Cultures & Conflits, no 43,‎ (ISSN 1157-996X, DOI 10.4000/conflits.864, lire en ligne, consulté le )
  4. Roland Lew, « L'ennemi intérieur et la violence extrême : l'URSS stalinienne et la Chine maoïste », Cultures & Conflits, no 43,‎ (ISSN 1157-996X, DOI 10.4000/conflits.868, lire en ligne, consulté le )
  5. Maud Chirio, « Lutter contre l’ennemi interne : la longue histoire d’une obsession de la droite brésilienne », Nuevo Mundo Mundos Nuevos. Nouveaux mondes mondes nouveaux - Novo Mundo Mundos Novos - New world New worlds,‎ (ISSN 1626-0252, DOI 10.4000/nuevomundo.68827, lire en ligne, consulté le )
  6. Rodrigo Nabuco de Araujo, « Chapitre 1. Figures de l’ennemi intérieur au Brésil. Des classes dangereuses au péril subversif », dans Mauvais sujets dans les Amériques, Presses universitaires du Midi, coll. « Méridiennes », , 35–45 p. (ISBN 978-2-8107-0937-3, lire en ligne)
  7. Vincent Parello, « Pedro de Valencia et la construction de l’ennemi intérieur », e-Spania. Revue interdisciplinaire d’études hispaniques médiévales et modernes, no 39,‎ (ISSN 1951-6169, DOI 10.4000/e-spania.40018, lire en ligne, consulté le )
  8. Mathieu Rigouste, L'ennemi intérieur: La généalogie coloniale et militaire de l'ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, (ISBN 978-2-7071-8176-3)
  9. Olivier Cahn, « « Cet ennemi intérieur, nous devons le combattre ». Le dispositif antiterroriste français, une manifestation du droit pénal de l’ennemi », Archives de politique criminelle, vol. 38, no 1,‎ , p. 89–121 (ISSN 0242-5637, DOI 10.3917/apc.038.0089, lire en ligne, consulté le )
  10. Maurice Rajsfus, L'ennemi intérieur: Israël-Palestine, Editions de l'Atelier, (ISBN 978-2-85139-087-5)
  11. Caroline Guibet Lafaye, « Radicalisation : de l'adversaire à l'ennemi », Regards Sociologiques, nos 53-54,‎ , p. 169 (lire en ligne, consulté le )
  12. François Fecteau, « Criminalité militante. Vers la construction d’un nouvel ennemi intérieur ? », La Revue Nouvelle, vol. 4, no 4,‎ , p. 40–46 (ISSN 0035-3809, DOI 10.3917/rn.222.0040, lire en ligne, consulté le )
  13. Laure Gillot-Assayag, « « The Most Wanted Fugitive » : Angela Davis et la reconfiguration de l’ennemi intérieur (1969-1972) », IdeAs. Idées d'Amériques, no 20,‎ (ISSN 1950-5701, DOI 10.4000/ideas.13860, lire en ligne, consulté le )
  14. Ayse Ceyhan, « La fin de l'en-dehors : les nouvelles constructions discursives de l'ennemi intérieur en Californie », Cultures & Conflits, no 43,‎ (ISSN 1157-996X, DOI 10.4000/conflits.569, lire en ligne, consulté le )