Nombre de Skewes
En mathématiques, plus précisément en théorie des nombres, le nombre de Skewes fait référence à plusieurs nombres extrêmement grands utilisés par le mathématicien sud-africain Stanley Skewes.
Ces nombres sont des majorants du plus petit nombre naturel x pour lequel π(x) – li(x) > 0 où π est la fonction de compte des nombres premiers et li le logarithme intégral.
Historique[modifier | modifier le code]
John Edensor Littlewood, professeur de Skewes, avait démontré en 1914[1] qu'il existe de tels nombres (et donc, un plus petit parmi eux) et trouvé que la différence π(x) – li(x) change de signe une infinité de fois. Qu'un tel nombre existe n'était pas tout à fait clair à l'époque, car tous les résultats numériques disponibles semblaient suggérer que π(x) est toujours inférieur à li(x). La démonstration de Littlewood n'exhibe néanmoins pas un tel nombre x : elle n'est pas effective. En effet, elle s'appuie sur une alternative : soit l'hypothèse de Riemann est fausse, soit l'hypothèse de Riemann est vraie et la démonstration est alors plus difficile[2]. (Elle reposait donc sur le principe du tiers exclu.)
Skewes démontra en 1933[3] qu'en supposant vraie l'hypothèse de Riemann, il existe un tel nombre x, inférieur à
Ce majorant, quelquefois appelé premier nombre de Skewes aujourd'hui, est lui-même majoré par
En 1955[4], sans l'hypothèse de Riemann, il est parvenu à démontrer qu'il existe un tel x inférieur à
Ce nombre est quelquefois appelé deuxième nombre de Skewes.
Ces majorants (énormes) ont depuis été réduits considérablement : sans l'hypothèse de Riemann, Herman te Riele donna en 1987[5] le majorant
et une meilleure estimation, 1,39822×10316, fut découverte en 2000 par Carter Bays et Richard H. Hudson.
Intérêt de la démarche[modifier | modifier le code]
La contribution majeure de Skewes fut de rendre effective la démonstration d'existence de Littlewood, en exhibant une borne supérieure concrète pour le premier changement de signe de la fonction π(x) – li(x).
L'approche de Skewes, appelée « débobinage » (unwinding) en théorie de la démonstration, consiste à étudier directement la structure d'une démonstration pour en extraire une borne. Selon Georg Kreisel, le principe même de cette méthode n'était pas considéré comme évident à cette époque. Une autre méthode, plus souvent mise en œuvre en théorie des nombres, consiste à modifier suffisamment la structure de la démonstration pour rendre plus explicites les constantes absolues.
Bien que les deux nombres de Skewes soient grands comparés à la plupart des nombres rencontrés dans les démonstrations mathématiques, ni l'un ni l'autre n'est proche du nombre de Graham.
Notes et références[modifier | modifier le code]
- J. E. Littlewood, « Sur la distribution des nombres premiers », C. R. Acad. Sci. Paris, vol. 158, , p. 263-266.
- (en) Harold Davenport, Multiplicative Number Theory, coll. « GTM » (no 74), , 3e éd., 182 p. (ISBN 978-0-387-95097-6), chap. 30 (« References to other work »), p. 172.
- (en) S. Skewes, « On the difference π(x) – li(x) », J. London Math. Soc., vol. 8, , p. 277-283.
- (en) S. Skewes, « On the difference π(x) – li(x) (II) », Proc. London Math. Soc., vol. 5, , p. 48-70.
- (en) H. J. J. te Riele, « On the Sign of the Difference π(x) – li(x) », Math. Comp., vol. 48, , p. 323-328 (DOI 10.2307/2007893).