Plan britannique d'expulsion des demandeurs d’asile au Rwanda

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La ministre britannique de l'Intérieur Priti Patel et le ministre rwandais des Affaires étrangères Vincent Biruta signant l'accord le .

Le plan britannique d'expulsion des demandeurs d’asile au Rwanda (officiellement « UK and Rwanda Migration and Economic Development Partnership », partenariat entre le Royaume-Uni et le Rwanda en matière de migration et de développement économique, ou communément « Rwanda asylum plan ») est une stratégie d'externalisation de l'asile controversée qui prévoit l'expulsion vers le Rwanda des demandeurs d'asile rentrés illégalement sur le territoire pour que leur demande d'asile y soit examinée, sans possibilité de retour vers le Royaume-Uni.

Le projet est élaboré à partir d' par le gouvernement de Boris Johnson, quelques mois après un naufrage très meurtrier dans la Manche, et poursuivi par ses successeurs. La Cour suprême britannique prononce en 2023 l’illégalité du projet, mais le gouvernement britannique persiste avec une nouvelle version du traité (pourtant incompatible avec le droit international selon l'ONU) et une loi définissant le Rwanda comme un pays « sûr », espérant les premières déportations vers le Rwanda au printemps 2024. Une première personne, déboutée de sa demande d'asile au Royaume-Uni, est transférée vers le Rwanda le , deux jours avant les élections locales.

Contexte[modifier | modifier le code]

L'accord rwandais passé en 2022 s'inscrit dans une série de projets britanniques controversés visant à tenir à distance les étrangers, comme des machines à vagues pour refouler les bateaux, ou des centres de traitement des demandes d’asile installés sur des barges flottantes[1],[2],[3],[4]. L'un d'eux est installé en juillet 2023 sur l'île de Portland[5]. 39 migrants y sont installés avant une évacuation due à une alerte à la légionellose[6]. Le Royaume-Uni double son financement pour lutter contre l’immigration illégale depuis la France : le gouvernement de Rishi Sunak annonce verser 541 millions d’euros à la France sur la période 2023-2026[7].

Alors même que la Cour suprême britannique vient de rappeler le droit international concernant le principe de « non-refoulement »[8], Londres tente de prendre modèle sur l’Australie, qui avait envoyé dès le début des années 2000 ses migrants sur les îles Manus et Nauru dans des camps gérés par des compagnies privées[9]. Israël et le Danemark ont aussi conçu des projets similaires[10],[11],[12]. L'Italie prévoit à l'automne 2023 de déporter ses demandeurs d'asile en Albanie[13],[14],[15],[16], mais l'accord est temporairement bloqué par la cour constitutionnelle albanaise[17]. La stratégie de délocalisation des demandes d'asile séduit les pouvoirs publics européens[18].

Historique[modifier | modifier le code]

L'accord annoncé en avril 2022[19]. Il prévoit d’expulser vers le Rwanda les étrangers arrivés « illégalement ou par des moyens dangereux ou inutiles en provenance de pays sûrs ». Le Rwanda détient une délégation totale des responsabilités du Royaume-Uni en ce qui concerne l’examen des demandes. Il peut accorder l'asile sur son territoire. Les demandeurs n’ont aucune possibilité de revenir au Royaume-Uni[20].

L'accord est contraire à la convention de Genève, qui interdit le refoulement des demandeurs d’asile vers un pays où leurs libertés seraient menacées, alors que le Rwanda est régulièrement dénoncé pour des détentions arbitraires et des procès non équitables[21],[22]. La Haute cour de Justice valide sa faisabilité juridique en décembre 2023[23]. Il est présenté comme une reprise du contrôle sur les frontières après le Brexit et se veut dissuasif, mais il est aussi interprété comme une tentative politique de diversion après le scandale du Partygate[21],[24].

