Toquz Oghuz

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La Toquz Oghuz (vieux turc : 𐱃𐰸𐰆𐰔:𐰆𐰍𐰔; chinois : 九姓 ; pinyin : Jiǔ Xìng ; litt. « Neuf Surnoms »; tibétain : དྲུག་རུས་དགུ་, Wylie : drug rus dgu) était une alliance politique de neuf tribus turciques Tiele en Asie intérieure, durant le Haut Moyen Âge. La Toquz Oghuz a été consolidée et subordonnée au sein du premier Khaganat turc (552–743) et perdurât comme une alliance entre neuf tribus après la fragmentation du Khaganat.

Elle retombe sous la domination des Göktürks lors de la formation du second Khaganat Turc, avant de participer a la chute de ce dernier en se révoltant en 742, puis en tuant le dernier Khagan en 745

Origines du nom[modifier | modifier le code]

Oghuz est un mot turc signifiant « communauté » et toquz signifie « neuf ». De même, les Karlouks étaient peut-être connus sous le nom de Üç-Oğuzüç signifiant « trois »[1]. La racine du terme ethnique généralisé « oghuz » est og -, signifiant « clan, tribu » ; qui à son tour, selon Kononov, descend de l'ancien mot turc ög signifiant « mère ». Cependant, contrairement à Kononov, Golden considère qu'une telle dérivation supplémentaire du sens ce mot est impossible[2]. Initialement, l'oguz désignait « tribus » ou « union tribale », et devint finalement un ethnonyme.

Histoire[modifier | modifier le code]

Les Toquz Oghuz ont peut-être été mentionnés pour la première fois dans les inscriptions de l'Orkhon écrites dans les années 730. Les neuf tribus ont été nommées dans l'histoire chinoise comme les Huihe /Ouïghours (回纥), Pugu (仆骨), Hun (浑), Bayegu (拔野古), Tongluo (同罗), Sijie (思结), Qibi (契).苾), A-Busi (阿布思) et Gulunwugusi (骨仑屋骨思)[3]. Les sept premiers nommés – qui vivaient au nord du désert de Gobi [4] – étaient dominants, tandis que les A-Busi et les Gulunwugu(si) émergèrent plus tard et furent acceptés sur un pied d'égalité avec les autres quelque temps après 743. Les A-Busi sont apparemment originaires d'un groupe sous-tribal au sein des Sijie [5],[6] et des Gulunwugu(si) comme une combinaison de deux autres tribus[7].

Bilge Kaghan, un Khagan du Second Khaganat Turc considérait les Toquz Oghuz comme étant « [son] propre peuple ». Il est également mentionné dans les inscriptions de Kul Tigin que les Göktürks et Toquz Oghuz se battaient cinq fois par an[8],[9],[10].

𐱃𐰸𐰆𐰕:𐰆𐰍𐰕:𐰉𐰆𐰑𐰣:𐰚𐰤𐱅𐰃:𐰉𐰆𐰑𐰣𐰢:𐰼𐱅𐰃:𐱅𐰭𐰼𐰃:𐰘𐰃𐰼:𐰉𐰆𐰞𐰍𐰴𐰃𐰤:𐰇𐰲𐰇𐰤:𐰖𐰍𐰃:𐰉𐰆𐰡𐰃

Toquz Oγuz budun kentü budunïm erti Teŋіri jer bolγaqïn üčün yaγï boltï.

"Les Neuf Oguzes étaient mon propre peuple. Alors que Tengri et la terre tombaient en désordre, ils se sont soulevés contre nous."

De même, des sources étrangères ont suggéré l'association politique de certaines tribus Toquz Oghuz aux Göktürks. Un texte khotanais Saka sur les Turcs de Ganzhou mentionnait saikairä ttūrkä chārä (< OTrk. * sïqïr türk çor ). Les Sïqïr Türks ont été identifiés avec les Sikāri dans les documents sogdiens ainsi qu'avec les Sijie[11],[12], qui ont été mentionnés comme Tujue Sijie (突厥思結) dans Zizhi Tongjian[13],[14]. Parmi les tribus turques orientales qui habitaient au sud du désert de Gobi, [note 1] Tang Huiyao a inclut les Sijie (traduit à tort par Enjie 恩結), qui habitaient dans le gouvernorat militaire de Lushan 盧山都督府[16], et les Fuli, qui habitaient dans la même province jimi de Dailin que la tribu dissidente de Sijie A-Busi[17],[18]. Les Fuli(-yu) (匐利[羽]), ou Fuli(-ju) (伏利[具])[19], étaient identifiables comme les Fuluo (覆羅) dans d'autres sources chinoises [20],[21] et les Bökli-Çöligil (OTrk. 𐰋𐰇𐰚𐰲𐰃:𐰲𐰇𐰠𐰏𐰠), qui figuraient sur l'inscription de Kül-tegin et seraient originaires des Toungouses Mohe[22], Coréens[23],[24], ou de peuples ethniques turciques. Kenzheakhmet (2014:297-299) relie la tribu dissidente des Sijie Abusi (< OTrk. * Abïz ) aux Fuli (< OTrk. * Bükeli < büke "serpent, dragon" + suffixe conjonctif de coordination -li, éventuellement)[25],[note 2].

