Système T
À l'instar de la récursion primitive ou le lambda-calcul, le système T ou l'arithmétique dans les types finis, parfois notée est un système formel. Il a été inventé par le logicien Kurt Gödel[1] pour montrer la cohérence de l'arithmétique de Heyting au moyen de son interprétation Dialectica (en).
Ce système consiste en une extension du lambda-calcul simplement typé avec des entiers naturels et la possibilité de définir des fonctions par récurrence. Le système T est plus expressif que le lambda-calcul simplement typé et que la récursion primitive étant donné qu'il permet de définir la fonction d'Ackermann. En fait, les fonctions définissables dans le système T sont exactement les fonctions prouvablement totales dans l'arithmétique de Peano, ou de façon équivalente, dans l'arithmétique de Heyting.
Le principe est simple : on garde les schémas récursifs primitifs, notamment celui de la récurrence primitive :
La différence majeure est que l'on autorise désormais les paramètres à être des fonctions. Par rapport à la récursion primitive, il est alors possible, par exemple, de faire une récurrence sur plusieurs paramètres.
Formalisme
[modifier | modifier le code]Le formalisme se base sur celui du lambda-calcul simplement typé. On y ajoute un type représentant les entiers naturels, , ainsi qu'un type représentant les booléens, [2].
Pour les booléens, on considère deux constantes, (Vrai en anglais) et (Faux en anglais), ainsi qu'une construction avec un booléen et et de même type . Cette opération représente une instruction conditionnelle : si est vrai, on renvoie , sinon . Cela se traduit par les règles et .
Les entiers sont construits soit à partir de la constante , soit comme le successeur d'un autre entier , qui représente . Ainsi, si est un entier naturel usuel, il sera représenté dans le système T par le terme , qui consiste en applications successives de au terme .
Si est un entier, a pour type et est une fonction qui prend un entier et un élément de type et renvoie un élément de type , est de type . L'idée derrière est que le terme représente la fonction définie par récurrence avec et : on considère donc les règles de réduction et .
On peut de montrer que les termes clos — c'est-à-dire sans variable libre — de type sont tous de la forme pour un certain entier naturel , et les termes clos de type sont et [3]. De plus, on peut noter que la réduction est confluente, préserve les types et est fortement normalisante[4], ce dernier résultat a été démontré en premier par Tait[5].
Combinateurs typés
[modifier | modifier le code]L'article originel de Gödel[1] présente un formalisme basé sur des combinateurs typés plutôt que sur le lambda-calcul simplement typé. Tait considère que c'est parce qu'il est plus facile de raisonner avec des combinateurs plutôt qu'avec le lambda-calcul, qui évitent de devoir gérer la substitution et les variables libres et liées[5], mais Troelstra[6] et lui définissent les lambda-termes à partir des combinateurs. Girard quant à lui présente le système T uniquement avec le lambda-calcul dans sa thèse[7] et dans son livre[2], en ajoutant un type des booléens et un type produit.
Exemples
[modifier | modifier le code]Le prédécesseur
[modifier | modifier le code]La fonction prédécesseur vérifie les équations suivantes[8] :
- ;
- .
On peut donc l'écrire sous forme de terme comme :
Un minimum efficace
[modifier | modifier le code]En récursion primitive, on ne peut pas faire une fonction qui retourne le minimum de deux entiers en temps de calcul minimum de ces deux entiers, pour la stratégie d'évaluation d'appel par nom[9]. C'est très contraignant si on calcule, par exemple, le minimum de 2 et 1 000 000. Comme le système T permet les récursions sur plusieurs paramètres, on peut trouver un algorithme plus efficace.
Intuitivement, la fonction minimum vérifie les équations suivantes :
- ;
- ;
- .
En transformant un peu on obtient des équations utilisant le schéma souhaité :
- ;
- ;
- ;
- .
Le terme voulu est :
De la même manière, on peut obtenir facilement un programme optimisé pour l'addition et la soustraction.
La fonction d'Ackermann
[modifier | modifier le code]La fonction d'Ackermann est définie ainsi :
On remarque que cette définition n'est pas une instance valide du schéma de récurrence primitive récursive : en effet, la récurrence primitive n'autorise pas à définir par récurrence une fonction qui renvoie autre chose qu'un entier (en l'occurence, il faudrait pouvoir renvoyer une fonction), mais ce n'est pas une limitation de système T. En fait, la fonction d'Ackermann n'est pas une fonction primitive récursive[10].
Ainsi, en modifiant un peu la définition, on obtient la forme désirée :
- ;
- ;
- ;
- .
