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Urba-incertitude (n.m. construit sur la base des mots urbain et incertitude) est un néologisme pour désigner le fait de penser les processus de conception des espaces urbains en plaçant l’incertitude au sein de l’action.

De la certitude à l'incertitude[modifier | modifier le code]

L’incertitude est le contraire de la certitude. La certitude, en philosophie, est une notion qui signifie l’assurance pleine et entière de l’exactitude de quelque chose[1]. Ainsi l’incertitude dans ce contexte, désigne le fait de reconnaître qu’on ne peut pas tout savoir, comme l’explique très bien Callon Michel : « on sait qu’on ne sait pas, mais c’est à peu près tout ce que l’on sait : il n’y a pas de meilleure définition de l’incertitude ».[2]

L'emploi du concept de « certitude » a, depuis l'Antiquité, été l'objet de multiples mises en garde philosophiques en la désignant souvent comme un idéal. Il a connu une ampleur notamment avec les idées du projet cartésien de Descartes, qui prône une science universelle déduite des lois mathématiques. Distinguant d'une part l'esprit et d'autre part le corps, il attribue à ce dernier des propriétés déductibles par l'emploi de « certitudes mathématiques », elles-mêmes déduites de lois plus générales.[3]

Mais ce concept sera remis en cause, d’abord physiquement, par le principe d’incertitude de Heisenberg (1932) qui stipule que connaître exactement la position et la vitesse d'une particule au même instant T est impossible.[4] Et ce, pour des raisons fondamentales.

Une définition de l'Urba-incertitude[modifier | modifier le code]

La notion d’incertitude a donc depuis le début du XXe siècle retrouvé un nouvel essor, et a été employé dans plusieurs domaines, jusqu’à voir le jour depuis quelques décennies, dans des réflexions liées à l’aménagement urbain.

Ainsi, l’Urba-incertitude, est une notion qui désigne le fait de penser les processus de conception des espaces urbains en plaçant l’incertitude au sein de l’action. Le résultat est donc un espace qui n’est pas d’une nature bien arrêtée, mais qui part de l’expérimentation d’un large éventail de constellations socio-économiques, afin que surgisse de cette incertitude fondamentale, une piste de projet suffisamment solide pour correspondre aux différentes formes de justice sociale.[5]

De l'urbanisme déductif à l'Urba-incertitude[modifier | modifier le code]

La pensée qui était primante dans l’urbanisme du XXe siècle est celle du projet urbain qui se déroulait généralement dans le cadre d’un processus parfaitement défini, que l’on pensait pouvoir étayer par les certitudes d’un programme établi sur la base de besoins clairement formulés. Thomas Sieverts l’explique comme suit :

« Le projet urbain relevait d’un urbanisme déductif, reliant chaque étape de la conception aux résultats de l’analyse. Plus l’analyse était détaillée, plus le projet s’améliorait. Les espoirs fondés sur cette assurance analytique se sont là encore effondrés. Les interrogations sur les raisons d’un tel échec ont fait l’objet, entre temps, de solides explications théoriques, et notre conception de l’évolution de la ville est marqué désormais par la notion d’incertitude. »[5] (Sieverts T. 2004)

Les causes de ces incertitudes, d’après Sieverts T., peuvent se résumer en quelques mots clefs[5] :

  • L’évolution fondamentalement non prévisible de systèmes présentant une grande complexité.
  • L’impossibilité de prévoir les rapports entre les effets recherchés et les effets secondaires non souhaités dans l’interdépendance de systèmes sociotechniques très différenciés. 
  • Une satisfaction des besoins élémentaires et une progression du bien-être général qui se traduisent par des « investissements » en temps et en argent quasiment imprévisibles.

L’urba-incertitude apparaît donc comme une nouvelle façon indispensable pour concevoir la ville, comme l’explique Sieverts : « Les temps ne sont plus aux déductions primaires issues de programmes et de besoins clairement définis. Il nous faut travailler à l’émergence de nouvelles opportunités sociales et culturelles, nous devons rechercher des potentialités nouvelles et politiquement attractives sous forme de marges de manœuvre et de propositions d’aménagement. »[5] (Sieverts T. 2004)

Démarches d'Urba-incertitude[modifier | modifier le code]

Thomas Sieverts est un architecte est urbaniste qui a enseigné la planification urbaine dans les universités de Berlin, Harvard et Darmstadt. Il explore la notion d’incertitude en urbanisme avec ses étudiants en poursuivant des démarches que l’on peut caractériser de la manière suivante :

