Utilisateur:Logret de Carlin/L'affaire du 15e Corps
L'affaire du 15e Corps est une polémique née d'un article publié en août 1914 pour expliquer les reculs de l'armée française lors de la bataille des trois frontières. Les soldats provençaux du 15e Corps sont accusés d'avoir fui devant l'ennemi. Malgré les excuses et les démentis, cette rumeur canalisa une attitude infamante d'une partie de la population contre les soldats du Midi et provoqua en retour un fort attachement des populations du sud au 15e Corps.
L’affaire du XVe corps
[modifier | modifier le code]Les débuts de l’affaire
[modifier | modifier le code]Le 15e Corps est engagé à partir du 10 août en Lorraine dans la Bataille des trois Frontières et notamment dans la Bataille de Morhange le 20 août 1914. Elles se terminent par une victoire allemande, le recul des armées françaises et de lourdes pertes.
Elles démontrent l’inadaptation de l’armée française que dirige le général Joffre, et singulièrement du plan XVII et de l’offensive à outrance. Pourtant, ce dernier va tenter de trouver des responsables à l’arrêt de l’offensive.
« L’offensive en Lorraine a été superbement entamée. Elle a été enrayée brusquement par des défaillances individuelles ou collectives qui ont entraîné la retraite générale et nous ont occasionné de très grosses pertes. J’ai fait replier en arrière le XVe Corps, qui n’a pas tenu sous le feu et qui a été cause de l’échec de notre offensive »,
fait-il savoir au ministre de la Guerre Adolphe Messimy, qui lui-même la communique au sénateur Auguste Gervais. Saint-Cyrien devenu journaliste et homme politique, il est considéré comme un spécialiste des affaires militaires, notamment pour l'Aurore et Le Matin, l'un des journaux les plus diffusés de France. Il publie dans ce journal un article diffamatoire le 24 août qu’il intitule : « La vérité sur l’affaire du 21 août. Le recul en Lorraine ». Il y reprend et accentue les attaques du général Joffre.
« Une division du 15e corps, composée de contingents d’Antibes, de Toulon, de Marseille et d’Aix, a lâché pied devant l’ennemi. […] La défaillance d’une partie du 15e corps a entraîné la retraite sur toute la ligne. Le ministre de la Guerre, avec sa décision coutumière, a prescrit les mesures de répression immédiates et impitoyables qui s’imposaient : l’heure n’est plus, en effet, aux considérations de sentiment. Tout le monde doit être aujourd’hui convaincu, du général en chef au dernier soldat, qu’il n’y a, en face de l’ennemi, qu’un devoir, que nos aïeux de la Révolution ont su faire accomplir : vaincre ou mourir »[1]
écrit-t-il. Ces attaques sont reprises par quelques journaux, dont un article du sénateur du Var Georges Clemenceau, également journaliste à l’Aurore, dans son propre journal :
« Notre 15e Corps a cédé à un moment de panique et s’est enfui en désordre sans que la plupart des officiers aient fait paraît-il tout ce qui était de leur devoir pour l’empêcher… On connaît la nature impressionnable des Méridionaux. Ils sont capables d’aller jusqu’aux extrémités de la vaillance et je suis sûr qu’à l’heure présente, ils ne souhaitent rien tant que de se réhabiliter ; Ce jour-là ils ont déplorablement failli et paraît-il avec trop d’ensemble »[2].
Ces diffamations apparaissent comme un attaque à l’Union sacrée. Elle crée un grave malaise, conduisant le gouvernement a publier un démenti :
« Un journal du matin a annoncé qu’une division du 15e Corps avait lâché pied devant l’ennemi, ce qui aurait eu de graves conséquences pour la suite des opérations. Le fait présenté sous cette forme est inexact : quelques défaillances individuelles bien regrettables ont pu se produire ; elles ont été suivies de répressions nécessaires, mais elles n’ont pas eu l’importance qui leur a été attribuée ; il serait injuste de faire peser la faute de quelques-uns sur tous les soldats d’une région dont les citoyens sont comme tous les autres prêts à donner leur vie pour leur pays ».