Dans la fonction auxiliaire, la variable contient la fonction . Il n'y a plus qu'à écrire cela sous forme de terme :
Formules
[modifier | modifier le code]On peut introduire une théorie dont les termes sont décrits par ceux de système T[1],[5],[11],[12]. Les formules sont alors formées par quantification universelle et existentielle, conjonction, disjonction, négation et implication, à partir des formules atomiques (la formule toujours vraie), (la formule toujours fausse) et où est un type et et deux termes de types , qui désigne la formule vraie si et sont égaux et fausse s'ils sont différents. Les règles de démonstration sont celles de la déduction naturelle dans sa variante intuitionniste, c'est-à-dire sans la règle de démonstration par l'absurde. Les règles de démonstration comprennent également la récurrence sur les entiers, qui énonce que
et la règle d'élimination des booléens, qui énonce que
Égalité
[modifier | modifier le code]Pour l'égalité[13], on considère les règles de l'arithmétique de Peano pour les entiers, c'est-à-dire que et , que les deux constantes booléennes sont différentes : , que l'égalité est une relation réflexive, symétrique et transitive : , , , que deux termes égaux sont substituables : si et alors , et que les règles de réduction de et sont valides, c'est-à-dire que , , et . Pour les fonctions, on considère si n'est pas libre dans et , mais cela ne suffit pas forcément à décrire l'égalité entre fonctions.
Dans le système utilisé par Gödel à l'origine[1], l'égalité est supposée intensionnelle[14], c'est-à-dire que deux fonctions sont égales si c'est le même algorithme qui les décrivent, par exemple, s'ils sont convertibles au travers de la clotûre réflexive, symétrique et transitive de la relation de réduction décrite précédemment pour les termes bien typés, sans la règle du lambda-calcul. Comme est confluente et fortement normalisante, correspond à la relation « a la même forme normale que ». De plus, dans ce système, il y a un symbole de fonction pour chaque type tel que . En particulier, l'égalité est décidable et si et sont deux termes de type qui ont la même forme normale, alors ils sont égaux.
On peut également considérer une variante extensionnelle[15] où deux fonctions sont égales si elles sont égales en tout point : cela revient à rajouter la règle d'-réduction pour les fonctions. Néanmoins dans ce système, l'égalité n'est plus décidable, et l'interprétation Dialectica (en) ne fonctionne pas[16]. Pour remédier à cela, on peut limiter la règle usuelle d'élimination de l'égalité, disant que si et sont vraies, alors aussi, en ne l'autorisant que pour sans quantificateurs.
Enfin, on peut considérer un système où il n'y a pas de symbole pour l'égalité des types de fonctions[17].
Tous ces systèmes sont des extensions de l'arithmétique de Heyting, et dans tous les systèmes sauf le système extensionnel avec la règle d'élimination de l'égalité complète, chaque formule sans quantificateurs est équivalente à une formule de la forme [18].
Interprétation Dialectica
[modifier | modifier le code]Ces règles de déduction permettent de faire de système T une théorie logique à part entière , qui étend l'arithmétique de Heyting, et dans laquelle l'interprétation Dialectica (en) est valide. Cette interprétation consiste à traduire chaque formule par une formule sans quantificateur à deux variables libres et de types et , de sorte que si alors [19], où est la variante de sans les quantificateurs. De plus, ce système étant intuitionniste, on en déduit qu'il existe un terme de type tel que . Vu la remarque précédente, on en déduit que dans le système avec l'égalité intensionnelle, l'interprétation Dialectica revient à trouver pour chaque formule un terme de système T — étendu avec la fonction définie précédemment et la réductions — à une variable libre que si alors il existe un terme de type tel que [20].
Le but de cette traduction, inventée par Gödel en 1958[1], était de faire reposer la preuve de cohérence de l'arithmétique sur des fondations plus simples que celles connues jusqu'à présent, qui se basaient sur une preuve de Gerhard Gentzen utilisant de l'analyse ordinale et de la récurrence transfinie jusqu'à l'ordinal [21]. Une preuve de cohérence de système T utilisant un modèle de termes (l'univers est l'ensembles des termes, quotientés par la relation ) a été produite par William Tait en 1967[5], dans laquelle il introduit les base de la méthode des candidats de réducibilité développée plus tard par Jean-Yves Girard pour prouver la cohérence de système F, et en particulier sa terminaison[22].
Cette interprétaton permet par exemple de montrer que toutes les fonctions calculables de dans que l'arithmétique de Peano prouve être des fonctions totales sont données par des termes de système T[23].
Enfin, si est vraie dans un modèle de système T, on dit que la formule est Dialectica-interprétable. Cela permet de montrer la cohérence relative de plusieurs systèmes logiques, par exemple :
- l'axiome du choix (dans sa forme , souvent accepté dans les mathématiques constructives), et l'axiome de Spector , sont interprétables dans le système T muni de la bar-récursion, et définit les mêmes fonctions que ce système-ci[24].