  • Projeter avec des images et des processus figuratifs : Les idées de projets vont alors de l’invention d’images fortement évocatrices et politiquement stimulantes, jusqu’à l’ébauche de processus économiques, culturels ou politiques générateurs de formes.[5]
  • Projeter en définissant des trames et des noyaux : Dans ce cas, la confrontation à l’incertitude est limitée par le recours aux moyens classiques du projet urbain. Des « oasis », noyaux formellement stables, vont fixer les nœuds du réseau couvrant l’espace libre. Ensemble, ils définissent un « champ du projet » ouvert.[5]
  • Projeter avec les dimensions de la nature et du temps : elles s’attachent notamment à ces paysages de friches industrielles et militaires, bouleversés par la technique, mais qui se trouvent très rapidement reconquises par la nature. On ne sait plus trop s’ils appartiennent au monde de la technique ou à celui de la nature, cette indétermination incitante elle-même à concevoir les nouvelles structures bâties aussi bien comme des constructions destinées à remplir des fonctions humaines que comme des biotopes très diversifiés. Leur évolution dans le temps doit être prise en compte dès la conception. Les stimulations informatiques de leurs transformations permettent alors de présenter un large éventail d’alternatives.[5]

Ces démarches ont en commun un investissement positif de l’incertitude, manifeste dès lors qu’on s’en saisit activement comme d’un espace ouvert à l’espoir, comme le définit Sieverts : « L’incertitude devient un défi, une aventure du développement urbain, un espace qui ne se laisse pas définir, mais sur lequel on peut « imprimer » des orientations et des représentations susceptibles d’être « activées ». Même s’il échappe à toute définition « fonctionnelle » on peut faire qu’il dégage une ambiance positive, qui le donne à voir comme un espace de potentialités grandes ouvertes. »[5] (Sieverts T. 2004)

La projection d'image comme outil de penser l'Urba-incertain[modifier | modifier le code]

Sieverts met en lumière les avantages que peut ramener la pensée en images projectuelles pour stimuler l’imagination et dépasser les scénarios classiques en disant :

« La projection d’une image ou, plus exactement, d’une ambiance, permet de stimuler l’imagination en comblant l’absence de prospective par un « espace d’espoir ». Mises en œuvre, ces images donnent lieu à des mises en scène ouvertes et joyeuses qui, incitant au jeu et à l’appropriation, permettent, dans certains cas, de créer les conditions nécessaires à la consolidation d’une évolution favorable.

La démarche peut se révéler très créative, lorsqu’elle est menée avec un esprit critique et une certaine lucidité politique : Form follows fiction (le terme de fiction étant entendu ici au sens anglo-saxon de l’imagination créative). Interprétées comme des corridors d’objectifs politiques qui pourront connaître diverses formes de réalisation, des images de ce type sont susceptibles de se substituer à une conduite d’opération trop précise ou à l’intervention « exacte » qu’il n’est guère possible de mettre en œuvre aujourd’hui.» [5] (Sieverts T. 2004)

Penser l'Urba-incertitude par les réseaux et les noeuds[modifier | modifier le code]

Les processus figuratifs et les images d’ambiance ne suffisent pas, seuls, à créer des lieux et des structures spatiales. Il faut leur rajouter deux démarches complémentaires : réseaux et nœuds, autrement dit champ ouvert et noyaux formels. Ces démarches sont expliquées par Sieverts comme suit :

« Il s’agit en fait de « spécialiser » les différentes caractéristiques du réseau et les attributs des nœuds et, formellement, créer un équilibre mouvant et ouvert au changement. C’est l’une des raisons qui conduisent, à juste titre, à considérer le réseau comme une métaphore moderne de la politique et de la ville d’aujourd’hui, dans laquelle on aurait remplacé des blocs de pouvoir pétrifiés par l’interaction de forces et d’influences en mouvement permanent.

Il est donc question de réaliser une synthèse entre des noyaux permanents et stables et de vastes domaines marqués, au contraire, par une grande incertitude. Cette incertitude ne doit pas pourtant se traduire par une neutralité de l’aménagement mais par une forme de développement ouvert, définie par une ambiance, organisée par des règles du jeu et caractérisée par un certain rapport entre naturel et artificiel. Alors s’affirme le caractère politique du projet urbain conçu comme un corridor d’évolutions et d’objectifs, corridor de développement obéissant à des conventions de qualité initiales. »[5] (Sieverts T. 2004)

Bibliographie et références[modifier | modifier le code]

  1. Wittgenstein Ludwig, "De la certitude", 1951 (posthume)
  2. Callon, M., Barthe, Y., Lascoumes, P., Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris : Seuil, 2001
  3. Descartes René, Le Discours de la méthode, 1637
  4. Heisenberg Werner, Les principes physiques de la théorie des quanta, Gauthier-Villars, 1932. Rééd. Jacques Gabay, 1989
  5. a b c d e f g h i et j Sieverts Thomas, Entre-ville : Une lecture de la Zwichenstadt, Marseille : Editions Parenthèses, 2004, Traduit de l'allemand par Jean-Marc Deluze et Joël Vincent, pp.181-188