liste alternative[modifier | modifier le code]

Il existe une autre liste de neuf noms - Yaoluoge (藥羅葛) (< OTrk. 𐰖𐰍𐰞𐰴𐰺 Yaglaqar), Huduoge (胡咄葛), Guluowu (啒羅勿), Mogexiqi (貊歌息訖), A-Wudi (阿勿嘀), Gesa (葛薩), [note 3] Huwasu (斛嗢素), Yaowuge (藥勿葛) et Xiyawu (奚牙勿) - est apparue dans l'Ancien Livre des Tang[32] et le Nouveau Livre des Tang[33]. Selon Haneda (1957), Toquz Oğuz était un groupe de neuf clans dirigé par Yaglaqar et inclus dans la tribu ouïghoure[34]. En revanche, Golden (1992) a proposé que Toquz Oğuz était le groupe de neuf tribus des Tang Huiyao dirigé par les Ouïghours, qui à leur tour comprenaient les neuf sous-tribus dirigées par Yaglaqar[35]. L'inscription Shine Usu mentionnait que les Yağlaqar régnaient sur les «Dix [-tribus] Ouïghours» d'On-Uyğur et sur les «Neuf [-tribus] Oghuz de Toquz Oğuz»[36]. Pendant ce temps, Hashimoto, Katayama et Senga proposent que la liste des Tang Huiyao (dirigée par les Ouïghours) contenait les noms des tribus Toquz Oghuz proprement dites, tandis que chaque nom des deux listes (dirigées par Yağlaqar) dans les Livres des Tang enregistrait chaque nom de famille de chacun des neuf chefs de sous-tribu (par exemple Le nom de famille du chef ouïghour est Yağlaqar ; Le nom de famille du chef Sijie est Gesa, etc.)[37].

Montée en puissance et naissance du Khaganat ouïgour[modifier | modifier le code]

En 742, les Toquz Oghuz, les Karlouks et les Basmyls se révoltent contre le Deuxième Khaganat turc[38].

En 744, les Basmyls s'emparèrent de la capitale turque d'Ötüken et tuent Özmiş Khagan. un peu plus tard la même année, les Toquz Oghuz, qui commencent a se faire appeler "Ouïghours", et les Karlouks s'allient contre les Basmyls et les vaincs. Leur khagan est tué et les Basmyls cessent d'exister en tant que peuple après cette défaite. L'alliance entre les Ouïghours et les Karlouks vole alors en éclat et les conflits qui s'ensuivent forcent ces derniers à migrer vers l'ouest, dans le Jetyssou. Là, ils entrent en conflit avec les Türgesh, qu'ils finissent par vaincre et conquérir en 766[39]..

Le nom personnel du dirigeant ouïghour est Qullığ Boyla (chinois traditionnel : 骨力裴羅). Aprés la victoire contre les Karlouks, il prend le titre de Kutlug Bilge Kol Khagan (Khagan glorieux, sage et puissant), et se proclame dirigeant suprême de toutes les tribus. Il fait construire sa capitale à Ordu-Baliq. Selon des sources chinoises, le territoire de l'Empire ouïghour atteint alors « à son extrémité orientale, le territoire de Shiwei, à l'ouest les monts de l'Altaï, au sud il contrôlait le désert de Gobi, il couvrait donc tout le territoire de l'ancien empire Xiongnu[40]. » A ce stade, la Toquz Oghuz n'existe plus et a laissé la place au Khaganat ouïgour

En 745, les Ouïghours tuent Ozmish Qaghan (chinois : 白眉可汗 鶻隴匐), le dernier khagan des Göktürks, et envolent sa tête aux Tang[41].