- la thèse de Church, qui dit que toutes les fonctions sont calculables, est compatible avec le système T étendu avec un codage de Gödel des fonctions et une arithmétisation de la réduction, et définit les mêmes fonctions ce que celui-ci[25];
- le principe de Markov, qui dit que si est un prédicat décidable (c'est-à-dire que ), et qu'il y a un algorithme dont on sait qu'il termine qui cherche un tel que , alors on peut trouver un tel . Il s'énonce ainsi : . L'interprétation Dialectica de ce principe est valide dans l'arithmétique de Heyting[26].
Articles connexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (en) Morten Heine Sørensen et Pawel Urzyczyn, Lectures on the Curry-Howard Isomorphism, vol. 149, Elsevier Science, coll. « Studies in Logic and the Foundations of Mathematics », , 456 p. (ISBN 978-0-444-52077-7, 9780444545961 et 9780080478920, lire en ligne [PDF]), Chapitre 11 : First-order arithmetic and Gödel's T : présentation du lambda-calcul simplement typé, de l'arithmétique de Peano, du système T et de l'interprétation Dialectica.
- (en) Jean-Yves Girard, Paul Taylor et Yves Lafont, Proofs and Types, Cambridge University Press, , 183 p. (ISBN 0-521-37181-3, lire en ligne ) : présentation de système T et du lambda-calcul simplement typé.
- Jean-Yves Girard, Interprétation fonctionnelle et élimination des coupures de l'arithmétique d'ordre supérieur, , 230 p. (lire en ligne) : thèse de Girard dans laquelle il revisite système T et développe système F, et présente l'interprétation Dialectica y compris pour ces deux systèmes.
- (en) Anne Sjerp Troelstra, Metamathematical Investigation of Intuitionistic Arithmetic and Analysis, Springer Berlin, Heidelberg, coll. « Lecture Notes in Mathematics » (no 344), , 503 p. (ISBN 978-3-540-06491-6, ISSN 0075-8434, e-ISSN 1617-9692, DOI 10.1007/BFb0066739 , lire en ligne ) : ouvrage de théorie de la démonstration très complet qui présente les différentes systèmes arithmétiques dans la logique intuitionniste et différents résultats à leur sujet, notamment au moyen de la réalisabilité (notamment par l'interprétation Dialectica), de la théorie des modèles et de la norminalisation.
Références
[modifier | modifier le code]- (de) Kurt Gödel, « Über eine bisher noch nicht benützte Erweiterung des finiten Standpunktes », Dialectica, vol. 12, nos 3-4, , p. 280–287 (DOI 10.1111/j.1746-8361.1958.tb01464.x )
- Girard, Taylor et Lafont 1989, p. 47
- Girard, Taylor et Lafont 1989, p. 51
- Girard, Taylor et Lafont 1989, p. 48
- (en) William Walker Tait, « Intensional Interpretations of Functionals of Finite Type I », The Journal of Symbolic Logic, vol. 32, no 2, , p. 198–212 (ISSN 0022-4812, DOI 10.2307/2271658, lire en ligne [PDF], consulté le )
- Troelstra 1973, p. 41
- Girard 1972, p. I.2.1
- Girard, Taylor et Lafont 1989, p. 50
- Loïc Colson, « About primitive recursive algorithms », Theoretical Computer Science, vol. 83, no 1, , p. 57–69 (ISSN 0304-3975, DOI 10.1016/0304-3975(91)90039-5 )
- (de) Wilhelm Ackermann, « Zum Hilbertschen Aufbau der reellen Zahlen », Mathematische Annalen, vol. 99, no 1, , p. 118–133 (ISSN 1432-1807, DOI 10.1007/BF01459088 , lire en ligne , consulté le )
- Girard 1972, p. III.2.1
- Troelstra 1973, p. 39-50
- Troelstra 1973, p. 40-42
- Troelstra 1973, p. 43
- Troelstra 1973, p. 43-45
- Troelstra 1973, p. 242
- Troelstra 1973, p. 46
- Troelstra 1973, p. 45
- Troelstra 1973, p. 234
- Sørensen et Urzyczyn 2006, p. 183-184
- (de) Gerhard Gentzen, « Die Widerspruchsfreiheit der reinen Zahlentheorie », Mathematische Annalen, Springer Nature, vol. 112, no 1, , p. 493–565 (ISSN 1432-1807, DOI 10.1007/BF01565428 , S2CID 122719892)
- (en) Jean H. Gallier, « On Girard’s “Candidats de réductibilité” », dans Piergiorgio Odifreddi, Logic and Computer Science, Academic Press, coll. « APIC studies in data processing » (no 31), , 430 p. (ISBN 978-0-12-524220-2, lire en ligne)
- Girard 1972, p. V.2.6
- Girard 1972, p. V.3.5
- Girard 1972, p. V.5.3
- Girard 1972, p. V.6.1