Agriculture de conservation

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L'agriculture de conservation ou agriculture écologiquement intensive est un ensemble de techniques culturales destinées à maintenir et améliorer le potentiel agronomique des sols, tout en conservant une production régulière et performante sur les plans technique et économique.

Cet ensemble de techniques permet une meilleure rentabilité économique à long terme en réduisant le besoin en intrants (engrais, produit phytosanitaire, carburant) sans les interdire.

Ces techniques reposent sur trois piliers :

  • la réduction voire la suppression du travail du sol ;
  • les rotations culturales ;
  • l'utilisation de couvert améliorant, les semis se faisant si possible directement à travers le couvert.

Ce système s'inspire des systèmes forestiers : les racines maintiennent les sols en place, le taux de matières organiques est très élevé et le sol n'est jamais découvert.

Historique

Les agriculteurs américains ont fait face au début du XXe siècle à un phénomène de forte érosion éolienne, le Dust Bowl : les sols nus et secs étaient balayés par le vent. La couche de terre arable se réduisait d'année en année.

Leurs agriculteurs brésiliens exploitaient[Quand ?], quant à eux, des sols fragiles et très acides. Après défrichement, les sols agricoles perdaient leurs matières organiques très rapidement (5 % par an contre 2 % en climat tempéré) sous l'effet de la charrue et du climat agressif. La pluie provoquait une forte érosion hydrique, des millions de tonnes de terres étaient lessivés. Il était nécessaire de défricher de nouvelles terres et laisser les terres épuisées à l'élevage extensif.

L'abandon du travail en profondeur du sol est apparu comme la seule issue face à ces constats. Deux innovations techniques ont permis le développement des premières techniques sans labour:

  • les premiers désherbants chimiques totaux (paraquat puis glyphosate) vont permettre de détruire les adventices sans travail du sol à partir des années 1960-70. Aujourd'hui même si elles ne sont plus systématiques ces solutions chimiques restent un filet de sécurité indispensable dans la plupart des systèmes d'agriculture de conservation.
  • les semoirs de semis direct et des outils de travail du sol superficiel. Le premier semoir est construit en 1966 par Allis Chalmer. Aujourd'hui de nombreux fabricants américains et européens proposent des semoirs adaptés.

Conséquences nocives du labourage

Le travail du sol mécanique est une agression du sol. L'organisation naturelle des sols assure le recyclage de la matière organique, la décompaction, la portance et la fertilité. Les premiers agriculteurs de l'ère pré-industrielle ont utilisé les outils du travail du sol pour lutter contre les adventices, ils n'avaient pas accès à d'autres technologies pour les éliminer. De plus ils n'avaient pas beaucoup de plantes cultivables disponibles pour utiliser des couverts faciles à détruire, les échanges intercontinentaux ont considérablement augmenté les possibilités des agriculteurs modernes.

Pour maintenir leur fertilité, soit les parcelles agricoles étaient régulièrement mises en jachère pendant plusieurs années, soit les agriculteurs déplaçaient leur exploitation en réalisant des brûlis. Dans le contexte actuel de tension sur le foncier agricole et de demande alimentaire croissante ce mode de fonctionnement n'est plus envisageable.

Le travail du sol est aussi coûteux en temps et en carburant. Un labour profond peut consommer jusqu'à 50l de fioul par ha. Dans les systèmes pré-industriels l'entretien des animaux de trait était une charge importante pour les agriculteurs, une part significative des récoltes était réservée à ces animaux de travail.

Le travail du sol par labourage entraine :

  • l'élimination des vers de terre qui entretiennent un réseau de galeries permettant la progression des racines et l'infiltration de l'eau. Les vers de terre ont besoin de déchets végétaux en surface pour se nourrir, leur enfouissement dans le sol favorise l'action de bactéries qui n'ont aucun effet sur la structure de sol.
  • L'oxygénation du sol minéralise la matière organique, la terre s'appauvrit mais la culture en place bénéficie des minéraux libérés, ce qui donne l'impression d'une amélioration de la fertilité. En fait c'est le capital agronomique qui est consommé.
  • La destruction des éléments structurants et l'oxydation des exsudats racinaires qui structurent le sol[1] le rendent sensible à la battance et à la compaction, notamment au passage d'engins.
  • L'enfouissement des graines d'adventices dilue le problème sur une couche de 15 à 30 cm. Au bout de quelques années de labours successifs les plantes à graines très résistantes (essentiellement les dicotylédones) deviennent un problème insoluble, nécessitant un recours presque systématique à des herbicides coûteux ou à une longue période de jachère fauché permettant de reconstituer une prairie de graminées.