Le premier vol charter ayant reçu l'autorisation légale de la Haute Cour était prévu le [25]. Une mesure provisoire de dernière minute prise par la Cour européenne des droits de l'homme entraîne l'arrêt du plan jusqu'à la conclusion de l'action en justice au Royaume-Uni[26]. Fin 2022, peu après un nouveau naufrage meurtrier dans la manche[27], et à un moment où le nombre de traversées de la Manche par des migrants n’a jamais été aussi élevé, la Haute Cour valide le plan[28], mais les cas individuels de huit demandeurs d'asile devant être expulsés cette année-là doivent être réexaminés[29].

Le Guardian révèle en que la ministre britannique de l’Intérieur, Suella Braverman, a un projet de loi qui pourrait mener à la détention puis l’expulsion de plus de 3 000 demandeurs d’asile par mois, dès janvier 2024[30],[31].

Le , la Cour d'appel invalide le plan, estimant que le Rwanda n’est pas « un pays tiers sûr » pour les demandeurs d’asile[32]. Le gouvernement de Rishi Sunak dépose un recours auprès de la Cour suprême d’Angleterre et du Pays de Galles[33], qui confirme en novembre 2023 la décision en appel[34].

Quelques semaines plus tard, le 17 janvier 2024, le Premier ministre britannique Rishi Sunak réussit à faire adopter par la Chambre des communes, après des débats houleux et par 320 voix pour et 276 contre[35], un texte de loi qui permet de limiter au maximum les risques de recours juridiques contre les déportations, mais qui doit ensuite obtenir l'approbation de la Chambre des lords[36]. Le texte ordonne aux tribunaux d'ignorer des sections clés de la loi sur les droits de l'homme et d'autres lois britanniques ou règles internationales, telles que la Convention internationale sur les réfugiés[37]. En février 2024, une commission parlementaire juge ce projet de loi désignant le Rwanda comme un pays sûr est incompatible avec les obligations en matière de droits humains du Royaume-Uni[38],[39].

Le ministre de l’Intérieur James Cleverly signe avec Vincent Biruta, le chef de la diplomatie rwandaise, une nouvelle version du traité entendant répondre aux objections de la Cour suprême, notamment concernant le risque de refoulement des demandeurs d’asile, qui est contraire au droit britannique et aux traités internationaux dont le Royaume-Uni est signataire : la Convention des Nations unies sur les réfugiés et la Convention européenne des droits de l’homme. Le gouvernement Sunak prépare par ailleurs une loi visant à déclarer le Rwanda « sûr » au regard de l’asile[40]. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés déclare que la dernière version du projet n'est pas compatible avec le droit international[40]. Les parlementaires de la chambre des lords s'y opposent en janvier 2024[41],[36], et le Conseil de l'Europe en février 2024[42]; le haut-commissaire aux droits de l’homme de l'ONU, Volker Türk, estime qu’il va « à l’encontre des principes fondamentaux des droits humains »[43], et un rapport parlementaire britannique conclut que ce texte est « fondamentalement incompatible » avec les obligations du Royaume-Uni en matière de droits humains[44]. Mais le premier ministre britannique, Rishi Sunak, assure en avril 2024 que toute est « prêt » pour expulser des demandeurs d’asile vers le Rwanda[43]. Le projet de loi Safety of Rwanda (en), adossé au nouveau traité entre Londres et Kigali et définissant notamment le Rwanda comme un pays tiers sûr, est adopté par le Parlement britannique le 24 avril[45],[46].

La situation reflète celle de l'Irlande, dont la Haute Cour (en) juge en mars 2024 que le Royaume-Uni n'est « pas sûr » au regard de l’asile du fait du risque de refoulement des demandeurs d’asile vers le Rwanda, mais la ministre irlandaise de la justice Helen McEntee fait alors passer une législation d’urgence qui déclare le contraire[47],[48], de la même façon que la loi Safety of Rwanda (en) permet de contourner la décision de la Cour suprême britannique[49].

