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Utilisateur:Japbub/Brouillon

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[1]

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage

Et puis et revenu plein d'usage et raison vivre entre ses parents le reste de son âge

Fabrication de la cérémonie de mariage contemporaine[modifier | modifier le code]

La cérémonie de mariage au Japon : une liturgie immémoriale?[modifier | modifier le code]

Il y aurait grande naïveté à croire que la forme que revêt la cérémonie de mariage aujourd’hui au Japon est la réplique d’une liturgie immémoriale. C’est bien plutôt une construction récente[2]. Sans entrer trop avant dans son histoire, rappelons que celle-ci, finalement très peu fixée formellement avant l’ouverture du Japon à l’Occident dans le dernier tiers du xixe siècle, connaissait encore de nombreuses variations et une structure assez simple avant-guerre. De la diversité rapportée par les folkloristes, on retiendra qu’étaient très souvent disjoints des temps qui, dans nos sociétés occidentales, ont été concentrés sur la journée de mariage : installation des époux au sein du même foyer, déclaration à l’autorité administrative, cérémonie religieuse, banquet, premières relations sexuelles, pouvaient être distants de plusieurs années. Le mariage, c’est-à-dire, pour choisir une définition aussi large que possible, l’institution de notoriété publique d’un nouveau couple, ne nécessite à vrai-dire nullement d’associer tous ces éléments. L’idée même d’effectuer un rite pour marquer le début d’une union conjugale est loin d’être universelle. Le mariage n’est finalement pas l’objet d’un rite de passage aussi répandu sur l’ensemble des cultures humaines qu’on pourrait le penser. Pour prendre un cas particulier tiré du terrain que je mène sur l’île de Hachijôjima[2], le jeune homme pouvait venir rejoindre sa douce la nuit tombée durant toute une période de cour (yobai « visite nocturne »), puis progressivement se mettre à travailler pour ses beaux-parents tout en résidant dans sa famille (pratique dite « mariage en mettant un pied » : ashi-ire kon), et ce durant plusieurs années, avant que la jeune femme ne vienne le rejoindre (prédominance de la virilocalité), ou que le couple ne s’installe dans une nouvelle maison, souvent après la naissance de plusieurs enfants. Les droits de la bru à devenir maîtresse de maison pouvaient être, eux, affirmés de façon plus ou moins ritualisée plus tard encore, lors de la retraite de la mère de l’époux (cérémonie du « passage de la spatule à riz », hera watashi). On trouve peu de traces d’une cérémonie religieuse, ou en tout cas d’un rituel effectué dans l’enceinte d’un bâtiment ou d’un lieu sacré ou réclamant l’office d’un spécialiste du religieux. Le banquet collectif est lui aussi peu mentionné. Certes, la littérature ethnologique fait mention de pratiques marquant le commencement d’un couple au Japon. Elle est d’ailleurs corroborée par de nombreux documents historiques et iconographiques diffusés à l’époque moderne (plus précisément surtout à partir du xviie siècle semble-t-il[3]). On trouve ainsi de véritables manuels expliquant toutes les étapes du mariage à destination du bon bourgeois[4]. Mais les historiens s’accordent pour penser que ces pratiques (cortège de la mariée, proche de ce qui est décrit pour la Chine par Catherine Capdeville, échanges de cadeaux formalisés, demande en mariage par des tiers…) étaient surtout répandues dans les familles aisées, voire très aisées. De façon peu surprenante, moins le couple possédait de biens, moins son démarrage était marqué par des formes rituelles. Dans la première partie du xxe siècle en tout cas, la cérémonie, quand cérémonie il y avait – et ce n’était donc pas toujours le cas –, était avant tout une réunion domestique, ouverte à la communauté la plus proche, famille et voisinage immédiat[3].