L'agriculteur laboureur n'a d'autre choix que de labourer sans cesse et aller toujours plus profond, il doit ameublir considérablement le sol pour permettre un bon développement de sa culture. Ce faisant il va exacerber ces problèmes : compaction plus forte et plus profonde à chaque passage d'engins (eux-mêmes de plus en plus lourds), matière organique en chute libre et contrôle des adventices plus difficile. Si des problèmes d'érosion s'additionnent la parcelle devient rapidement impropre à l'agriculture sans l'apport constant de fertilisants exogènes.

Au début des années 1980 de nombreuses fermes brésiliennes étaient dans une situation critique à cause de la dégradation du sol. Les mêmes phénomènes sont aujourd'hui observés au Laos, des terres fragiles en pente sont labourées : le potentiel agricole chute très rapidement à cause de l'érosion et de la progression des adventices[2]. En climat tempéré ces effets sont plus progressifs et peuvent passer inaperçus plusieurs décennies, notamment parce que la progression de la qualité et de la quantité des intrants permet d'améliorer la productivité malgré la dégradation de la qualité agronomique du sol. Mais la stagnation des rendements en dépit de l'amélioration continue des performances des semences et des efforts techniques des agriculteurs prouve l'existence d'une perte de potentiel agronomique des sols à grande échelle.

Les trois piliers

Pour concevoir des systèmes agricoles totalement durables, productifs et le moins dépendants possible des intrants externes comme le pétrole et la chimie, il est nécessaire de remettre en cause certains des dogmes agricoles aussi bien modernes qu'anciens. L'agriculture de conservation va exploiter des phénomènes biologiques (travail des vers de terre, fixation de l'azote par les légumineuses, phénomènes d'allélopathie, structuration mécanique du sol par les racines) pour optimiser la production agricole.

La suppression du travail du sol : Un sol vivant n'est jamais retourné ou mélangé, les sols vivants naturels ont d'excellentes aptitudes agronomiques : porteurs sans être compactés, sans battance, facilement explorés par les racines, très peu sensibles à l'érosion, riches en matière organique, ils retiennent bien l'eau et l'engrais.

La rotation : Chaque culture va réagir de façon plus ou moins intéressante avec un précédent donné. Un blé après maïs est déconseillé à cause de la fusariose, par contre une légumineuse avant un colza est très bénéfique. L'important est d'alterner les familles de plantes : crucifères (colza, radis, moutarde), graminées (blé, maïs), légumineuses (pois, fèverole, vesce, luzerne) et astéracés (tournesol, nyger). Cette alternance réduit les pressions parasitaires, chaque plante va aussi apporter un effet particulier sur le sols (azote avec légumineuse, structuration avec maïs) permettant de maintenir et d'améliorer les qualités agronomiques du sol.

Les couverts améliorants : Le sol ne doit jamais être découvert. Entre chaque culture de vente un couvert doit être installé après la récolte (après une céréale à paille on peut semer jusqu'à 48h après la moisson, au delà l'humidité est perdue). Certains systèmes sont encore plus extrêmes et permettent d'implanter le couvert dans la culture précédente, ce qui permet une reprise de végétation plus rapide par la suite. Ce système est très intéressant pour les inter-cultures courtes, typiquement entre deux cultures d'hiver. Il est par exemple possible de laisser végéter une luzerne sous un blé, contrôlé par des faibles doses d'herbicide, puis de la laisser repartir après la moisson[3]. Le couvert est composé d'une ou plusieurs espèces mélangées. Un bon couvert doit se développer vite pour étouffer les adventices et accumuler un maximum de matière organique (au moins 4 tonnes de matière sèche par hectare, les meilleurs couverts s'approchent de 20t de MS par ha). Il doit être facile à détruire (idéalement par un simple roulage mécanique), ne pas laisser de graines viables et libérer ses minéraux pour la culture suivante. Certains agriculteurs valorisent leur couvert comme fourrage, ce qui permet de réintroduire des animaux dans des fermes céréalières. Les fumiers issu de l'élevage permettent alors de réduire les besoins en engrais chimiques et d'avoir un système agricole moins dépendant des apports extérieurs.