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Dobrovits (2004:259) inclu également les Qibi parmi ces tribus turques orientales. Le statut des Qibis en tant que tribu turque orientale n'est pas évident dans le texte de Tang Huiyao, qui mentionne simplement la similitude entre les chevaux des Qibi et des Göktürks au sud du Désert de Gobi[15].
  2. En lisant l'éthonyme 𐰋𐰇𐰚𐰲𐰃:𐰲𐰇𐰠𐰏𐰠 comme Bükli-Çöl-Igil, Kenzheakhmet relie en outre les Abusi et les Fuli à Sijie, sur la base de son interprétation erronée de Zuev. En effet, il part du principe que Zuev a réinterprété le terme Vieux Turc « igil » en « Sijie » (思結) alors qu'en fait il l'as réinterprété en « Xījiē » 奚結, qui habitaient au nord de la rivière Helianzhi.[17],[26].
  3. Dunlop (1954) relie les Gesa de Jiuxing (葛薩) aux Khazars[27]; cependant, la thèse de Dunlop présente plusieurs problèmes : plutôt qu'aux Toquz Oghuz, des sources chinoises ont lié les Khazars aux Göktürks en les appelant Tūjué Kěsà bù 突厥可薩部 / Tūjué Hésà 突厥曷薩[28] (Tūjué 突厥 était alors encore un terme réservé aux Göktürks et à leurs groupes dissidents, pas à tous les peuples turcs[29]); la syllabe Kha- dans Khazar est transcrite en Chinois avec les sinnogrames suivants: 可 (< LMC & EMC *kʰaX) et 曷 (< LMC *xʱat < EMC *ɣat), tandis que Qa- dans Qasar l'est en utilisanth 葛 (< LMC & EMC *kat). L'historien byzantin Théophane le Confesseur mentionne dans ses écrits le commandant militaire Khazar Ziebel [30], qui a été identifié comme étant Külüg Sibir du Khaganat turc occidental [31].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Gumilev L.N. Ancient Turks, Moscow, 'Science', 1967, Ch.5
  2. Golden, B. P. "Oq and Oğur ~ Oğuz", Turkic Languages, 16/2 (2012), p. 183–188
  3. Theobald, U. "Huihe 回紇, Huihu 回鶻, Weiwur 維吾爾, Uyghurs" dans ChinaKnowledge.de - An Encyclopaedia on Chinese History, Literature and Art
  4. Jiu Tangshu Vol. 199 lower txt. "自突厥強盛,鐵勒諸郡分散,衆漸寡弱。至武德初,有 [...] 契苾回紇、[...] 僕骨拔野古同羅渾部思結、[...] 等,散在磧北。"trad : Tandis que les Tujue sont forts et prospères, tous les districts de Tiele sont divisés et dispersés, les masses [comprendre : "la population"] ont progressivement diminué et [se sont] affaiblies. Au début de [l'ère] Wude, il y a [...] Qibi, Huihe, [...] Pugu, Bayegu, Tongluo, Hun, Sijie, [...] etc. dispersés au nord du désert."
  5. l' Ancien Livre des Tang (Volume 199b "Tiele") et le Tang Huiyao vol. 73 indiquent que la province de Dailin (林州) a été fondée sur le territoire du clan dissident de Sijie (思結別部)
  6. l' Ancien Livre des Tang (Vol. 195 "Huihe") indique que la province de Guilin (林州) a été fondée sur le territoire du clan A-Busi (阿布思)
  7. Colin Mackerras, The Cambridge History of Early Inner Asia, (ISBN 978-0-521-24304-9), « Chapter 12 - The Uighurs », p. 320
  8. Ergin 1970:81
  9. Gündüz 2002/2:263
  10. inscriptions de Bilge Khagan a Türik Bitig
  11. Bailey, H.W. (1949) "A Khotanese texts concerning the Turks in Kanṭṣou" dans Asia Major New Series 1.1, p. 50 de pp. 28-52
  12. Bailey, H.W. "The Staël-Holstein Miscellany" (1951) dans Asia Major New Series 2.1, p. 19 de pp. 1-45
  13. Sima Guang et al. Zizhi Tongjian, vol. 196
  14. Zuev, Yu. "Horse Tamgas from Vassal Princedoms" (Traduction de la composition chinoise "Tanghuiyao" des VIIIe – Xe siècles), Kazakh SSR Academy of Sciences, Alma-Ata, 1960, p. 114 (en Russe)