La cérémonie de mariage : une invention après-guerre[modifier | modifier le code]

Ce n’est qu’à partir des années 1950 au Japon, alors que l’urbanisation renversait l’équilibre campagne-ville et distendait les solidarités locales, que se fixa, d’abord en milieu urbain, la structure et la forme des noces, selon un modèle de plus en plus élaboré et standardisé. Comme l’écrit l’ethnologue du Japon Ofra Goldstein-Gidoni (1997 : 35) :

La propagation d’un modèle déterminé de cérémonie de mariage est étroitement liée au déplacement de la sphère privée, familiale ou communautaire au sens étroit, à un espace public. Ce changement s’est fait dans le cadre du processus plus large de déclin de la communauté, qui a vu celle-ci réduire progressivement son implication dans la vie de ses membres individuels.

Ce déplacement de la cérémonie à la sphère « publique » s’accompagna d’un raffinement de la mise en scène et du décor : quand on invite un public moins proche, il faut faire bonne figure ! De nouvelles organisations naquirent, d’abord autour de la location de kimonos d’apparat (trop chers pour être possédés hormi pour une classe de privilégiés), puis de salles, et de services[5]. Au début des années soixante-dix, au moment où l’économie japonaise se faisait de nouveau puissante, se mit en place une véritable « industrie du mariage » (buraidaru – de l’anglais « bridal » – sangyô). Pour ses entrepreneurs, il s’agissait de se doter d’infrastructures permettant d’organiser le mariage de A à Z et d’accumuler des profits à chaque étape de la cérémonie, de la préparation de la mariée à la réception, en passant par l’organisation d’un rite religieux jusqu’aux cadeaux de mariage et au voyage de noces.

Il faut préciser ici qu’il n’a sans doute pas existé de rite de mariage impliquant un spécialiste du religieux ou une institution religieuse avant la fin du xixe siècle au Japon. C’est en 1898 que le sanctuaire Hibiya proposa pour la première fois une cérémonie « de type shintô », largement inspirée de la cérémonie de mariage chrétienne. Ce cérémonial fut réfléchi et construit plus soigneusement encore, sous l’influence du grand prêtre Senge du grand sanctuaire d’Izumo[6], lorsqu’il s’agit de célébrer les noces du prince héritier, en 1900. Il faut toutefois attendre les années 1950 pour que cette cérémonie religieuse « devant les dieux » (shinzen-shiki) devienne commune[7]. Encore n’a-t-elle jamais vraiment constitué une tradition fermement établie. À la fin du xxe siècle, seul un tiers des mariages au Japon sont accompagnés de la bénédiction d’un desservant de sanctuaire shintô, 5% se font « devant le bouddha » (butsuzen-shiki), tandis que plus de 60% des couples préfèrent le décorum d’une chapelle chrétienne (kyôkai-shiki), plus ou moins fausse[8]. On assiste d’autre part à l’augmentation rapide du mariage sans cérémonie « religieuse », uniquement marqué par une fête entre amis, littéralement « devant les gens » (jinzen-shiki). Avec l’instauration de l’état civil (1872), le mariage est toutefois devenu une affaire d’état. Il demande ainsi aujourd’hui, pour être officiel, la remise d’un formulaire de déclaration (kekkon todoke) à la mairie. Celle-ci se passe, sans rite républicain, indifféremment avant ou après la fête, dont elle peut être éloignée de plusieurs semaines, ou mois, et ne prend pas plus d’une dizaine de minutes. Elle est effectuée par le seul couple, sans aucun autre témoin présent que le fonctionnaire de la mairie qui enregistre la déposition des conjoints et vérifie sa conformité sur un plan uniquement administratif. La procédure est donc très simple. Elle n’en est pas moins très importante. Elle officialise l’entrée de l’un des conjoints – le plus souvent la femme – dans l’état civil de l’autre (nyûseki), dont il prend le nom. Nous verrons plus loin que très peu de couples en font l’économie[1].