Les effets de l'agriculture de conservation

  • Réduction très importante de l'érosion, de l'ordre d'une division par 4
  • Meilleure portance, notamment en condition humide, une parcelle en semis direct sous couvert reste praticable toute l'année
  • Remontée du taux de matière organique (environ 1 point tous les dix ans d'après des témoignages d'agriculteurs français). Cette remontée doit être soutenue par des apports d'azote supérieurs au besoin des cultures, le sol stocke de l'azote.
  • Amélioration de la réserve utile en eau (10 mm de réserve tous les dix ans, en relation avec le taux de matière organique
  • Réduction des pertes par évaporation (la couche de végétaux morts en surface isole le sol)
  • Meilleure infiltration de l'eau (les racines et les galeries de vers de terre assurent une bonne porosité)
  • Suppression des semelles de labour et des ruptures de structure du sol permettant un meilleur enracinement
  • Réduction des intrants, que ce soit des engrais chimiques ou des produits phytosanitaires. Les doses sont souvent divisées par deux
  • Réduction du temps de travail
  • Réduction du parc de matériel
  • Meilleure autofertilité et meilleure rétention des engrais (fixation à la matière organique et libération lors de la minéralisation du couvert)
  • Rendement plus élevé et plus constant
  • Diversification de la production
  • Réduction de la pression des ravageurs et des adventices

L'agriculture de conservation dans le monde

Aux USA 20 % des terres sont en semis direct, 50 % du reste en techniques simplifiés (travail superficiel du sol sans labour) En Amérique du Sud environ 50 % des terres agricoles sont en semis direct. Plus de 105 millions d'hectares seraient cultivés en semis direct dans le monde. En France ces techniques sont encore peu développées, les premiers agriculteurs se sont lancés dans les années 1980. Aujourd'hui ils ont acquis une visibilité via des associations comme BASE[4], la revue TCS, le site internet agriculture de conservation[5] et le festival du non labour et du semis direct[6].

Techniques et matériels

Unité Strip-till Pluribus(Dawn Equipment Company)
Passage d'un équipement de labour superficiel Strip-till dans une plantation de maïs, Minnesota du sud, USA (Dawn Equipment Company)
  • Le Strip-till, largement répandu en Amérique du nord, commence à apparaitre en France. Cette technique consiste à préparer et fissurer les lignes de semis des cultures en rangs. Les Strip-tillers sont constitués de plusieurs lames ou outils montés sur un bâti et adaptés à un type de sol ou de culture : lames fissuratrices, rouleaux concaves pour accélérer le réchauffement du sol, roues en V ou roues à doigts, disques lisses ou crénelés.
    La solution universelle n'existe pas en matière de Strip-till. En terres argileuses, il est conseillé de passer le Strip-tiller en automne pour que l'alternance gel dégel complète le travail. Pour le colza, le strip-till est compatible avec un semis direct mais le précèdera de quelques jours ou quelques semaines pour les semis de printemps afin de laisser au sol fissuré le temps de se réchauffer et de minéraliser[7].
  • Pour réaliser des semis sans travail du sol des semoirs adaptés sont nécessaires, ils ouvrent localement le sol (avec un disque ou une dent), créent un peu de terre fine et placent la graine dans un environnement favorable en perturbant une surface minimum à l'échelle de la parcelle. La plupart des fabricants sont américains, mais des constructeurs européens commencent à proposer des modèles adaptés. Ces semoirs sont en général plus lourds et plus couteux que les semoirs classiques. Ils peuvent néanmoins être adaptés à toutes les conditions. L'AFDI et le CEMAGREF ont conçu un semoir de semis direct qui permet de semer avec une très faible force mécanique et qui peut être utilisé avec de la traction humaine ou animale[8]. Des agriculteurs pauvres ayant de petites surfaces peuvent se contenter de cannes de semis.

Différences avec l'agriculture biologique et conventionnelle

( Point de vue de l'auteur ) L'agriculture de conservation est une technique mise au point par et pour des agriculteurs à la suite d'observations de terrain et d'expériences pratiques. Elle replace l'agronomie, c'est-à-dire l'exploitation de la dynamique biologique des sols et des milieux agricoles dans un but productif, au centre du système de décision.