Le Royaume-Uni a déjà versé 140 millions de livres sterling (163,3 millions d’euros) au Rwanda dans le cadre de ce projet de déportation de demandeurs d'asiles[50]. Un premier demandeur d'asile dont la demande d'asile a été rejetée fin 2023 est transféré vers le Rwanda le , deux jours avant les élections locales en Angleterre et au Pays de Galles ; le gouvernement espère alors expulser au Rwanda « d’ici la fin de l’année » 5 700 demandeurs d’asile, sélectionnés parmi plus de 57 000 personnes arrivées au Royaume-Uni par la Manche en 2022 et 2023[51].

Documents[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. « Royaume-Uni : les propositions choc du gouvernement contre l'immigration illégale », sur Franceinfo, (consulté le )
  2. Nejma Brahim, « Les projets délirants du Royaume-Uni pour tenir à distance les migrants », sur Mediapart, (consulté le )
  3. Nejma Brahim, « Le Royaume-Uni franchit une ligne rouge en matière d’asile », sur Mediapart, (consulté le )
  4. Nejma Brahim, « Au Royaume-Uni, des barges pour parquer les réfugiés qui traversent la Manche », sur Mediapart, (consulté le )
  5. « Le Royaume-Uni installe le « Bibby Stockholm », une barge pour demandeurs d’asile, dans le port de Portland », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. « Au Royaume-Uni, controverses et impuissance face aux migrants qui traversent la Manche », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  7. « Le Royaume-Uni va verser 543 millions d’euros sur trois ans à la France pour lutter contre l’immigration illégale », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  8. « L’Union européenne tentée par l’externalisation de la gestion de l’immigration », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  9. « L'Australie exporte ses réfugiés », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. (en) « How the UK's Rwanda plan mirrors immigration policies in Australia, Israel and Denmark », sur Sky News (consulté le )
  11. « Le Danemark veut sous-traiter les demandes d’asile au Rwanda », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  12. Nejma Brahim, « Le Danemark renonce à sous-traiter les demandes d’asile... pour le moment », sur Mediapart (consulté le )
  13. « Giorgia Meloni veut externaliser en Albanie les procédures d’asile », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  14. « Crise migratoire : l’Italie enverra ses migrants en Albanie », La Croix,‎ (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  15. « Nouvel avatar de l’externalisation : l’accord Italie-Albanie », Plein droit, vol. 139, no 4,‎ , p. 1–2 (ISSN 0987-3260, DOI 10.3917/pld.139.0005, lire en ligne, consulté le )
  16. MIGREUROP, « Protocole d'accord Italie/Albanie sur les migrations : une coopération transfrontière contraire au droit international », sur MIGREUROP, (consulté le )
  17. (en-GB) « Court suspends Italian plan to hold migrants in Albania », BBC,‎ (lire en ligne, consulté le )
  18. « Demandeurs d’asile : une externalisation des procédures hors d’Europe fait son chemin au sein de l’UE », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  19. « Le Royaume-Uni va envoyer ses demandeurs d’asile au Rwanda », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  20. « Envoi des migrants par le Royaume-Uni au Rwanda : neuf questions pour comprendre », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
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  22. « Royaume-Uni: des demandeurs d'asile "terrifiés" par le projet de les transférer au Rwanda », sur VOA, (consulté le )
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  24. « « Partygate » : la police met Boris Johnson, sa femme et son chancelier de l’Echiquier à l’amende », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  25. « Au Royaume-Uni, la justice valide la délocalisation des demandeurs d’asile au Rwanda », sur Libération, (consulté le )
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  27. « Un bateau de fortune coule dans la Manche, quatre personnes tuées et 43 autres secourues dans des eaux glaciales », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  28. « Immigration : la justice britannique valide le projet d’expulser des demandeurs d’asile au Rwanda », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  29. « Malgré les controverses, le Rwanda se prépare à accueillir les migrants expulsés par le Royaume-Uni », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
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  43. a et b « Expulsion de migrants au Rwanda : Londres se dit « prêt » à appliquer son projet de loi, débattu lundi, « quoi qu’il arrive » », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
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Articles connexes[modifier | modifier le code]