  15. Tang Huiyao, vol. 72. txt. "契苾馬。與磧南突厥相似"
  16. Jiu Tangshu, Vol. 199b Tiele
  17. a et b Tang Huiyao, vol. 72 txt. "匐利羽馬。磧南突厥馬也。剛摩利施山北。今蹛林州。印勿" tr. "Les Chevaux de l'aile Fuli, c'est à dire les chevaux des Tujue au sud du désert. [Ils habitaient] au nord des montagnes Gangmolishi, dans l'actuelle province de Dailin. Tamga [ressemble] [personnage] 勿"
  18. Dobrovits, M. "The Thirty Tribes of the Turks" dans Acta Orientalia Academiae Scientiarum Hung. Volume 57 (3), p. 259 of pp. 257–262 (2004)
  19. Suishu Vol. 51
  20. Tongdian vol. 199 Tiele
  21. Zuev, (1960) p. 110
  22. Yıldırım, Kurşat. (2019) "Some Opinions on the Role of the Mohe 靺鞨 People in the Cultural and Ethnical Relationships between Tungusic, Turkic and Mongolian Peoples" in "Competing Narratives between Nomadic People and their Sedentary Neighbours" Studia Uralo-altaica, 53, Ed. Chen Hao, Szeged, pp. 327-332."
  23. Kül-tegin inscription Note 139 du Türik Bitig
  24. Henning, W. (1948). The Date of the Sogdian Ancient Letters. Bulletin of the School of Oriental and African Studies, University of London, 12(3/4), p. 611 de pp. 601-615.
  25. Kenzheakhmet, Nurlan(2014). ""Ethnonyms and Toponyms of the Old Turkic Inscriptions in Chinese sources". Studia et Documenta Turcologica. II: p. 297-299 de pp. 287-216
  26. Zuev, Yu.A. (2002) Early Turks: Sketches of History and Ideology Daik-Press, Almaty. p. 45 (in Russian)
  27. Dunlop, Douglas Morton (1954). History of the Jewish Khazars. New York: Schocken Books. p. 34-40
  28. Golden, P.B. (2007). "Khazar Studies: Achievements and Perspectives". dans Golden, Peter B.; Ben-Shammai, Haggai; Róna-Tas, András (eds.). The World of the Khazars: New Perspectives. Handbook of Oriental Studies. 17. BRILL. p. 16-17 de pp. 7–57.
  29. Lee, Joo-Yup (2016)."The Historical Meaning of the Term Turk and the Nature of the Turkic Identity of the Chinggisid and Timurid Elites in Post-Mongol Central Asia". Central Asiatic Journal 59(1-2): p. 103-105 de pp. 101–32.
  30. The Chronicle of Theophanes Confessor: Byzantine and Near Eastern History AD 284-813 (1997). traduit en anglais par Cyril Mango et Roger Scott, assistés par Geoffrey Greatrex. Clarendon Press, Oxford. p. 447
  31. de la Vaissière, Étienne "Ziebel Qaghan identified" in C. Zuckerman (ed.), Constructing the 7th century (Travaux et mémoires 17), Paris 2013, pp. 741–748
  32. Jiu Tangshu Vol. 195
  33. Xin Tangshu Vol. 217a
  34. Haneda Tōru 羽田亨,「九姓回鶻とToquz Oγuz との関係を論ず」, 1957:341.
  35. Golden, P.B. (1992) An Introduction the History of Turkic Peoples p. 156-157
  36. Golden, P.B. "’Eternal Stones’: Historical Memory and Notions of History Among the Early Turkic Peoples" ed. I. Poonawala, Turks in the Indian subcontinent, Central and West Asia (New Delhi: Oxford University Press-Delhi, 2017): p. 16, 51 of 3-63.
  37. Senga, « The Toquz Oghuz Problem and the Origins of the Khazars », Journal of Asian History, vol. 24, no 1,‎ , p. 57–69 (JSTOR 419253799)
  38. Sinor 1990, p. 317–342.
  39. Sinor 1990, p. 349.
  40. 新唐書 (Nouveau Livre des Tang, « Chapitre 217 partie 1 »
  41. Barfield 1989, p. 151.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Thomas Barfield, The Perilous Frontier: Nomadic Empires and China, Basil Blackwell,
  • Denis Sinor, The Cambridge History of Early Inner Asia, Cambridge University Press, (ISBN 978-0-521-24304-9)