L'agriculture conventionnelle cherche à s'affranchir des contraintes du milieu par l'artificialisation. C'est une méthode facile et rapide pour augmenter les rendements d'une agriculture pré-industrielle. Le gain a permis de nourrir l'explosion démographique mondiale depuis 1950 mais ce système, très dépendant du pétrole et des intrants, est incapable de maintenir, à long terme, le potentiel agronomique des sols.

L'agriculture biologique, de son coté, interdit la chimie synthétique et certaines innovations génétiques. Ces contraintes résultent de positionnements idéologiques et non pas d'expérimentations scientifiques à priori. L'utilisation du pétrole, ressource non renouvelable et polluante, n'est pas remise en cause (le label AB européen ou Organic Nord Américain n'inclue pas de contrainte vis-à-vis des énergies fossiles) malgré l'absence totale de durabilité et la pollution engendrée. Les travaux scientifiques a posteriori n'ont pas démontré d'avantages certains et systématiques pour la santé du consommateur[9] (affaire des graines germées) ou pour l'environnement (cas du cuivre par exemple, polluant persistant autorisé en AB et très largement utilisé malgré les risque de stérilisation définitive des sols).

Ignorant ou refusant une partie des techniques disponibles dans l’agriculture, ces deux systèmes sont incapables d'assurer simultanément une production fiable, suffisante et durable. L'agriculture bio peut être un positionnement économique très pertinent pour des agriculteurs en zone difficile (petits producteurs bio de viande, fruits, légumes et épices de l'Europe de l'Ouest) et pour des grands propriétaires terriens pratiquant déjà une agriculture très extensive (typiquement les ancien sovkhoze dans les pays de l'Est qui assurent une grande partie de la production de céréale bio européenne). Finalement une part importante des produits AB vendu en France sont importés[10].

Ces deux techniques ont tendance à consommer la matière organique du sol et, in fine, à les appauvrir : le labour et plus généralement le travail du sol accélère considérablement la dégradation de la matière organique, ce qui permet de libérer des minéraux pour la culture en place, au détriment du capital agronomique du sol. Le processus de création d'humus (c'est-à-dire de matière organique stable dans le sol) nécessite une séparation nette entre le sol et une litière végétale morte, ce qui permet l'action d'organismes variés (vers de terre, champignons) mais fragiles. Le travail du sol empêche ce processus naturel. Les sols mis à nu pendant de longues périodes sont rapidement dégradés par l'érosion. Des ajouts de matières organiques sont possibles (compost, BRF) mais, quand ils ne résultent pas du recyclage de déchets locaux, ils nécessitent d’appauvrir d'autre sols (qui exportent alors leur fertilité) et de transporter de grandes quantités de matière (gagner un point de matière organique se traduit par 200 tonnes de matière sèche à épandre par hectare).

L'usage intensif des outils de travail du sol en agriculture conventionnelle et biologique rend illusoire le maintien à long terme de la productivité des sols agricoles. Les systèmes traditionnels à labour nécessitaient des longues jachères (impossibles compte tenu de la demande alimentaire mondiale actuelle) et ne permettaient que des rendements très faibles (5 à 10 fois plus faibles qu'aujourd'hui, le blé était à 23 quintaux en 1956 en France contre 67 aujourd'hui, le maïs est passé de 13 à 97 quintaux en 2007[11],[12]). Une double rupture de paradigme est nécessaire, c'est ce que permet l'agriculture de conservation.

Le principal intérêt écologique de l'agriculture de conservation concerne le maintien de la qualité du sol. Les études sur le sujet sont encore trop rares mais tendent à démontrer que c'est la seule forme d'agriculture qui permette de stocker efficacement du carbone et de maintenir une bonne biodiversité dans le sol. Pour certains scientifiques le semis direct sous couvert est "plus bio que le bio"[13].

Exemples de réussite remarquable

Au sud de l'Ontario Dean Glenney a atteint des rendements de 18.7t par ha de maïs et 4t en soja, en utilisant le semis direct, le contrôle du trafic[14] et l'association soja maïs en culture en bande[15].

Notes et références

Articles connexes

Liens externes

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