Le ministre publie un démenti le 24 août, précisant que les propos d’Auguste Gervais sont "inexacts"[3], alors que le général Joffre souligne peu après la bravoure des soldats du XVe Corps à Nancy. Le président du Conseil René Viviani envoie un télégramme où il n’évoque que des « désordres individuels », ne reflétant pas une « défaillance générale » d’une « vaillante région »[4]. Si les attaques premières sont minimisées, la cause de la défaite reste identique : le mauvais comportement de certains Méridionaux[4]. Auguste Gervais s’excuse peu après[5] ; il affirmera dans un article posthume qu’il n’a fait que signer un article dicté par son ami Adolphe Messimy, ancien saint-cyrien, journaliste et membre du Parti républicain, radical et radical-socialiste comme lui.
Si le sénateur Gervais et le général Joffre reste en poste, le ministre Messimy est démis de ses fonctions deux jours après l'éclatement de l'affaire.
La rumeur
[modifier | modifier le code]Entre l'énoncé de la diffamation et les premières excuses, il ne s'est écoulé que quelques heures. Elles ont suffi à faire un mal terrible dans une population ébranlée par les reculs. Rapidement, la légende de soldats provençaux et plus généralement du sud lâches se diffuse parmi les populations du Nord. Plusieurs témoignages rapportent les propos insultants tenus par d'autres soldats, des infirmiers, ou des blagues infamantes ayant le soldat de Provence pour objet de risée[4]. Selon Jean-Yves Le Naour, ces accusations ont prospéré sur le terreau ancien de "préjugés et haines régionales"[4].
Face à cette attitude, des journaux publient les exploits des régiments du Midi, pendant qu'en guise de contre-attaque, ceux qui colportent les rumeurs sont qualifiés d'agents de l'Allemagne. Le Progrès de la Somme réclame contre les calomniateurs le Conseil de guerre.
La révolte en Provence
[modifier | modifier le code]Dès le 24 août, deux parlementaires des Bouches-du-Rhône, Joseph Thierry et Frédéric Mascle demandent audience au ministre de la Guerre qui, nouvelle humiliation, refuse de les rencontrer. Le lendemain, six autres parlementaires réclament des explications[4].
Malgré les démentis, les accusations, durement ressenties en Provence, ne passent pas : le journal Le Matin est interdit de vente à Marseille, Sanary, Hyères[6] et le 25 août, après une manifestation, des pères de poilus sont reçus à la préfecture[4].
Face au silence du gouvernement, qui ne communique plus sur l'affaire après les démentis d'Adolphe de Messimy et de René Viviani, 67 parlementaires signent une pétition réclamant, dans l'attente d'une enquête une fois la paix revenue, des mesures pour faire cesser les vexations et les calomnies. Le nouveau ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, déclare que ces attaques sont "inadmissibles"[7]. Il impose une censure totale sur le sujet, tandis que certains soldats sont punis pour leurs propos contre le 15e Corps[4].
Jusqu’à la fin de la guerre, les nécessités de l’union sacrée et la censure conduit les journaux, partis, associations et hommes politiques du sud-est à ne se faire entendre que discrètement.
L'exécution d'un soldat Odde
[modifier | modifier le code]Dans le contexte du début désastreux de la guerre, le soldat Auguste Odde est fusillé le 19 septembre 1914.
Conformément aux ordres de Joffre, l'armée est chargée de faire des exemples et de faire "fonctionner ferme les conseils de guerre"[6]. Blessé le 8 septembre, le chasseur alpin est examiné par un médecin, durant la nuit du 10 au 11 septembre dans une ambulance puis dans une grange. Le médecin est chargé de désigner des mutilés volontaires possibles. Avec sept de ses camarades, Auguste Odde est déféré devant un conseil de guerre le 18 septembre : six, dont le soldat Odde, sont condamnés à mort. Pour quatre d'entre eux, le conseil demande de commutation de la peine. Auguste Odde, membre du 15e Corps, est fusillé pour l'exemple le 19 septembre au matin, devant les troupes assemblées[8].
Le jugement sera cassé et annulé le 7 août 1917 et le 12 septembre 1918, la Cour suprême réhabilite le soldat Odde, reconnaissant selon les témoignages de ses camarades « que ce militaire ne méritait que des félicitations sur sa manière générale de servir ; que c’était un excellent soldat, très discipliné, ayant toujours eu une belle attitude au feu et s’était fait remarquer par sa bravoure et son sang froid [...], que Odde était un agent de liaison très brave et très courageux, dont l’attitude au feu avait été superbe jusqu’au jour où il avait été blessé ».