La cérémonie de mariage : une industrie contemporaine[modifier | modifier le code]

Dans ce contexte religieusement et administrativement assez lâche, ce sont les infrastructures pensées par une industrie du mariage – qu’on a donc comprise laïque et privée – qui ont appelé une organisation rigoureuse. Pour « produire » le plus de mariages possibles, avec le moins d’impondérables possibles, fut inventé un ordre cérémoniel dont la rigidité permettait d’optimiser la rentabilité. Comme le dit clairement l’un des patrons de cette industrie interrogé par Ofra Goldstein-Gidoni (1997 : 40) :

Si vous voulez célébrer un grand nombre de mariages lors des jours « fastes »[9], il est utile d’établir un programme pour ces cérémonies. Nous avons donc développé un ordre cérémoniel (shikishidai) afin de s’assurer que l’opération complète ne dure pas plus de deux heures... cela était, et est toujours, mieux pour les affaires.

Or, dans un secteur économique où la concurrence n’est pas plus tendre qu’ailleurs, convaincre le client nécessite des inventions constantes. Ainsi (1997 : 135),

Nous avons décidé que les invités de la réception de mariage étaient lassés par les nombreux discours qui y étaient prononcés, et avons donc ajouté un diaporama des mariés. Cela remonte à 1968, alors que nous célébrions encore les mariages dans les sanctuaires shintô. La cérémonie de la découpe du gâteau a été introduite plus tard, en 1973. […] la gondole [sur laquelle les mariés font leur entrée dans la salle de réception fut inventée] en 1977… Désormais nous avons toujours des nouveautés à proposer, tels que les effets laser. Nous encourageons chaque lieu de réception de mariages à trouver de nouvelles inventions et à les adopter, à condition qu’elles s’insèrent dans le temps imparti à la cérémonie complète.


[2] Jean-Miche Butel (2010). Pour une présentation synthétique des pratiques matrimoniales sur cette île, Omachi Tokuzô (1960).

[3] Dans le contexte de l’histoire japonaise j’utilise l’adjectif « moderne » pour désigner l’époque d’Edo, qui dura de 1603 à 1867. Est contemporain ce qui vient après.

[4] Voir par exemple le Konrei shiyô ke shibukuro, daté de 1750. Consultable en ligne: http://www.lib.nara-wu.ac.jp/nwugdb/edo-j/html/j024/. Le genre fut assez établi pour connaître ultérieurement des versions satyriques, comme ce Cérémonie de mariage des monstres (Bakemono konrei) peint cent ans plus tard : http://www.toyo.ac.jp/site/collection1/bake.html.

[5] Sur l’île de Hachijôjima, le Mouvement (des femmes) pour l’amélioration des conditions de vie (Seikatsu kaizen undô) a longtemps lutté, et de façon efficace semble-t-il, pour faire accepter qu’on limite les dépenses cérémonielles, et en particulier celles liées à la cérémonie de mariage en train de se diffuser. Propos recueillis auprès d’une femme active dans ce mouvement entre les années 1960 et 90.

[6] Sur ce sanctuaire et ses liens avec le système impérial de Meiji, Jean-Michel Butel (2004).

[7] Joy Hendry (1986 : 195-196, n.64).

[8] Sur l’utilisation d’Occidentaux jouant les faux prêtres dans des fausses chapelles pour de vrais mariages, voir le documentaire Dis-moi oui… en japonais, Maria Nicollier (2004).

[9] Le calendrier japonais connaît des jours fastes et des jours qui le sont moins, les couples préférant se marier lors des premiers, et les entreprises de mariage essayant de remplir les seconds.

  1. a et b Voir par exemple le Konrei shiyô ke shibukuro, daté de 1750. Consultable en ligne: http://www.lib.nara-wu.ac.jp/nwugdb/edo-j/html/j024/. Le genre fut assez établi pour connaître ultérieurement des versions satyriques, comme ce Cérémonie de mariage des monstres (Bakemono konrei) peint cent ans plus tard : http://www.toyo.ac.jp/site/collection1/bake.html.
  2. Le mariage au Japon a régulièrement fait l’objet de travaux d’anthropologues anglophones, parmi lesquels Joy Hendry (1986), Walter Edwards (1989), Ofra Goldstein-Gidoni (1997), utilisés ici.
  3. Gérald Arnaud, « Toute musique est « métisse » - bien sûr ! », Agricultures pop, vol. n° 62,‎ , p. 87–93 (ISSN 1276-2458, lire en ligne, consulté le )