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Début de l'article : Trilogie du Problème à trois corps.

Analyse[modifier | modifier le code]

Relecture de l'Histoire[modifier | modifier le code]

Estampe représentant des hommes portant des vêtements traditionnels chinois agenouillés dans une posture de soumission devant une troupe de soldats en uniforme.
Trisolaris comporte de nombreux points communs avec le Japon (estampe de Toshihide Migita représentant la reddition des généraux chinois après la bataille de Pyongyang).

Lors de la parution du Problème à trois corps dans Le Monde de la science-fiction, un avant-propos indique que « l'auteur tente de raconter l'histoire moderne de la Chine rejouée à l'échelle d'années-lumière ». De fait, l'ensemble de la trilogie relate la résistance de l'humanité à une invasion par des extraterrestres malveillants[1] : ce motif, présent dans d'autres œuvres de Liu Cixin[2], peut être analysé comme une relecture de la lutte entre la Chine et les puissances coloniales aux XIXe et XXe siècles[3]. Les Trisolariens présentent notamment de nombreux points communs avec l'empire du Japon : originaires d'un foyer instable, ils entreprennent tous deux la conquête d'une nouvelle patrie qu'ils jugent plus adaptée au développement de leur civilisation, avant d'être arrêtés par une force tierce au moyen d'une arme redoutable (respectivement un photon dévastateur et deux bombes atomiques). Bien que Liu Cixin ait plusieurs fois réfuté avoir conçu Trisolaris comme une allégorie du Japon impérialiste[1], il parsème la trilogie d'allusions à ce passé tourmenté : lors d'une discussion sur le mode de propulsion de futurs vaisseaux spatiaux dans La Forêt sombre, l'affrontement entre la Terre et Trisolaris est ainsi comparé à la première guerre sino-japonaise[4], où l'avancement technique des deux armées belligérantes s'avéra déterminant, tandis qu'Intellectra, l'ambassadrice trisolarienne dans La Mort immortelle, prend l'apparence d'une Japonaise[5].

Outre cette transposition de l'époque coloniale, la trilogie se nourrit de diverses périodes de l'histoire chinoise moderne. Ainsi, l'action du premier tome débute lors de la révolution culturelle, dont la violence fait indirectement écho à celle qui règne dans l'Univers tout entier : par la suite, la manière dont s'organisent les vaisseaux spatiaux ayant fui le système solaire s'apparente à une utopie maoïste, une société collectiviste et autosuffisante[6]. La logique compétitive de la « forêt sombre », quant à elle, n'est pas sans évoquer l'économie concurrentielle et individualisée ayant émergé après la réforme économique chinoise[7]. Plus largement, de nombreux éléments s'inspirent de l'histoire mondiale : la menace d'extermination que fait peser Trisolaris sur les Terriens renvoie à celle des autochtones d'Amérique durant leur conquête par les Européens, tandis que l'équilibre de destruction mutuelle assurée instauré par Luo Ji rappelle la dissuasion nucléaire mise en place pendant la guerre froide[8]. D'autres passages font intervenir l'Histoire de façon plus directe : ainsi, dans le prologue de La Mort immortelle, une jeune Byzantine rencontre un fragment hyperdimensionnel en 1453, juste avant la chute de Constantinople[9]. Cet épisode, en plus de servir de point de départ à la longue pente apocalyptique du roman[9], permet à l'auteur d'introduire l'idée de dimensions supplémentaires et de la capacité de la vie à agir sur le cosmos, dans la mesure où cet événement passe tout près de changer le cours de l'Histoire[10].

Celle-ci est également mise en scène dans le premier volume à travers le jeu des Trois Corps, une simulation en réalité virtuelle qui rejoue sur Trisolaris le développement politique et scientifique humain. Le résultat est une succession de civilisations constamment détruites par les mouvements des trois soleils de la planète, où des évolutions politiques très lentes se combinent à d'immenses avancées accomplies à chaque révolution scientifique[11]. Le jeu incorpore dès lors de nombreuses influences historiques, à la fois dans ses décors (le bâtiment principal de la simulation prend successivement la forme d'une pyramide égyptienne puis mésoaméricaine (en), d'une cathédrale gothique et du siège des Nations unies) et dans ses personnages, issus des histoires chinoise comme occidentale[12] : il fait ainsi apparaître le roi Wen de la dynastie Shang, période de développement scientifique et technique, puis le philosophe Mozi, dont la pensée combinant proto-science et proto-logique est ici appliquée à une première tentative de décrire le fonctionnement du monde trisolarien sur des bases rationnelles[11]. Des théoriciens occidentaux de plusieurs époques, dont Galilée, Isaac Newton et John von Neumann, introduisent ensuite la méthode hypothético-déductive, formulent le problème à N corps[13] et tentent de le modéliser grâce à un calculateur humain fait d'une multitude de soldats de l'empereur Qin Shi Huang. L'association de ce dernier, unificateur de la nation chinoise selon l'historiographie patriotique, à ce tournant de l'histoire scientifique n'est pas anodine : le récit suggère que l'ordre politique et le développement des sciences vont de pair[14], tout en insistant sur l'importance de la coopération internationale[15]. Par la suite, c'est en atteignant l'âge atomique que les Trisolariens découvrent l'insolubilité du problème à N corps et partent en quête d'un nouveau foyer dans l'espace. À travers cette Histoire fictive partagée entre Trisolariens et Terriens, l'auteur met en garde contre les querelles politiques qui affaiblissent la capacité d'une civilisation à maîtriser la science[14].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Sun 2018, p. 621.
  2. Sun 2018, p. 615.
  3. Sun 2018, p. 614.
  4. Sun 2018, p. 621-622.
  5. Sun 2018, p. 622.
  6. Song 2015, p. 10.
  7. Lyu 2022, p. 366.
  8. Rucavado 2022, p. 14.
  9. a et b Song 2022, p. 129.
  10. Zhao 2021, p. 220.
  11. a et b Peyton 2021, p. 30.
  12. Steiner 2022, p. 59.
  13. Peyton 2021, p. 31.
  14. a et b Peyton 2021, p. 32.
  15. Steiner 2022, p. 60.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

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