Son appartenance au 15e Corps a été mise en avant par plusieurs auteurs dont Maurice Mistre et André Neyton, qui en a fait le héros d'une pièce de théâtre.
La mémoire du 15e Corps
[modifier | modifier le code]Avec l’armistice du 11 novembre 1918, de nombreuses voix se font entendre, réclamant des enquêtes et une réhabilitation officielle des soldats de Provence par les autorités de la République. Les propos du président de la République Alexandre Millerand et du ministre de la Guerre Louis Barthou à propos du mensonge contre le 15e Corps ne suffisent pas.
En 1919, le conseil municipal de Vidauban inaugure la première place du XVe Corps[9], inaugurant une tradition de dénomination de rue qui se perpétue jusqu'en 2016, quand le conseil municipal de Gassin baptise trois place du nom de trois soldats du 15e Corps tombés au début de la Grande Guerre : Louis Collomp, Charles Giordano et Léon Martel[10]. En 1921, les anciens combattants organisent une grande réunion à Nice sur le thème : "A la gloire du Midi et du XVe Corps"[8].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]Témoignages de soldats
[modifier | modifier le code]- Jules Belleudy, Que faut-il penser du 15e corps ?, préface du colonel Gros Long, Menton, Impr. coopérative, 1921, 356 p.
- Général Carbillet, Premières armes d’une division du Midi sur le front.
Ouvrages universitaires
[modifier | modifier le code]- Paul Isoart, "Semailles sanglantes et lieux de mémoires", Nice Historique, 1988, n° 4, p. 135-154
- Jean-Yves Le Naour, Désunion nationale. La légende noire des soldats du Midi, Vendémiaire, 2011.
- Jean-Yves Le Naour, « La faute aux "Midis" : la légende de la lâcheté des Méridionaux au feu», Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 112, N°232, 2000. 1914-1918. pp. 499-516. (lire en ligne)
- Jean-Yves Le Naour, « Il en restera toujours quelque chose ? Solder les comptes de la rumeur du XVe corps », Cahiers de la Méditerranée, no 81, 2010, p. 253-263.
- Georges Liens, "Le stéréotype du Méridional vu par les Français du Nord de 1815 à 1914", Provence Historique, octobre-décembre 1977, p. 413-431
- Maurice Mistre-Rimbaud, « La Légende noire du XVe corps » (http://1851.fr/apres/15e_corps/).
- Maurice Mistre-Rimbaud, La légende noire du 15e Corps d’armée : l’honneur volé des Provençaux par le feu et par l’insulte, postface de Jean-Marie Guillon, Saint-Michel-l’Observatoire, C’est-à-dire éd., coll. « Un territoire et des hommes », 2009, 239 p.
- Thomas Grobon, Les Provençaux dans la Grande guerre ou L'affaire du XVème Corps, Velleron, Les Amis du vieux Velleron, 2014, 64 pages.
Bande dessinée
[modifier | modifier le code]- Alexandre Dan, Jean-Yves Le Naour, "La faute au Midi ", éditions Bamboo, 2014. [1]
Le soldat Odde
[modifier | modifier le code]- Maurice Mistre, "1914, 19 septembre, un fusillé pour l’exemple, Auguste Odde", Mémoires de Guerres. (lire en ligne)
- André Neyton, La Légende noire du soldat O. ou Les Midis du XVe Corps, pièce de théâtre, 2004. (fiche sur le site du Centre dramatique occitan)
Notes
[modifier | modifier le code]{{
- Auguste Gervais, « La vérité sur l’affaire du 21 août. Le recul en Lorraine », Le Matin, 24 août 1914.
- Georges Clemenceau, « Notre XVe Corps », L’Homme Libre, 25 août 1914.
- Le Figaro, 25 août 1914.
- Le Naour, 2000.
- « Monsieur Gervais s’excuse », Le Petit Provençal, 28 août 1914.
- « La légende noire du 15e Corps d’Armée – Association 1851 », sur 1851.fr (consulté le )
- Belleudy, 1921.
- Maurice Mistre, "1914, 19 septembre, un fusillé pour l’exemple, Auguste Odde"
- Le Petit Var, 7 juillet 1919.
- Procès-verbal du conseil municipal du 23 août 2016, mairie de Gassin (lire en ligne).